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Abyss – Splendeurs et misères des monstres marins

Abyss – Splendeurs et misères des monstres marins

 

Depuis que j’ai testé l’excellent et magnifique Imaginarium, dont j’avais fait l’une de mes recommandations de Noël, je rêvais de tester AbyssOn doit en effet ce jeu au même éditeur, Bombyx, ce qui inspire confiance dans le soin apporté graphiquement et matériellement à sa production – Bombyx qui avait également très joliment coédité Takenoko avec Matagot – et au même auteur, l’inénarrable Bruno Cathala (Five TribesKingdominoQueendominoOkiyaScarabyaMr. Jack), ce qui inspire confiance dans ses qualités ludiques. Comme pour Kanagawa et Micropolis, Cathala s’est pour la peine associé au talentueux Charles Chevallier, et Abyss est de surcroît illustré par pas moins que Xavier Collette (MystériumDixitChâteau Aventure). Un dernier argument pour se mettre dans de bonnes dispositions ? Sorti en 2014, Abyss a connu pas moins de deux extensions, Kraken (en 2015) et Léviathan (début 2018), aussi bien reçues par la critique que le jeu de base. Et pour que Cathala se plonge trois fois dans le même jeu (ce qu’il n’a refait à ma connaissance qu’avec Kingdomino), il a vraiment fallu qu’il soit satisfait des améliorations et nouveautés profondes apportées au système d’Abyss

Petit tour en eaux profondes pour explorer Abyss et ses extensions Kraken et Léviathan, un jeu pour deux à quatre aspirants au titre de Roi des Abysses de douze ans et plus (la boîte indique quatorze ans, sans doute à cause des petites pièces) dans des parties d’environ 45 minutesAbyss est disponible pour 35 euros 95Kraken pour 18 euros, et Léviathan pour 17 euros 90.

 

Géographie des fonds marins

Le plateau central est constitué de trois zones : la piste d’exploration, sur le premier emplacement de laquelle on pose la pile de cartes Exploration, le Conseil, composé de cinq factions (les méduses, les crabes, les hippocampes, les coquillages et les poulpes), et la Cour, où l’on place la pile des Seigneurs, dont on révèle les six premières cartes. Sous le plateau central, la pile de Lieux, dont seul le premier est révélé. À droite, la piste de Menace, avec le marqueur Menace dans le premier emplacement. Enfin, on place à disposition des joueurs les pions Monstres face cachée et les pions Clef. Après quoi, chacun reçoit une coupelle et une Perle.

La mise en place, on le voit, est aisée, d’autant qu’aucun élément ne ressemble à un autre : les cartes Seigneur ont un trident sur le dos et sont bien plus grandes que les cartes Exploration, portant une étoile de mer ; les Lieux sont des tuiles cartonnées à la forme allongée et un fond noir sur le dos que n’éclairent que trois clefs blanches rayonnant d’une légère lumière bleutée, les petites clefs ont une forme de clef et les perles sont effectivement de petites perles brillantes que l’on place dans un réceptacle imitant un coquillage… Il faudrait même mentionner le fait que les Lieux ont une forme horizontale et la piste de Menace une forme verticale, afin d’épouser le plateau et d’optimiser l’espace, donc la rapidité de lecture des joueurs. C’est la preuve d’une conception très ingénieuse pour rendre l’identification des éléments intuitive, mais aussi ambitieuse, donnant une impression de luxe d’autant plus grande que les éléments sont extrêmement soignés.

Le plateau central est exagérément grand pour nous plonger dans l’ambiance des fonds marins même quand il est couvert de cartes, les pions Monstres ne sont pas tout à fait ronds, mais souffrent d’une protubérance où est affiché le nombre de points qu’ils représentent, afin que ce chiffre ne couvre pas l’illustration de la murène, et bien sûr tous les dessins sont magnifiques, sombres et majestueux. C’est au point que la coupelle en plastique transparent jure avec les autres éléments du jeu, alors même que sa forme de coquillage et la simple idée d’offrir aux joueurs un réceptacle à perles (au lieu de jetons Perle plats en cartons à poser devant soi) forcent l’admiration.

