« Aventure » : lancez-vous dans la 7ème box du Coffre des joueurs !
Après avoir contribué à l’émergence du jeu vidéo en fondant une partie des réflexions sur le game design et la transformation d’univers narratifs en mécaniques ludiques, le jeu de société avait fini par constituer une catégorie à part, souvent cantonnée aux Monopoly et autres Cluedo. Son retour dans le domaine du « geek » n’était qu’une question de temps, surtout après son récent renouveau, qui s’est concrétisé dans des jeux plus variés, et laissant souvent plus de place au thème. En plus de Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide, Mr. Jack, Small World, Unlock ! et Unlock! : Mystery Adventures, Loony Quest, T.I.M.E. Stories, Château Aventure, Zombie Tsunami, Smash Up et Star Realms, Vikings Gone Wild, Les Montagnes hallucinées, Adrénaline, un Coffre des joueurs (comportant Clank!, Wendake, et Light Hunters), Imaginarium, Tokaido, Professeur Evil et la Citadelle du Temps, Caverna – caverne contre caverne, Pocket Ops, Not alone, Minuit, Meurtre en Mer, Taverna, Concept, Dice Throne, When I Dream, Ex Libris, et Les Aventuriers du rail : New York, nous avions eu la chance d’essayer la cinquième Coffre des joueurs sur le thème de la Prospérité (et contenant Wendake, Light Hunters et Clank!). Place aujourd’hui au septième Coffre des joueurs, sur le thème de l’Aventure !
Le concept du Coffre des joueurs
Nous avions déjà détaillé dans notre article sur le cinquième Coffre des joueurs le fonctionnement de cette box trimestrielle, et vous invitons donc à vous reporter à cet article pour davantage de précisions. Rappelons simplement que le Coffre à jouer propose tous les deux à trois mois la livraison d’une box de jeux de société. Pour 55 euros, vous en recevez deux, d’une valeur de 80 euros, tandis que pour 80 euros, vous recevez la version Premium, contenant trois jeux d’une valeur totale de 120 euros, tout cela en plus de quelques goodies.
Chaque box est thématisée : la cinquième portait ainsi sur la Prospérité, la sixième sur la Ruse, et la prochaine portera sur la Combinaison. Et si les jeux ne sont pas dévoilés à l’avance, laissant le plaisir de la surprise aux commanditaires, ils sont toujours soigneusement sélectionnés parmi les sorties les plus récentes, parfois même parmi des jeux qui ne sont pas encore sortis en France au moment de la sélection, pour garantir que vous ne les posséderez pas déjà, et jouir de l’effet de hype. On a ainsi régulièrement le plaisir d’y découvrir des jeux qui ont été extrêmement médiatisés entre la sélection par le Coffre à jouer et la réception du Coffre des joueurs, par exemple parmi les plus récents : Clank!, Paper Tales et Huns. Par ailleurs, les box brillent par leur variété, contenant toujours un gros jeu, et généralement deux jeux « moyen plus », l’un étant souvent assez « expert », l’un plus accessible, et le dernier dans un entre-deux – même si on ne peut pas en faire une loi générale.
Difficile en tout cas, après avoir testé un Coffre des joueurs, de ne pas vouloir y goûter à nouveau, déjà pour s’assurer qu’il sera fidèle à la réputation d’agrément et d’exigence qui précède désormais l’initiative, ensuite et surtout pour le plaisir… Mais découvrons enfin les trois jeux de cette box consacrée à l’Aventure !
Le Coffre des joueurs 7 « Premium »
Deux surprises vous attendent à l’ouverture de ce Coffre des joueurs : d’abord, il contient trois jeux de gestion (placement d’ouvriers, construction de plateau, collecte de ressources…), ce qui peut surprendre dans une box consacrée à l’aventure, thème qui après la prospérité et avant la combinaison pouvait laisser escompter quelque chose de moins eurogame, de moins technique et de plus dramatique, d’autant que deux de ces jeux explorent l’univers western, ce qui va apparemment contre la variété habituelle des propositions. Comme on le verra dans la présentation des jeux, la variété est bien présente, et cette première impression ne rend pas tout à fait compte de la richesse de la box.
