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Imaginarium – merveille steampunk du jeu de société

Imaginarium – merveille steampunk du jeu de société

Curieusement, nous n’avons pour l’heure parlé qu’une seule fois de Bruno Cathala, sur Mr. Jack. Or depuis 15 ans, il n’est pas seulement l’un des développeurs de jeux de société les plus prolifiques, il est aussi l’une des personnalités les plus connues et les plus reconnues du milieu, amassant les récompenses les plus prestigieuses et l’estime la plus indéfectible des joueurs pour des classiques comme Du Balai!Five TribesLes Chevaliers de la Table Ronde, le formidable 7 Wonders Duel, et même un jeu Game of Thrones: Hand of the King. Et sa création la plus notable de 2018 est sans doute (pour le moment) Imaginarium, sorti le 13 avril dernier et développé avec Florian Sirieix pour l’éditeur Bombyx (Abyss).

Si on a tant parlé d’Imaginarium, outre la garantie d’excellence normalement représentée par le nom de Cathala, c’est que le jeu est magnifique, en tant qu’objet et pour son univers superbement illustré par Felideus Bubastis, variation fantaisiste et animalière sur le steampunk. Nous avions donc hâte de vous proposer le test de ce jeu pour occuper 2 à 5 personnes de 14 ans et plus pendant une heure-une heure et demie, et disponible pour environ 44 euros 90.

Imaginarium boitier

Steampunk onirique

Si Imaginarium émerveille d’emblée et dans le temps, c’est naturellement déjà par son design baroque et original, foisonnant et pourtant étonnamment cohérent. Dès le boîtier, que l’on aurait du mal à ne pas remarquer en boutique, on est saisi par l’étrangeté de ces éléments animaliers, merveilleux et mécaniques, qui rendent bien compte du thème d’un jeu qui n’est pas sous-titré pour rien La Manufacture des rêves. Ainsi, le titre, composé de barres de cuivre assemblées grâce à des vis apparentes, parfois ornementalisées, est soutenu par des chaînes à la structure métallique encadrant la couverture de la boîte, tandis que ce même cadre, le fait que les étoiles soient suspendues au « plafond » par des ficelles, ou que l’éléphant et le cochon ailé se trouvent sur le panneau titulaire, évoquent clairement le théâtre, sa magie et ses artifices.

Dans Imaginarium, les joueurs incarnent en effet les bricoleurs d’une usine à rêves cherchant à faire valider leurs projets pour devenir Grands Machinistes, et ainsi pouvoir rêver, devenir les consommateurs ébahis de ce qu’ils se contentaient de construire. Or Cathala, Sirieix et Bubastis font tout pour vous immerger dans cet univers curieux, refusant qu’un postulat si riche ne serve que de prétexte à poser les règles. Le « fabuleux livre de règles » justement comporte avant chaque explication un petit paragraphe diégétique, vous remettant dans la peau du bricoleur, et liant donc le point de règles (adressé au joueur) à la vie de l’avatar, pour montrer que les actions du joueur ont du sens dans l’activité industrielle de l’ouvrier.

 

Les bricoleurs, peints par un joueur (Martin Grandbarbe)

 

L’immersion passe aussi largement par le vocabulaire. Si les trois ressources de base sont le bois, le cuivre et le cristal (une addition moins attendue), la monnaie du jeu est le « charbonium ». Les plateaux personnels sont les ateliers , le plateau central est le bric-à-brac (ces objets seront même appelés ainsi même dans les règles), ses emplacements sont la salle de réunion, le robot, le tapis roulant, le bureau d’études, les extracteurs de charbonium ; la défausse de machines est le broyeur. Les machines enfin portent des noms aussi mignons que menuisette, rotativette, cristarnaqueuse, embrouillette…

