J’avais été surpris que Disney tienne en si haute estime Rian Johnson après approbation de The Last Jedi, alors que j’étais auparavant persuadé que comme Trevorrow ou même Abrams d’ailleurs, Kershner ou Marquand, il n’était qu’un faiseur propulsé au plus haut poste d’exécutant pour sa capacité à faire des films et à obéir aux consignes créatives de Kathleen Kennedy. Était-ce la preuve que, comme Abrams, il avait prouvé sa valeur comme faiseur de génie, ou qu’il avait témoigné d’un supplément d’âme qui avait paru prometteur à la direction ?
On pourrait vite être tenté après visionnage de valider la deuxième supposition : Johnson n’est pas seulement le réalisateur du film, il est également crédité comme son seul scénariste, sa patte se ressent dans plusieurs éléments de l’histoire, et il s’est entouré de Steve Yedlin, le chef opérateur de ses trois précédents films, et de Bob Ducsay, déjà monteur de Looper. The Last Jedi possède ainsi une personnalité que Gareth Edwards avait échoué à donner à Rogue One, et qui surprend très agréablement après un septième opus dont le recours abusif au fan service donnait l’impression que Star Wars ne serait plus qu’une franchise Disney.
D’abord, The Last Jedi est beau – et c’est probablement le plus beau film de la franchise. Edwards avait également tenté quelques plans très esthétiques, mais le montage l’avait beaucoup desservi, en les raccourcissant trop pour créer du wow effect voire en les supprimant du produit final – il suffit de voir la bande-annonce de Rogue One pour s’apercevoir de tout ce qui a disparu, à commencer pa rde belles scènes de plage. Au contraire, Johnson montre qu’il est aux commandes, et son Star Wars est plein de fulgurances parfaitement mises en valeur, dans les détails comme dans les moments de bravoure. Il est ainsi l’opus conférant à ses personnages le plus d’iconicité visuelle…
Quitte à en faire trop (ce qu’il fait de Snoke confine au kitsch à la Flash Gordon) ou à courir le risque de l’incohérence quand l’image et l’excellente composition omniprésente de John Williams créent un sentiment d’épique pendant un micro-événement désacralisateur, comme quand, au début du film, Luke balance derrière lui le sabre que lui tendait si solennellement Rey à la fin de Force Awakens. Or il est difficile d’en rire et d’applaudir dans ces moments l’audace d’un réalisateur qui détruit sans raison et de manière assez potache un bon buid-up dramatique. Que Snoke se moque du casque de Kylo Ren est à peine mieux, au moins apprécie-t-on le prétexte pour s’en débarrasser, en déplorant l’image prosaïque que cela donne d’une créature que l’on cherche par ailleurs à rendre redoutable. Et ne parlons même pas de ce pauvre Domnhall Gleeson qui doit se mordre les doigts d’avoir accepté de jouer le général Hux à un moment où il n’était pas encore prévu qu’il ne serait plus qu’un clown, dans un épisode prétendument profond qui aurait été sa dernière chance de s’imposer comme le rival non-jedi et politique de Kylo Ren…
Ces touches de désacralisation sont ainsi malvenues parce qu’elles ne sont même pas cohérentes avec le reste du film et avec les personnages déconstruits, qui sont en dehors de ces moments complètement iconicisés, jusqu’à la boursouflure même, puisque Johnson souffre d’une incapacité regrettable à offrir de bons dialogues sur-signifiants. Or échouer à écrire de grandes phrases emphatiques, c’est comme se croire drôle en écrivant de mauvaises blagues, cela crée d’emblée une distance au moment où le spectateur devrait être le mieux conquis, et qui est heureusement compensée par l’œil du réalisateur et de son directeur de la photographie.
