La Vallée des Marchands – Collection : révolution pour le deck-building anthropomorphe !
Il y a exactement un an, je vous présentais sur Vonguru un jeu qui reste l’un de mes deck-buildings préférés, La Vallée des Marchands de l’auteur/illustrateur/éditeur Sami Laakso (Snowdale Design), auquel on doit aussi l’exceptionnel Dawn of Peacemakers. Il s’agissait pourtant seulement de construire des étals de marchandises avec des animaux anthropomorphes, mais l’extrême rejouabilité du titre, renforcée par la présence de deux boîtes de 6 animaux combinables à l’envi et apportant chacun ses tactiques très spécifiques, à moduler aléatoirement ou selon les désirs des joueurs, était aussi enchanteresse que la très grande joliesse des illustrations et l’intuitivité du titre, inattendue avec cette mécanique souvent plus lourde. Or au moment où La Vallée des Marchands 2 est enfin localisé en français par Bragelonne (Culte, Magnum Opus) et où Sami Laakso commence sur KickStarter la campagne de financement participatif pour La Vallée des Marchands 3, il me semblait important de revenir sur la boîte Collection.
N’existant pour l’instant qu’en anglais, Collection a en effet pour fonction de compiler les trois boîtes (y compris celle qui n’existe pas encore) et de les enrichir considérablement, devenant un incontournable pour tout amateur de cette licence, ou un excellent point de départ pour qui ne serait pas allergique à la langue de Rob Daviau. Vendu environ 43 euros, il s’adresse toujours à 2 à 4 joueurs de 10 ans et plus pour des parties d’environ 45 minutes.
Il va de soi qu’on ne réexpliquera pas ici le fonctionnement de La Vallée des Marchands, déjà longuement détaillé dans l’article présentant ses deux premières boîtes, dont on vous recommande donc la lecture préliminaire si vous ne connaissez pas l’oeuvre si bien que cela. Rappelons seulement que la première boîte (vendue 22 euros) contenait les aras écarlates brusques, les pandas géants négociants, les ratons nordiques chapardeurs, les écureuils volants amasseurs, les ocelots chanceux et les caméléons ténébreux adaptables, quand la deuxième (vendue 23 euros) proposait les paresseux diligents au cou pâle, les crocodiles nains intimidants, les putois marbrés agités, les harfangs des neiges observateurs, les fennecs amicaux et les ornithorynques expérimentateurs. Il faut y ajouter les castors communs méthodiques, une mini-extension composée d’une seule espèce, également traduite et vendue 5 euros.
En plus d’analyser le contenu de cette Vallée des Marchands – Collection, qui est donc un expandalone (une extension aussi jouable sans aucune autre boîte), je présenterai en fin d’article la campagne KickStarter pour La Vallée des Marchands 3, conclusion de ce qui était annoncée comme une trilogie.
Et je profite de cet article… pour décerner à toute la saga le Golden VG, un trophée que nous voulons très rare afin de lui conserver toute sa valeur de distinction, et qui n’avait jusqu’ici été décerné que deux fois, à Roll Player et Mystic Vale. Un prix qui s’inscrit dans la continuité de mon amour pour le deck-building (Clank, La Vallée des Marchands, God of War, DC Comics Deck-building, Vikings gone wild, After the Virus, Star Realms, Aeon’s End, Harry Potter : Hogwarts Battle, Volfyirion, Eminent Domain, Cowboy Bebop : Space Serenade), dont La Vallée des Marchands devrait avoir l’inconvénient d’être l’un des représentants les moins narratifs… mais dont il est aussi l’un de ceux trouvant le meilleur équilibre entre accessibilité et tactique, rehaussé par sa fluidité, sa rejouabilité et sa joliesse, Collection le faisant de surcroît passer à un tout autre niveau, comme vous allez pouvoir en juger !