Ensuite, ce Coffre des joueurs contient… trois jeux dans sa version standard, quatre dans sa version Premium, soit un de plus que d’habitude ! Une jolie manière de lui ajouter de la valeur (on atteint respectivement les 86 et les 125 euros) par un petit jeu additionnel, qui tranche de surcroît avec les trois autres par le fait qu’il soit pleinement orienté « aventure immersive » (et difficile de ne pas apprécier ce souci de compensation), et qui provoquera assurément une certaine excitation du fait de sa forte notoriété. Commençons ainsi par cette petite pépite inattendue.
Exit : L’Île oubliée
Si vous suivez cette chronique depuis un certain temps, vous savez que je suis très intéressé par la capacité de certains jeux de société à livrer une expérience narrative forte, à raconter une histoire par leur background et surtout par leurs mécaniques, et ainsi à immerger par divers dispositifs les joueurs dans un univers exotique. Cet aspect est d’autant plus captivant que le jeu de société dispose de moyens matériels assez limités en comparaison avec un film, un jeu vidéo, ou un espace réel vaste. La recherche d’une certaine immersion avec de simples cartes, plateaux et dés a assurément nourri en partie l’émergence des escape rooms, dont le jeu de société s’est ensuite nourri à son tour pour des propositions aussi diverses que les Unlock, Deckscape, Escape the Room et Exit.
Exit : L’Île oubliée est (déjà) le sixième jeu de la gamme Exit, qui avait obtenu le prestigieux Kennerspiel des Jahres (meilleur jeu « expert » de l’année) en 2017, se vengeant de l’obtention par Unlock de l’As d’or la même année. Comme tous les autres, il est édité en Allemagne par Kosmos, et distribué en France par iello ; il a été conçu par le prolifique couple formé par Inka et Markus Brand, qui a brillé aussi bien dans le jeu pour enfants, dans le party game que dans les ambitieux jeux de gestion Village et Rajas du Gange. Et comme les précédents, il est illustré par Franz Vohwinkel, le Münichois dont Wikipedia dit qu’il est peut-être le professionnel le plus primé dans son domaine, et à qui on doit entre bien d’autres les classiques Tikal, 6 qui prend, Les Colons de Catane, Mexica, Puerto Rico…
Bon, tout cela inspire confiance sans dire grand chose du jeu lui-même. Or pour parler d’Exit, la première chose à laquelle ceux qui l’ont pratiqué pensent est généralement le caractère littéralement unique de l’expérience proposée. On appelle souvent les jeux narratifs des « jeux kleenex », parce qu’une fois qu’on connaît l’histoire et la manière de résoudre les énigmes, il est peu probable qu’on y rejoue. Cette dénomination ne rend pas bien compte de leur qualité, mais ce qu’elle traduit n’a jamais été plus vrai que pour Exit, où il faut « annoter, plier et déchirer le matériel de jeu » de façon irréparable ! Voilà déjà quelque chose d’assez neuf, qui pourra effrayer dans un premier temps mais qui est également assez excitant dans ce que cela a de tabou – et dans l’appropriation complète du matériel que cela permet.
Après le naufrage de votre navire, vous vous retrouvez, seul ou avec un, deux ou trois compagnons, échoué sur une île mystérieuse, couverte d’énigmes et de cadenas, avec pour seul matériel un vieux carnet pour l’instant hermétique et un étrange disque doré. Vous commencez donc logiquement par ouvrir le carnet à la recherche d’indices (non sans avoir enclenché un chronomètre pour juger de votre performance) et de lettres qui vous autorisent à chercher la carte correspondante dans votre pile de 26 cartes Énigme. Si une Énigme est trop difficile, vous pouvez bénéficier des cartes Aide (qui réduiront cependant votre score et votre fierté).
