Margraves de Valeria – Le meilleur jeu de placement d’ouvriers ?
La blogueuse Ludigurl demandait dernièrement à plusieurs critiques socio ludiques quel était leur jeu de placement d’ouvriers préféré. Comme vous pourrez le lire ici, Margraves de Valeria m’est apparu comme une évidence. Ce n’est pas qu’il serait nécessairement « meilleur » qu’un Maraudeurs de Midgard, Gugong ou Pillards de la Mer du Nord, mais à un tel niveau d’excellence, il devient difficile de définir un unique « favori absolu », et mes nombreuses parties de Margraves ces dernières semaines lui ont au moins permis de rejoindre ce top sans aucune hésitation, et d’en faire l’un des meilleurs jeux pratiqués récemment, tous genres confondus.
J’ai ainsi le très grand plaisir de lui décerner le VG Award, une récompense que n’avaient jusque-là obtenus que Roll Player, Mystic Vale et La Vallée des Marchands (notamment grâce à l’apport de Collection), dont j’expliquais ici la démarche de fuir le « coup de cœur permanent » pour ne distinguer que très rarement des jeux m’ayant tellement conquis que je veux croire que leur exceptionnalité mérite de retenir l’attention de tout ludiste.
Margraves de Valeria est donc le cinquième jeu situé dans l’univers de Valeria (après Villages, Quests, Corsairs et Card Kingdoms, avant le très prometteur Shadow Kingdoms), une série que l’on rapproche souvent des Shem Phillips (Pillards/Paladins/Architectes/Vicomtes/Exporateurs de la Mer/du Royaume de l’Ouest/du Nord) pour son idée d’un univers medieval–fantasy décliné sur plusieurs titres et tous illustrés par le formidable artiste macédonien Mihajlo « The Mico » Dimitrievski (Claim, Coloma, Pour une Poignée de Meeples, Dig your way out), à cette différence près (bien que légère après tant de points communs) qu’ils revendiquent une plus grande différence mécanique, tout en s’appuyant sur une iconographie similaire et en étant conçus (pour la plupart) par le même Isaias Vallejo, au sein de sa maison d’édition Daily Magic Games.
Localisé par les incontournables Lucky Duck Games (L’Île des chats, Chronicles of Crime, Vikings gone wild, Tang Garden, Les Petites Bourgades, La Forêt des frères Grimm, bientôt les tant attendus Kingdom Rush et Time of Legends: Destinies), Margraves de Valeria est disponible en précommande sur leur site pour 40 euros (un prix que l’on aurait aisément cru plus élevé après avoir vu son matériel), pour une livraison fin juillet.
S’il sera bien entendu disponible ensuite en boutiques, ce n’est que sur ce site et en quantité limitée que l’on aura accès aux pièces d’or en métal, à la variante solo, au pack de 12 nouveaux événements, à celui de 8 nouveaux citoyens (4 en deux exemplaires), à celui de 5 nouveaux citoyens de départ, à celui de 4 nouveaux monstres, à celui de 4 nouveaux dragons, ainsi qu’à deux packs destinés au jeu Valeria le Royaume, celui comportant 7 cartes Gnoll et celui comportant 5 cartes Margraves. L’ensemble (y compris les pièces en métal) peut être obtenu pour 69 euros 90 au lieu de 76 euros 90, tant que ces éléments exclusifs sont disponibles.
Margraves de Valeria s’adresse à 2 à 5 margraves de 12 ans et plus pour des parties d’une heure et demie environ. Notez que nous présenterons également en fin d’article son mode solo !
Les frontières de Valeria
Des margraves à Valeria ?
Un margrave, c’est étymologiquement un « comte de la marche », et l’équivalent germanique de notre « marquis », c’est-à-dire un aristocrate auquel on confiait traditionnellement (avant que cela devienne un pur titre de noblesse sans responsabilité militaire afférente) une « marche » du Royaume, un territoire frontalier, afin d’éviter que les armées ennemies ne fassent affront à sa suzeraineté en la « montant ».