Assez logiquement, on pioche les machines sur le robot pour les placer sur le tapis roulant, et à chaque tour celui-ci bouge, et envoie la machine la plus à droite dans le broyeur. Les projets (les objectifs) se trouvent évidemment sur les tables de travail du bureau d’études. On pioche les assistants depuis une table où ils discutaient d’un plan autour d’un café pour les rendre disponibles dans la salle de réunion. Et les bricoleurs eux-mêmes sont matérialisés par des figurines montant l’escalier les menant à l’usine, puis se déplaçant le long du tapis roulant et jusqu’aux extracteurs, logiquement reliés aux bras mécaniques permettant de retirer le charbonium. Et encore, on ne « retire pas le charbonium », on « se porte volontaire pour aider le département Extraction contre un peu de charbonium »

Le world design est ainsi non seulement limpide, mais cohérent en termes de gameplay, de diégèse et évidemment de graphisme. Ce qui facilite aussi l’appréhension d’un jeu qui peut paraître technique à première vue, et l’est en fait à peine une fois qu’on a très naturellement installé les différents éléments sur le bric-à-brac. On a ainsi presque envie d’être ces bricoleurs très soigneusement modélisés dans des pions inhabituellement détaillés et massifs par rapport aux standards habituels, pour construire des machines au design assez… unique, et pour récolter des ressources qui ne sont pas que des symboles de ressources, mais sont également matérialisées avec intelligence (le charbonium ressemble à des morceaux de charbon, les petits cubes de bois sont vraiment en bois, les cubes de cuivre sont orangés et marbrés comme de l’ambre, le cristal est en plastique transparent bleu).

Le cuivre aurait peut-être pu se distinguer un peu mieux du bois, et on aurait pu imaginer le remplacement des petits jetons ayant la valeur de cinq ressources par de grosses ressources (du méga-charbonium, du méga-bois…) plutôt qu’un petit morceau de carton. Cependant, si l’on s’autorise ces remarques, c’est seulement parce qu’on est face à un si bel objet qu’on le rêverait plus idéal encore, même en ayant conscience du soin extrême qui y a été apporté par rapport aux si nombreux jeux où les ressources ne sont que des morceaux de carton, et les pions d’informes figurines de bois. C’est que la visée n’est pas la même : Imaginarium n’est pas un jeu de ressources sec, adressé aux experts qui ont dépassé toute considération esthétique pour ne plus voir que les mécaniques, il cherche à s’imposer comme système de mécaniques et comme univers.

 

Le difficile monde du prolétariat ouvrier, même dans l’industrie du rêve

Ces mécaniques relèvent moins de l’onirique que de la production matérielle dans le monde compétitif du travail industriel. L’objectif des joueurs n’est ainsi pas de construire des machines, mais d’être le premier à cumuler vingt points de victoire, les machines n’étant que le moyen pour l’obtention des points. Par ailleurs, les points de victoire et les ressources que vous acquérez sont cachées derrière votre (superbe) paravent, de sorte que les autres joueurs ne savent pas où vous en êtes, et que vous ne savez pas où ils en sont. Inutile de dire que le joueur trop désireux de bâtir les plus belles machines pour avoir le plus bel atelier en sera pour ses frais quand il se rappellera soudain qu’Imaginarium est un jeu de course.

L’obtention de ces points se fait de quatre manières : en démolissant vos propres machines affectueusement réparées avec vos petites mains, en les produisant avec la diplomatrice, en les achetant contre du charbonium, et en réalisant des projets (c’est-à-dire en remplissant des objectifs), piochés au hasard en début de partie, consistant pour la plupart à posséder un certain nombre de machines, d’un certain niveau ou d’un certain type. De vrais objectifs de production en somme.

Logique d’usine toujours, les joueurs ne commencent pas tous à égalité (même si leurs avatars sont équilibrés), chaque bricoleur débute avec une quantité de charbonium et des machines définies par l’atelier qui lui est assigné arbitrairement. Et on ne joue pas démocratiquement dans un consensuel sens horaire, chaque journée de travail commence par la planification, durant laquelle les bricoleurs doivent réserver une machine ou se positionner près de l’un des trois extracteurs, et c’est le joueur le plus à gauche, c’est-à-dire prêt à dépenser le plus, qui jouera le premier. Imparablement capitaliste.

