Cowboy Bebop : Space Serenade – chassez des primes dans le jeu de société officiel !

 

Commençons par confesser un crime : je ne suis pas un très grand fan de Cowboy Bebop. Bien sûr j’ai été sensible à sa mélancolie, notamment celle du long-métrage, à son ambiance, mais pour la profondeur, pour l’agréable surprise, je lui ai toujours préféré l’autre grande série de Shin’ichirō Watanabe, Samurai Champloo – sans même être plus sensible au hip-hop qu’au jazz ou aux samouraïs qu’à la science-fiction d’ailleurs. Sans me laisser pleinement emporter, impossible cependant de nier les charmes de Cowboy Bebop, sa fantaisie, l’humanité de ses personnages et notamment celle de Spike, clown au grand cœur un peu fêlé…

Bref l’annonce d’un jeu de société dans cet univers avait de quoi me séduire, mais seulement si l’on sortait du bête jeu à licence. Or voilà que les bons arguments s’accumulent en faveur de ce Cowboy Bebop : Space Serenade : conception par Florian Sireix, co-auteur d’Imaginarium, l’un de mes jeux préférés, mais aussi de Save the Meeples ou Ô Capitaine, accompagné de son compère sur L’Île de Pan Johan Benvenuto (Braintopia), édition par Don’t Panic Games (Above, et les localisations remarquées de Champions et Maraudeurs de MidgardDC Deck-Building…), recours massif aux dessins de l’anime pour habiller les cartes d’un deck-building, autrement dit ma mécanique préférée (ClankLa Vallée des MarchandsGod of WarVikings gone wildAfter the Virus, Star Realms, Aeon’s EndHarry Potter : Hogwarts BattleVolfyirionGod of War)… Il y aurait de quoi me faire écouter jusqu’au bout cette sérénade spatiale !

Vendu 45 euros (ce qui paraît cher jusqu’à ce qu’on voie le contenu de la boîte), Cowboy Bebop : Space Serenade s’adresse à 1 à 4 chasseurs de primes (idéalement quatre) de 12 ans et plus pour des parties d’environ une heure.

 

 

Le Cowboy Bebop, la Terre, Mars et Ganymède

La mise en place de Cowboy Bebop débute logiquement avec l’installation de son univers, matérialisé par trois plateaux « Planète », la Terre, Mars et… Ganymède. Oui, je sais, mais les règles admettent elles-mêmes que l’appellation abusive de « planète » est une facilité assumée. Faute avouée à demi pardonnée ? « Astre », plus correct, pouvait paraître plus vague et pompeux… Chacune porte une piste de carburant (en double-layer, une petite touche qui fait toujours assez luxueux) sur l’emplacement 1 de laquelle on pose un cube Carburant.

En orbite dans ce micro-système, le Space Bebop bien entendu. On appréciera la forme ronde des plateaux Planète tandis que le plateau représentant le vaisseau en suit les contours, quand il aurait été si facile de tout mettre sur un seul grand plateau rectangulaire. Dans le Bebop, les figurines représentant les quatre héros (Spike, Jet, Faye et Ed avec son corgi Ein), quel que soit le nombre de joueurs. Tout à fait jolies et correctement détaillées, vous leur préférerez peut-être les standees également proposés dans la boîte, tant que vous ne les aurez pas peintes. Leur ton gris peut jurer avec le graphisme plus bariolé de la série et du jeu, et proposer une solution alternative ou temporaire est tout à l’honneur de Don’t Panic.

 

 

On pose les 92 cartes Deck Commun sur le petit plateau conçu uniquement pour accueillir cette unique pile et rappeler qu’en dépensant deux carburants on peut renouveler la zone d’achat. Peut-être pas l’élément matériel le plus indispensable… mais moi qui reproche souvent à des jeux de ne pas indiquer plus d’informations sur les plateaux, exigeant le retour au manuel, j’aurais bien du mal à l’adresser ici ! Les cinq premières cartes en sont dévoilées pour constituer ladite zone d’achat.

Cowboy Bebop ne serait pas Cowboy Bebop sans criminel à arrêter. On pioche un criminel de départ (d’une valeur de 0) par planète que l’on pose sur l’astre correspondant. Chaque criminel possède une valeur de Résistance et d’Enquête, et l’on pose sur lui les jetons Capture correspondants, par exemple 2 jetons Résistance et 2 jetons Enquête sur Teddy Bomber. Un tableau nous explique ensuite comment constituer le paquet de 10/13/16 criminels à 2/3/4 joueurs, en intégrant le super-vilain Vicious aux trois dernières cartes de la pile. Ce paquet est placé sur l’écran Big Shot, encore un élément au fond dispensable offrant un autre relief à cet énième deck de cartes, mettant en valeur sa différence, contribuant à insuffler de la vie à la table.