Aussi Margraves de Valeria nous place-t-il logiquement à une frontière du Royaume de Valeria, où des monstres sèment le trouble. La Reine ordonne alors à plusieurs margraves de maisons rivales d’escorter des Artisans-Conjureurs dans plusieurs zones stratégiques afin d’y construire des Tours de Conjuration propres à éloigner le fléau.
Mais les margraves ont aussi tout intérêt à assurer « l’après », à consolider leur puissance et leur prestige pendant leur mission afin de ne pas sortir de la crise avec des applaudissements, des médailles digitales ou la fierté du travail accompli pour toute récompense. Quoi de mieux alors que de prêter oreille aux très influentes guildes des artisans, des soldats, des ombres et des saints, dans des magouilles politiques dont elles ont après tout autant de bénéfices à retirer que vous ?
Une installation ample mais intuitive
Cette région frontalière est d’abord matérialisée par un large plateau vertical, aux quatre coins duquel on place les gemmes, la pierre, le bois et la magie en fonction du nombre de joueurs – dans des quantités précisées sur le plateau de jeu, une manière bienvenue de dispenser tout retour aux règles sans prendre le pas sur les illustrations, puisque ces indications sont assez réduites. Au centre, on place la réserve de pièces d’or.
Moi qui ai l’habitude de mélanger les ressources de façon un peu chaotique dans un dice tray à côté du plateau, je recommanderais ici (comme pour Destin de voleur récemment) d’empiler proprement ces jetons où on nous le demande. D’abord pour épargner au plateau un envahissement peu esthétique, ensuite parce que cette répartition des jetons fait sens thématiquement, chaque coin étant associé à la production ou à l’acheminement de la ressource correspondante.
De même, quatre repaires de monstres séparent les villes du royaume, l’une dans la montagne, une autre dans les ruines, une autre encore dans la forêt, la dernière dans les collines. Sur chacun de ces emplacements on empile aléatoirement les quatre monstres associés, seul le premier étant face visible. Puis sous ces quatre pioches de quatre cartes, on place la carte Repaire, et en-dessous encore, le chef des monstres des lieux.
Enfin chacune des huit villes est occupée par un meeple Chevalier (gris), le navire de chaque joueur (donc blanc, bleu, rouge, violet ou jaune, selon la couleur choisie pour le symboliser) est posé sur le segment inférieur de la piste navale et le meeple Margrave de chacun est posé sur la ville de Shilina.
Il est alors temps de préparer le plateau de suivi :
- Les 12 chevaliers restants trouvent leur place dans la forteresse.
- Les joueurs posent un de leurs marqueurs Influence au début de la piste de chacune des quatre guildes.
- Ces pistes sont coupées par des rivières, sous lesquelles on place des tuiles Privilège I puis II, ainsi que les deux piles avec les tuiles restantes.
- Au-dessus de cinq emplacements plateau de suivi représentant des prix de 2 à 6 pièces, on dévoile cinq cartes Citoyens, la pile avec les cartes restantes étant placée à leur droite.
Il manque bien sûr… les plateaux personnels, où chacun place une gemme et ses quatre tours de conjuration, tandis que son marqueur Force se fiche au-dessus de la case 0 de la piste de force.
On récupère également un petit donjon tridimensionnel (au montage… curieux pour le moins, et en fait dispensable si vous craignez légitimement d’abîmer le matériel en le réalisant) et les 4 cartes Citoyen de départ, les mêmes pour tous, constituant d’emblée notre main.
Il ne reste qu’à piocher 4 tuiles de richesse que l’on drafte (on en choisit une, on fait passer les autres à son voisin, etc.) jusqu’à ne plus en avoir que 3, et à les révéler simultanément pour récupérer ce qui y est représenté avant de les défausser : avancement de marqueur de force ou de guilde, gain d’or, de ressources, de chevaliers, de tuiles Privilège… Les explications (dispensables) sur ces tuiles sont maladroitement présentes… page 10, soit à l’antépénultième page du manuel, APRÈS les conditions de fin de partie et les consignes de calcul des scores, et commençant par une phrase qui aurait dû se trouver dans la section supérieure.