Une fois ces éléments rapidement disposés, les joueurs sont déjà prêts à lutter pour récupérer auprès des Alliés les Points d’Influence (PI) qui leur permettront d’emporter le trône.

 

Abyss Bombyx

Machiavel chez les poissons

Un tour est composé de trois phases, qu’un aspirant réalise avant de laisser la main au joueur suivant.

La première, facultative, consiste à dépenser des Perles pour ajouter un Seigneur sur un emplacement libre de la Cour, une action réalisable tant qu’il peut payer, tant qu’il reste des emplacements libres et tant que la pile de Seigneurs est fournie.

La deuxième phase consiste obligatoirement à réaliser une seule des trois actions possibles. Explorer les profondeurs permet de révéler une à une les cartes de la pile Exploration sur les emplacements du plateau jusqu’à compléter la file. S’il révèle l’une des 65 cartes des cinq peuples alliés (donc crabes, poulpes, hippocampes, méduses, coquillages, chacun ayant sa couleur), il doit proposer aux adversaires de le lui acheter. Le premier allié acheté coûte une perle, le deuxième deux, le troisième trois, mais un adversaire ne peut réaliser qu’un seul achat pendant son tour. Si aucun adversaire ne souhaite l’acheter, le joueur peut l’ajouter gratuitement à sa main puis passer la main, ou continuer de révéler des cartes Exploration jusqu’à avoir rempli la file. Si aucun adversaire n’est intéressé par le dernier allié, le joueur le récupère et gagne une perle. Dans tous les cas, une fois qu’il a fini son tour, les alliés restant sur la piste d’Exploration sont placés face cachée sur l’emplacement correspondant à leur faction de la zone de Conseil.

Mais la carte révélée peut être l’un des six Monstres. Si le joueur le combat, il gagne automatiquement et remporte la récompense indiquée sur la piste de Menace, ce qui peut aller d’une Perle ou d’un pion Monstre (qui vaut entre 2 et 4 PI) à deux clefs au dernier niveau de Menace. La menace est alors écartée, le tour terminé, et le marqueur regagne le haut de la piste. Le combat est obligatoire si le Monstre est posé sur le dernier emplacement de la file, et cela rapporte une Perle supplémentaire. Si le joueur fuit le combat afin de poursuivre l’exploration, le Monstre reste dans la file et le marqueur Menace progresse d’un cran. Il s’agit, on l’aura compris, d’un « stop-ou-encore » : le joueur peut estimer plus rentable de ne pas combattre les Monstres afin d’augmenter les récompenses, en espérant tomber sur un Monstre avant la fin de la file. C’est d’ailleurs un risque qui décroît avec l’avancement de la partie : si l’on a vu peu de Monstres et qu’au contraire de nombreux alliés ont quitté la pile, c’est qu’elle contient une proportion croissante de Monstres, et la chance croissante d’une récompense intéressante ! D’autant que la fin de la pioche Exploration signifie qu’on mélange les cartes de la défausse, et donc essentiellement les Monstres qu’elle contient…

Au lieu d’explorer les profondeurs, on peut demander le soutien du Conseil, et donc ajouter à sa main toutes les cartes d’une faction du Conseil, idéalement en se souvenant à peu près de la valeur des cartes qu’elle contenait.

 

 

À moins que l’on ne préfère recruter un Seigneur. Pour cela, il faut prêter garde à la valeur totale des cartes Allié qu’il faut défausser, ainsi qu’aux types requis : un Seigneur peut demander exclusivement huit crabes, un autre dix alliés de trois types différents, pas moins, pas plus, dont au moins un doit être une méduse. Chaque allié manquant peut être remplacé par une Perle, à condition que les factions demandées aient chacune au moins un représentant. L’allié le plus faible est le seul à ne pas être défaussé : fédéré, il appartient désormais définitivement au joueur et rapporter des PI en fin de partie.