Chaque joueur prend alors un seul plateau Héros, qui lui octroie un pouvoir particulier sur lequel on reviendra plus tard, ainsi que le même deck de base, composé de 6 cartes grises Quelques Woolongs et des quatre cartes Un peu de carburant, Une intuition, Let’s Jam et De quoi faire mal – donc de quoi fournir un peu d’argent, de carburant, de force et d’indices – aux couleurs du personnage et avec des illustrations propres, dans un louable effort de thématisation. Sur ce plateau Héros se trouve également une piste de carburant, sur l’emplacement 1 duquel est posé un jeton Carburant.

 

 

Il ne reste qu’à trouver un coin de table pour le deck Dégâts, à désigner le joueur « le plus jazzy » pour commencer la partie, à lui faire piocher 4 cartes et 5 aux autres et la partie peut commencer.

Comme beaucoup de jeux de deck-building, le plus fastidieux est de séparer, dans les decks constitués au cours de la partie, le deck de départ, les cartes Dégâts et celles acquises tout au long de sa chasse aux primes. Des symboles sont heureusement là pour nous aider dans ce travail, et le thermoformage très réussi de la boîte facilitera nettement la mise en place suivante une fois le rangement bien fait.

Avec tous les éléments qu’il mobilise, Cowboy Bebop aurait pu se contenter d’un matériel très classique, multipliant les plateaux rectangulaires et les piles de cartes à ne plus savoir qu’en faire. Au contraire ici les auteurs ont tout fait pour que le jeu soit lisible sans être sage. Les plateaux personnels eux-mêmes sont trapézoïdaux avec des proéminences, tout essaye d’avoir son « look » distinctif pour restituer un univers coloré que l’on pourrait prendre plaisir à visiter comme membre du Cowboy Bebop et où l’on pourrait prendre plaisir à se retrouver comme joueur.

 

La course aux primes

Un tour de jeu consiste à réaliser des actions jusqu’à ce que l’on souhaite arrêter ou ne puisse plus poursuivre.

L’action centrale est la pose gratuite des cartes de sa main, et le gain qui en résulte en carburant (qui fait donc remonter le marqueur Carburant sur son plateau), en woolongs (la monnaie du jeu), en force et en indices, ces trois dernières ressources étant réinitialisées à la fin de chaque tour et donc virtuelles.

Si ce gain est représenté dans le coin inférieur gauche de la carte, un autre bénéfice peut apparaître dans le coin inférieur droit dans une couleur différente de celle de la carte, et ne peut donc être obtenu que si l’on joue ce tour-ci une carte relative au héros de cette couleur. Plan d’action, une carte normalement liée à Spike, rapporte par exemple 2 woolongs si l’on a joué ou joue une carte jaune (liée à Faye), quand la carte de Jet J’ai des infos octroie 1 indice combinée avec une carte d’Ed.

C’est l’une des idées les plus originales de Cowboy Bebop que ces combos, qui incitent à diversifier son deck afin d’optimiser les effets de ses cartes. Au début, le joueur incarnant Faye n’a naturellement que des cartes jaunes et grises dans son deck, et n’a donc pas grand intérêt à se procurer des cartes octroyant une compétence intéressante combinées avec des cartes violettes, puisque même en se procurant plus tard une carte violette, il sera peut probable que les deux tombent au même tour. À moins que l’on soit régulièrement intéressé par l’effet de cartes vertes, et que cet effet d’équipe puisse alors paraître pertinent avec l’orientation de notre deck ? Une jolie manière de nous rappeler thématiquement l’importance de l’esprit d’équipe dans Cowboy Bebop, en imitant mécaniquement les meilleurs résultats obtenus par l’équipage quand il sait compter sur les forces des uns et des autres

Vous l’aurez compris, avec les woolongs, vous pouvez acheter les cartes du marché, immédiatement remplacées, vous permettant éventuellement d’acquérir la carte remplaçant celle que vous venez de prendre. Comme souvent dans un deck-building, les cartes achetées sont placées dans la défausse, qui constituera le nouveau deck quand notre pile de pioche sera vide. Notez que Cowboy Bebop permet assez souvent de retirer des cartes de sa main ou de sa défausse, c’est-à-dire de les exclure définitivement du jeu, afin de s’assurer de ne plus piocher de cartes faibles ou ne collant plus à la stratégie actuelle passé un certain stade de développement du deck.

 

 

Chaque personnage dispose de deux pouvoirs, qu’il peut également utiliser pendant son tour. Faye a ainsi la capacité de vendre 2 carburants pour 1 woolong ou de dépenser X carburants pour récupérer au marché une carte valant X. Spike dépense 3 carburants pour piocher une carte, que l’on peut encore défausser pour en piocher une nouvelle, ou dépense 5 carburants pour acheter une carte pour son coût minoré de 2 woolongs, et la placer au-dessus de son deck… En outre, si l’on se trouve sur le même lieu qu’un autre personnage, on peut utiliser sa première capacité uniquement.