Il est en revanche peu probable que les audaces scénaristiques importantes soient tout à fait du ressort de Johnson, qui avait tout de même un cahier des charges à remplir, même avec une véritable marge de manœuvre (au moment du septième opus, Disney ne savait pas encore exactement comment fermer toutes les portes qu’il venait d’ouvrir). Ce qui est ainsi frappant, c’est la place donnée dans The Last Jedi à l’échec, pratiquement tous les personnages (notamment Luke, Rey, Finn, Poe, Snoke, Rose, Holdo) échouant de façon appuyée dans un projet précis qui leur tenait à cœur, sans même parler des déconvenues naturelles de la Résistance ou du Premier Ordre sans lesquelles il n’y aurait pas de film, ou du cliché stupide des héros ayant des attitudes parfaitement suicidaires et courant à la mort avec le sourire parce qu’ils se savent protégés par le scénario…
C’est l’une des grandes réussites du film parce que cette mise en scène de l’échec répond à une philosophie (explicitement énoncée par l’un des personnages), certes banale mais tout à fait inédite à un tel degré dans un blockbuster, celle de l’échec comme plus grand des maîtres. Sauf que cela a un coût : par définition, un échec ne fait pas pleinement avancer l’intrigue, et l’accumulation d’échecs peut signifier des digressions plus ou moins dommageables, effectivement particulièrement nombreuses. À vrai dire, certains personnages auraient simplement pu être supprimés de l’intrigue, qui y aurait simplement gagné en efficacité, comme ceux incarnés par Kelly Marie Tran (Rose), Laura Dern (Holdo) et Benicio del Toro (DJ), souvent introduits artificiellement et ne rendant pas honneur à leurs prestigieux acteurs (pour les deux derniers, la première n’étant vraiment là que pour faire du pied au public asiatique)… Et quand tout un arc impliquant deux personnages majeurs n’aboutit à rien, on aura davantage tendance à en être frustrés qu’à en apprécier l’audace, quoi que cela apporte sur le plan de la relation entre les personnages, cet arc s’appuyant sur plusieurs incohérences pour exister, qu’il aurait été si facile de résoudre…
Particulièrement dans un film de 2 heures 30, le plus long de la saga. Bien que le film ne fasse jamais ressentir cette longueur, il est simplement difficile psychologiquement d’admettre que l’on vient d’assister à un arc de plus de vingt minutes que le scénario n’exigeait pas et qui n’aboutit pas, surtout quand The Last Jedi fait la part belle aux digressions de tous genres, et serait presque tout entier une digression sur un certain nombre de plans sans la mort vraiment inattendue de deux personnages, dont l’un est très satisfaisante sur le moment et beaucoup moins pour ce qu’elle signifie, et l’autre au contraire fortement signifiante mais très peu satisfaisante…
Cela vient en grande partie d’une difficulté de The Last Jedi à se positionner dans la franchise : à force d’affirmer son originalité par rapport à un épisode 7 auquel tout le monde avait reproché ses similitudes avec le 4, il va parfois trop loin, et trahit dans l’esprit (et sous une apparence de fidélité) des éléments cruciaux de la continuité. On pensera par exemple à un usage nouveau de l’hyperspace qui donne lieu à une image magnifique, et surtout à ce que ce Star Wars fait de la force.
Tous les spectateurs avaient pointé du doigt l’évolution de la force et des combats de sabre laser entre la trilogie originale et la prélogie, sans les condamner d’ailleurs puisqu’il apparaissait normal qu’avec l’extension de l’univers et le développement des effets spéciaux on aboutisse à des résultats plus impressionnants à l’ère du tout-numérique. Ceux qui avaient été gênés par la très grande puissance de Rey dans Force Awakens s’arracheront cependant les cheveux en regardant The Last Jedi. Soudain, la force permet de voler dans l’espace malgré des blessures physiques graves, de déplacer un empilement de gros rochers, de discuter clairement par télépathie à une très grande distance au point d’avoir un rapport presque physique, et d’apparaître devant d’autres personnes dans un hologramme très matériel. Et tout cela globalement sans efforts, que la personne employant la force s’entraîne depuis des décennies ou qu’elle soit tout à fait novice…
Quand la force n’est plus une religion, une empathie avec la nature (ce que le film essaie encore de nous faire croire), mais des super-pouvoirs cheatés, on bascule dans un monde qui n’a plus rien à voir avec la saga Star Wars telle qu’on croyait la connaître. Faut-il rappeler que dans la prélogie Anakin était littéralement un Messie, généré sans rapport sexuel dans la chair de Shmi Skywalker pour rétablir l’équilibre ? Pourquoi le premier venu est-il désormais capable en tendant bêtement la main de faire mille fois mieux qu’un homme qui était l’incarnation de la force ? Même Snoke qui maîtrise la force avec une facilité déconcertante ne semble pas se considérer comme un seigneur Sith, et ses origines ne sont toujours pas connues, ce qui va finir par donner l’impression qu’il n’en a pas de particulières… J’aurais mieux aimé l’idée d’un monde dont les chefs n’auraient pas la force et tenteraient de gagner à leur cause des sith ou des jedi, plutôt qu’une grande foire à la force où on s’attendrait presque à voir Finn ou Poe…
