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Château aventure, le text RPG IRL et assisté

Château aventure, le text RPG IRL et assisté

 

Parce que de plus en plus de jeux de société adhèrent aux thématiques geek, voire s’inspirent de mécaniques de jeux vidéo (après en avoir favorisé l’émergence), et parce que plusieurs d’entre vous les pratiquez assurément avec autant de passion que nous, il semblait essentiel de vous en présenter enfin quelques-uns ! Après Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide, Mr. Jack, Small WorldUnlock ! et Unlock! : Mystery AdventuresLoony Quest, et T.I.M.E. Stories, il est temps de vous parler du récent Château Aventure qui fait tant parler de lui.

En 2003, Jared A. Sorensen écrit deux scénarios, « Château aventure » et « Aventure dans la jungle », qu’il édite en 2010. Le jeu est repéré, traduit et édité par La Boîte à Heuhh sous le titre Parsely. À la fermeture de La Boîte à Heuhh, son directeur Ludovic Papaïs va travailler pour iello, où l’on décide d’une réédition augmentée et soigneusement illustrée, jusqu’à arriver à treize scénarios, douze imprimés dans la boîte de jeu et un dernier disponible gratuitement en ligne, sous le titre Château Aventure, qui est donc celui du premier scénario, qui est surtout plus catchy que Parsely, et correspond mieux au public élargi que veut toucher iello.

Ce qui m’a particulièrement intéressé avec Château aventure, c’est la promesse d’un jeu inspiré des text RPG, donc à nouveau la tentative de transposition en jeu de société de mécaniques du jeu vidéo (comme Loony Quest adaptait le platformer, et les jeux de Space Cowboys s’inspirent du point-and-click), avec un maître du jeu évoquant le jeu de rôle sur table, et pour des parties courtes, ciblant l’amusement davantage que l’immersion dans un scénario complexe. En somme le pari risqué d’un équilibre difficile, et d’autant plus prometteur.

Disponible pour 25 eurosChâteau aventure s’adresse à un public de dix ans et plus, on peut y jouer à partir de deux joueurs sans limite supérieure, et les parties durent environ 30 minutes. Place au test.

 

Château Aventure exemple

 

 

Qui voudrait encore jouer à un text RPG ?

Si vous avez moins de trente ans et ne vous intéressez pas particulièrement à la préhistoire du jeu vidéo, vous ignorez peut-être ce que sont les text RPG. Il s’agit, comme leur nom l’indique, de jeux de rôle strictement textuels pratiqués sur ordinateur. Le jeu décrivait ainsi les lieux au joueur, qui devait taper une commande simple (« tuer garde avec épée », « manger poisson », « aller vers château »…) pour interagir, à laquelle l’ordinateur répondait en décrivant les conséquences de l’action (« le garde vous tue », « vos compagnons vous regardent dévorer un poisson cru avec dégoût », « vous arrivez au château »…). Les limites du codage faisaient que les commandes un peu complexes n’étaient pas reconnues, et que l’éventail des actions était donc assez limité, une règle qu’il fallait avoir assimilé pour apprécier pleinement l’expérience proposée.

Dans Château Aventure, c’est un joueur qui incarnera l’ordinateur, tandis que les autres incarneront un personnage et essayeront d’interagir avec le monde qui leur sera décrit. En effet, fidèle en cela à la tradition du text RPG, seul l’ordinateur possède la connaissance de l’environnement, et seul ce joueur a accès au plan et au livre de règles décrivant très précisément les actions possibles, les autres n’ayant pas de plateau, de cartes, de dés… rien. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est aviser en fonction de leur inventaire et de leurs possibilités, et dire en aussi peu de mots que possible à l’ordinateur ce qu’ils ont décidé.

Dès lors, il y a deux manières de diriger l’action : faire l’ordinateur, et être maître du jeu. L’ordinateur a une voix plus monocorde, répond souvent « commande impossible », bref oralise exactement ce que lui dit le scénario, et ce rôle est surtout amusant par sa référence au text RPG, dans sa clarté et sa mécanicité, certains joueurs pouvant reprocher à ce système de les confronter à de trop évidents « murs invisibles », cassant l’immersion. Il faut dire que ce joueur seul a accès aux illustrations (ce qui est assez dommage étant donné le soin qui leur a été apporté), ce qui renforce son devoir d’en rendre la beauté à son auditoire. Le maître du jeu au contraire peut enrichir la narration, être plus souple sur les commandes acceptées, faire les voix, tenter d’immerger les joueurs dans l’histoire comme dans un véritable jeu de rôle. Comme le précisent les règles, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de faire les choses : cela dépend de l’auditoire (de son nombre, de son âge…), de la maîtrise qu’a l’ordinateur du scénario et de son aisance orale. Il est en tout cas assisté si précisément par le livre que son rôle est accessible à des joueurs parfaitement inexpérimentés, et il est probable que même l’ « ordinateur » le moins à l’aise se prenne assez vite au jeu.