La finalité des d’énigmes est toujours la même : trouver une combinaison de trois symboles sur les dix possibles, et leur ordre (première, deuxième ou troisième position), puis l’entrer sur le disque sous le symbole de l’énigme que vous souhaitez résoudre. En faisant tourner les trois roues sur leur support, vous ferez ainsi apparaître un chiffre, correspondant à la carte Réponse que vous aurez le droit de piocher. Carte réponse qui vous permettra d’ouvrir des cadenas ou de découvrir de nouvelles énigmes. Celles-ci sont d’une très grande diversité, faisant appel à l’observation, au décryptage, au calcul, à la logique, à des raisonnements plus ou moins tordus…
Toutes sont à peu près rationnelles, mais toutes exigent de se creuser la tête. Il faut dire que L’Île oubliée porte le bandeau « Niveau confirmé » : si on n’est pas dans le « Niveau Expert », on n’est pas non plus dans Unlock qui, aussi tordu qu’il puisse s’avérer quelquefois, préfère l’immersion ludique au véritable casse-tête. Ce n’est pas pour rien qu’Unlock avait été récompensé par l’As d’or comme le meilleur jeu (sous-entendu « accessible ») de l’année, quand Exit concourait au Spiel des Jahres dans la catégorie « expert », même s‘il ne faudrait surtout pas en déduire qu’il serait inaccessible !
S’il s’agit de votre premier Exit, ne le pratiquez donc pas seul, vous peinerez à l’achever dans un temps raisonnable (entre une heure et une heure et quart), et vous risquez d’en retirer plus de frustration que de plaisir. Dans le bon état d’esprit et avec les bons compagnons, nul doute que vous vivrez cependant sur cette île oubliée une aventure cérébrale mémorable, qui vous encouragera à laisser leur chance aux autres boîtes d’Exit. D’autant qu’avec les cinq ou six Exit encore inédits en France (sans même compter ceux en préparation), il y a fort à parier qu’on n’a pas fini de parler d’un jeu aussi curieux et excitant. Vivement la localisation par iello du Mort de l’Orient-Express, du Musée mystérieux et des Catacombes de l’horreur ! Et si vous êtes encore sceptiques, iello met à votre disposition une aventure démo en print-and-play !
Montana
Montana, c’est le dernier-né de La Boîte de jeu, une maison d’édition décidément appréciée du Coffre à jouer, qui en avait déjà sélectionné Huns et Outlive. Et à juste titre, étant donné leur popularité auprès des joueurs, qui n’ont pas moins bien reçu Ilôs ou 10′ to kill, et qui ont massivement backé Neta-Tanka sur Kickstarter. J’étais donc ravi de cette localisation du succès des Néerlandais de White Goblin Games, jouable de deux à quatre pour des parties d’environ 45 minutes à une heure. Montana est conçu par Rüdiger Dorn (Versailles, Istanbul), et illustré par Anthony Wolff (Huns, King of Tokyo) et le grand spécialiste de l’eurogame qu’est Klemens Franz (Caverna – caverne contre caverne, Orléans, Agricola). Vous savez donc à quoi vous attendre, un bon gros jeu à l’allemande, multipliant cependant les efforts pour se rendre accessible, notamment grâce à un livret de règles étonnamment clair, exemplifié, illustré, pour un jeu de ce genre.
Il faut d’ailleurs noter que chez White Goblin Games, les illustrations n’étaient dues qu’à Klemens Franz, et que c’est justement pour paraître plus accessible que La Boîte de jeu avait fait appel à Anthony Wolff pour livrer les dessins plus arrondis et plus doux de la couverture et des plateaux individuels (à défaut de pouvoir redesigner complètement le jeu, ce à quoi ils n’auraient apparemment pas été opposés s’ils l’avaient pu). De quoi convertir les plus allergiques aux kubenbois, ces jeux sans histoire de pose et de collecte de dizaines de petits cubes en bois ? Peut-être bien…
Contrairement à ceux que croient les détracteurs du « jeu à l’allemande » qui ne l’ont jamais pratiqué, cette catégorie n’est pas parfaitement homogène. Pour y appartenir, il faut simplement que le jeu de société en question porte son attention sur les ressources, et qu’il adopte une esthétique « classique », que l’on pourra aussi dire rugueuse (et idéalement qu’il soit conçu par des Allemands). C’est d’ailleurs une marque d’honnêteté : ils ne cherchent pas à se faire passer pour des jeux immédiatement « funs » et adorablement thématisés, leur boîte seule suffit à traduire leur intérêt presque exclusif pour les mécaniques. Mais ces mécaniques peuvent être plus ou moins nombreuses et complexes. Il est par exemple impossible de proclamer sincèrement qu’Agricola ou Caverna jouent à ce titre dans la même catégorie que Wendake ou Mombasa.