Une bizarrerie de la VO qui n’a pas été arrangée par une erreur d’inattention lors de la mise en page de la VF, et que l’on constatera heureusement avec plus d’amusement que de gêne tant ce qui est dit relève de l’évidence.
Et « c’est tout », ce qui peut légitimement paraître un peu ironique… Pourtant, si vous avez bien lu, vous vous êtes aperçus qu’après la première partie, il ne serait plus du tout utile de se reporter à la section « Mise en place » du manuel de règles puisque chaque élément trouve une place parfaitement logique sur un plateau. En outre, si la table est bien occupée, on n’est pas confronté à un déferlement matériel sans queue ni tête étant donné… que tout se trouve sur un plateau ou à côté, sur un emplacement indiqué par le plateau.
Ainsi pourrez-vous très bien installer Margraves de Valeria en cinq minutes, aidés par des règles de mise en place condensées en deux pages face à face, liste du matériel et illustrations (sommaires mais claires) comprises ainsi que le compartimentage de la boîte à l’aide de blocs de mousse, posés au-dessus des plateaux pour séparer les différents types de jetons, marqueurs et cartes. Ce n’est pas un rangement optimal, mais la proposition est agréable. Après tout, combien a-t-on vu de jeux de placement d’ouvriers ne cherchant simplement aucune solution de rangement ?
Pour le Royaume (et pour sa maison) !
Une seule carte et tant à faire !
Un tour de jeu de Margraves de Valeria consiste simplement à jouer une carte de sa main. Avec mille conséquences et implications évidemment, mais cela aide grandement à appréhender un jeu par lequel on peut se sentir d’abord écrasé, puis à admirer cette ambitieuse épure.
Une carte peut être jouée de quatre manières.
Face visible pour son action de fanion (dépeinte par une série de pictogrammes dans son coin supérieur gauche), qui octroie or (les pièces sont placées dans le donjon), force (dans la limite des 8 coches du plateau personnel), ou ressources – dans la limite des 12 emplacements du plateau personnel, chacun ne pouvant accueillir qu’une seule ressource, gemme, tour de conjuration ou chevalier, mais il est possible à tout moment de défausser une ressource, une gemme ou un chevalier (pas une tour) afin de libérer un emplacement.
Il faudra également, pour gagner une gemme ou une ressource, qu’elle soit disponible sur le plateau, sans quoi on ne gagnera rien… Ainsi un gain qui pourrait sembler assez anodin peut-il considérablement gagner en attractivité quand les ressources se raréfient, afin de s’assurer d’en posséder pour la suite ou de s’assurer qu’un adversaire n’en possédera pas pour ce qu’il paraît vouloir faire.
Cette action de fanion peut également représenter le déplacement du margrave vers un lieu adjacent (relié au lieu où il se trouvait par une route blanche) et l’activation du pouvoir de ce nouveau lieu : gain de force, de gemme, de ressources, recrutement d’une carte Citoyen au-dessus du plateau de suivi pour sa main, défausse de ressources pour avancer d’autant de cases sur la piste navale et gagner l’or, les tuiles Privilège (dont certaines peuvent être dépensées quand on le souhaite pour gagner ce qu’elles représentent et d’autres valent des PV en fin de partie) et les points d’influence apparaissant sur les cases traversées. On peut aussi renoncer au pouvoir du lieu (parce qu’il ne nous intéresse pas ou qu’on ne peut pas y faire appel) et gagner deux pièces.
L’action de fanion permet enfin de déployer ou déplacer un chevalier, soit en posant sur le lieu occupé par le margrave un chevalier de sa réserve pour en activer l’effet, soit en déplaçant un chevalier présent sur le lieu où se trouve notre margrave vers un lieu adjacent pour en activer l’effet. Si l’on ne peut évidemment poser de chevalier que de sa propre réserve, une fois qu’ils se trouvent sur le plateau, rien ne permet de distinguer ceux que l’on a posés et ceux posés par les adversaires.
