Tang Garden : le plus beau jeu de construction de beau jardin
Okiya, Miyabi, The One Hundred Torii, Brains: Japanese Garden, Samurai Gardener, bientôt Zen Garden, et j’en oublie sans doute… les auteurs de jeux de société aiment les jardins japonais, souvent prétextes à une exigence d’harmonie dans de la pose de tuiles, à une grande élégance visuelle, et bien sûr à une communication profitant de la nippophilie contemporaine.
Si le Tang Garden conçu par Francesco Testini (Xi’An) et Pierluca Zizzi (Barbarians, Hyperborea, Similo) parvient à se distinguer de ce que l’on pourrait pratiquement rapprocher d’une mode, c’est déjà parce qu’il s’agit d’un jardin… chinois (même s’il joue bien entendu sur les attentes vis-à-vis d’un jeu de jardinage extrême-oriental) et parce qu’il s’agit d’un KickStarter jouant complètement le jeu de la campagne de financement participatif avec des Stretch Goals (dont 45 ont été « débloqués »), des mini-extensions, une édition très plastique de toute beauté par ThunderGryph Games (Spirits of the Forest, Tao Long, Iwari) et bénéficiant des illustrations du talentueux Matthew Mizak. On peut imaginer que le résultat était au moins à la hauteur des attentes, avec 860 000 euros collectés auprès de plus de 10 000 contributeurs (!).
Récemment livré aux backers, Tang Garden se rapproche enfin des boutiques françaises grâce à une distribution assurée par les Lucky Duck Games (L’Île des chats, Kingdom Rush, Les Petites Bourgades, Chronicles of Crime, Margraves de Valeria…). Plus précisément, vous pourrez le précommander sur leur site, seul moyen d’avoir accès à quatre mini-extensions exclusives à cette campagne avant une disponibilité en boutiques à partir du 21 juillet !
S’adressant à 1 à 4 ingénieurs horticoles de 10/12 ans et plus (ignorez l’absurde restriction aux 14 ans et plus de la boîte) pour des parties d’une heure, Tang Garden est vendu 60 euros, un prix élevé… que vous comprendrez tout à fait après avoir vu quelques photos du matériel !
Tang Garden, philosophie des jardins et histoire chinoises
Le titre Tang Garden ne fait pas référence à un jardin précis, mais à l’âge d’or des jardins chinois qu’a constitué la dynastie Tang (618-907) – ou plus précisément les débuts de la dynastie Tang, où la prospérité caractérisant le règne de Wu Zetian (seule impératrice régnante de l’histoire de la Chine) puis les premières décennies de celui de son petit-fils Xuanzong furent particulièrement propices aux arts. C’est d’ailleurs de ce dernier et de sa concubine, la célèbre Yang Guifei, qu’il est question dans le classique L’Impératrice Yang Kwei-Fei de Mizoguchi, si vous souhaitez vous immerger un peu dans le contexte avant de découvrir le jeu.
C’est aussi la période à laquelle sont supposés se dérouler Le Secret des Poignards volants et l’exceptionnelle Cité interdite de Zhang Yimou, recréations évidemment fantaisistes, bien loin de l’ambition de reconstitution historique et ethnologique qui peut caractériser sa période la plus « contemporaine » (Qiu Ju surtout, Ju Dou dans une moindre mesure, tout de même davantage que le plus intemporel Sorgho rouge), mais joli prétexte à revoir deux grands films de divertissement populaire pétris d’un imaginaire auquel notre culture très américano-centrée ne nous a pas habitué.
Voici déjà l’intégralité (diffusée gratuitement et légalement je crois) du film Xuan Zang, qui a ses ridicules mais aussi de très jolis moments, notamment dans sa deuxième moitié, et conte le voyage du moine bouddhiste éponyme de la Chine orientale (sous l’ère Tang) jusqu’à l’Inde, voyage qui inspira l’un des plus grands classiques de la littérature asiatique, si ce n’est mondiale, Le Voyage vers l’Ouest, lui-même source d’inspiration notoire pour Dragon Ball. Le film de 2016 est produit par Wong Kar-wai lui-même et fut choisi par la Chine pour la représenter aux Oscars.
Xuanzong, l’Empereur brillant, régnait à Chang’an (actuelle Xi’An), ce qui peut expliquer le choix du cadre par un auteur s’étant beaucoup documenté sur Xi’An pour l’un de ses jeux précédents. Aussi sera-t-il question d’y construire un jardin équilibrant l’eau, la roche et la flore, selon les principes régissant l’horticulture chinoise, et d’y recevoir la visite de notables qu’il faudra évidemment tenter de satisfaire autant que possible en leur apportant une vue conforme à leurs goûts.
Pour cela… il faudra commencer à assembler les arbres, les ponts et les pagodes, le montage de ces deux derniers éléments pouvant s’avérer un peu moins intuitif qu’espéré. Peut-être les Lucky Duck Games réaliseront-ils une vidéo ou une aide afin de nous laisser quelques indications propres à accélérer la préparation de Tang Garden… et son rangement, puisque l’insert est si optimisé qu’il est pratiquement impossible d’y improviser le rangement des pièces. Je me suis personnellement fondé sur ce thread sur BGG. Au moins cela permet-il d’apprécier la joliesse des pavillons et des ponts, conçus par Game Trayz, une société bien connue pour ses inserts exceptionnels (La Forêt des frères Grimm, Parks, Wingspan, Endeavor, Chai).
Au centre de la table, le grand et très joli plateau Jardin, aux quatre coins duquel on place les quatre types de tuiles Jardin (végétation, roche, eau, yin et yang), seule la première de chaque pile étant face visible.
