Queendomino : les Reines dament-elle le domino aux Rois ?
Après avoir contribué à l’émergence du jeu vidéo en fondant une partie des réflexions sur le game design et la transformation d’univers narratifs en mécaniques ludiques, le jeu de société avait fini par constituer une catégorie à part, souvent cantonnée aux Monopoly et autres Cluedo. Son retour dans le domaine du « geek » n’était qu’une question de temps, surtout après son récent renouveau, qui s’est concrétisé dans des jeux plus variés, et laissant souvent plus de place au thème.
Et après Kingdomino, nous allons nous intéresser à sa « suite » officielle, ou sa version experte, Queendomino, toujours développée par Bruno Cathala (Mr. Jack, Imaginarium, 7 Wonders – Duel), toujours illustrée par son compère Cyril Bouquet (avec qui il avait également travaillé sur Okiya), toujours édité par Blue Orange.
Comme on le verra, Queendomino est pensé aussi bien comme un jeu à part entière que comme une extension à Kingdomino, un an exactement après la sortie de ce jeu acclamé, et presque un an avant la nouvelle extension Age of Giants. Alors que Kingdomino avait précisément été apprécié pour son efficacité dans la simplicité, une variante plus complexe, comportant davantage de mécaniques et de subtilités, se justifie-t-elle ?
Queendomino est assez logiquement disponible pour une dizaine d’euros de plus que son pendant masculin, soit une trentaine d’euros, pour des parties plus longues, d’environ 25 minutes, tout en restant jouable de deux à quatre personnes.
Un jeu de dominos… mais plus seulement
Il suffit de regarder la boîte pour comprendre que Queendomino n’est pas qu’une extension pour Kingdomino : plus grande, elle comporte également bien plus de matériel que les tuiles, pions Seigneur et Châteaux du jeu original. C’est que les Rois se contentaient de construire le plus grand Royaume possible, quand les Reines se préoccupent de surcroît de le faire vivre et fructifier.
Le cœur de jeu est naturellement le même : on dispose en début de partie quatre dominos devant les joueurs, dans l’ordre croissant, puis ceux-ci placent leur Roi sur l’un des dominos. Puis le joueur placé sur le premier domino l’utilise pour étendre son domaine en respectant les règles de connexion (forêt contre forêt, champ contre champ…), avant de placer son pion Roi sur un domino de la nouvelle ligne de quatre dominos. Petite nuance par rapport à Kingdomino, on utilise tous les dominos quel que soit le nombre de joueurs, de sorte qu’on joue toujours à trois ou quatre avec des Royaumes de cinq tuiles sur cinq, mais qu’à deux on ne joue plus qu’en sept tuiles sur sept, et on en place toujours quatre face révélée, même à trois joueurs (auquel cas le domino non choisi est défaussé à chaque tour).
Cependant, au début de la partie, on place également le plateau Bâtisseurs au centre de la table. Sur le premier emplacement, on dispose la pile de tuiles Bâtiments face révélée, et sur les autres emplacements on étale six Bâtiments, dont l’achat sera possible pour le montant indiqué en-dessous de l’emplacement, de zéro à cinq pièces (de sorte que leur coût est déterminé aléatoirement, ne dépendant pas du bâtiment choisi, mais de l’emplacement où le hasard l’a placé). Ce plateau comporte également une case Grotte, où se trouve le jeton Dragon, tandis que le jeton Reine est posé à côté de l’autre côté du plateau. En plus de sa tuile Royaume et de son Roi (ou de ses deux Rois à deux joueurs), chaque joueur commence la partie avec sept pièces et un pion Chevalier.
Le message est clair : à un principe de base similaire (le jeu de dominos), Queendomino ajoute des mécaniques de jeu variées, relevant dans une certaine mesure du jeu de pose de meeples et du jeu de gestion. Cathala n’a cependant pas le désir de transformer Kingdomino en Wendake : comme on va le voir, ces additions sont pensées comme un pur enrichissement.
Des dominos, des villes et des dragons
En effet, les joueurs sont potentiellement libres d’ignorer toutes ces additions pour jouer à Queendomino comme ils jouaient à Kingdomino, les nouvelles mécaniques correspondant toutes à des étapes facultatives du tour de chaque joueur. Ce serait évidemment une idée curieuse, mais si cela peut en rassurer certains… Qu’il soit en tout cas bien clair que malgré l’impression sans doute donnée par la multiplication de pièces de matériel de natures différentes, Cathala a naturellement pris garde à ce que tout soit aussi clair que possible.
Après avoir sélectionné et posé un domino, un joueur peut désormais réaliser trois actions supplémentaires. La première consiste à percevoir l’impôt en plaçant un ou deux pions Chevalier sur l’une des deux cases du domino qu’il vient de placer, et de percevoir une pièce par case du Domaine ainsi constitué. Le chevalier demeurant sur cette case jusqu’à la fin de la partie, il va de soi qu’il est déconseillé pour les joueurs d’en passer par cette phase trop vite dans le jeu, d’autant que l’extension a posteriori du Domaine où se trouve le Chevalier ne rapporte rien. Bien sûr il sera possible d’obtenir d’autres Chevaliers, mais ce n’est pas certain, et dans le doute, autant le garder pour un moment où l’argent commencera à manquer (ou un moment où l’on étend un domaine particulièrement étendu).