C’est que les chevaliers n’appartiennent pas aux margraves mais au Royaume, et suivent donc tout margrave leur en donnant l’ordre. Ils constituent ainsi un très joli moteur d’interaction non-agressive, étant donné que l’on tâchera naturellement d’exploiter les chevaliers posés par les autres en évitant de leur donner accès à ceux que l’on poserait soi-même.
Notez que cette action de fanion dépend de la guilde à laquelle appartient le citoyen, puisque l’on retrouve systématiquement la même action (ou plutôt série de trois actions) quel que soit le citoyen d’une même guilde. Il pourra ainsi paraître avisé de diversifier ses citoyens afin de bénéficier d’actions plus variées, ou parfois au contraire de se spécialiser dans une guilde afin de pouvoir faire davantage appel au même pouvoir, tandis que l’on se souciera souvent avant tout de leur texte.
La deuxième manière de jouer une carte concerne en effet le texte apparaissant au bas de la carte, sous son nom. On reconnaît la plupart des effets : gain de ressources, d’or, de force, de chevaliers et de gemmes, recrutement de nouveaux citoyens, déplacement de chevalier ou du margrave, mais on constatera également que plusieurs citoyens partagent une partie de leurs avantages avec les adversaires, comme le Nécromancien permettant à chacun (en commençant par son propriétaire) de payer 1 or pour gagner 1 magie, ou l’Artificière grâce à laquelle tout adversaire peut nous payer 2 or pour gagner 1 force et 1 pierre.
Ces textes sont toujours simples et courts. Aussi s’étonnera-t-on qu’ils ne soient pas remplacés par de purs pictogrammes, dotant Margraves de Valeria du bel avantage d’être non-textuel. Mais symboliser toutes ces petites nuances aurait peut-être alourdi considérablement la grammaire pictographique du jeu alors qu’elle était admirablement simple avant cela, de sorte que j’imagine volontiers que cela a été envisagé avant d’être rejeté au profit de quelques lignes aussi synthétiques et lisibles que possible.
La grande nouveauté est la possibilité octroyée par de nombreuses cartes de terrasser le monstre au sommet d’une pile avec la margrave présent sur un lieu adjacent (connecté au repaire par un chemin marron). Il faut alors dépenser la magie et la force indiquée sur la carte Monstre. Afin de gagner davantage de force, on peut défausser des chevaliers se trouvant sur le même lieu que notre margrave ou sur notre plateau personnel et les placer dans les tombeaux héroïques du plateau de suivi (on y revient). On gagne alors l’influence, les ressources et l’or figurant sur la carte, ensuite placée en-dessous de son repaire.
Les deux autres manières d’utiliser ses cartes apparaissent sur le plateau personnel.
La première est obligatoire s’il ne nous reste qu’une carte dans notre main et facultative sinon, c’est le pouvoir de rappel : on retire alors de la partie une carte au choix de la ligne de citoyens au-dessus du plateau de suivi, on reprend en main toutes les cartes Citoyen posées aux tours précédents, et on peut dépenser de l’or pour acheter une carte Citoyen et la placer dans notre main. Une action précieuse dont on prendra pourtant garde de ne pas abuser quand on peut s’en passer, parce qu’elle implique tout de même de renoncer aux nombreux effets d’une carte posée pour ses pouvoirs.
Margraves de Valeria ne cède ainsi pas aux sirènes du deck-building mais préfère une gestion de main d’une pureté que je ne crois pas avoir déjà expérimentée. Avec le rappel, vous récupérez ainsi l’intégralité de vos cartes de départ et acquises entretemps, que vous rejouez l’une après l’autre jusqu’au prochain rappel. Pas de surprise de la pioche, et en fait même pas de « carte faible » dont on voudrait se débarrasser puisque la diversité de manières d’employer chacune d’elles les rend toutes diversement intéressantes.
