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Small World : enfin un vrai Risk de l’heroic fantasy

JEUX DE SOCIÉTÉ GEEK, VOL.5 : Small World

 

Parce que de plus en plus de jeux de société adhèrent aux thématiques geek, voire s’inspirent de mécaniques de jeux vidéo (après en avoir favorisé l’émergence), et parce que plusieurs d’entre vous les pratiquez assurément avec autant de passion que nous, il semblait essentiel de vous en présenter enfin quelques-uns ! Après Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide et Unlock !, voici la nouvelle curiosité que nous vous invitons à découvrir, Small World !

Après deux jeux assez éloignés de l’image que l’on se fait traditionnellement des jeux de société (le premier très textuel, le deuxième consistant en un escape game… avec un simple deck de cartes), il était temps de revenir aux fondamentaux avec un jeu de plateau tactique, genre dont le modèle incontesté reste Risk malgré tous les défauts que pouvait avoir ce standard, dont nous verrons précisément comment Small World cherche à les pallier.

Développé par Philippe Keyaerts, l’auteur déjà responsable de Vinci, et édité par la société Days of Wonder (Five Tribes, Les Aventuriers du rail…), Small World avait été récompensé en 2010 du Prix du jury aux As d’or ainsi que du Tric Trac d’or, soit deux des plus importants prix que peut recevoir en France un jeu de société.

Pour présenter Small World et vous laisser juger s’il vaut ses 45 euros (environ), et afin de vous montrer au mieux comment Keyaerts s’y est pris pour rendre un jeu de conquête de plateau aussi fun que possible, nous laissons la parole à l’un des dieux qui peuplent le Petit Monde et que l’on appelle les « Joueurs ».

 

Le grand jeu du small world

Quand on est un Dieu, le plus difficile est de trouver à s’occuper. Que faire quand on peut tout faire ? Que choisir quand tout est également réalisable et facile ? L’idéal bien entendu est d’aller se frotter à un autre Dieu pour équilibrer la balance et réintroduire de l’incertitude, par exemple en créant un monde et en lui proposant un fin jeu d’influences et de guerres consistant à créer des races toutes plus fantaisistes les unes que les autres pour le conquérir. Une manière bien ludique d’affirmer sa nette supériorité sur un rival que l’on veut déposséder de ses territoires.

Pour commencer, nous créons donc un monde assez réduit pour que les espèces que nous y faisons vivre soient en contact le plus vite possible – on n’est pas là pour les laisser évoluer en civilisations – tout en ayant tout de même des terres à conquérir pour les motiver et étendre leur champ de bataille. Ce monde sera donc plus ou moins grand en fonction du nombre de Dieux désirant s’amuser à manipuler ces espèces primitives, d’une vingtaine de territoires quand nous sommes deux à une cinquantaine quand nous sommes cinq.

 

Pour pimenter nos apocalypses, les mondes sur lesquels nous massacrons allègrement nos peuples sont assez variés pour proposer des contraintes géographiques que nous devrons prendre en compte. Ainsi, des étendues d’eau infranchissables nous forcent à des déplacements plus réfléchis, tandis que de hauts sommets montagneux exigent de faire appel à des troupes plus nombreuses pour les prendre d’assaut.

L’intérêt de ces contraintes est évidemment de pouvoir être transformées en forces : une montagne conquise devient bastion, un lac devient le prolongement d’une muraille de troupes… Et surtout, les peuples que nous imaginons peuvent avoir des affinités avec certains types d’environnement, compensant leur faiblesse militaire par la connaissance du terrain. Si une armée de tritons est ainsi limitée à onze soldats, toute région côtière leur sera plus ouverte puisqu’ils auront le droit de la prendre, qu’elle soit ou non occupée, avec un soldat de moins qu’il n’en faudrait à une autre race. De même, si nos tribus ne peuvent envahir le monde qu’en venant de l’extérieur, donc en commençant logiquement par les bords, nous avons décidé que les mi-portions étaient si ridicules que nous avons compensé leur taille par le droit de débarquer par des tunnels où ils le souhaitent sur la carte, et même d’ériger leur territoire d’origine en tanière invulnérable aux capacités des autres peuples.

 

 

Il n’est pas bon qu’un Dieu fasse du favoritisme, et si on ne peut en empêcher un d’avoir un préférence pour une race, on peut tout mettre en place pour l’encourager à se renouveler, d’une part en s’accaparant l’espèce avec laquelle il comptait combattre, d’autre part en limitant le choix à faire à seulement six espèces à la fois, et en lui imposant de payer s’il n’est pas intéressé par la première espèce accessible, la plus pressée de parvenir à l’existence.

D’autre part, et c’est sans doute l’élément qui rend notre conquête de Petits Mondes d’un intarissable intérêt, à chaque race est aléatoirement assorti un pouvoir spécial qui n’est pas modifiable. Ce pouvoir consiste non seulement dans la faculté de déployer de trois à cinq soldats supplémentaires, il apporte une plus-value qui enrichit l’intérêt tactique d’un peuple. Prenez par exemple les hommes-rats, qui n’ont pas de pouvoir spécifique du fait de leur surnombre déjà très avantageux : si vous découvrez que la nature, dans sa logique aberrante, en a soudain fait des hommes-rats marins, seuls capables de conquérir les mers, qui pourra vous résister ? Les nains ne sont que trois, mais qu’ils deviennent nains bâtisseurs et leurs territoires seront plus difficiles à reprendre, tandis que si au contraire ils sont des nains berserkers ils pourront à chaque conquête faire appel à des renforts, via un ingénieux système recourant au hasard, et pouvant leur attribuer de zéro à trois troupes supplémentaires pour une attaque !