Et Montana joue clairement dans une espèce d’entre-deux, plus proche des deux premiers, juste assez complexe pour qu’on vous épargne une description détaillée des règles, et juste assez accessible pour qu’en tente quand même d’en explorer les mécaniques centrales. Le principe est assez limpide : vous êtes des colons s’installant au Montana au milieu du XIXème siècle afin de profiter des ressources nombreuses de ces contrées encore inexploitées. Il faut donc pour commencer mettre en place le Montana en constituant le plateau Paysage de tuiles choisies au hasard, et dont le nombre (7, 9 ou 10) dépend du nombre de joueurs, puis y placer les vaches et les gourdes d’eau. Ensuite, les colons s’y installent en plaçant leur tuile de départ où ils le souhaitent.
L’ensemble des colons établit une ville (le plateau Ouvriers) pour recruter, faire vivre et faire travailler les ouvriers. Rivalité oblige, chacun possède cependant sa propre ferme (donc son plateau individuel), son représentant en ville, sa réserve de campements, son argent, ainsi qu’une vache, 1 blé, 1 courge, 1 petit cuivre et 1 petite pierre, judicieusement disposés sur les jolis emplacements correspondants de sa ferme.
À son tour, le joueur choisit entre trois actions. Le recrutement permet de faire tourner la flèche de la roue Recrutement et de récupérer les ouvriers correspondants (avec la possibilité d’arranger le résultat contre des ressources). La récolte permet d’envoyer ses ouvriers en ville ou près de la ville. Soit à la banque pour gagner de l’argent, soit à la mine, à la carrière, sur un champ de blé ou dans un potager, en payant l’ouvrier pour récupérer des ressources, soit au marché, où le colon place son représentant afin de récupérer des ressources à la fin du tour en échange d’un certain nombre de courges, selon un système d’enchères : si un autre joueur veut les mêmes ressources, il pourra choisir de payer une courge de plus, obligeant le joueur déjà présent à se déplacer immédiatement ou à renoncer. La construction enfin autorise le placement d’un à trois campements contre l’acquittement d’un certain nombre de ressources, dépendant du lieu. Si vous parvenez à aligner quatre campements vous appartenant, vous avez droit à un campement bonus.
Et c’est à peu près tout ! Montana s’achève simplement un tour complet après la construction du dernier campement d’un joueur, et c’est le colon possédant le plus de campements qui remporte la partie. Les autres ressources ne servent donc qu’à départager les joueurs ex aequo, et plus généralement ne sont que des moyens pour construire davantage de campements, pas une fin en soi.
On touche là à la grande force du jeu à mon avis, sa thématisation très discrète et pourtant intégrée avec le plus grand naturel dans ses mécaniques simples. J’aime ainsi beaucoup le fait que soudain plus rien d’autre ne compte que les campements, après tout le seul objectif du colon qui se respecte, le reste venant plus tard. Ou le fait de payer les ouvriers pour qu’ils travaillent pour nous, ce qui est assez rarement le cas dans les jeux de placement d’ouvriers, où les meeples nous appartiennent simplement et sans condition. Ou encore la nécessité de placer les campements à côté d’autres campements… même s’ils ne nous appartiennent pas. Après tout, si une terre est colonisée par un rival, qu’est-ce qui vous empêche d’y passer pour le narguer depuis le champ d’à côté ? Ce léger élément d’interactivité est en fait crucial : il faudra à tout moment songer que vos campements ouvrent la voie aux campements de vos adversaires, et qu’une ligne de campements peut être interrompue très vite si vos intentions sont trop claires.