Ces machines sont de cinq sortes : de production, de transformation, d’attaque, de défense, spéciales. Les noms parlent pour eux-mêmes, sauf dans le cas de la dernière catégorie, composée de la recyclatrice (qui permet une seule fois de récupérer une machine de la défausse) et de la diplomatrice, dont il a déjà été question. En dehors des machines que vous possédez dès le début de la partie, toutes celles que vous achèterez arriveront cassées dans votre atelier (normal, vous ne pouvez récupérer pour votre compte personnel que le rebut de l’usine, ce qui était de toute manière destiné à la broyeuse). En plus de leur coût en charbonium, réglé à l’acquisition, il faudra donc payer un certain nombre de ressources pour la réparer et la placer enfin dans l’atelier.

 

 

Mais vous êtes limités à quatre machines réparées. Libre à vous de vous contenter de cette limite (ce qui va être difficile, soyons francs), de les démonter (vous gagnerez des points de victoire et bien plus de ressources en démontant les machines réparées, mais pouvez vous débarrasser d’une machine cassée), ou de les combiner. Chaque machine est en effet combinable avec un certain nombre d’autres machines, et les combinaisons permettent tantôt simplement de gagner de la place, tantôt de produire ou transformer davantage de ressources que les mêmes machines non combinées.

Mais (encore) n’oubliez pas que vous n’êtes qu’un bricoleur, et que les journées de travail sont courtes. Vous ne pourrez ainsi réaliser que deux tâches par jour, avec l’interdiction de choisir le même duo que le jour précédent, et l’obligation que les deux tâches sélectionnées soient consécutives sur l’horloge des tâches qui se trouve dans l’atelier de chaque bricoleur. Vous aurez ainsi le choix de réparer une machine, en démonter une, réorganiser votre atelier en combinant et décombinant autant de machines réparées que vous le souhaitez, effectuer des transactions (vendre ou acheter des ressources contre du charbonium, ou acheter des points de victoire), extraire 3 charboniums, recruter un assistant. Limités à trois par joueur, les assistants octroient des avantages jusqu’à la fin de la partie, aussi considérables que des emplacements supplémentaires dans l’atelier, la réduction du coût des machines et des points de victoire, des projets supplémentaires, la possibilité de réaliser des tâches non consécutives… Naturellement, les assistants sont assez chers, et surtout uniques, donc ne tardez pas à recruter ceux qui vous intéressent… ou semblent intéresser vos rivaux !

Il n’est pas impossible de compter les points de victoire et les ressources que ceux-ci récupèrent et dépensent, afin de prévoir dans une certaine mesure ce qu’ils pourront faire de leur atelier. Dans tous les cas, il faut bien observer leurs mouvements pour comprendre s’ils approchent des vingt points, et donc s’il faut commencer à envisager le sacrifice de votre atelier. C’est le dilemme le plus délicat du jeu, trouver le moment idéalement rentable, celui où il faut cesser de construire et commencer à démolir ou tout vendre, et c’est un moment que vous retarderez sans doute trop si vous vous enivrez de la productivité incroyable de votre atelier ou êtes trop avares de vos cristaux…

 

 

Imaginarium, rêve manufacturé ?

Imaginarium est un jeu profondément original dans sa démarche, celle de faire rêver sans être enfantin, celle de partir d’un pitch somme toute familial pour proposer des mécaniques compétitives et très stratégiques, celle d’encourager la construction, la collection, la combinaison, tout en exigeant une vision à court terme. Il n’est ainsi pas très étonnant que le nom de Bruno Cathala apparaisse sur la boîte, il fallait une grande maîtrise des possibilités du jeu de société et un talent de conteur pour aller jusqu’au bout de ces paradoxes et faire un jeu qui marche malgré tout (et aussi bien), accessible et tactique, onirique et industriel. Une belle preuve de savoir-faire et d’imagination en plus des mille autres raisons qui font déjà d’Imaginarium un incontournable terriblement séduisant !

 

 

Bruno Cathala faisant la démonstration d’Imaginarium

 

 

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