Zombie Tsunami : du run game au jeu de plateau !
Parce que de plus en plus de jeux de société adhèrent aux thématiques geek, voire s’inspirent de mécaniques de jeux vidéo (après en avoir favorisé l’émergence), et parce que plusieurs d’entre vous les pratiquez assurément avec autant de passion que nous, il semblait essentiel de vous en présenter enfin quelques-uns ! Après Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide, Mr. Jack, Small World, Unlock ! et Unlock! : Mystery Adventures, Loony Quest, T.I.M.E. Stories et Château Aventure, nous allons nous intéresser à Zombie Tsunami.
Si vous avez déjà lu quelques articles de cette chronique, vous avez dû constater qu’à côté de l’expérience narrative, l’un des aspects attisant le plus ma curiosité dans le jeu de société est la transposition des mécaniques et des genres du jeu vidéo, du platformer au text RPG en passant par le point and click. Or j’ai découvert récemment l’existence de l’éditeur Lucky Duck Games, qui cherche à se positionner sur le créneau de l’adaptation de jeux vidéo en jeux de société – et s’intéresse dans les faits aux jeux mobiles, ce qui est plus original encore. Après avoir travaillé sur Vinkings gone wild (dont on parlera prochainement) et sur un curieux portage de Fruit Ninja (qui devrait bientôt revenir sur KickStarter), Lucky Duck Games s’est penché sur le cas de Zombie Tsunami.
Plus on voit d’adaptations de jeux vidéo en jeux de société, et plus on se rend compte que décidément c’est une transposition qui ne va pas de soi. Mais autant je veux bien imaginer l’adaptation d’un TPS ou d’un jeu de baston, pourquoi pas, autant cela me paraît malaisé en ce qui concerne un runner. Dans Zombie Tsunami, jeu pour téléphone portable et tablette développé par le studio français mobigame, il s’agissait en effet de contrôler un zombie pour manger le plus de civils possible et ainsi de créer une horde innombrable, idéalement capable de surmonter les pires obstacles – mines, hélicoptères, avions, trous… – et tout cela par la seule action de sauter par pression sur l’écran.
On pourrait alors vite avoir l’impression que le jeu de société Zombie Tsunami se contente de surfer sur l’importante popularité du jeu vidéo, mais ce serait oublier que le travail de conception et de design en a été réalisé en collaboration directe avec mobigame, raison de plus pour y regarder de plus près. Place donc à notre test de Zombie Tsunami, un jeu qui sera en vente à partir du 13 avril pour 29,99€.
Un jeu « indépendant »
Si vous connaissez un peu le système de Kickstarter, vous savez qu’il existe généralement des paliers nettement supérieurs au palier de création du produit, et proposant souvent des récompenses symboliques, davantage là pour satisfaire les gros donateurs finançant généreusement les concepteurs que pour produire davantage de contenu en investissant davantage. Zombie Tsunami n’était pas dans ce cas de figure : même s’il ne lui a fallu que quatre heures pour être entièrement financé, et qu’il a récolté presque huit fois la somme demandée, on sent bien que rien n’était joué d’avance, et que le jeu s’est développé au fur et à mesure des dons. D’autant qu’un palier n’était pas atteint, que d’autres étaient réservés aux donateurs, et que la somme demandée initiale n’était que de 10.000 euros.
Lucky Duck Games semble avoir donc joué la carte de la prudence, rappelant en cela qu’ils ne sont jamais le studio que d’un jeu, et que cette position d’indépendance les rend naturellement plus vulnérables. Il faut ajouter que le précédent Kickstarter de Lucky Duck Games, Ninja Fruit, avait dû être abandonné en cours de financement participatif à cause de problèmes de logistique, tandis que Zombie Tsunami avait rencontré un léger problème de développement quand ses éditeurs constatèrent que les livrets de règles et les boîtes ne correspondaient pas à leurs attentes, et durent en demander la réimpression.
Il n’est donc pas très étonnant que la version finale du jeu révèle des conditions de développement turbulentes, où l’exigence de qualité doit trouver un équilibre avec un certain esprit d’économie. Ainsi les « jetons de vote » semblent-ils en décalage avec les cartes plastifiées, les jetons cartonnés et les petits cubes de bois représentant les zombies, qui sont eux d’une qualité irréprochable. Ils ressemblent presque à des jetons d’un autre jeu tant leur couleur est arbitraire et leur rondeur mal dégrossie, alors que des moyens plus importants auraient très probablement permis des jetons sous forme de cerveaux par exemple, et en verre. La boîte souffre également d’un curieux problème de rangement, puisqu’elle n’est pas du tout compartimentée, ce qui nourrira sans doute votre imagination pour mettre en place quelque chose de plus pratique et de plus satisfaisant que les quelques sachets proposés pour les jetons, et les cartes baladées en vrac au gré des mouvements de son porteur.
Dans le registre des véritables erreurs, le livret de règles ne donne pas le bon nombre d’éléments dans son inventaire du contenu, et plusieurs cartes sont en trop (dont les cartes mystère en sept langues !). Heureusement, une liste d’ « errata » a judicieusement été glissée dans la boîte de jeu, et il faudra vite vous débarrasser du surplus. Bon, une liste d’errata qui oublie qu’il y a 18 jetons civil et non pas 12, enfin, ces erreurs n’ont aucun impact sur le jeu – il aurait été autrement plus embêtant qu’il manque des cartes évidemment. On sent également que le set de cartes « Zombird » a été ajouté tardivement (il fallait en effet atteindre un palier afin d’en permettre le développement), puisque les règles qui y sont liées sont données à la fin du livret et le présentent comme une « extension », malgré la précision « nous vous encourageons à ajouter cette extension à votre jeu Zombie Tsunami immédiatement ». Bref, cela va peut-être vous embrouiller cinq minutes, probablement pas davantage, et il est très probable qu’à l’occasion d’une réédition future toutes ces maladresses seront réparées. Il serait en tout cas dommage qu’elles nuisent trop à votre expérience du jeu, qui est au demeurant fort sympathique.