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Vous comprenez mieux l’intérêt de disposer pour chaque partie des 4 héros bien que 2 ou 3 joueurs ne les incarnent pas tous : ceux qui ne sont pas joués peuvent être déplacés grâce à divers effets, et mettent alors à disposition leur pouvoir assez puissant. On appréciera que chaque plateau individuel indique sous forme pictographique (et assez claire) les deux pouvoirs de son héros et le premier pouvoir des autres, encore le signe d’un game design soigné.

On peut en effet déplacer sa figurine sur n’importe quel astre en payant en carburant la valeur indiquée sur sa jauge (1 au début de la partie), ou 1 pour retourner au Bebop.

La dernière action consiste évidemment à affaiblir les criminels. En étant sur la même planète qu’un criminel, on peut dépenser de la force pour récupérer ses jetons Résistance ou des indices pour récupérer ses jetons Enquête, selon les valeurs indiquées sur la carte. Abdul Hakim porte par exemple 4 jetons Résistance et 3 jetons Enquête, et a besoin que l’on dépense 1 force pour lui ôter 1 jeton Résistance, mais 2 indice pour 1 jeton Enquête. Si enquêter est indolore, pour chaque jeton Résistance récupéré, on pioche une carte Dégâts.

Cela va de la Petite frayeur, que l’on écarte immédiatement, ou de Égratignure, qui va dans notre défausse, et pourra être écartée quand on la jouera, après nous avoir simplement empêché de piocher une meilleur carte, à la convalescence, que l’on pose au-dessus de notre deck (il faudra donc la piocher bientôt, parce que l’on ne peut pas agir librement en étant en convalescence, logique) et que l’on ne pourra écarter que contre 1 woolong. Une jolie manière d’exprimer thématiquement la réaction du criminel à l’agression physique, et une jolie incitation à privilégier l’enquête, plus coûteuse et sûre, plutôt que les poings.

Dès que l’on a pris le dernier jeton Résistance ou Enquête d’un criminel, on le capture : on le pose face cachée devant nous afin de pouvoir ajouter sa valeur (0 pour les criminels de départ, 1 sinon) à nos Points de Renommée (PR) de fin de partie, et tous les joueurs ayant récupéré des jetons liés à ce criminel les défaussent en gagnant autant de PR. On essaye bien entendu de combattre un criminel seul afin de collecter tous les bénéfices, car en le blessant trop, on le laisse aussi à la merci d’un autre joueur qui pourra l’achever à notre place.

C’est là que Space Serenade se rappelle que ses héros sont compères et pas rivaux, et injecte une part de semi-coopération en permettant à tous de collecter des points selon sa participation à la capture, y compris d’ailleurs en enquêtant sur lui alors qu’il a finalement été assommé, et en n’octroyant qu’un léger bonus à celui qui l’achève. Fort sympathique, d’autant que cela passe par l’aimable astuce de jetons Enquête et Résistance représentant au dos la planète aux criminels de laquelle ils sont liés – on saura ainsi toujours d’où proviennent nos jetons.

Les héros se trouvant sur la planète où un criminel a été capturé retournent sur le Bebop, tandis que l’on pioche deux nouvelles cartes Criminel. Si l’une d’elles représente une planète libre, il l’occupe, et renouvellera souvent le marché par la même occasion. S’il représente une planète déjà occupée par un criminel, on le défausse, et on augmente d’un cran la jauge de déplacement de la planète. Non seulement cela signifie que s’y déplacer sera plus coûteux, surtout cela peut permettre au criminel de s’enfuir quand la jauge atteint 3, défaussant tous les jetons liés à sa capture sans bénéfice…

Lorsque l’on aura capturé, laissé s’enfuir ou défaussé un certain nombre de criminels, on finira immanquablement par tomber sur Vicious, auquel cas les criminels déjà en jeu resteront sur leurs astres mais plus aucun nouveau ne pourra s’y ajouter

Toutes les cartes Criminel défaussées et encore dans la pile sont mélangées pour constituer son deck Déplacement. La première carte qu’on en dévoile indique sur quel astre on pose la figurine de Vicious.

Vicious peut être vaincu comme n’importe quel autre criminel en utilisant des points de force ou des indices… Mais il porte 9/11/13 jetons Résistance à 2/3/4 joueurs, et à chaque fois qu’il est attaqué inflige la pioche de deux cartes Dégâts en plus de se déplacer. S’il devait se déplacer et que la carte piochée montrait la planète sur laquelle il se trouve déjà, la jauge augmenterait de 1.