Les règles veulent limiter l’interaction entre les joueurs aventuriers. Chacun à tour de rôle est ainsi invité à « entrer une commande » (décrire une action simple), sans se concerter avec les autres joueurs. J’y vois deux raisons : éviter les King Speakers, ces joueurs expérimentés qui prennent constamment la parole, imposent leurs décisions, parlent plus fort que les autres ; favoriser les assemblées nombreuses, une cible que Château Aventure revendique plusieurs fois, et où les concertations rendraient vite la partie interminable et inutilement bruyante (après tout, à quoi bon écouter l’avis de tous quand personne ne sait s’il vaut mieux aller à droite ou à gauche?). C’est aussi une limite : imaginons que vous ayez une idée d’interaction, mais que ce ne soit pas votre tour. Il y a fort à parier que, le temps que vous ayez à nouveau la parole, vous ayez quitté le lieu où l’action était possible. Soit vous reviendrez en arrière, au risque que les joueurs suivants continuent de progresser comme ils l’entendent, ignorant ce que vous avez à l’esprit, soit vous devrez accepter la progression voulue par l’équipe sans concertation – une concession évidemment frustrante. Et ne parlons même pas du déplaisir général si un joueur se lance dans une action fantasque qui le conduit à la mort, et impose à tous de recommencer le scénario.

Heureusement, chaque scénario autorise deux ou trois sauvegardes, c’est-à-dire qu’un joueur peut lancer la commande « sauvegarde », et que n’importe quel joueur pourra ensuite « charger la sauvegarde », ou revenir au point où la sauvegarde a été effectuée s’il meurt. Encore une fois, si l’équipe ne se concerte pas, on pourra être frustré qu’un joueur « gaspille » une sauvegarde à un endroit que l’on n’estimait pas déterminant, ou « omette » de sauvegarder alors que cela semblait requis par les circonstances. Cette interdiction d’interaction est d’autant plus curieuse que tous les joueurs incarnent le même personnage, dont les actions sont donc erratiques, quand leur concertation imiterait mieux les hésitations d’un personnage à peu près réaliste. J’aurais ainsi tendance à recommander une interaction limitée entre les joueurs, avec la conservation de l’idée de joueurs « actifs » à tour de rôle. On aurait ainsi le droit de conseiller ou avertir un autre joueur, le joueur actif étant toujours libre de suivre ou non ces recommandations.

Les règles déconseillent par ailleurs le recours aux notes  : effectivement, les parties sont plus décontractées si l’ordinateur seul dispose d’un matériel minimaliste. Passé le premier scénario, il peut pourtant être assez difficile pour les joueurs de se repérer spatialement. En effet, les scénarios « modérés » et « difficiles » le sont un peu par leurs thématiques plus adultes (un asile, des zombies…), et beaucoup par leur complexité géographique. Cela peut constituer un plaisir du scénario, avec le risque de manquer des lieux, mais on peut aussi très bien imaginer que les joueurs ont le droit de dessiner leur propre carte. J’imagine même qu’il pourrait être particulièrement amusant que les joueurs n’aient pas le droit de regarder la carte des autres, et soient donc libres de se fier à leur mémoire, ou de dessiner la leur, avec la possibilité, une fois le scénario achevé, de comparer les cartes de chacun.

 

 

Un plaisir illimité dans un jeu kleenex ?

Château Aventure peut a priori être considéré comme un « jeu kleenex », à l’instar de Sherlock Holmes, Détective conseil, Unlock !, TIME Stories, particulièrement d’Exit, la rejouabilité étant pratiquement impossible dès lors que l’on connaît le scénario. D’une part, la plupart des jeux kleenex peuvent être rejoués avec plaisir un certain temps après la première partie : on peut très bien imaginer qu’après treize scénarios de Château Aventure et quelques mois, vous aurez assez bien oublié certaines ramifications pour vous y replonger. Surtout, Château Aventure a l’avantage d’imposer un Maître du Jeu, un rôle idéal pour toute personne ayant déjà pratiqué le scénario, qui sera d’autant plus à l’aise qu’elle s’en souviendra bien, et aura déjà été « de l’autre côté de l’écran ».