 

 

Certaines races privilégient ainsi la conquête d’un territoire vierge, tandis que d’autres s’appuient sur leurs pouvoirs pour reprendre aux autres Dieux chaque centimètre de terre conquis, l’art de la guerre étant assez simple puisqu’il suffit de submerger comme des barbares ses adversaires. Tant qu’on est plus nombreux, et qu’on peut passer outre leurs défenses naturelles et artificielles, la terre est à nous, et ils perdent définitivement des troupes qu’ils ne pourront pas renvoyer au combat par la suite. Il faut donc souvent choisir entre éparpiller ses précieux soldats pour posséder le plus de terres possibles ou au contraire les regrouper pour des attaques en les laissant à l’abandon…

Mais imaginons le pire : qu’un Dieu se lasse de son peuple de prédilection, catastrophe plus commune qu’on ne pourrait le croire. Il peut quand il le désire décider de faire passer une civilisation en déclin pour s’en approprier une autre, la civilisation abandonnée continuant de lui rapporter prestige et argent, tout en étant nécessairement plus fragiles face aux assauts ennemis. Et comme vous vous en doutez, certains pouvoirs rendent un peuple plus intéressant encore dans le déclin que vivant ! Imaginez des zombies ancestraux, cumulant leur pouvoir racial de pouvoir attaquer et se défendre même en déclin avec le droit supplémentaire de posséder deux races en déclin simultanément au lieu d’une seule normalement !

L’addition de ces mutations génétiques incontrôlées au choix limité de son espèce de départ et d’un terrain à la topologie variée introduit dans chaque monde la part d’aléa qui permet de compenser une tacticité qui serait trop mécanique, et qui stimule constamment nos conquêtes et notre désir de recommencer à semer la terreur dans d’autres mondes. D’autant que le nombre de combinaisons prévues est juste assez nombreux pour nous permettre de les maîtriser sans avoir à les redécouvrir à chaque fois, tout en nous empêchant tout à fait d’anticiper les possibilités futures. Comment pronostiquer si on ne sait pas si notre adversaire va conserver ses trolls des collines ou opter soudainement pour des elfes et leur dragon, ou de fourbes mages marchands, préférant l’insidieuse victoire par l’or à la gloire des batailles ?

C’est que nous restons des Dieux, nous ne pouvons nous détruire les uns les autres, et il aurait donc semblé incongru (en même temps qu’inutilement fastidieux) de vaincre en exterminant les races adverses du monde, d’autant que cela irait contre l’Ordre des choses qui nous échappe même à nous, et qui veut que la vie trouve toujours son chemin, même sur les champs de ruines que nous laissons. Nous aurions pu limiter le nombre d’espèces auxquelles chacun avait droit, mais le plaisir n’est-il pas immense de pouvoir persévérer avec la même ou de pouvoir en changer en permanence pour semer un trouble constant ? Nous avons donc préféré instaurer une limite dans le temps, en répondant aussi par là au principal danger auquel peuvent s’exposer des Dieux éternels dont l’affrontement pourrait ne jamais finir. Au bout d’un certain nombre de cycles, nous comptabilisons simplement les pièces qui nous servent aussi bien d’indicateurs de la richesse de nos civilisations successives que de points de prestige.

Ce système a bien entendu quelque chose de frustrant. À ériger des stratégies de conquête totale, à vaquer d’une race à l’autre en cumulant les pouvoirs les plus destructeurs ou au contraire en protégeant ses acquis pour les peuples à venir, finir en comptant des jetons de carton n’est pas très satisfaisant. Il fallait cependant un signe objectif d’une victoire sans concessions, quelque chose qui prenne en compte tous nos efforts d’accumulation, de conquête, de préservation, et donc les spécificités de toutes nos races et spécialités. Pourquoi pénaliser des marchands nécessairement plus portés sur le pécule que sur la hache, ou des humains s’acharnant à labourer des champs plutôt que tout autre type de terrain ? Hum, c’est un mauvais exemple, les humains sont un peu stupides, et puis franchement, qui choisirait des fermiers contre des ogres? Enfin bon bref, il fallait quelque chose, et contre l’excitation d’une solution plus insatisfaisante nous avons choisi l’égalité entre toutes les races et le consensus de tous les Dieux.

Ou du moins un semblant de consensus, une règle prétendument civilisée pour ordonner le chaos de nos batailles, chaque conquête ou chaque défaite accroissant notre connaissance des différents peuples auxquels nous pouvons faire croire qu’ils sont libres alors que nous jouons leur vie pour asseoir notre prestige, et nous inspirant donc le désir de mettre en oeuvre notre aisance nouvelle dans une nouvelle guerre. Sachant que dès que nous serons las, nous ajouterons d’autres espèces et d’autres pouvoirs à manipuler à ceux que nous exploitons déjà, pour augmenter encore l’invraisemblable magie des champs de bataille surpeuplés que nous mettons en place, ainsi que la possibilité d’ajouter un sixième Dieu dans un monde à peine plus grand, pas assez pour  permettre une coexistence pacifique qui ne nous intéresse pas. Même si nos guerres sont courtes, au grand jeu du Small World, le monde est toujours trop petit, et la guerre, la guerre ne meurt jamais.

 

 

«Fun, fun never ends »

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