Entre Vallée des Marchands 2.5 et 4
Le titre Collection est trompeur, puisqu’il laisse croire que sa grande boîte ne serait conçue qu’à des fins de collection des petites boîtes précédentes. Trompeur, mais pas mensonger : vous y trouverez en effet des espaces de rangement pour toutes les cartes de La Vallée des Marchands 1 à 3, ainsi que des intercalaires pour chaque espèce et la camelote, et des emplacements dédiés aux plateaux et aux deux dés. L’animal auquel est lié chaque dé est même gravé dans le thermoformage ! En outre, un nouveau manuel de règles les récapitule toutes et liste le matériel de l’ensemble (et donc y compris de La Vallée des Marchands 3), tandis que l’on trouvera séparément un animal compendium rappelant toutes les spécificités des différentes espèces et définissant les mots-clefs.
Et avec tout cela (encore plus, oui !), un set de cartes formidable, représentant les 27 espèces, leur particularité mécanique, leur niveau de complexité, leur interactivité, leur degré de « vacherie » et leur arbitraire. L’auteur a poussé le perfectionnisme jusqu’à préciser quelles caractéristiques pouvaient être influencées par les autres espèces présentes. Ainsi apprend-on que l’interactivité, la vacherie et l’aléatoire des caméléons ténébreux adaptables, normalement fixés à 2, 0 et 1 sur 3, peuvent évidemment varier selon les autres cartes, étant donné que cette espèce peut les imiter. Parfait pour vite choisir les espèces avec lesquelles on va jouer… voire les tirer au hasard !
Sachant que vous n’avez jamais besoin de plus d’espèces que le nombre de joueurs plus un, avec 27 espèces différentes, ces cartes facilitent nettement l’appréhension des milliers de combinaisons, et leur éventuelle adaptation à notre public, tous les facteurs indiqués pouvant être plus ou moins appréciés !
En somme, tout ce que l’on attend d’une collection et mieux encore… sauf que la boîte y ajoute pas moins de 8 nouvelles espèces, c’est-à-dire plus que dans n’importe quelle boîte !
Avec les pingouins empereurs vigoureux, il s’agira de dépenser toujours plus pour profiter de toute leur puissance. « Pêche » propose par exemple de dépenser 1 pour chercher jusqu’à 3 cartes de notre défausse et les placer au sommet de notre deck.
Les tuataras opulents utilisent… de l’argent, donc de nouveaux jetons représentant des pièces d’or, et qui peuvent remplacer les cartes de notre main pour les coûts du marché et autres dépenses.
Les tortues des bois enthousiastes sont si enthousiastes qu’elles posent des cartes dans leur planning, c’est-à-dire qu’elles restent devant le joueur jusqu’à ce qu’on paye un certain coût pour en réaliser l’effet puis les replacer dans notre défausse. Il ne faut donc pas se laisser dépasser en planifiant trop d’actions que l’on ne pourrait plus payer ensuite, mais cela permet aussi de mettre de côté des cartes nous intéressant moins et qui n’encombreraient ni la main ni la pioche
Les diables de Tasmanie malicieux sont très taquins, comme leur nom l’indique. Intervertissez le deck et la défausse d’un joueur, remettez dans son deck deux cartes de sa défausse, défaussez deux cartes de la main d’un joueur pour les remplacer par deux cartes de sa défausse… Particulièrement délicieux à deux, un peu moins à plus comme vous vous en doutez.
Les mouettes à tête noire escroqueuses permettent de se débarrasser de nos cartes… dans les défausses de nos adversaires !
Les minces mangoustes énergiques utilisent une grande horloge, dont leurs cartes font tourner l’aiguille (soit volontairement soit automatiquement à chaque pose d’une carte Technique) et profitent plus ou moins de sa position dans la partie Jour ou Nuit du cadran. Une carte leur permet de piocher 1 ou 2 cartes selon que l’aiguille se trouve sur la partie Jour ou Nuit du cadran.
Les chauve-souris tombales discrètes aux longues ailes exploitent également l’horloge, pour des pouvoirs particulièrement redoutables la nuit. « Mission secrète » permet de placer dans sa main la carte du dessous de sa défausse. Pas terrible hein ? Mais la nuit, on peut à la place prendre une carte au hasard… dans la main d’un adversaire, rien que ça !
Et pour rester dans l’actualité, après la chauve-souris, les pangolins géants inconstants sont si maladroits que leur utilisation est complètement imprévisible. « Rêves maladroits » leur fait ainsi lancer leurs deux dés, le premier indiquant où ils prennent une carte (main, défausse ou deck) et où ils la replacent.