Ensuite, le joueur peut construire un Bâtiment, à la condition de posséder dans son Royaume (y compris sur une tuile qu’il vient de poser) une case « chantier » (rouge, une couleur absente de Kingdomino). Il choisir alors un Bâtiment du plateau Bâtisseurs, paye la somme requise, et le pose sur la case Chantier. Ce n’est que lorsque tous les joueurs ont joué que l’on fournit à nouveau le plateau Bâtisseurs avec les Bâtiments de la pile. Queendomino comprend dix-sept Bâtiments différents, procurant autant d’avantages. Beaucoup accordent un bénéfice immédiat, comme une Tour ou un Chevalier. Le Coffre-fort rapporte en cours de partie une pièce de plus par Chevalier que vous possédez, ou une pièce par Tour, à chaque fois que vous prélevez l’impôt. Tous les Bâtiments rapportent enfin des points de victoire, fixes, ou en fonction du nombre de domaines d’un certain type que vous possédez.
Un détail qu peut évidemment changer toute votre stratégie : si vous acquérez par exemple la Poissonnerie, vous gagnerez en fin de partie deux points par Domaine maritime dans votre Royaume. Alors que le jeu favorise ordinairement la taille des domaines, vous aurez alors intérêt à disséminer autant que possible vos Domaines maritimes afin de remporter le plus de points possible. Cela peut également s’avérer un point fort quand vous commencez à comprendre que votre Royaume sera finalement moins harmonieux que vous ne l’aviez premièrement rêvé…
Enfin, le joueur peut soudoyer le Dragon, qui contre une pièce détruira un Bâtiment du plateau Bâtisseurs, le rendant définitivement inaccessible aux autres joueurs. Une bonne manière de les empêcher d’accéder à un puissant Bâtiment qui les favoriserait excessivement, mais dont l’usage reste limité : on ne peut invoquer le Dragon qu’une fois par tour de tous les joueurs, et le Dragon n’apparaît pas si la Reine se trouve dans votre Royaume.
C’est que le joueur visité par la Reine est déjà trop avantagé pour avoir de surcroît le droit d’en appeler au Dragon (et il est trop dangereux pour lui de faire appel à une créature qui pourrait voir la Reine et constituer une menace), étant donné que la Reine est toujours présente dans le Royaume où s’élèvent le plus de Tours, et qu’elle encourage la construction des Bâtiments, dont le coût est réduit d’une pièce tant qu’elle est présente. En fin de partie, le dernier joueur à avoir construit le plus de Tours l’accueille dans son plus grand domaine, auquel elle ajoute une Couronne. Il y a donc tout intérêt à la séduire assez bien pour qu’elle demeure, ce qui en fait l’objet de toutes les rivalités…
Variantes Royal Wedding
Quand vous possédez à la fois Kingdomino et Queendomino, vous pouvez jouer aux trois variantes Royal Wedding. Toutes trois s’appuient sur la même base, à savoir que vous placerez alternativement une ligne de dominos issue de Kingdomino et une ligne issue de Queendomino (leur dos sont différents, vous n’aurez donc aucune peine à les distinguer).
La première variante permet enfin à trois ou quatre joueurs d’avoir accès à suffisamment de dominos pour créer eux aussi des Royaumes de sept tuiles par sept, tandis que vous pourrez inviter deux joueurs de plus à vous rejoindre (donc jouer à cinq ou six) avec des Royaumes de cinq tuiles par cinq, avec une ligne de huit dominos à chaque tour (en défaussant les dominos non sélectionnés) !
Enfin, la troisième variante permet de jouer en trois ou quatre équipes de deux (donc potentiellement de jouer jusqu’à huit). Chaque joueur possède un Roi d’une couleur distincte (Cathala a bien pris garde que les pions Roi de Queendomino ne soient pas de la même couleur que ceux de Kingdomino), mais les équipes partagent un Royaume limité à sept tuiles par sept, un seul Chevalier et une réserve commune de sept pièces.
Les règles précisent qu’il est conseillé aux coéquipiers d’être assis côte à côte, pour pouvoir discuter de leur stratégie et même simplement pour avoir leur Royaume directement sous les yeux, sans préciser s’ils jouent l’un après l’autre ou si un joueur de chaque équipe joue, puis l’autre joueur de chaque équipe. Dans tous les cas, en cas de désaccord au sein d’une équipe sur la manière de jouer, c’est au joueur dont c’est le tour de décider librement de l’usage des biens communs.
Je dois confesser n’avoir personnellement pas trouvé tout le plaisir escompté à cette variante en équipes, parce que le désaccord au sein d’une équipe s’avère généralement très nuisible, quand la concorde n’a pas beaucoup plus d’intérêt que si l’on jouait seul. La véritable variation vient bien sûr du partage des ressources plutôt que de la constitution du Royaume, mais il y a manqué une certaine saveur dont je suis sûr que d’autres joueurs la trouveront. Difficile en tout cas de ne pas apprécier l’effort de Bruno Cathala pour introduire astucieusement des variantes aussi substantielles par des altérations si minimes des règles.
Les Reines plus fortes que les Rois ?
Queendomino a pour premier mérite son positionnement clair. Ni extension ni redite, il représente un jeu bien distinct de Kingdomino tout en possédant le même cœur de gameplay. On aurait tôt fait de le percevoir comme sa « version experte » : même si les règles en demeurent très simples, l’élaboration d’un Royaume optimal, et la réflexion sur les scores au cours de la partie s’avère naturellement plus complexe. Il est ainsi intéressant de le percevoir comme une variation sur Kingdomino invitant à alterner les parties (et donc les plaisirs) de l’un et de l’autre, tous deux paraissant parfaitement complémentaires, dans le désir de l’un de garantir la simplicité, et de l’autre de favoriser la gestion, même si je dois confesser une préférence personnelle pour Queendomino, dont la part tactique est superbement rehaussée par la fraîcheur des illustrations pour une expérience profondément agréable. Ainsi l’existence de Queendomino est-elle pleinement justifiée, ses caractéristiques propres étant assez substantielles pour que la question ne se pose même pas, et il faut admettre qu’avec cette gamme Bruno Cathala a eu une idée royale !
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