Accueil Lifestyle Culture Geek Smash Up et Star Realms : comment faire un jeu de cartes...

Smash Up et Star Realms : comment faire un jeu de cartes de société ?

Smash Up et Star Realms : comment faire un jeu de cartes de société ?

 

Parce que de plus en plus de jeux de société adhèrent aux thématiques geek, voire s’inspirent de mécaniques de jeux vidéo (après en avoir favorisé l’émergence), et parce que plusieurs d’entre vous les pratiquez assurément avec autant de passion que nous, il semblait essentiel de vous en présenter enfin quelques-uns ! Après Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide, Mr. Jack, Small WorldUnlock ! et Unlock! : Mystery AdventuresLoony QuestT.I.M.E. StoriesChâteau Aventure,et Zombie Tsunami, nous allons nous intéresser à Smash Up et Star Realms.

Comme beaucoup de personnes de ma génération, je suis passé dans ma jeunesse par les jeux de cartes PokémonYu-Gi-Oh !, puis plus durablement Magic: The Gathering, et que j’ai été très curieux ces derniers temps de la véritable mode du jeu de cartes virtuel qui a inondé tant les consoles que les App stores dans le sillage du succès de Hearthstone notamment. Avec GwentFable FortuneSouth Park: Phone DestroyerThe Elder Scrolls Legends…, on pourrait vite avoir l’impression que toute franchise se doit d’avoir son jeu de cartes avec des règles à peu près spécifiques. J’ai donc été très heureux d’avoir l’occasion de réfléchir aux avatars contemporains du jeu de cartes avec une troisième forme encore différente des trois dernières, le jeu de cartes de société, et plus particulièrement avec Star Realms et Smash Up.

Star Realms a été conçu en 2014 par deux champions du jeu de cartes Magic: The Gathering, Darwin Kastle et Rob Dougherty, et initialement édité par White Wizard Games avant d’être traduit et distribué en France par iello depuis 2017, pour être vite considéré comme l’un des jeux du moment. Financé sans trop de difficultés grâce à une campagne sur Kickstarter, il a obtenu plusieurs prix assez prestigieux, notamment quatre Golden Geeks (Meilleur jeu de cartes, Meilleur jeu pour 2, Meilleur jeu indépendant, Meilleur jeu mobile), aussi bien grâce au jeu de cartes lui-même que grâce à sa transposition sur téléphones portables et tablettes. Si j’ai trouvé intéressant de le traiter avec Smah Up, c’est que ce dernier jeu est également un jeu de cartes distribué par iello, conçu par Paul Peterson (GuillotinePathfinder), édité par iello et Alderac Entertainment (Love LetterThunderstone7th Sea).

Smash Up et Star Realms ont donc été imaginés et conçus par des personnes maîtrisant les finesses des cartes à jouer thématiques, cherchant à proposer des expériences relativement différentes, d’une part des autres jeux de cartes à jouer et à collectionner (physiques ou virtuels), d’autre part l’un de l’autre, ce qui est évidemment très intéressant en théorie, et me donne l’occasion de présenter deux jeux vraiment convaincants. Star Realms est disponible pour 13 euros 95 et Smash Up pour 24 euros 95, sans compter naturellement les nombreuses extensions existant pour les deux jeux, et que nous évoquerons rapidement.

 Star Realms deck

Philosophies du deckbuilding

Le jeu de cartes de société se définit d’abord contre les jeux de cartes à jouer et à collectionner : en tant que jeu de société, il doit être un peu plus accessible, paraître beaucoup plus accessible, et surtout pouvoir être joué immédiatement, sans déséquilibre entre les decks des joueurs. Il n’est donc pas possible d’améliorer son deck en dehors des parties en y ajoutant ou en en retranchant des cartes, toutes appartiennent au jeu et sont rangées ensemble dans la même boîte.

Smash Up et Star Realms font alors un choix différent : dans le premier, les cartes sont réparties en différentes factions (Aliens, Dinosaures, Ninjas, Pirates, Robots, Sorciers, Petit Peuple, Zombies), et chaque joueur assemble toutes les cartes de deux factions de son choix (par exemple Dinosaures et Robots ou Zombies et Aliens). Les extensions consistent alors en factions supplémentaires (Ressemblances fortuites contient par exemple quatre factions directement inspirées de Star TrekStar WarsTransformers et Game of Thrones), sachant qu’il est également possible d’acheter des factions en double afin que plusieurs joueurs puissent jouer avec les mêmes (sans avoir le droit de composer un deck Game of Thrones et Game of Thrones, c’est de toute manière tellement moins amusant que de les associer à des Zombies ou des extra-terrestres !).