Il me semble que ce n’est pourtant même pas là l’avantage premier de Château Aventure. Les règles nous encouragent régulièrement à prendre des libertés en fonction du contexte de jeu, prenant en compte (et à raison) le fait que les attentes d’un enfant de huit ans ne seront pas les mêmes que celles de quatre joueurs qui en ont trente, ou d’une assemblée nombreuse et hétérogène, que le goûter, le début de soirée, la pause entre deux jeux, ne suscitent pas de semblables exigences. Et quand vous aurez fait quelques scénarios, a fortiori quand vous en aurez parcouru les treize disponibles actuellement, vous aurez très probablement envie de vous emparer de ses mécaniques pour écrire les vôtres. Peu de jeux se prêtent aussi bien à la réappropriation, et il est difficile, à la lecture des règles, de se défaire de l’impression que Château Aventure a été pensé comme un bac à sable illimité plutôt que comme un jeu complet. La quasi-absence de matériel, l’adaptabilité à différents publics, la linéarité des scénarios et la limitation des commandes possibles sont autant de conditions parfaites pour inviter chacun à écrire sa propre aventure, ou à trouver les dizaines de scénarios écrits par d’autres et qui ne vont pas tarder à apparaître en ligne !

On pourrait ainsi même voir Château Aventure comme une initiation minimaliste et dirigiste au jeu de rôle sur table, ses limitations étant naturellement appelées à être dépassées par ceux qui en aimeraient le principe mais trouveraient du plaisir à aller plus loin. Il s’agit donc peut-être du cadeau idéal d’un rôliste à ses jeunes enfants pour les amener aussi naturellement que possible à partager sa passion, une pierre importante du sentier qui les mènera à Donjons et Dragons.

 

Un problème de modernité ?

Abordons rapidement un sujet qui fâche, et que plusieurs joueurs et testeurs ont déjà remarqué : l’intégralité des scénarios a été écrit par des hommes, et deux seulement ont été dessinés par des femmes. Le milieu du jeu de société n’étant notoirement pas paritaire (comme de nombreux secteurs de l’industrie du divertissement), on peut regretter que iello n’ait pas pris garde à paraître plus moderne. Le même reproche peut être adressé à l’image de couverture de Château Aventure, représentant de nombreuses figures masculines blanches et mettant très peu en valeur ses très rares personnages féminins, ce qui est évidemment d’autant plus regrettable que le jeu n’a aucune raison de cibler en particulier les mâles blancs cissexuels. L’erreur a heureusement été constatée et admise, et on nous a promis plus d’attention « pour la suite », au moins pour les représentations sexuées.

Il est évident qu’il ne s’agit que d’une maladresse sur un point auquel iello n’a sans doute pas du tout songé lors de la constitution du jeu, et je n’en aurais pas même parlé si je n’avais pas constaté dans les aventures les traces d’un même manque de modernité, de façon très éparse, rassurez-vous, et trop discrète pour traduire un réel « sexisme », mais juste assez visible pour mériter à mon avis une légère mise en garde. Je vais limiter les exemples afin de ne pas nuire au plaisir de la découverte, mais en donner quelques-uns quand même pour que le lecteur puisse voir que le problème est bénin, et pourrait malgré tout être considéré à l’avenir. Dans une aventure, les joueurs disposent d’un poisson et d’une rose quand ils font face à un troll qui leur bloque le passage. Je dois avouer que j’étais absolument certain qu’il faudrait offrir la rose au troll, c’est un détournement des stéréotypes très courant dans l’héroïc fantasy des dernières décennies (Terry Pratchett et Donjon en tête), et qui questionne nos aprioris d’une manière que je trouve simple, efficace et amusante. En fait, il faut offrir la rose à une Princesse, qui ne la réclame d’ailleurs pas. C’est au joueur de se dire « C’est une princesse, il lui faut une rose », et le jeu valorise même ce cadeau si on le lui fait avant toute autre interaction, soit avant même de lui adresser la parole, en nous accordant plus de points dans le score final (points que l’on n’obtient donc ni si on ne lui offre pas la rose, ni si on la lui offre après lui avoir parlé, donc avoir fait « connaissance »). Dans une autre circonstance, on ne peut obtenir une jupe que si le joueur accomplissant l’action requise est une fille (alors que l’avatar de l’ensemble des joueurs est un homme), Un peu décevant quand Zelda : Breath of the Wild traitait une étape similaire (l’entrée dans le village Gerudo) d’une manière très japonaise, en tout cas autrement plus adroite, et avec beaucoup d’humour.