Montana ne propose ainsi pas la thématisation poussée de Wendake, mais il n’ambitionne pas non plus la même complexité. Il est lisible, simple, tout en étant varié, et ses mécaniques n’incluent d’aléa que dans la roue de Recrutement (de surcroît modifiable), le hasard étant par ailleurs présent uniquement dans l’installation initiale du Paysage. Montana offre ainsi des parties variées et ce qu’il faut de rejouabilité aux colons séduits par sa tacticité abordable et impitoyable, par son intéressante absence de chaos. Décidément une élégante accessibilité que l’on était loin d’attendre d’un « jeu à l’allemande » !
Ganymède
En voyage en Corée du Sud, les éditeurs de Sorry we are French découvrent le prototype d’un intéressant jeu de pose d’ouvriers conçu par Hope S. Hwang (Kabuki, Sherlock 13), et décident d’en faire leur premier jeu (avant le prometteur Immortal 8). Les mécaniques de base sont relativement solides, et ne demandent qu’à être légèrement affinées, mais le thème médiéval (qui fait décidément trop eurogame) ne les convainc pas, de sorte qu’ils font appel à David Sitbon et Olivier Mootoo pour développer un imaginaire différent, cette fois spatial (en s’inspirant de The Expanse !), avec un design low polygon. Le récit de ces intéressants choix éditoriaux est disponible ici.
Dans Ganymède, vous incarnez une Corporation dont l’objectif est de transporter des colons vers d’autres planètes et lunes. Pour cela, votre mission consiste à assurer leur voyage vers Ganymède, lune de Jupiter, d’où ils pourront partir pour de nouvelles destinations, en transitant par le Centre de Vol Spatial Martien. Ces colons sont de quatre couleurs, correspondant thématiquement à quatre « spécialités », ce qui est en fait un astucieux prétexte à justifier que la colonie attache de l’importance à des combinaisons particulières de meeples.
Pendant un tour de jeu, la Corporation a le choix entre trois actions. Prendre une tuile colon permet… de prendre une tuile colon parmi les quatre tuiles disponibles face révélée, et de la placer au-dessus de son plateau individuel, en ajoutant les colons apparaissant sur la tuile sur Terre. Ces tuiles sont de cinq types différents, mais si la Corporation sélectionne pour la deuxième ou troisième fois un arrivage de colons du même type, elle peut multiplier par deux ou trois cet arrivage.
Pour utiliser une Navette, la Corporation doit sélectionner parmi les Navettes placées face visible devant tous les joueurs celle aux exigences de laquelle les colons qu’il possède répondent (par exemple un colon rouge et un colon bleu). Si les colons étaient sur Terre et que la Navette était Terrienne, il déplace les colons sur Mars ; si les colons étaient sur Mars et que la Navette était Martienne, il place les colons dans celui ou ceux des deux vaisseaux qu’il avait sélectionnés et placés face cachée en début de partie.
Utiliser une Navette pour déplacer des colons permet aussi d’avoir recours à un effet supplémentaire indiqué sur la carte Navette, qu’il pourra répéter autant de fois qu’il disposera déjà de Navettes du même type. Le premier Vaisseau de colons doit contenir trois colons identiques pour décoller automatiquement à la fin du tour, le deuxième un colon de chaque. Chaque Vaisseau ayant ainsi décollé octroie un nombre particulier de points de victoire et d’avantages.
La troisième action consiste à défausser entre une et trois tuiles colon de son plateau individuel (qui empêchent de piocher de nouvelles tuiles colon si la limite de trois est atteinte). Chaque tuile ainsi défaussée permet de réaliser une « action basique », recruter un colon sur Terre, défausser un colon sur Terre ou sur Mars et le remplacer par un autre colon, déplacer un colon, piocher un vaisseau de colons, augmenter sa réputation.
