Okiya : chez Bruno Cathala, les geishas jouent au Morpion

 

Après avoir contribué à l’émergence du jeu vidéo en fondant une partie des réflexions sur le game design et la transformation d’univers narratifs en mécaniques ludiques, le jeu de société avait fini par constituer une catégorie à part, souvent cantonnée aux Monopoly et autres Cluedo. Son retour dans le domaine du « geek » n’était qu’une question de temps, surtout après son récent renouveau, qui s’est concrétisé dans des jeux plus variés, et laissant souvent plus de place au thème.

À l’occasion du test de Kingdomino, nous avions évoqué les œuvres de commande que Bruno Cathala (Imaginarium, Seven Wonders – Duel, Mr. Jack) avait réalisées pour le Grand Massif Domaine Skiable. Or si la réalisation de K-Do-mino’z lui avait inspiré Kingdomino, c’est dans l’autre sens qu’il avait créé Kizz-Kizz, en adaptant une de ses productions antérieures, le classique Okiya.

Comme Kingdomino, Okiya est édité par Blue Orange (après l’absorption de Jactalea, qui avait initialement édité le jeu), et illustré par Cyril Bouquet, mais là où Kingdomino lissait dans son univers médiéval les choix graphiques trop prononcés de K-Do-mino’z, Okiya se distingue par le soin thématique dont il a bénéficié, les okiya étant des maisons de geisha.

Okiya se pratique à deux joueurs, pour des parties d’une dizaine de minutes à peine, et à partir de huit ans. A-t-il, dans sa simplicité, la force d’un classique instantané comme Kingdomino ?

Okiya contenu

Les geishas jouent au Morpion

Quand deux okiyas se disputent les faveurs de l’Empereur, elles peuvent entrer en rivalité ouverte, et mettre fin au règne l’une de l’autre par la corruption, la débauche, la trahison et les luttes d’influence. Ou elles peuvent plus poétiquement et plus directement demander directement ses faveurs, en montrant leur beauté dans le Jardin Impérial.

Ce Jardin est représenté par un quadrillage de quatre dalles sur quatre, soit seize en tout. L’okiya qui remportera la victoire sera celle qui parviendra à aligner quatre de ses geishas, à la verticale, à l’horizontale ou en diagonale, ou à les disposer en carré de deux geishas sur deux. Selon le principe du Morpion, du Moulin et de tant de jeux similaires, chacune pose une geisha à tour de rôle.

La subtilité vient cette fois du fait que le Jardin n’est pas anodin (il n’est pas « Impérial » pour rien) : chacun de ses seize emplacements est occupé par un type de végétation (iris, cerisier, pin, érable), sous le soleil, sous la pluie, associé à un oiseau, ou à laquelle est accrochée un tanzaku (une petite carte sur laquelle figure un poème). Chaque symbole apparaît donc à quatre reprises.

La première okiya place une geisha sur un emplacement de son choix sur la bordure du Jardin, à la place de la dalle qu’elle place sur le côté. Puis l’autre okiya place une geisha sur un emplacement de son choix, à la condition qu’y figure l’un des deux symboles représentés sur la dalle ôtée. Puis elle ôte la dalle choisie pour sa geisha, à laquelle la première okiya devra se conformer, et ainsi de suite, jusqu’à la victoire de l’une ou de l’autre. Si une okiya ne peut plus jouer parce que les symboles demandés n’existent plus, elle perd.

Okiya partieSi vos premières parties seront probablement dictées par une importante part de chance ponctuée d’instants de réflexion tactique, vous vous apercevrez vite que derrière des apparences fort simples (justifiant même une adaptation dans un jeu pour enfants) se cache en fait un jeu entièrement tactique.

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D’une part, Okiya ne comporte que seize dalles (on utilise à chaque partie toutes celles de la boîte) de sorte que les mêmes reviendront à chaque partie, dans un ordre aléatoire. D’autre part, la règle des symboles fait que vous pourrez très vite anticiper les actions de votre adversaire en fonction de la stratégie que la position de ses geishas trahit, au point de découvrir l’issue inéluctable plusieurs tours avant la fin.

Il fallait sans doute un technicien de génie comme Bruno Cathala pour inspirer le sentiment de réfléchir comme aux échecs dans un jeu de pose de 16 tuiles, aux interactions évidemment autrement plus limitées qu’aux échecs. Surtout, Okiya procure le même sentiment de satisfaction, parce que l’on sait, quand on perd, que c’est par défaut d’observation, et que l’on a d’emblée envie de refaire une partie en se jurant de prêter davantage garde aux symboles.

 

Okiya tuile 1

 

C’est pourquoi Cathala suggère un mode de jeu particulier : vous pourrez jouer en manches (certes) en comptant à la fin de chacune le nombre d’emplacements encore intacts dans le Jardin (donc non recouverts par des geishas), qui vous donnera le même nombre de points. Vous contrez ainsi l’absoluité du schéma Victoire/Défaite avec une variante vous imposant de gagner vite pour optimiser votre score, et donc de jouer sans rien laisser au hasard.

Mais Okiya ce n’est pas qu’un jeu diaboliquement tactique, s’il est aussi envoûtant c’est aussi pour le profond respect de la culture japonaise qui a guidé sa conception autant que ses illustrations. Outre le thème qui donne son nom au jeu, Okiya a été inspiré à Bruno Cathala par le hanafuda (« le jeu des fleurs ») un jeu de cartes traditionnel japonais, qui peut être utilisé avec des règles différentes, consistant en douze séries de symboles (une par saison), et représentant également bandeaux rogues, oiseaux, pins, iris, cerisiers, érables, dans un style épuré qu’a évidemment pastiché Cyril Bouquet.https://fr.wikipedia.org/wiki/Hanafuda

Petite touche d’admission humble du modèle, les quatre tanzaku portent chacun un vers, et les quatre vers mis bout à bout formant un petit poème, à l’imitation d’un haïku, dont la tonalité est supposée varier selon le sens dans lequel ils sont lus.

 

Okiya Jardin

Un petit jeu Bruno Cathala

Okiya est un petit jeu Bruno Cathala, certainement pas un petit Bruno Cathala, et c’est tout dire. C’est son Morpion, un jeu de placement d’autant plus efficace qu’il a toutes les allures d’un jeu sans prétentions, avec les quinze euros que coûte sa petite boîte, comme il est justement envoûtant par son art de l’épure, et auquel on joue et on rejoue sans regarder le temps passer.

 

Okiya tuile 2

 

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