Dans Star Realms, les joueurs commencent chacun avec dix cartes, les mêmes pour tous, et ils amélioreront leur deck au fur et à mesure du jeu en achetant des cartes commerce et des prospecteurs dans la pile et la ligne de cartes devant eux. Une fois achetées, les cartes sont placées dans la défausse et non en jeu, et ce n’est qu’à l’épuisement de votre deck (donc de plus en plus gros) que vous pourrez mélanger votre défausse et l’utiliser comme nouveau deck. Le fait que les mêmes cartes soient accessibles à tous peut paraître étonnamment peu tactique, mais ce serait oublier d’une part que les cartes appartiennent à différentes factions (Empire galactique, Blob, Fédération du commerce, Techno-culte), et sont donc avantagées par votre possession d’autres cartes de la même faction ; d’autre part que plusieurs stratégies sont possibles pour remporter la bataille, et qu’une fois votre stratégie décidée, votre manière de jouer et votre politique d’achat vous conféreront une approche particulière du jeu, d’ailleurs renouvelée à chaque partie, puisque votre stratégie dépendra normalement des cartes disponibles à l’achat dans les premiers tours, et pourra difficilement être décidée avant la partie.

 

L’Art de la guerre et du plaisir

Concrètement, à chaque tour de Star Realms, vous jouez toute votre main. Chaque carte rapporte des points de commerce, avec lesquels vous pouvez acquérir les cartes disponibles à l’achat, possède des points de combat, avec lesquels vous pourrez faire baisser les 50 points d’influence de votre adversaire, et/ou est dotée de capacités particulières (si vous la retirez de votre deck, ôtez deux points d’influence à un adversaire ; piochez une carte, etc.). À la fin du tour, toutes les cartes jouées sont défaussées, et tous les points de commerce et de combat non utilisés, perdus, à l’exception des « bases », qui restent en jeu jusqu’à leur destruction ou leur retrait. Il n’existe pas de cartes « Action », jouables par surprise pendant le tour de l’adversaire : chaque tour est le royaume de son propriétaire, et lui seul peut définir sa stratégie ou poser des cartes.

Alors que le jeu pouvait commencer à paraître complexe, l’absence de cartes Action rassure, pas tant parce qu’elle simplifie les règles que parce qu’elle limite grandement la place de la surprise. C’est évidemment un choix très réfléchi de la part de concepteurs qui sont deux anciens de Magic, un jeu de cartes au contraire connu pour ses accumulations de capacités actives et d’éphémères débouchant sur des renversements de situation soudains et assez imprévisibles. Si, dans Star Realms, vous n’êtes jamais à l’abri d’une attaque particulièrement puissante de votre adversaire, le maître-mot reste celui de « contrôle ». Après tout, même si vous ne pouvez pas savoir ce qu’il a dans sa main, vous avez vu toutes les cartes qu’il a achetées au cours de la partie et connaissez sa défausse, vous ne devriez donc jamais être surpris. Le jeu est ainsi assez comparable aux échecs, où la surprise instantanée n’existe pas et où vous avez toujours une idée des actions possibles d’un autre joueur qui a commencé avec les mêmes pions que vous, et où paradoxalement il faut essayer de le surprendre en observant ses remparts et les éventuelles ouvertures.

 

 

Smash Up est bien plus récréatif, le jeu visant l’ambiance plutôt que le contrôle, surtout lors des premières parties où vous ne connaîtrez pas toutes les cartes des deux factions des autres joueurs. Quand vous jouerez à deux, vous pourrez encore vous donner l’impression d’une relative stratégie, mais à trois ou quatre, la partie vire vite à la foire d’empoigne – ce qui est plutôt un plaisir différent qu’un défaut.  Petite originalité pour un jeu de cartes de ce genre, l’objectif n’est pas d’ôter tous ses points de vie/vitalité/influence à un adversaire, mais de cumuler des points en conquérant des bases, de sorte que vous pourrez jouer à côté des autres joueurs, même à deux, et pas nécessairement en face, comme le veut le traditionnel positionnement en bataille rangée.