Le seul avantage à ressortir de ce délire est que le film est d’autant plus surprenant qu’on ne connaît pas exactement la mesure des pouvoirs de chacun, ce qui peut nous faire croire que la balance entre le Bien et le Mal peut d’autant plus facilement être déséquilibrée dans un sens ou dans l’autre… The Last Jedi essaye d’ailleurs de nous faire croire qu’il n’est pas manichéen en créant de fausses zones grises parfaitement ridicules : non, un profiteur de guerre vendant des armes aux deux camps n’est pas un personnage gris, mais un s….. qui en plus de collaborer n’a pas l’élégance d’assumer ses convictions. Cela reste une idée étonnamment profonde pour un Star Wars, encore faudrait-il la traiter plutôt que d’essayer de nous tromper sur son intelligence, quand le carton introductif nous hurlait déjà le manichéisme du scénario en célébrant la rébellion héroïque face au tyran sanguinaire…
Le personnage le plus « gris » serait probablement Luke, le héros qui a débarrassé la galaxie de l’Empire, et dont on apprend vite (comme on s’en doutait) qu’il s’est exilé pour se punir d’avoir échoué à guider Ben Solo. Mais cette attitude manque de logique : renoncer à former des jedi, se fermer à la force, n’empêche pas la force d’exister et Kylo Ren d’être une menace. Si réellement il a le sentiment d’avoir formé un nouveau Dark Vador, lutter de toutes ses forces lui vaudrait évidemment une meilleure rédemption qu’un isolement qui prive Rey d’un guide lumineux pour ses pouvoirs et ne laisse que le Mal triompher… La prestation très convaincante de Mark Hamill pâtit de ces étrangetés d’écriture, et sans doute sa relation avec Ben aurait-elle pu être enrichie d’anecdotes et d’émotion… Et franchement, manichéisme ou pas, on ne croit pas une seule seconde que Rey puisse basculer dans le côté obscur, le véritable enjeu étant le positionnement d’un Kylo Ren beaucoup mieux travaillé que dans l’opus précédent, mais auquel il continue de manquer beaucoup de maturité pour être pleinement intéressant. Difficile de nier cependant que la relation entre Kylo et Rey demeure l’aspect le plus riche de The Last Jedi, et qu’on espère sincèrement que la conclusion à la trilogie continuera son exploration plutôt que de considérer qu’on a tout dit…
Et c’est le problème le plus important de ce Last Jedi, cette impression qu’il ferme trop de portes pour que la suite puisse nous surprendre, et que les enjeux ont été trop abaissés pour permettre à Abrams de les rehausser. Heureusement, le scénario n’en a probablement pas été achevé, et il est très probable que Disney attende les retours sur The Last Jedi pour savoir quelles directions prendre (pour les origines des personnages et ceux qu’on peut tuer, la présence de l’humour, etc.), les pistes lancées pour l’heure paraissent en tout cas bien plus brouillonnes et pauvres qu’entre le septième opus et le huitième. Au vu des quelques problèmes de cohérence, d’écriture et même de montage (au moins deux scènes coupées crient leur absence), il faut espérer que Disney n’hésitera pas à repousser la date de sortie si le résultat n’est pas satisfaisant en ce qui concerne le scénario, et tout simplement plus propre.
Star Wars : The Last Jedi n’est ainsi pas un film qui nous rassure tout à fait sur la suite, et paradoxalement il redonne entièrement confiance en Disney, parce que toutes ses fautes de goût auraient pu être évitées, et que sans elles le film aurait pu devenir le meilleur de toute la franchise. Même en l’état, et malgré l’importance de ses imperfections, de nombreux spectateurs le comparent au cinquième opus, et c’est une position qui n’est pas si indéfendable que cela, The Last Jedi étant un film à la narration claire et généreuse, visuellement très abouti et réservant son petit lot de réelles surprises et de relations intéressantes, bref en plus d’être un film tout à fait bon en soi, il est exactement celui dont Disney avait besoin pour prouver sa capacité à produire des films Star Wars forts et sincères, ne transpirant pas le merchandising et le fan service. Après Force Awakens, on ne croyait plus à la possibilité d’un Star Wars aussi satisfaisant que The Last Jedi, et même en ayant conscience de ses nombreux défauts j’ai pris pleinement plaisir à le voir deux fois. À Abrams désormais de nous montrer que l’on aurait tort de désespérer à l’avance de l’ultime opus de cette trilogie.