Ces points de réputation octroient des actions basiques supplémentaires si la Corporation s’arrête sur la case correspondante, et des points de victoire en fin de partie. Atteindre la fin de la piste de Réputation permet d’ailleurs de faire partir un Vaisseau sur Ganymède même s’il n’est pas complet, comme quand une Corporation a envoyé cinq Vaisseaux de types différents.
La partie s’arrête quand un joueur a fait décoller son quatrième Vaisseau de colons, ou quand la pioche de Navettes Terriennes ou Martiennes est vide. Elle est donc relativement courte – comptez entre dix et quinze minutes par joueur à peine ! Le score consiste dans les points de victoire liés à la Réputation, aux Vaisseaux ayant décollés, plus un point par colon présent sur un vaisseau n’ayant pas décollé.
Ce qui frappe en premier lieu me semble-t-il, c’est la cohérence thématique de ces mécaniques, dont on peine à croire qu’elles aient été pensées pour un autre univers à la base. Difficile de ne pas admirer le travail mené par l’équipe de Sorry we are French pour arriver à une telle évidence du contexte spatial. Ensuite, c’est la richesse combinatoire malgré la simplicité des règles (dont on a quand même occulté les détails pour ne pas rendre la description trop fastidieuse) et la concision du jeu. Tout est limité, tout est combinable, et la restriction à trois actions dissimule en fait une grande palette stratégique dont les conséquences dépassent largement le placement de colons. C’est au point que l’on perd toute conscience d’être face à un jeu de pose d’ouvriers pour ne plus voir qu’un jeu de déplacement de colons.
Bref, c’est au point que le thème déborde le genre du jeu, et ce malgré des cartes que l’on aurait souhaité plus grandes pour favoriser l’immersion, ou des meeples que l’on aurait rêvés plus personnalisés. Une réussite à laquelle on n’aurait pas cru si l’on s’était contentés d’observer la sobriété de la boîte et des plateaux individuels, qui m’avaient d’ailleurs empêché de prêter attention au jeu quand j’avais entendu parler de Ganymède sur la chaîne YouTube de Philibert il y a quelques semaines. Je ne peux que me réjouir de l’avoir eu entre les mains pour découvrir la beauté profonde et le potentiel de ce jeu de course à l’espace assez incroyable !
U.S. Telegraph
Comme pour chaque Coffre des joueurs, on avait le choix entre la boîte standard et la box premium promettant un gros jeu en plus des autres. Ce trimestre-ci, c’est U.S. Telegraph qui a été sélectionné, la « nouvelle » production de Super Meeple. « Nouvelle » parce qu’il s’agit de la réédition d’une localisation. À l’origine, Hans im Glück avait publié Attika, un jeu de construction de cité grecque, conçu par Marcel-André Casasola Merkle (Taluva), illustré par lui-même. Mais ce qui était alors à la mode avait peut-être besoin d’un sérieux lifting pour le rester, et qui était plus compétent pour ce travail que les rois du lifting ludique, l’éditeur qui réédite des versions enjolivées de classiques comme Mexica ou Tikal, transpose Amun Re en jeu de cartes, et a même osé la transformation de l’archi-classique Versailles de Rüdriger Dorn (encore lui) en jeu d’animaux mafieux (Mafiozoo) ?
Le titre trahit immédiatement le concept : dans U.S. Telegraph, vous êtes dans les États-Unis de 1860, et devez relier les villes par le télégraphe. Il fallait donc revoir tout l’habillage d’un jeu fonctionnant pourtant très correctement dans sa cohérence entre thème et mécaniques. Première étape, faire complètement redessiner le jeu, de la boîte à la moindre tuile, par deux nouveaux venus dans le milieu de l’illustration de jeux de société, Fabrice Weiss (Minuit, Meurtre en Mer) et Jules Dubost. Deuxième étape, essayer de recréer une cohérence tout en respectant les règles, de manière à ce que rien dans les nouvelles ne trahisse l’Antiquité grecque, mieux : à ce qu’on oublie complètement en jouant à U.S. Telegraph que le jeu n’avait originellement rien à voir avec cet espace géographique et cette époque.