De quoi ajouter une impressionnante diversité à vos parties, ces espèces apportant comme vous le voyez leur lot de nouveautés, y compris avec du nouveau matériel. Et si je vous disais que ce n’est même pas le plus éblouissant quand vous ouvrez la boîte de La Vallée des Marchands – Collection puis son manuel de règles, que les surprises sont loin d’être finies ?
Alliances de marchands
On nous propose d’abord un nouveau mode de jeux, en équipes de 2 contre 2.
On y recourt à 4 espèces au lieu des 5 utilisées normalement à quatre joueurs.
Les marchands d’une même équipe partagent le même étalage, où ils doivent remplir dix étals pour remporter la partie. Il est tout à fait possible de contribuer à l’étal que son coéquipier est en train de remplir, à condition qu’il y apporte lui-même au moins une carte, et sachant que l’on ne refournira notre main qu’à la fin de notre tour, donc au risque de réaliser ensuite notre tour avec une main incomplète.
Pour cela, on communique bien sûr publiquement, ce qui signifie qu’une collaboration inaboutie peut donner de précieuses informations à nos adversaires. En effet, il faut bien demander à son allié s’il a X cartes de telle couleur pour compléter notre contribution si l’on veut commencer à construire un étal en comptant sur lui, impossible de coopérer sans jamais parler de ce que l’on a en main !
Ces règles paraissent naturellement toutes simples, altérant à peine le fonctionnement normal d’une partie de La Vallée des Marchands. Avoir un allié change pourtant profondément la dynamique de la plupart des espèces, dont on exploite bien plus intensivement les synergies possibles, de construction de son deck et de taquineries !
Des pièges taquins
Cette Collection prend des allures d’extension de luxe avec ses 20 cartes Piège, introduisant une toute nouvelle tension dans La Vallée des Marchands.
Chaque joueur se voit attribuer une couleur (violet, rose, bleu ou vert), qu’il pourra se remémorer avec une carte placée devant lui. Puis il mélange 1 ou 2 des 4 cartes Piège à son deck – les 4 étant identiques de couleur en couleur, de sorte que chacun possédera les mêmes pièges.
Un piège peut être utilisé pour sa valeur d’achat, entre 1 et 4, ce qui les rend particulièrement précieuses en début de partie, quand aucune autre carte ne vaut plus que 1. Il peut sinon être posé sur la défausse d’un adversaire. Dès que l’on pioche un piège appartenant à un autre, on en applique l’effet et on le repose sur son deck. Il peut s’agir :
- de faire piocher au propriétaire du piège une carte supplémentaire.
- d’octroyer 2 pièces de la banque au propriétaire du piège.
- de remplacer trois des cartes de notre main au hasard par trois cartes de notre défausse choisies par le propriétaire du piège.
- de défausser quatre cartes de notre deck.
On appréciera de pouvoir choisir une interactivité plus ou moins chafouine, ne bouleversant pas tant les parties que cela leur donne de petites accélérations, d’autant que poser un piège permet toujours de reposer une carte juste après.
L’influences des maître marchands
Enfin, 55 cartes Personnage ajoutent encore à la rejouabilité décidément infinie de La Vallée des Marchands. En effet, une seule est attribuée librement à chaque joueur en début de partie pour lui octroyer un bonus permanent. 14 personnages sont verts, 20 jaunes et 21 rouges pour indiquer une difficulté croissante à les maîtriser, et 2 (jaunes) ne sont utilisables qu’en équipes.
Non seulement ces cartes Personnage sont très grandes, favorisant naturellement l’idée qu’on les incarne, mais elles comportent également un texte narratif pouvant être très long (pour les plus simples, celles dont l’espace est le moins occupé par les nouvelles règles introduites), les intégrant pleinement à l’univers de Daimyria duquel relèvent toutes les œuvres de Sami Laakso. Bon, de temps à autre, on aurait préféré des précisions sur certains pouvoirs que de l’histoire, mais en cas de doute, l’auteur est très actif pour répondre à toutes les questions sur BGG (et y a déjà largement répondu d’ailleurs), et en l’absence d’internet, il sera facile de choisir un autre personnage.