Ces Seigneurs rapportent des points de victoire, parfois une clef, et ont un pouvoir (à l’exception des riches cultivateurs), en lien avec la guilde du Seigneur : les militaires ont un pouvoir offensif (augmenter le prix de recrutement des Seigneurs pour les adversaires), les politiciens ont un impact sur les autres Seigneurs (défausser un Seigneur pour en récupérer un autre), les mages vous aident à influencer le Conseil (le soutien du Conseil ajoute deux piles au lieu d’une), les marchands octroient des Perles (une Perle par tour), les Ambassadeurs conquièrent des Lieux (piocher un Lieu et le placer sous son contrôle). Naturellement, comme les djinns de Five Tribes, tous les Seigneurs ont un nom, une illustration et un pouvoir uniques. Une fois un Seigneur recruté, on regroupe les cartes Seigneur à droite de leur file. Si après un recrutement il n’en reste que deux, le recruteur gagne deux Perles (ce qui est évidemment précisé sur le plateau), et comble les emplacements vacants.

Comme vous l’aurez remarqué, chacune des trois actions correspond à l’une des trois lignes du plateau, le genre de détail qui rend un jeu lisible et agréable à jouer, sans alourdissement suscité par des icônes de rappel des possibilités…

La troisième phase consiste dans le contrôle des Lieux, réalisé aussitôt que le joueur actif possède trois clefs (grâce à un Seigneur ou à la défaite d’un Monstre). Il peut prendre un Lieu révélé de son choix, ou piocher un à quatre Lieux, en choisir un et rendre les autres disponibles. En regarder beaucoup donne plus de chances d’obtenir un Lieu très intéressant, mais en laisse davantage à disposition des autres joueurs. À moins d’avoir une idée précise des Lieux qui feront gagner à coup sûr, mieux vaut éviter de trop favoriser ses adversaires… On peut payer pour un Lieu avec ses jetons Clefs, que l’on défausse, ou avec des Seigneurs qui sont alors « utilisés » : ils vaudront toujours des PI, mais ne peuvent plus servir pour des clefs ni pour leur pouvoir.

Outre une illustration somptueuse (et non, je n’en fais pas trop), les Lieux ont « surtout » pour fonction de rapporter des PI. Le Sanctuaire fait ainsi gagner quatre PI, plus trois PI pour chaque allié fédéré du peuple des méduses (donc chaque allié méduse s’étant avéré le plus faible dans l’achat d’un Seigneur. La Cité miroir copie l’effet du Lieu d’un adversaire en fin de partie. Les Abysses octroient deux PI pour chaque Guilde représentée parmi ses Seigneurs.

 

Les peuples de la mer ont trouvé leur Roi

Quand un joueur recrute son septième Seigneur, ou que l’on ne peut plus réalimenter complètement la Cour après un recrutement, le joueur actif achève son tour, ses adversaires peuvent jouer une fois, et on met fin à la partie. La solution est assez élégante : plutôt que de « finir le tour de tous les joueurs » (donc la partie s’achèverait immédiatement si le joueur actif était le « dernier joueur »), laissant un tour à tous les joueurs en dehors du joueur actif amène chacun à considérer avec prudence le moment où il déclenchera la fin de la partie. Il ne s’agirait pas de laisser un rival reprendre l’avantage pendant cet ultime tour…

Chaque joueur fédère alors l’allié le plus faible de chaque peuple de sa main.

Puis on additionne les PI des Lieux, des Seigneurs, de l’allié fédéré le plus fort de chaque peuple et des pions Monstres, on note tout sur les jolies feuilles de score fournies dans la boîte d’Abyss et celui qui possède le plus d’influence devient Roi des mers. Vous remarquerez que les Perles ne comptent pas, l’argent achetant le pouvoir, mais n’en tenant pas lieu. En revanche, il pèse évidemment en cas d’égalité, et en cas de nouvelle égalité, le joueur possédant le plus de Seigneurs l’emporte. Le calcul peut prendre quelques minutes, mais la salade de points est très digeste, notamment grâce au petit nombre de critères et à la clarté des cartes et du plateau.

Abyss remplit toutes les exigences pour être un bon Cathala, à commencer par celle d’être immédiatement assimilable, au point que le livret de règles, une fois rapidement appris, ne serve plus. Tactique sans l’être autant qu’Imaginarium, varié malgré un nombre d’actions et de pièces assez réduit, très ingénieusement interactif (on n’embête pas tant les autres qu’on agit en les redoutant constamment), admirablement rejouable compte tenu de l’ordre dans lequel les cartes de Seigneur, d’exploration et de Lieu sont révélées (ordre qui change complètement la stratégie des joueurs), parfaitement bien conçu du thermoformage et de l’installation du matériel au décompte des points, et évidemment superbe matériellement et graphiquement, Abyss est un jeu familial incomparablement satisfaisant, dont on comprend que ses auteurs l’aient aimé au point d’y revenir par deux fois !