S’il s’agit enfin du seul élément qui ne soit pas visible de tous… il n’y a pas tant d’incidence que cela à ignorer ce que les autres ont en main, et j’aime imaginer que c’est plutôt pour cela qu’elles sont cachées et pas posées face visible devant soi afin de ne pas être inutilement distrait par de vaines conjectures. Après tout, il est assez aisé de retenir ce que les autres peuvent encore avoir en main à partir des cartes de départ, identiques pour tous donc connues, dans leur défausse, et acquises publiquement.
La deuxième est le pouvoir de construction : il faut défausser 1 pierre, 1 bois, 1 magie et 1 gemme pour placer une tour de conjuration sur l’une des trois cases du lieu où se trouve notre margrave, à condition que l’une des trois soit libre et qu’aucune ne soit occupée par une autre de nos tours. On gagne aussitôt ce qui était représenté sur la case (ressources, or, influence, tuile Privilège) ainsi que trois points d’influence.
La construction d’une tour de conjuration se prépare donc consciencieusement, particulièrement à quatre ou cinq joueurs où l’on est assuré de ne pas pouvoir en placer dans les lieux de notre choix. D’autant que le gain d’influence n’est pas tout à fait automatique : les rivières traversant les différentes pistes de guilde représentent un coût qu’il faudra payer pour chaque marqueur voulant la franchir, de 2 à 12 pièces !
On peut évidemment voir cela comme un encouragement à se spécialiser, par économie, mais il arrivera que vous gagniez de l’influence sans pouvoir/vouloir dépenser d’or, auquel cas vous avancerez des marqueurs moins intéressants vers la rivière et serez peut-être tentés de les faire traverser plus tard, et surtout chaque franchissement octroie une tuile Privilège, récompensant donc aussi une stratégie de dispersement… Comme dans Demeter ou Maracaibo, vous déciderez sans doute d’une orientation en début de partie, en restant ouvert aux opportunités qui s’ouvrent et se ferment assez régulièrement pour éventuellement bifurquer !
Fin d’un tour
Je vous parlais des tombeaux héroïques, cette grille irrégulière du plateau de suivi où l’on posait les chevaliers morts au combat. À la fin du tour, si on y a complété une ligne ou une colonne (ou les deux, voire plusieurs de chaque), on gagne les récompenses correspondantes (chevalier, points de force, d’influence, or, ressources). Si tous les emplacements sont occupés, on remet tous les chevaliers dans la réserve, puis un chevalier sur chaque lieu où il n’y en aurait aucun.
Vous l’aurez compris, tant qu’il reste des cases libres, on ne vide pas les tombeaux héroïques, de sorte que l’on peut profiter des héros tombés aux combats menés par nos adversaires, de même qu’ils peuvent profiter des nôtres. Un véritable mini-jeu, doté en tout cas d’une très amusante dimension « ludique », étonnamment légère et interactive en comparaison du reste de Margraves de Valeria, et qui vous forcera à repenser votre rapport aux chevaliers : pourrait-il être intéressant de se précipiter là où il y en a le plus pour tout les envoyer au casse-pipe et ainsi bénéficier des avantages de la victoire sur le monstre en plus du sourire déconfit de ceux de vos adversaires qui avaient prévu de s’appuyer dessus pour renforcer leurs actions au prochain tour ?
On re fournit également les tuiles Privilège sous le plateau de suivi, la ligne de citoyens au-dessus, et on dévoile la carte supérieure de chaque pile de monstre si l’on avait vaincu le précédent. Si l’on atteint ainsi la carte Repaire, on mélange toutes les cartes Monstre pour les placer au-dessus. Ainsi le boss, placé sous la carte Repaire lors de la mise en place, ne peut-il pas être pioché avant le premier mélange de la pile.
Il est alors temps de vérifier si une condition de fin de partie est déclenchée, et si ce n’est pas le cas, à faire jouer le margrave suivant.