Du runner au jeu de plateau
Zombie Tsunami est un runner, c’est-à-dire un jeu où il faut aller de gauche à droite sans contrôler l’avancement (vitesse, direction) de ses avatars. Dans le jeu de plateau, chaque joueur commence avec deux zombies, et doit suivre trois rues, chacune composée de six événements ou obstacles. Pour ce faire, on mélange simplement les cartes « round 1 » et on les met sur les six emplacements du plateau, et une fois celui-ci parcouru, on mélange les cartes « round 2 & 3 » pour faire de même pour les deux autres parcours. Ces cartes ont plusieurs effets, dont les deux principaux sont le « saut » et la « poussée ». Le « saut » consiste à sauter au-dessus d’un trou ou d’une voiture en jetant ses dés-zombie, et en perdant ceux qui tombent sur la « face zombie ». La poussée exige d’avoir le nombre indiqué de zombies pour pousser un véhicule, sans quoi le joueur perd deux zombies. Ce nombre étant généralement important, il a la possibilité de s’allier avec d’autres joueurs. Ainsi, tous les joueurs doivent-ils montrer l’un de leurs trois jetons de couleur, et tous les joueurs ayant le jeton de même couleur se trouvent dans la même équipe. Le jeu permet de discuter à voix haute de la couleur que l’on montrera, et donc aussi de trahir les autres joueurs, mais certaines assemblées préféreront sans doute laisser cela au hasard, donc ce sera vraiment à vous de voir.
C’est que les concepteurs du jeu ont manifestement cherché à limiter la part d’aléatoire dans un jeu qui joue naturellement beaucoup sur le hasard, puisqu’on y lance des dés. Ainsi, le nombre de zombies que l’on peut perdre est-il généralement très bas, et surtout, il y a exactement 18 cartes rue (enfin 20 si l’on compte une erreur d’impression et une carte surnuméraire) pour 18 emplacements (trois rounds de six emplacements), c’est-à-dire qu’à chaque partie, vous subirez toutes les cartes. À titre personnel, j’aurais sans doute mieux aimé un bien plus grand nombre de cartes rue, afin de susciter une surprise constante et d’autant plus d’amusement, mais Zombie Tsunami a été conçu comme un party game, un jeu amusant et court (entre 20 et 30 minutes), accessible même à un public enfantin, et donc surtout pas destiné à s’avérer frustrant.
Vincent Vergonjeanne (Lucky Duck Games) et Jérémie Torton (mobilgame) ont d’ailleurs dû sentir qu’il manquait quelque chose que le magasin ne suffisait pas à combler, étant donné qu’ils ont ajouté l’ « extension » Zombird (qui résulte d’ailleurs d’une mise à jour relativement tardive du jeu mobile). Cette extension ajoute donc au jeu de base des cartes « événement », que l’on révèle au début de chaque « round » et exigent que les joueurs accomplissent une action pour recevoir une récompense, soit immédiatement, soit au cours du round ; et les cartes Zombird, que les joueurs gardent secrètement en main et qu’ils peuvent jouer n’importe quand, une addition qui modifie grandement la perspective du jeu. Globalement, toutes les cartes sont bien conçues pour enquiquiner vos adversaires sans les embêter, ou vous aider sans créer de désagréable déséquilibre, et c’est assurément une grande force du jeu que d’avoir été si attentif à maintenir un certain équilibre, à permettre une progression naturelle de tous les joueurs au cours de de la partie.
Mais la plus grande force du jeu de plateau Zombie Tsunami est aussi ce qui faisait une grande partie du charme de l’application. On pouvait en effet dans cette dernière heurter une boîte mystère, qui transformait notre horde pendant quelques secondes dans une forme aléatoire lui conférant quelques avantages. Ici, vous recevrez au début de chaque round une carte bonus secret, vous donnant un objectif à remplir au cours du round (par exemple bombarder un civil) pour vous transformer, et gagner deux zombies. Cela manque peut-être d’envergure, on n’a clairement pas le sentiment de puissance procuré par les transformations dans le jeu, ou la crainte constante de perdre tous ses zombies à la première seconde d’inattention, cela répond pourtant toujours à la louable exigence d’équilibre, et gagner deux zombies est toujours agréable, même en fin de partie. On pourra également regretter de ne pas y retrouver les ballons ou les zombies d’or, mais ces transformations avaient été choisies pour récompenser les pledgeurs, rien de trop anormal donc.
Adapter pour partager et s’amuser
Zombie Tsunami est ainsi un jeu de plateau qui fait au mieux pour être fidèle aux mécaniques, et surtout à l’amusement du jeu mobile, et qui a de surcroît l’avantage d’en proposer une version compétitive, et d’autant plus divertissante. On en imagine d’ailleurs aisément des extensions : autres environnements (comme dans le jeu), éventuellement plus longs ou plus punitifs, autres transformations, autres cartes rue, et plus d’occasions de capturer des civils, autant de petits plus qui en feraient facilement une expérience recommandable pour tous types de joueurs. En attendant, on le conseillera à ceux qui ont pratiqué Zombie Tsunami sur leur téléphone portable, et à ceux qui cherchent un party game décalé et facile à prendre en main, faisant enfin des zombies quelque chose de fun.