 

 

Abyss : Kraken – libérez la Bête

Si la boîte de Kraken n’est pas thermoformée (comme celle de Léviathan, qui sera au moins compartimentée), le matériel est toujours aussi beau : comme pour la boîte de base, celle de l’extension ne porte aucun titre ou aucun logo sur sa couverture, entièrement consacrée à un redoutable monstre marin. Abyss : Kraken contient en outre six nouveaux Lieux, un nouveau réceptacle pour les Perles (et de nouvelles Perles), de nouvelles cartes variées, trois jetons et une superbe figurine de Kraken. De quoi promettre d’intéressantes altérations sans faire craindre une trop profonde révolution ou une complexification excessive.

De fait, les règles sont globalement les mêmes que celles du jeu de base, et les nouveaux Lieux, Explorations et Seigneurs sont simplement mélangées aux autres. On ajoute simplement la nouvelle coupelle de Nebulis (des perles plus sombres que celles d’Abyss) et le Kraken à côté de la coupelle de perles, les trois jetons Sentinelle à côté de la pioche des Seigneurs, et les cartes Butin à côté de la pioche de Lieux.

Abyss : Kraken propose un nouveau peuple d’alliés, les krakens, qui ne peuvent cependant pas être fédérés (on fédère toujours l’allié le plus faible hors kraken) et sont intégrés dans la partie du Conseil du choix du joueur s’il en reste dans la file d’Exploration. Sournois, ils peuvent être utilisés pour remplacer un autre peuple au moment du recrutement, mais rapportent également une à trois Nebulis. De même, à la fin de la partie, tout kraken en main rapporte le nombre de Nebulis représenté sur la carte… et les joueurs perdent 1 PI par Nebulis ! Au cours de la partie, la figurine Kraken ne sert qu’à indiquer quel joueur a le plus de Nebulis (quel luxe pour un simple marqueur), ce qui suscitera également une pénalité de 5 PI…  Il existe heureusement deux manières de perdre des Nebulis : les dépenser, une à la fois, quand on n’a plus aucune Perle, ou faire appel aux contrebandiers.

 

 

Les contrebandiers sont la nouvelle guilde de l’extension. Le plupart permettent de manipuler les Nebulis, comme le Malfaiteur qui permet d’en dépenser deux à la fois au lieu d’une, mais le Guetteur, la Vigie et le Veilleur octroient le jeton Sentinelle correspondant (et une Nebulis). Ce jeton peut être posé sur un Seigneur de la Cour pour interdire aux autres joueurs de l’acheter, sur une pile du Conseil pour être le seul à avoir le droit de la récupérer, même si elle est vide au moment de la pose du jeton, sur un Lieu face visible. Une fois le Seigneur, le Lieu ou la pile récupérée, le jeton Sentinelle est récupéré, et il pourra être à nouveau affecté au tour suivant. Naturellement, il ne peut y avoir qu’un pion Sentinelle par zone, qu’il appartienne au même joueur ou non.

Enfin, Abyss : Kraken introduit les Sanctuaires, quatre cimetières d’animaux très dangereux… et profitables. Après en avoir obtenu un, le joueur dévoile la première carte de la pile de Butins. Chaque Butin rapporte des PI, et la plupart octroient une récompense supplémentaire, Clef, Perles, pion Monstre, carte Exploration (les Monstres font progresser la Menace, et on pioche jusqu’à obtenir un Allié, immédiatement récupéré). Il peut conserver la carte et la récompense, ou décider de piocher une nouvelle carte. Si celle-ci a la même valeur en PI qu’une carte Butin déjà piochée, la fouille est terminée et tous les Butins de cette valeur sont défaussés. Sinon, il peut continuer de piocher. Les règles précisent combien il y a de cartes de chaque valeur afin de laisser l’aventurier téméraire jouer en fonction de probabilités plutôt que du hasard.

