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Caverna – caverne contre caverne : c’est deux clans de nains qui vont à la mine…

Caverna – caverne contre caverne : c’est deux clans de nains qui vont à la mine…

 

Parce que de plus en plus de jeux de société adhèrent aux thématiques geek, voire s’inspirent de mécaniques de jeux vidéo (après en avoir favorisé l’émergence), et parce que plusieurs d’entre vous les pratiquez assurément avec autant de passion que nous, il semblait essentiel de vous en présenter enfin quelques-uns ! Après Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide, Mr. Jack, Small WorldUnlock ! et Unlock! : Mystery AdventuresLoony QuestT.I.M.E. StoriesChâteau AventureZombie TsunamiSmash Up et Star RealmsVikings Gone WildLes Montagnes hallucinéesAdrénaline, un Coffre des joueurs (comportant Clank!, Wendake, et Light Hunters), Imaginarium, puis Tokaido et Professeur Evil et la Citadelle du Temps, nous allons nous intéresser à Caverna – caverne contre caverne.

Funforge n’est pas que l’éditeur de jeux originaux et superbes dont j’ai vanté le travail sur l’esthétique et les mécaniques des productions quand j’ai parlé de Tokaido et de Professeur Evil. Le studio a une autre spécialité, pratiquement opposée, celle d’éditer les jeux des Allemands de Lookout Games, et la précision de leur nationalité n’est pas anodine : les « jeux allemands » sont le comble de l’eurogame, réputés pour leur beauté très relative, leur interaction limitée à inexistante entre les joueurs, leur intérêt pour l’économie et la gestion plutôt que pour des scénarios trop aguicheurs, bref pour une certaine sécheresse au profit de mécaniques riches et parfaitement huilées. Ce que l’on appelle aussi de plus en plus abusivement des « jeux pour experts », non qu’ils soient particulièrement complexes, mais parce qu’il faut être un type de joueur bien particulier pour s’intéresser aux mécaniques d’un jeu au détriment des qualités esthétiques et sociales traditionnellement attribuées au jeu de société.

Parmi ces « jeux allemands », un titre particulièrement a su gagner le cœur des joueurs passionnés et amateurs de toute la planète, Agricola, conçu par Uwe Rosenberg. Le même Rosenberg qui imagina ensuite Patchwork, également publié par Funforge, et l’ambitieux Caverna, qui opposait jusqu’à huit clans de nains en quête de richesses, et occupait logiquement beaucoup de place. Bref un jeu prometteur, mais pas forcément aguicheur – une preuve intéressante en est que le nom de l’illustrateur (Klemens Franz) n’est pas précisé sur la boîte, comme c’est l’usage, pas même sur son dos, mais seulement à la fin du livret de règles. De sorte que c’est avec grand intérêt que j’appris l’édition par Funforge de Caverna – Höhle gegen Höhle, variante pour deux joueurs du Caverna original, graphiquement tout aussi sèche, mais visant naturellement une plus grande accessibilité.

C’est donc de Caverna – caverne contre caverne qu’il sera question aujourd’hui, un jeu de société vendu à 16 euros 90pour deux, disposant d’un mode solo dont il sera évidemment question, pour des parties d’environ 20 minutes par joueur, à partir de 10 ans en accompagnant bien un enfant aussi jeune, de 12 ans sinon.

Caverna titre

Nous sommes les nains sous la montagne

Pas de scénarisation alambiquée dans ce jeu à l’allemande : vous êtes manifestement le chef d’une tribu naine, ou une espèce de patron, voire une tribu naine dans son entièreté, qu’importe, et vous devez prouver votre supériorité sur les Nains de la mine d’à côté en accumulant le plus de richesses, ce qui s’exprime aussi bien par l’or que vous possédez que par la qualité de la mine que vous aménagez. Si l’univers des Nains peut apparaître comme un prétexte à une immersion minimale (après tout, il faut bien illustrer la boîte), il faut dire que cela marche : en bons lecteurs de Tolkien, gorgés d’heroic fantasy, nous associons spontanément les Nains (comme espèce) à la cupidité, à la Mine, à l’or. De plus, cela apporte quelques touches « familiales » à un jeu qui ne veut pas paraître trop rugueux, par exemple avec ces petits nains du plateau d’actions qui nous indiquent combien d’actions nous pouvons réaliser par tour.