Saluons d’abord l’effort de compression des règles : parvenir à en faire tenir l’intégralité sur trois pages à peine, sans renoncer aux illustrations, aux exemples, encarts mettant des éléments en valeur, et surtout avec un cheminement clair dans leur exposition, alors qu’il s’agit tout de même d’un jeu de pose de tuiles, tient de la gageüre, et parvient ainsi à rassurer d’emblée.
Pour commencer une partie, on place le terrain, composé de « villes » séparées par de grandes régions sauvages. La taille de ces régions dépend du nombre de joueurs, et la pioche aléatoire des tuiles les composant ajoute un évident élément de rejouabilité. Aucun joueur n’est particulièrement avantagé par ce placement initial, étant donné que vous pourrez construire votre réseau à partir d’un point de votre choix sur la carte.
Puis à votre tour, vous avez le choix entre deux actions. La première consiste à piocher des bâtiments dans les quatre piles face cachée. Si l’on possède les ressources nécessaires à sa construction, on peut l’intégrer directement au plateau de jeu, sinon on le place simplement sur la case correspondant à ce bâtiment de notre plateau individuel. Cette action peut être réalisée zéro, une ou deux fois, puis on pioche une carte ressource pour chaque action qu’on n’a pas réalisée.
Ou l’investisseur peut construire des bâtiments. Pour cela, il faut que des jetons bâtiment soient disponibles sur son plateau individuel, et qu’il paye le coût de construction afin de les placer sur le plateau de jeu. Cette action peut être réalisée zéro, une, deux ou trois fois, puis on pioche de même une carte ressource pour chaque action non réalisée.
Le désert représenté par le plateau de jeu n’est pas si désertique que cela : on peut en effet y puiser ou y miner l’une des quatre ressources du jeu, eau, bois, argile ou métal. On ne récupère pas les cartes ressource correspondantes, mais ces ressources diminuent le prix des bâtiments construits à proximité. Voilà d’ailleurs le seul point sur lequel j’aurais un reproche objectif à faire au jeu, ou plus précisément à l’écriture de ses règles : s’il est clair qu’utiliser ces ressources ne les épuise pas, et qu’elles peuvent donc être à nouveau utilisées pour construire un autre bâtiment, rien ne dit qu’une ressource recouverte par un bâtiment n’est plus disponible, alors que c’est le cas (ce que m’a confirmé Super Meeple) et qu’il aurait suffi d’inclure l’adjectif « visible » dans une phrase des règles pour le préciser… Bref, disons que cette exception met en valeur la clarté du reste, mais qu’une correction serait bienvenue sur le site de l’éditeur ou lors d’un prochain tirage – au moins vous êtes prévenus.
Les régions les plus riches feront donc l’objet d’une franche rivalité. D’autant que si, comme on l’a dit, vous pouvez construire vos bâtiments n’importe où, chaque nouvelle implantation coûte une ressource supplémentaire du choix de l’investisseur par implantation dont il dispose déjà. Il a donc tout intérêt à privilégier un réseau continu plutôt que des implantations disséminées…
… Mais pas trop ! On gagne en effet la partie en construisant tous ses trente bâtiments, soit en connectant deux grandes villes par une chaîne ininterrompue. Or construire une ligne trop visible de bâtiments ne pourra qu’encourager vos adversaires à l’interrompre avec une implantation surprise ! Il est ainsi toujours recommandé d’avoir des ressources à disposition, et de garder quelques bâtiments sur son plateau individuel, soit pour construire soudain une ligne de trois bâtiments permettant un bond fulgurant vers la victoire, soit pour se préparer à un progrès trop net de l’un de ses rivaux…
Compter sur les chaînages peut également représenter une considérable source d’économie : un bâtiment sera en effet gratuit si vous respectez l’ordre de construction conseillé par votre plateau personnel, lequel a une relative logique thématique. Un poste frontière (21) sera ainsi gratuit à côté d’un fort (20), et permettra la construction gratuite d’une tour de guet (22), sachant que l’on peut profiter de cet effet plusieurs fois !