Kraken est une extension simple qui s’ajoute si intuitivement à Abyss qu’il n’y a aucune raison de jouer sans, une vraie force quand on la compare à Matsuri (pour Tokaido) ou Druides (pour Isle of Skye), des extensions qui modifient si profondément l’esprit même du jeu qu’il vaut mieux quand on les apprécie alterner les parties avec le jeu de base que les y substituer tout à fait. En cela, Kraken est assez exemplaire d’un type d’extensions comme on en voit trop peu, un enrichissement évident du jeu de base sans aucune trahison dans l’esprit, le thème ou les mécaniques. C’est bien simple : malgré 75 avis sur Trictrac sur Kraken, on n’en compte aucun négatif ! Mais peut-il en être autant d’une deuxième extension ou cela commence-t-il à faire trop ?

 

 

Abyss : Léviathan – la plus grande menace que le monde marin ait connue

Si Abyss : Léviathan peut s’ajouter à Kraken, il modifie cette fois des éléments de la boîte de base, un choix sans doute judicieux de Cathala et Chevallier pour avoir l’espace d’innover significativement sans rendre Abyss artificiellement foisonnant. La course au pouvoir est cette fois largement informée par l’attaque des Léviathans aux frontières du Royaume. La piste de Menace est remplacée par le nouveau plateau Frontière, on lance les dés et on place la première carte Léviathan de la pioche sur la zone correspondante du plateau Frontière. Puis on place un jeton Point de vie sur la première case de la carte Léviathan. Chaque joueur commence la partie avec un Allié crabe de valeur 1. On ôte la Dresseuse des Seigneurs (puisqu’il n’y a plus de piste de Menace sur laquelle influer) pour la remplacer par les nouvelles cartes Seigneur. On constitue une deuxième pile de pions Monstres, et on ajoute à disposition des joueurs les deux dés (d’un joli bleu, mais un peu décevants quand on voit le reste du matériel et juste après avoir testé Dice Throne), les pions Blessure, les marqueurs Point de vie et la superbe figurine du Fléau d’Abyss. Et puisque l’on peut désormais jouer à cinq, l’extension comporte une nouvelle coupelle.

Première modification, la loi martiale interdit désormais de posséder plus de douze Alliés en main, à moins de payer une Perle pour chaque Allié surnuméraire à la fin de chaque tour (ce que l’on peut éviter en les défaussant, sauf les krakens, qui restent en main).

La principale nouveauté concerne les Léviathans. Quand au cours d’une exploration on rencontre un Monstre, décider de passer outre a de fâcheuses conséquences : on le défausse et on pose un nouveau Léviathan (avec un marqueur Point de vie) sur une zone de la Frontière donnée par un nouveau lancer de dés, après quoi on peut poursuivre normalement… sauf si cette zone était déjà occupée par un Léviathan ! En ce cas, on est attaqué par le Léviathan déjà en place et on subit une pénalité redoutable (pions Blessure faisant perdre autant de PI, perte de trois Perles, de trois Alliés, d’un Seigneur non affecté à un Lieu), puis le Léviathan est délogé par une nouvelle créature. Les règles précisent les zones risquant le plus d’être déjà occupées (donc la probabilité que deux dés produisent deux fois le même résultat dans une partie), toujours selon l’idée formidable de favoriser un jeu intelligent.

 

 

Il vaut donc parfois mieux combattre que fuir, en choisissant le Léviathan auquel on souhaite s’attaquer sur la Frontière. Le joueur défausse alors un seul allié du peuple requis (s’il n’en possède pas il ne peut pas combattre, mais tous les Léviathans peuvent être attaqués par les crabes) puis lance un unique dé, et additionne les deux pour obtenir sa valeur d’attaque. De nouveaux alliés permettent heureusement, si c’est eux que le joueur défausse, de gagner un point d’attaque par perle dépensée, ou de lancer deux dés et de ne conserver que le résultat le plus haut. On compare ensuite cette attaque à la résistance du Léviathan. Si elle est inférieure, on gagne une Perle. Au moins ce tour n’aura pas été tout à fait vain, et cela vaut toujours mieux que d’être blessé par un Léviathan délogé, une jolie manière de forcer les joueurs à défendre activement le Royaume ! Si elle est égale ou supérieure, le Léviathan perd un point de vie. S’il meurt, on le récupère devant soi, et s’il s’agissait du dernier Léviathan de la Frontière, on en replace un en lançant les dés.