Au commencement, vous arrivez dans une mine regorgeant de pierres, avec un minimum de ressources : une unité de pierre, de lin, de céréales, d’or, de bois et de repas. Deux nains seulement travaillent pour vous, et pas très expérimentés encore, de sorte qu’à la première manche, vous ne pourrez choisir que parmi cinq tâches l’action que vous attribuerez à chacun. Heureusement, à chaque manche vos ouvriers en apprennent davantage et vous dévoilez une nouvelle action possible sur le plateau d’actions, jusqu’à arriver à douze en fin de partie, avec quatre Nains dans votre mine pouvant chacun réaliser une action différente.

Le début est donc extrêmement simple, d’autant que les tuiles seront toujours les mêmes, de partie en partie, à ceci près que les trois tuiles des manches 1 à 3 et les quatre tuiles des manches 4 à 7 sont disposées aléatoirement. De même, vous n’aurez pas réellement d’autre choix au début que de mener des excavations pour libérer de l’espace dans la mine, tout en prêtant attention à la quantité de nourriture que coûte cet intense effort physique, et une fois que vous aurez fait de la place, vous n’aurez d’abord le choix qu’entre six pièces (meule, parloir, étagère, tunnel, roue à aubes, garde-manger).

Cette simplicité première est assurément une grande force de cette version de Caverna, qui cherche à amener très progressivement le joueur vers une complexité croissante, qui ne sera même pas ressentie comme une complexité puisque le temps que toute la richesse du jeu se déploie, le joueur aura compris ses mécaniques les plus basiques, et ne risquera plus d’être submergé par la quantité de choix à faire à ce stade.

 

On creuse le jour, mais on ne boit pas beaucoup la nuit

Cela ne veut pas dire que la voie soit tracée, et que vous n’aurez qu’à la suivre : ne choisir à chaque manche que deux, puis trois, et enfin quatre actions exigera une certaine élaboration stratégique au fur et à mesure qu’on s’approchera de la fin du jeu, et votre rival ne vous laissera pas faire si facilement. Si, en bon « jeu à l’allemande », Caverna propose très peu d’interactions aux joueurs, une dimension d’adversité a été ajoutée ici dans le fait qu’une tuile déjà utilisée par un joueur ne pourra plus l’être ni par lui, ni par l’autre, jusqu’à la fin de la manche. Quand on ajoute à cela le droit de prendre une tuile sans en appliquer la capacité (et donc en payer le coût), on imagine bien que certaines actions ne seront choisies que pour en priver l’adversaire. Finalement une manière extrêmement simple d’obliger les deux joueurs à prêter la plus grande attention au plateau l’un de l’autre plutôt qu’à s’enrichir chacun dans son coin.

Chaque mine ne comporte que neuf emplacements où disposer des pièces une fois qu’ils seront excavés, plus un dixième emplacement réservé au premier joueur ayant complété sa mine. Donc dix pièces maximum, qui n’ont pas toutes la même valeur, du garde-manger à 3 points à la salle de réception à douze points. C’est là qu’intervient l’optimisation – et la compétition. Chaque pièce que vous renoncez à acheter ce tour-ci est une pièce que votre rival pourrait acquérir, vous en privant jusqu’à la fin de la partie. Mais chaque pièce acquise occupe aussi une place qui ne pourra plus être libérée. De plus, son aménagement coûte des ressources, qu’il vaut mieux selon les cas économiser pour acheter plus tard une pièce plus intéressante ou dépenser au plus vite pour acquérir plusieurs petites pièces – et en priver l’autre. Enfin, les pièces exigent une configuration particulière : être placées dans un coin de la grotte, s’appuyer contre un seul mur, être entourées de trois murs… Vous pourrez naturellement installer des murs et en ôter, mais il faudra songer aux autres pièces que vous voudrez construire, et qui seront peut-être incompatibles avec le mur que vous envisagez d’ériger…

Derrière une façade relativement inexpressiveCaverna dissimule ainsi un redoutable jeu tactique, évidemment d’autant plus riche que rien n’y est aussi simple que ça en a l’air. Par exemple, aucune action n’a d’effet fixe, unique, immédiat, et ce n’est pas pour rien qu’elles sont matérialisées sous la forme de tuiles plutôt que listées dans le manuel de règles. Vous n’avez pas d’action « Aménager », « Miner », « Activer pièce », « Acquérir ressource », etc., chacun de ces effets apparaît sur plusieurs tuiles Action assez différentes. Pour le seul minage, vous avez le choix entre le « Minage horizontal » (qui active une pièce en plus de retirer un bloc de pierres de votre caverne), « Sape » (qui peut au choix miner, même à travers un mur, ou activer deux pièces), « Extension » (qui peut miner ET échanger cinq unités de nourriture ou deux d’or contre un aménagement) et « Excavation » (qui ajoute une unité de pierre, et donne le choix entre miner un bloc de pierres, et échanger deux unités de nourriture contre le droit d’en miner deux).