Deux autres points de règle peuvent soudain déséquilibrer (en bien) la partie : achever un ensemble de bâtiments octroie le droit à un ouvrier, dont l’usage unique ajoute un point d’action, tandis que piocher le dernier jeton bâtiment de l’une de ses quatre piles permet de placer une nouvelle tuile région à côté du plateau de jeu, étant donné que l’agrandissement de votre capital fait déborder votre empire sur les terres voisines, avec davantage de possibilités de construire des routes détournées pour atteindre les villes que vous visez.
Comme les autres jeux de cette boîte, U.S. Telegraph frappe par sa cohérence, bien plus grande que pour son ancêtre Attika. La compétition acharnée entre sociétés de consommation pour relier des villes se prête ainsi parfaitement à un jeu de pose de tuiles aussi retors, malgré l’absence d’interactivité directe. La simplicité des règles n’empêchent pas de longues minutes d’hésitation entre les trois actions possibles (piocher des bâtiments, construire, piocher des ressources), une décision prise trop vite, négligeant l’avancée de ses adversaires ou au contraire négligeant ses propres possibilités d’extension, pouvant vite s’avérer fatidique. Super Meeple nous gratifie ainsi d’une introduction bienvenue et étonnamment complète au jeu de pose de tuiles, juste thématisée ce qu’il faut et bien plus nerveuse qu’il n’y paraissait.
Le Coffre des joueurs devient un indispensable
Évidemment, le précédent Coffre des joueurs présenté ici inspirait déjà un puissant désir d’abonnement, ne serait-ce que pour le plaisir de recevoir des jeux formidables, et pourtant inconnus avant l’ouverture de la boîte, promettant une économie appréciable et de longues semaines d’amusement entre amis, en famille, en couple, et parfois même en solitaire.
D’une idée intéressante on passe cependant avec ce Coffre des joueurs à une idée importante. Comme beaucoup peut-être, j’avais été surpris en découvrant les jeux présents dans cette boîte par leur similarité générique, et un peu déçu par leur thématisation un peu en retrait. Quand on commande une boîte dont le thème est « Aventure », on s’attend probablement à de l’ameritrash (avec insistance sur le thème, les visuels, le « fun ») plutôt qu’à de l’eurogame (avec insistance sur les mécaniques), surtout quand la boîte « Prospérité » (donc annonçant plutôt de l’eurogame) manifestait en fait une grande variété d’approches (avec un seul véritable eurogame, Wendake).
Mais leur proximité générique permet justement d’apprécier la grande diversité des jeux de gestion dits « à l’allemande », dont les jeux choisis ici dévoilent plutôt une inattendue nervosité et accessibilité, contre l’idée de froideur rigoureuse qui s’en dégage ordinairement. Ce Coffre des joueurs est ainsi un indispensable pour convertir les allergiques au kubenbois, pour faire découvrir l’inventivité riche d’un genre que l’on pourrait croire sclérosé par les mauvais pastiches d’Agricola.
À titre personnel, je ne suis même pas sûr que je me serais intéressé en boutique à Montana ou Ganymède par exemple, malgré les articles et vidéos consultées sur ce dernier jeu, je suis même pratiquement sûr que je les aurais ignorés au profit de sorties plus aguicheuses, là où U.S. Telegraph et Exit étaient déjà sur ma liste. Et je me serais privé de profonds plaisirs ludiques, de ceux justement qui font tant aimer le jeu de société. Impressionné deux fois, je ne peux donc que vous encourager sincèrement à vous renseigner sur les prochains Coffres des joueurs, sans vous laisser impressionner par le thème. Le prochain, à commander au plus vite pour une livraison en septembre, porte par exemple sur la Combinaison, et promet de belles surprises !