S’il lui reste des points de vie, on baisse le marqueur d’un cran et on récupère autant de jetons Monstre qu’indiqué sur la carte, en choisissant entre les jetons Monstre de la boîte de base (qui rapportent des PI) ou ceux de l’extension (qui rapportent des Perles, immédiatement ou au début d’un tour prochain). Il est possible de lui infliger plusieurs blessures à la fois si le score obtenu correspond à plusieurs paliers de résistance (par exemple si le Léviathan avait un palier à 3, le deuxième à 7, et qu’on a obtenu 11), et donc de récupérer toutes les récompenses correspondantes. Enfin, notons qu’après une victoire, on peut mettre fin au tour ou attaquer une nouvelle fois le même Léviathan en défaussant un autre Allié. Avant de se lancer dans une exploration, il est donc toujours judicieux de posséder plusieurs crabes et/ou alliés exigés par les Léviathans que l’on voit à la frontière, avancer en fuyant les combats n’était pas une stratégie longtemps viable…

L’addition du Léviathan est conséquente… mais elle change radicalement de la monotonie de l’exploration pour en faire de véritables aventures et transformer un jeu relativement familial une expérience plus tendue, certes aléatoire, mais d’un hasard nuancé par la possibilité de ne pas partir en exploration tant que l’on n’est pas vraiment prêt – par exemple en profitant de l’exploration des autres joueurs pour enrichir sa collection d’Alliés. C’est en cela que la limite d’Alliés en main prend tout son sens : se préparer au combat risquerait d’inviter à l’attentisme, ce qui ne serait intéressant ni pour l’attentiste attendant de se constituer une main démesurée et sûre ni pour les autres.

Les dix nouveaux Seigneurs, deux par guilde (mais aucun contrebandier) ont tous des pouvoirs relatifs aux Léviathans, décidément omniprésent dans le gameplay de l’extension d’Abyss. Toutes les guildes tentent en effet de continuer de vivre de leur spécialité en l’adaptant aux conditions de vie d’une époque dangereuse… Un cultivateur (le Taxidermiste) rapporte par exemple deux Perles par point de vie ôté à un Léviathan, là où un militaire (l’Intrépide) permet d’attaquer un deuxième Léviathan après en avoir tué un.

Même la fin de partie subit l’impact de la présence de ces monstres : en plus des deux manières traditionnelles de la déclencher, on la provoque aussi si la pioche Léviathan ou les deux pioches de pions Monstres sont vides à la fin du tour d’un joueur, chaque adversaire pouvant rejouer une fois (sans que les Monstres aperçus au cours des explorations aient le moindre effet). Aux Points d’Influence calculés comme le stipulent les règles du jeu de base et éventuellement celles de Kraken, on déduit un point par blessure, et on en ajoute cinq au joueur ayant tué le plus de Léviathans (ce qui est représenté par le Fléau d’Abyss).

 

 

Abyss : Léviathan est donc une extension conséquente et passionnante qui bat en brèche la maîtrise que l’on pouvait avoir du jeu de base pour lui intégrer une dimension mythologique écrasante, avec ce qu’il faut de hasard à peu près contrôlé. Abyss n’est alors plus le jeu familial qu’il était, mais il s’en trouve mécaniquement plus riche, peut-être plus abouti (l’idée de la victoire automatique contre les Monstres pouvait déranger les plus pinailleurs), un peu plus impressionnant (au sens neutre et au bon sens du terme). Elle contribue indéniablement à faire d’Abyss un classique, un des jeux aimablement tactiques, les plus variés (comme le rappelle Cathala lui-même, on y trouve tout de même du développement, du stop ou encore, du combo, de la course, puis du combat), les mieux thématisés, les plus beaux et les plus mémorables que je connaisse. On se prend alors à imaginer des merveilles que Cathala, Chevallier et Collette pourraient encore nous concocter avec une extension Poséidon, une entité unique dont on pourrait solliciter les faveurs ou provoquer l’ire, ou une extension coopérative contre les créatures de la surface qui menacent l’intégrité des fonds marins…

 

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