Concrètement, vous dévoilerez d’une pile de cartes « Base » autant de bases qu’il y a de joueurs, plus une. Chacune possède une résistance, généralement autour de 15-20 points, porte trois chiffres et peut posséder un pouvoir. Smash Up consiste à poser des créatures sur les bases, et quand le total des forces de toutes les créatures sur la base atteint la valeur de défense, celle-ci est considérée comme conquise par le joueur à la force totale sur la base la plus élevée. Celui-ci remporte alors un nombre de points de victoire égal au premier chiffre. Si d’autres joueurs sont présents sur la base, le deuxième remporte un nombre de points de victoire égal au deuxième chiffre, le troisième au troisième. Et dès qu’un joueur totalise quinze points de victoire, on finit le tour en cours, et le joueur possédant le plus de points remporte la partie.

Contrairement à la plupart des jeux similaires, les cartes de Smash Up n’ont pas de coût, la seule restriction est de ne jamais poser plus d’une créature et d’une carte action à votre tour, sachant que vous pouvez n’en poser aucune, ou une seule. Le seul moyen de contourner cette règle, ou de surprendre l’adversaire en faisant quelque chose lors de ce tour, est d’avoir une carte spécifiant que vous pouvez jouer une carte supplémentaire, ou que vous pouvez la jouer quand un adversaire totalise une plus grande force que vous sur une base par exemple. Par exemple, « Télé-transportez-moi » vous autorise à renvoyer une créature dans votre main après la conquête d’une base, à un moment où normalement toutes les créatures ayant participé à la conquête sont défaussées, et la base remplacée par une autre. Certaines factions joueront alors plutôt sur la force brute (les Dinosaures), quand d’autres chercheront des voies plus insidieuses, en piochant beaucoup plus de cartes de raison, en trouvant le moyen de jouer plusieurs cartes action (les Sorciers) ou créature (les Zombies) par tour, en renvoyant les créatures des adversaires dans leur main (les Aliens) ou en les détruisant, en récupérant les créatures qui devraient être détruites (Fédération) ou en les déplaçant vers d’autres bases…

Il est donc possible de chercher à établir des combos entre deux factions, comme il est possible de s’amuser simplement à des associations improbables en laissant le fun  l’emporter sur la stratégie – et il serait en effet dommage, une fois une bonne combinaison trouvée, de vous contenter de jouer avec le même deck à chaque partie. Il est en effet peu probable que vous n’ayez d’affinité qu’avec une ou deux factions sur les huit présentes dans le jeu de base, plus les quatre présentes dans chaque extension, et qui peuvent sensiblement modifier le plaisir pris au jeu.

Étendre le jeu et le modifier

Dans Smash Up, les extensions ont essentiellement pour objectif d’ajouter des factions pour varier et renouveler le plaisir, et donc multiplier les combinaisons possibles. Chacune joue bien sur des aspects particuliers du gameplaymais elles n’ajoutent pas de nouvelles règles ou variantes, au point que vous pourriez théoriquement n’acheter qu’une extension sans le jeu de base si vous souhaitez vous faire un premier avis. Elles ne contiennent que quatre factions et un nombre assez limité de bases, mais c’est une possibilité. Nul doute en tout cas qu’après une première acquisition vous vous intéresserez aux autres, tant la dizaine de boîtes d’extension propose de factions barrées (dont les monstres sacrés, les êtres kawai, les Munchkins, les séries B…). Les notices de chaque boîte sont d’ailleurs particulièrement bien faites, puisqu’elles rappellent à chaque fois toutes les règles, définissent le vocabulaire de jeu propre à la boîte, et donnent des clarifications pour des cartes dont le sens pourrait prêter à confusion. L’une des deux extensions que je possède, l’indispensable Cthulhu Fhtagn (avec ses serviteurs de Cthulhu, ses Grands Anciens, ses habitants d’Innsmouth et son Université de Miskatonic), ajoute bien une pile de cartes démence (qui vous ôtent des points de victoire si vous les utilisez), mais ce n’est qu’une très légère et facultative addition aux règles habituelles.