Encore une fois, ce n’est pas grand chose, mais aucun scénario ne manifeste un souci de représentations qui pourrait compenser les quelques aventures plus stéréotypées, sur treize, quand même. Si le sexe du protagoniste est rarement donné, le jeu suggère plus souvent qu’on incarne un mâle blanc occidental (sauf dans un scénario avec un twist amusant), de sorte qu’on imaginerait bien de prochains scénarios où l’on incarnerait les indigènes plutôt que l’explorateur, la sœur qui doit sauver son frère, la princesse qui doit gagner le prince, le monstre qui doit échapper au chevalier, plutôt que l’inverse, d’autant que cela pourrait également offrir d’amusantes possibilités ludiques. On n’est tout de même plus à l’époque où l’on croyait impossible que tout spectateur-lecteur s’identifie à un personnage noir ou féminin, si ?

 

La préhistoire de Château Aventure : quelque chose de plus brut, de moins aimable, mais où l’invitation à la réappropriation était d’autant plus claire

 

Château Aventure, un excellent jeu, mais pour qui ?

Château Aventure est cohérent avec la politique de démocratisation du jeu de société voulue par iello, qui tient à proposer des productions pour tous les âges en réponse à la vague de jeux complexes qui inonde le marché depuis quelques années, et pour cette raison il n’est pas fait pour les rôlistes exclusifs. Vous ne proposerez sans doute pas à des amis un tant soit peu aguerris dans les jeux de société une « soirée Château aventure ». Le jeu leur paraîtra vite trop dirigiste par rapport à des jeux narratifs plus complets, trop limité dans ses interactions, trop enfantin. Cependant, c’est un jeu parfait pour commencer une soirée en douceur, ou mieux, pour faire une pause entre un jeu physiquement intense et un jeu de plateau complexe. L’absence de tout autre matériel que du descriptif de l’aventure pour le seul maître du jeu (dont il peut même se priver s’il estime en maîtriser le contenu) peut d’ailleurs en faire une expérience très appréciable pendant un trajet en voiture, pendant un apéritif… Il ne faut enfin pas vous laisser tromper par la restriction « 10 ans et + », les premières aventures sont tout à fait adaptées à un public un peu plus jeune à condition que le maître du jeu soit lui un peu plus âgé (j’imagine mal des joueurs ayant tous douze ans par exemple, alors qu’un Maître du Jeu adulte pourra très bien amuser des enfants de huit ans à condition d’être un peu souple).

Château Aventure n’est pas tant un jeu scénarisé qu’un jeu d’ambiance : si vous n’avez aucun intérêt pour l’univers dans lequel se déroule l’histoire, et n’appréciez pas la personnalité des joueurs qui vous accompagnent, mieux vaut passer votre chemin. Au contraire, des enfants, des amis bienveillants et extravertis, acceptant avec sourire les limites des règles et riant de leurs nombreuses morts, vous feront passer une parfaite petite demi-heure, et vous inspireront à n’en pas douter l’envie d’écrire vos propres scénarios pour prolonger le plaisir, à la manière des dramaturges et librettistes écrivant leurs pièces en ayant à l’esprit les interprètes qui pourraient en révéler le meilleur. Et heureusement, iello propose des univers assez variés et délirants (de la chevalerie à Harry Potter, de My Little Pony à l’asile, de Monkey Island à l’espace…) pour séduire chacun, et pour nous convaincre de créer et développer notre propre vision de ce que les mondes de Château Aventure pourraient proposer. En cela, il s’agit pratiquement plus d’un formidable bac à sable que d’un jeu à part entière ! Et je dis bien « pratiquement » parce que, tout de même, aux mains d’un bon maître du jeu, on s’amusera beaucoup des touches d’humour et des micro-mondes de Château Aventure.

Enfin, Château Aventure semble taillé pour une suite. On sent ce premier opus contraint par son positionnement délicat entre jeu de rôle, accessibilité et ludicité, les derniers scénarios cherchant au contraire à proposer des expériences légèrement différentes, l’un avec des compagnons, d’autres avec des énigmes plus ou moins retorses… À la manière d’Unlock!Château Aventure  songe peut-être à un déploiement vers des mécaniques de jeu plus ludiques (voire avec un support matériel ?) si les scénarios en ce sens obtiennent la satisfaction du public, comme ils ont gagné celle des personnes ayant joué avec moi.

 

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