Le temps des comptes
La partie de Margraves de Valeria s’achève quand un joueur a construit sa quatrième tour de conjuration, qu’il n’y a plus assez de cartes Citoyen pour re fournir la ligne au-dessus du plateau de suivi ou de tuiles Privilège pour re fournir la ligne au-dessous. La multiplication de conditions de fin de partie est toujours très appréciable dans un jeu qui risquerait de s’éterniser si les participants progressent dans des voies différentes de celle conduisant audit achèvement, et c’est bien le cas ici, où l’on y arrive inéluctablement tout en bénéficiant d’une relative latitude, et où l’on parvient heureusement à avoir une excellente visibilité sur sa proximité.
Si une condition de fin de partie est atteinte, on poursuit tout de même le tour de table afin que chacun ait bénéficié d’un même nombre d’actions avant de passer au calcul des scores.
Celui-ci tient assez de la salade de points. On peut à peu près envisager son score en réfléchissant un peu en cours de partie, mais deviner approximativement celui des autres demande une assez grande habitude, et malgré d’assez nombreuses parties, je n’en suis toujours pas à savoir déterminer qui de moi ou de mes adversaires est le plus susceptible de l’emporter – sauf écart évident, bien sûr, mais c’est assez rare.
On gagne d’abord 2 Points de Victoire (PV) par gemme, 1 par lot de 3 ressources, 1 par lot de 5 pièces.
Puis, pour chaque guilde, on compte combien on en possède d’icônes sur nos cartes, nos tuiles Privilège et les lieux où l’on a construit nos tours de conjuration, et on multiplie ce nombre d’icônes par la valeur indiquée au-dessus de notre marqueur Influence sur la piste de cette guilde.
Enfin, on observe les tuiles Privilège représentant des bannières. Pour chaque lot de 1/2/3/4 bannières différentes, on gagne 1/4/9/16 PV.
En cas d’égalité, la victoire va à celui qui possède le plus d’or.
Le margrave solitaire face aux événements
Quand on lit comment Daily Magic Games a envisagé la variante solo de Margraves de Valeria, on ne peut qu’être agréablement intrigué : revendiquant le peu d’interactions des règles multijoueurs, évidemment idéal pour un solo peu contraignant, David et Isaias disent vouloir restituer tout de même ce peu de tension lié au fait de ne pouvoir tout faire, de manquer certaines opportunités, donc les conséquences du facteur humain. Ils chercheraient ainsi à créer des règles simples, évitant surtout de nous faire « jouer pour l’IA » et multiplier les manipulations de matériel adverse (une dimension de solo que je n’aime pas du tout, cela tombe bien), et donnant pourtant accès aux mêmes réflexions stratégiques que dans les parties « normales », sans donc en faire un jeu tout à fait à part.
Que reste-t-il alors de ces bonnes intentions ?
Lors de la mise en place, les aménagements sont minimes : on ne prend que les cartes Citoyens pour deux joueurs, 15 chevaliers dans la forteresse, et les tuiles Privilège ne portant ni bannière ni symbole de guilde. Les piles de monstres ne sont constituées que de deux cartes au hasard (avec la possibilité d’intégrer un boss) et empilées de sorte que le plus faible soit tout de même au-dessus. L’or, les gemmes et les ressources sont évidemment très limitées. Puisqu’il n’y a plus de draft de tuiles Richesses de départ, on se contente d’en piocher quatre et d’en appliquer trois.
Enfin, véritable nouveauté, on fait une pioche des 16 cartes Événement solo, dont seule la première est pour l’heure face visible.
On pratique le solo de Margraves de Valeria à peu près comme le mode multijoueurs, mais en appliquant constamment la carte Événement active. L’une stipule par exemple que terrasser un monstre des collines octroie une carte de la ligne de citoyens en plus de ses récompenses normales, mais que tout affrontement coûte 2 ressources en plus de leur coût normal. Une autre permet d’envoyer des chevaliers à la manière des ressources pour une action navale, mais limite la récompense des tombeaux héroïques à 1 pièce d’or pour chaque chevalier qui y est placé, sans récompense de ligne et de colonne…
On le voit, l’intérêt est de toucher à la désirabilité de certaines actions, augmentant celle de certaines au détriment de certaines autres. Cela pourrait vous sembler aussi chaotique que dans bien des jeux recourant de même aux événements… mais c’est le joueur qui en contrôle le défilement, puisque ce n’est qu’au recrutement d’un nouveau citoyen que l’on défausse l’événement actif pour le remplacer par le suivant. Ainsi, si l’on a intérêt à ce qu’un événement reste en jeu, il suffit de ne pas acheter de nouveaux citoyens pendant un temps, un petit mal pour un grand bien, qui engendre son propre lot de tensions.