Star Realms possède aussi ses extensions ajoutant simplement de nouvelles cartes pour les deux joueurs au deck de base, présentées dans des boosters fixes, dont le contenu est donc connu à l’avance, mais trois extensions modifient plus profondément la manière de jouer. « Crisis – Événements » ajoute par exemple des événements qui se déclenchent quand elles sont dévoilées sur la ligne d’achat, et qui concernent les deux joueurs. Cela reste donc équilibré et relativement simple (il s’agit généralement de défausser des cartes et d’en piocher) mais dans un système de règles aussi rigide que celui de Star Realms, l’impact peut être considérable. « Héros » comporte des cartes spéciales de héros, comme son nom l’indique, c’est-à-dire des personnalités dont les pouvoirs peuvent être redoutables si vous privilégiez une faction donnée, donnant donc bien plus d’importance au tribalisme que dans les règles habituelles. « Gambit » représente quant à elle un véritable renouvellement, puisqu’elle propose des scénarios invitant le joueur, seul ou en coopération, à affronter un adversaire fictif selon une histoire et des modalités propres. Cette extension comporte aussi les cartes Gambit, dont vous décidez avec votre adversaire avec combien chacun peut jouer et comment chacun les choisit. Ces cartes n’appartiennent pas à la main du joueur, qui est libre de les jouer quand il le souhaite, avec un effet généralement destructeur. Elles constituent donc le seul véritable cas de déséquilibre, et devraient satisfaire les joueurs frustrés par la mécanicité de Star Realms, ou sa supposée froideur.

 

Des jeux-mondes ?

Il faut dire que le fait de jouer avec quatre factions, et de construire son deck au fur et à mesure de la partie, pourra gêner l’immersion des joueurs, et que ces éléments de personnalisation, ou l’achat/la création d’un tapis de jeu, lui conféreront la personnalité dont Star Realms peut manquer dans les premières parties. J’aimais beaucoup avant de commencer à y jouer le fait que l’on cherche à diminuer l’influence des adversaires, et que l’on règne par le commerce, ce qui me semblait changer agréablement des jeux purement guerriers, mais ce n’est qu’un habillage pour un jeu qui vous explique clairement que son objectif est de « régner sur la galaxie ». Pour autant, c’est un aspect auquel je me suis personnellement habitué assez vite, au point d’y trouver une implication que je pourrais déinir comme une immersion détachée, même si je peux concevoir que certains puissent en être désarçonnés, et que cela puisse les éloigner du jeu, de sorte que les propositions de White Wizard Games/de iello me semblent astucieuses pour attirer un public plus large, et combler des attentes différentes.

Smash Up  est curieusement plus immédiatement immersif, et c’est aussi pour cela qu’il se présente comme un jeu familial, avec un dessin décalé et des factions parodiant souvent la Pop culture. D’une part cela vient du fait que les joueurs choisissent leurs factions, et choisissent donc le délire auquel ils vont se confronter, d’autre part je pense que cela vient des Bases. Leur mécanique assez simple confère en effet une spatialité et une matérialité au jeu : plutôt que les points de vie abstraits de vos adversaires et leurs cartes posées sur la table, l’enjeu de la bataille apparaît dans des cartes représentant des environnements, et à côté desquelles vous posez vos créatures pour les envahir presque littéralement. Cette spatialisation mime alors une forme de diégèse, et les bases ne sont pas que des cartes représentant un intérêt pratique pour vous rapprocher de la victoire, mais des environnements assez uniques pour vous apporter une certains satisfaction d’avoir conquis l’Étoile noire, la Cantina, Poudlard, Tortuga, l’USS Enterprise, le Trône de fer (même si, pour des questions de droit; ces cartes ne portent pas ce nom).

 

 

Ainsi, si Smash Up et Star Realms ne visent pas à première vue le même public, tant par leurs choix graphiques que par leur game design, tous deux ont le potentiel de satisfaire des joueurs à l’expérience différente et aux attentes variées. Tous deux brillent ainsi par leur accessibilité, y compris à un public qui a toujours redouté de s’impliquer dans les jeux de cartes exigeant manifestement trop d’implication intellectuelle, temporelle et financière, ce que traduisent bien leur relative concision et celle de leurs livrets de règles  assez bien faits, ou leur mise en place instantanée.

 

AUCUN COMMENTAIRE

Quitter la version mobile