Il ne peut s’enfuir (contrairement à l’éventuel criminel se trouvant sur la même case), cependant cette augmentation du coût de l’astre sur lequel il se trouve peut empêcher d’accéder jusqu’à lui. S’il ne porte que 5/6/7 jetons Enquête, dont le retrait n’a aucune conséquence, on aura besoin de 3 indices à chaque fois que l’on voudra en prendre un… Bref, il s’agit d’un véritable boss, méritant bien de constituer une « deuxième partie » du jeu.

Préférerez-vous capturer les criminels restants, ou les joueurs se concentreront-ils sur Vicious, une jolie mine à points où la présence de tout l’équipage donne accès à plus de pouvoirs ? Son arrivée implique en tout cas une course.

De fait, la partie s’achève aussitôt que Vicious est capturé ou que la dernière carte du deck Déplacement est dévoilée, chacun jouant une dernière fois ensuite.

On additionne alors ses PR et la valeur de ses cartes Criminel (Vicious en valant 2), et le joueur avec le score le plus élevé est sacré meilleur chasseur de primes du Cowboy Bebop. En cas d’égalité, il faut logiquement avoir capturé le plus de criminels.

Comme le signale le manuel de règles, il va de soi que vaincre en ayant laissé Vicious s’échapper n’est qu’une semi-victoire… Faites mieux la prochaine fois !

Le cow-boy de l’espace solitaire

On le disait en introduction, Cowboy Bebop est jouable seul.

De façon assez amusante, la moitié des règles de la « variante solo »… sont identiques à celles du multijoueurs.

Parmi les particularités, on notera que l’on utilise autant de cartes Criminel qu’à trois joueurs (13), que Vicious porte autant de jetons Capture qu’à 4 joueurs, et qu’il se déplace à chaque fin de tour.

Et surtout… que l’on dévoile une carte Criminel à chaque fois que l’on mélange sa défausse pour en faire son deck.

Ça n’a l’air de rien et c’est pourtant l’idée la plus forte de cette variante : sans les contrariétés représentées par les autres joueurs, on pourrait se dire qu’il suffit de constituer le deck le plus puissant possible en prenant son temps. Or cela ne fait qu’accélérer considérablement la partie, cela implique que l’action de piocher des cartes, normalement très utile, représente cette fois une menace assez épouvantable.

On évitera naturellement de prendre Spike pour avatar, à cause de son pouvoir principal lié à la pioche, et il faudra courir de planète en planète aussitôt qu’une jauge montera un tant soit peu afin d’être sûr de cumuler quelques précieux points avant la rencontre avec Vicious.

C’est que l’objectif est désormais double : capturer Vicious (s’il s’échappe la partie est perdue) et réaliser le meilleur score possible, en le notant à la fin du manuel de règles.

Bien sûr, le jeu paraîtra plus rigide seul, mais les règles sont étonnamment bien adaptées à cette configuration, avec le renouvellement du marché pour 2 carburants ou le déplacement des personnages non-joueurs grâce à des cartes qui prennent un tout autre sens qu’en jouant avec d’autres joueurs !

 

Cowboy Bebop : Space Serenade, une mélodie jazzy ou une berceuse ?

Face à un jeu à licence, on a toujours peur du traitement impersonnel et opportuniste d’un produit à peine thématisé, recouvert rapidement de l’habillage sous lequel on est sûr de le vendre par palettes aux fans aveugles. Or il est évident que Cowboy Bebop est d’abord une oeuvre de passion, qui a probablement nécessité bien des visionnages des épisodes, pour en ressentir l’ambiance bariolée, en récupérer tous les criminels, et surtout en tirer toutes les mécaniques d’un pur ameritrash au meilleur sens du terme, avec des règles intégralement élaborées sur mesure pour coller au thème.

Évidemment en y faisant des choix : de la série animée on retiendra avant tout la très mouvementée chasse aux criminels, mais aussi les capacités différentes des quatre héros, traduites par des pouvoirs spécifiques et des cartes essayant de les mettre en scène à grand renfort d’images qui en sont tirées, l’esprit d’équipe qui les anime malgré la nature compétitive du titre, les notions de déplacement, de fuite, la tension entre le combat et l’enquête, l’utilisation du Big Shot…

Il fallait une véritable compétence ludique pour transformer finement cet univers en points de règles fonctionnels, juste assez nombreux pour faire ressentir et apprécier la richesse de la source, juste assez subtils pour que les actions restent intuitives. L’ambition matérielle de cette Space Serenade participe alors beaucoup à cette réussite, chaque élément étant bien pensé pour séduire le fan et le joueur par son lien avec l’anime et son évidence mécanique. Un très beau travail esthétique et de game design, comme on en voit trop peu dans le jeu à licence.