On appréciera que ces cartes portent des noms, afin de leur conférer une identité plus mémorable et un peu de sens thématique, par exemple « L’aide des habitants », « Déploiement outre-mer », « Enrôlement rural », « Peste dans la forêt »… Une diversité de titres traduisant une grande diversité d’effets, qu’il est donc toujours possible de faire tourner assez vite si cela ne nous arrange pas du tout, d’ignorer pour réaliser une action qui n’est pas concernée, de subir si vraiment on le juge avantageux, ou dont on cherchera plus souvent à profiter tant que l’on peut.
L’autre différence concerne les repaires : vaincre un monstre le retire de la partie, et vaincre les deux d’un même lieu permet de prendre la carte Repaire correspondante.
Et afin de renouveler un peu la ligne de citoyens alors qu’aucun adversaire n’est là pour la perturber, à la fin de chaque tour, on défausse la carte se trouvant éventuellement sur l’emplacement le plus à gauche.
Cela permet de fixer une contrainte de temps au solo de Margraves de Valeria, puisque la seule condition de fin de partie est précisément l’épuisement de la file de citoyens.
Le score est calculé normalement, à l’exception des points des bannières donc, remplacés par 2 PV par carte Repaire. On le compare alors à une « charte », déterminant si l’on est rétrogradé au rang d’écuyer, si la Reine saisit nos biens, si l’on s’est montré digne du titre de Margrave, si l’on est richement récompensé, ou si notre héroïsme légendaire nous permet d’hériter de la couronne. J’avoue assez aimer l’humiliation subie si l’on obtient moins de 60 points, c’est un beau moteur pour nous pousser à dépasser ce score !
Comme on peut le constater à la seule lecture des règles, le mode solo de Margraves de Valeria est très convaincant et remplit parfaitement les promesses de ses développeurs. Très dynamique, fidèle à l’essence du jeu multijoueurs, plutôt rapide à mettre en place, simple dans ses aménagements, il parvient sans aucune lourdeur à reproduire les altérations dans la désirabilité des actions, en les liant à des cartes Événement au lieu de joueurs humains, modifiant leur fonctionnement sans céder à la facilité de tout bouleverser, et remplaçant quelques considérations tactiques par de nouvelles qui leur sont assez similaires.
Souvenez-vous bien que cette variante solitaire n’est pas incluse dans la boîte de base de Margraves de Valeria mais demandera l’investissement (minime) de 5 euros supplémentaires sur le site des Lucky Duck Games, seul lieu où il sera disponible, et seulement en quantité limitée !
Margraves de Valeria, un incontournable de la pose d’ouvriers
Cinquième titre de la série des Valeria, conçu comme la plupart par Isaias Vallejo et illustré par le magistral Mihajlo « The Mico » Dimitrievski, Margraves de Valeria en est probablement le plus « expert », faisant la part belle à la pose d’ouvriers et à la gestion de main, et déversant sa lourde boîte sur un espace de jeu assez imposant.
L’impression de grande complexité est pourtant vite nuancée par le peu de variété de pictogrammes extrêmement clairs et vite assimilés, y compris pour quelqu’un qui ne les connaîtrait pas déjà grâce aux précédents Valeria, et par cette idée remarquable de limiter un tour de jeu à la pose d’une unique carte.
Or on ne possède d’abord que quatre cartes, dans une main identique à celle des autres joueurs, et si elles peuvent être utilisées de quatre façons différentes, deux seulement sont intéressantes en début de partie, simplifiant ainsi grandement la première approche de Margraves de Valeria pour l’enrichir graduellement, dans un souci assez admirable de nous épargner le désagréable sentiment d’être submergé par les possibilités, assez récurrent dans la pose d’ouvriers pour connaisseurs.