 

Les pièces qu’il faudra aménager dans votre mine

Que fait-on quand on est seul dans sa caverne ? On mine quand même

Pas d’adversaire virtuel pour le mode solo de Caverna, mais un score à battre : plus de cinquante points, pièces et or cumulés, pour remporter la victoire, soixante pour « inscrire son nom en lettres d’or dans les archives naines ». Il y a cependant fort à parier que vous oublierez bien vite cette condition pour jouer et rejouer dans le seul but d’augmenter sans cesse votre score, de vous battre contre votre ancien vous.

L’adaptation à un joueur se fait très aisément : au lieu de donner neuf tuiles « Pierres à excaver (recto)/Pièce (verso) » à un autre joueur, on en fait une pile face cachée, où l’on tire les Pièces quand on n’a creusé qu’une cavité pendant notre tour, pour imiter le renouvellement des Pièces à disposition en mode deux joueurs. On ne conserve tout aussi logiquement que trois des six Pièces normalement disponibles dès le début de la partie, on joue une manche de moins, en retirant la tuile d’action « Brèche », moins intéressante en solitaire.

Notons seulement que si vous souhaitez (comme je l’ai fait) pratiquer le mode solitaire comme entraînement, avant de vous lancer dans une partie compétitive, il faudra vous accrocher un peu plus que si vous étiez deux cerveaux à tenter de comprendre les règles. Celles-ci ne sont pourtant pas si difficiles, mais on n’a plus l’habitude aujourd’hui de ne plus avoir de guide complet de toutes les tuiles en fin de manuel, et on arrive sans doute plus vite à deux à la conclusion qu’un point de règles est erroné (sur les fissures, sans doute le reliquat d’une ancienne version), quand le joueur seul cherche davantage à y trouver du sens.

De même qu’on réfléchit mieux (ou qu’on cherche mieux sur internet) à plusieurs sur ce qui peut ne pas paraître immédiatement clair : on ne peut pas utiliser une pièce qu’on « vient d’aménager », mais dans la manche ou dans le tour ? Et j’avais trouvé curieux au début qu’en solitaire, on me demande de piocher une nouvelle Pièce à chaque tour où je n’avais creusé qu’une cavité, trouvant que ce serait plus logique à chaque manche, et ne comprenant pas ce que cela impliquait pour les tours où je ne creusais aucune cavité… Bref, des questions somme toute assez bêtes, pour des règles qui demeurent très compréhensibles, mais requièrent tout de même une certaine attention initiale, après quoi on peut simplement se laisser porter par la limpidité des symboles et des plateaux.

Rien de bien neuf a priori, et pourtant jouer seul à Caverna est singulièrement intéressant, ne serait-ce que parce que les jeux jouables seul sont rares, et exigent souvent une très longue mise en place. Ensuite parce qu’il introduit du hasard là où il était aussi réduit que possible à deux joueurs, afin de susciter la variété que ne permet plus la compétition. C’est qu’il n’est pas si facile de créer du dynamisme, de l’implication, sans adversaire pour nous empêcher de jouer les actions que l’on veut, ou pour retirer les pièces qu’on espérait justement construire. Le mode solo se fonde donc sur un paradoxe, celui de proposer davantage d’aléa tout en offrant davantage de contrôle. C’est sans doute ce paradoxe, allié à des mécaniques d’une étonnante finesse pour un jeu et un mode apparemment si simples, qui lui ont permis d’exercer un tel charme sur moi, au point de me donner envie d’enchaîner les parties en solitaire pour m’entraîner à optimiser mes stratégies, et mieux saisir toute la richesse d’un jeu à la présentation minimaliste.

 

La caverne ne se rebiffe pas

Caverna – caverne contre caverne (qui aurait été plus élégamment intitulé Caverna – mine contre mine) fait honneur à la réputation d’Uwe Rosenberg, qui a su simplifier les mécaniques de son jeu mythique pour l’adapter à une configuration à deux joueurs, en diminuant les choix, le matériel, la longueur (le prix)… sans en retirer la richesse et cette pointe de perversité à laquelle on reconnaît ses productions. En vous laissant croire qu’il s’agit d’un jeu de gestion assez impersonnel, il impressionne par la tension qui résulte de la compétition acérée (bien que contrôlée et peu destructrice) et de l’optimisation à court terme à et long terme à laquelle les joueurs sont soumis en permanence. Si la réédition de ce Caverna par Funforge reste fidèle au graphisme peu amène de Lookout Games, elle permettra sans doute d’aider ce jeu – encore mal connu en France – à se faire une place parmi les classiques du jeu de société pour deux joueurs.

 

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