Parmi les plus simples, Sachqar augmente notre limite de cartes en mains à 6, Inga permet une fois par tour de dépenser 3 pour piocher deux cartes et en défausser une, Hiko augmente notre limite de cartes en main de 3 ce tour-ci si, juste après avoir construit un étal, on en a autant ou moins qu’un adversaire…
Parmi les personnages de difficulté intermédiaire, le dodo Olamide arrive en jeu avec 20 pièces et 10 jetons bleus, et une fois par tour peut dépenser 2 pour défausser 1 jeton bleu, sachant qu’il ne peut pas remporter la partie tant qu’il lui en reste ne serait-ce qu’un ; ou Ariana ôte deux camelotes de son deck pour les remplacer par ses 3 cartes Tour de magie, qui octroient plus ou moins d’or, de cartes de la défausse sur le deck ou de pioche puis de défausse selon la quantité de tours de magie dans la défausse…
Parmi les personnages les plus techniques, Otendo permet de jouer des animaux de valeur 1 d’espèces qui ne sont normalement pas en jeu, Kasembo pose une fois par tour un jeton bleu sur sa carte permanente Code de conduite, que l’on ôtera au début de son prochain tour. Entre-temps, les adversaires doivent suivre la règle indiquée par le jeton, diminution de leur main s’ils construisent un étal, pose des nouvelles cartes acquises sous le deck au lieu de la défausse, dépense de 2 avant de jouer sa première carte technique.
Avec 55 pouvoirs aussi différents, influençant tous les aspects du jeu et venant parfois même avec de nouvelles cartes à mêler aux autres ou une nouvelle carte-plateau, donc influençant des aspects inédits du jeu, on s’assure qu’aucune partie de La Vallée des marchands ne ressemble plus aux autres !
La Vallée des Marchands – Collection : collectionnez-les tous, et surtout celle-là !
Le titre Collection est trompeur, laissant croire que cette boîte non numérotée de La Vallée des Marchands ne serait destinée qu’à collecter le contenu des trois petites boîtes numérotées, avec un thermoformage adapté à l’ensemble des pièces et un système d’intercalaires bienvenu, éventuellement des règles plus complètes, un récapitulatif du matériel de l’ensemble et des différentes espèces disponibles… Or cette Collection fait tout cela… et tellement davantage !
Il ne serait même pas juste d’en parler comme d’une grosse extension ou d’une boîte bonus, puisqu’elle propose un contenu plus riche que n’importe laquelle des autres, avec pas moins de huit nouvelles espèces, un mode en équipes de deux contre deux, et deux modules, les pièges et un remarquable set de 55 personnages uniques, avatars assurant un départ très asymétrique et la découverte enchanteresse de nombreuses nouvelles règles voire du matériel correspondant, ajoutant des couches tactiques inattendues à un deck-building déjà formidable, l’un de mes préférés, plus adaptable que jamais et follement rejouable.
Une merveille qui constitue l’occasion rêvée de se plonger dans l’univers de Daimyria !
La Vallée des Marchands 3 : un KS pour conclure la tri/tétralogie
Or Snowdale Design a justement lancé il y a quelques jours le KickStarter pour financer La Vallée des Marchands 3, belle occasion d’acquérir par la même occasion les boîtes précédentes. Cela n’aurait pas grand sens pour La Vallée des Marchands 1 et 2, traduits par Bragelonne et disponibles dans nos boutiques, mais aucune localisation de Collection n’est prévue, tandis que celle de la troisième boite dépendra du succès de la deuxième, et le cas échéant n’est probablement pas à espérer avant la fin d’année prochaine, puisque les commandes ne seront livrées que vers février 2021.
Vous y trouverez les varans du désert archivistes (qui maîtrisent la défausse comme personne), les lémuriens à tête blanche mécontents (qui se lassent et renouvellent très vite leurs cartes), les pies vertes comploteuses (particulièrement techniques, interactives et mesquines, elles préparent soigneusement des vols de cartes ciblés), les échidnés à nez court généreux (qui empruntent continuellement des cartes aux autres), les lièvres à raquettes superstitieux (qui utilisent un dé mais peuvent en maîtriser le résultat) et les kangourous arboricoles grisonnants équipés (qui peuvent se protéger des vacheries adverses).
N’hésitez pas à faire un tour sur la page de la campagne avant le 31 mai !