Même quand on aura accès à ces quatre manières d’utiliser ces cartes, et à toujours plus de cartes, le risque d’analysis-paralysis reste faible, parce qu’on aura déjà commencé à définir une orientation tactique dont il reste possible de bifurquer, mais que l’on aura intérêt à maintenir tant qu’elle est avantageuse, réduisant nos options sans réduire notre liberté et sans diminuer la très grande fluidité des tours.
On appréciera en outre l’absence de hasard, sinon dans l’identité des citoyens et des monstres, où elle n’est jamais contraignante puisqu’il est rare qu’aucun ne nous intéresse si on avait prévu d’en recruter ou d’en affronter un, qu’il est toujours possible d’agir autrement, et que leur renouvellement se fait face visible en fin de tour, empêchant toute mauvaise surprise – et même toute surprise.
Margraves de Valeria serait-il alors froid et répétitif ? Au contraire : si Isaias Vallejo a bien tenu à bannir l’interaction directe afin de renforcer l’agréable rigueur de son titre, il s’est cependant soucié de laisser plusieurs occasions aux joueurs d’interagir, de sorte que l’on se sent très bien exister autour de la table et que l’on scrute les actions des autres, afin de tâcher d’en profiter au mieux.
Renouvellement des citoyens et des monstres, bonus du cimetière commun de tombeaux héroïques, rivalité pour quelques emplacements de tours de conjuration, et surtout utilisation possible de tous les chevaliers sur le plateau, quel que soit le joueur les ayant posés là, on trouvera de belles occasions de se taquiner, ou d’hésiter à réaliser un mouvement qui laisserait le champ ouvert à un rival, sans jamais s’attaquer directement à lui et donc sans dimension punitive. La victoire pourra aisément se jouer à quelques interactions près, aussi indirectes et ciblées soient-elles !
Margraves de Valeria est ainsi passionnant dans tout ce qu’il offre, son accessibilité et sa richesse, sa rigueur sans hasard et ses multiples opportunités d’interaction, son multijoueurs et son solo, ses mécaniques et ses dessins, sa densité et sa fluidité, et c’est pourquoi il s’est vu décerner notre très rare VG Award !
Retrouvez la campagne de précommande de Margraves de Valeria sur le site des Lucky Duck Games, seule occasion de se procurer le mode solo ainsi que plusieurs autres packs de cartes et les pièces en métal !
sauf que Margraves n’est pas un jeu de placement d’ouvriers. C’est un card-driven avec déplacements de meeples …chevalier générant des actions sur les lieux d’arrivée…:)
Merci pour ce commentaire ! Alors l’article remonte, je ne sais plus exactement pourquoi il m’avait paru évident de le cataloguer avant tout comme Placement d’ouvriers, alors que la mécanique centrale est en effet et bien sûr la gestion de main pour un déplacement card-driven sur un plateau.
Sans doute parce que ce déplacement suit une logique de placement d’ouvriers (on déplace le Margrave, certes pas où on veut, mais tout de même assez librement, compte tenu du peu d’emplacements sur le plateau, pour activer l’effet de cet emplacement, jusqu’au « mini-jeu » des navires, assez typique du genre, qui me rappelait Gugong auquel je venais de jouer), et à cause de l’importance des chevaliers, qui ne sont pas ce à quoi on songe au premier lieu dans le pitch du jeu, mais qui m’en apparaissaient comme une des idées les plus fines et une originalité de Margraves par rapport à un Concordia par exemple, ajoutant clairement une dimension de placement d’ouvriers moins centrale et pourtant non négligeable.
Cependant, j’aurais en effet pu préciser qu’il s’agissait d’un jeu de placement d’ouvriers moins « pur » que d’autres se résumant davantage à cette mécanique, et que j’avais personnellement été très sensible à sa manière de penser cette mécanique sans que cela implique forcément que tous ses joueurs partageront mon ressenti 🙂