Les 16 « grands » et « petits » jetons Paysage sont placés sur le plateau dans une configuration représentée dans le manuel, en losange à 3 et 4 joueurs, en carré à deux. On pestera un peu sur la petitesse de l’illustration qui demande quelques efforts pour distinguer où placer les grands et où placer les petits, d’autant que ThunderGryph a eu la fort curieuse idée de recouvrir complètement un jeton avec le « 1 » indiquant la première étape de la mise en place. On déduit très aisément qu’il faut placer un jeton en-dessous et lequel, enfin tout de même !
On pourrait regretter (comme pour quelques autres points d’une clarté discutable) que la VF n’ait pas arrangé les choses, mais la traduction a été commandée par l’éditeur à Board Game Circus afin de livrer une version francophone aux backers, bien avant la distribution par les Lucky Duck Games, de sorte qu’elle colle à la maquette du manuel original, y compris à ses défauts.
Quatre petites tuiles Paysage sont insérées dans les quatre rainures de départ autour du plateau Jardin.
Chaque ingénieur reçoit l’une des six cartes Personnage de départ et la figurine correspondante. Il y trouve un bonus dans l’une des trois catégories de jardinage, aussi avance-t-il d’une case le marqueur situé sur la piste de cette catégorie sur son plateau personnel, tandis que les deux autres marqueurs restent sur la première case. Ce plateau comporte en outre quatre emplacements pour quatre tuiles Lanterne différentes, qu’on y pose tout de suite.
Les autres cartes Personnage (y compris les autres personnages de départ) forment une pile dont on dévoile les deux premières cartes. On y ajoute leurs figurines, les 36 décorations (les pagodes, ponts, arbres, fleurs, lanternes et poissons), les 54 cartes Décoration, les pièces, les jetons Personnage (ces deux derniers éléments apparaissent sur l’illustration mais ne sont pas mentionnés dans les instructions de mise en place !), les autres petites tuiles Paysage et les grandes tuiles Paysage (dont la première est posée à côté de la pile afin que les deux premières en soient visibles) pour former la réserve.
Le dernier joueur à être allé en Chine commence. Si vous ne trouvez pas cela très intéressant (comme je vous comprends !), mais que vous tenez à une règle de premier joueur « ludique », n’hésitez pas à privilégier le dernier à avoir vu un film chinois (Le Lac aux oies sauvages, Séjour dans les monts Fuchun, et surtout Une Pluie sans fin et Un Grand Voyage vers la Nuit étaient récemment très impressionnants), à avoir bu un thé chinois (miam, un bon pu erh au chrysanthème ou un Longjing !), à avoir cultivé son jardin…
La mise en place s’effectue très rapidement une fois que vous l’aurez déjà réalisée. N’hésitez pas avant d’inviter d’autres joueurs à la faire une fois de votre côté, afin de surmonter les quelques lacunes du livret. Cela vous entraînera aussi à ranger toutes les pièces dans la boîte, une étape d’autant plus effrayante que l’on pressent le problème en en sortant tous les éléments, mais qui sera plus intuitive une fois que vous aurez conçu votre système (optimiser l’insert… ou le retirer) et que vous vous y serez habitué.
En tout cas, le charme opère d’emblée : on voit dans quoi on a mis 60 euros, la construction du plus beau jardin socio ludique, de quoi séduire tout amateur de beaux titres ou d’une « délicatesse extrême-orientale ». D’autant que les Lucky Duck Games n’ont pas été convaincus par les finitions des figurines et les ont fait refaire, de sorte que l’on se retrouve avec des personnages nettement moins grossiers que dans la version de ThunderGryph, y compris celle… livrée en VF aux backers francophones !
Si vous lisez cet article après la sortie en boutiques de Tang Garden, peut-être en envisageant un achat d’occasion, et que ce genre de détails peut compter pour vous (et il me semble que quand on est prêt à investir dans un beau jeu, on ne peut que le vouloir aussi beau que possible), faites bien attention au logo des canards chanceux sur la boîte !
Faire son jardin, une affaire de perspective
Un tour de jeu consiste en une action obligatoire (construire le jardin ou placer une décoration) et zéro à trois actions facultatives (influencer un personnage, utiliser une lanterne, rafraîchir une lanterne).
Afin de construire le jardin, on prend l’une des tuiles Jardin visibles et on la place sur une case libre du plateau, adjacente orthogonalement à une tuile déjà posée, et poursuivant le paysage qui y était représenté (à moins qu’un mur ne les sépare). Cela octroie :
- Un niveau (la progression du marqueur d’une case sur notre plateau personnel) pour chaque terrain ainsi poursuivi – donc un niveau de roche si l’on a posé une tuile roche à côté d’une tuile roche déjà en jeu, sachant qu’une tuile porte plusieurs terrains et peut donc permettre d’avancer de plusieurs niveaux si on les poursuit tous.
- Un niveau de plus si l’on clôt ainsi un terrain de façon à ce qu’il soit impossible de l’étendre ensuite, parce que le terrain serait entouré de toutes parts par d’autres types de terrains ou des murs. Les bords du plateau ne clôturent pas un terrain.
- Une pièce si l’on crée ainsi un sentier (un demi-sentier sur une tuile complétant un demi-sentier sur une tuile déjà en jeu).
- Deux pièces ou un niveau sur la piste de notre choix si l’on crée ainsi deux sentiers.
Certaines tuiles ne représentent pas un terrain mais un temple, qui n’a pas besoin de correspondre à un terrain adjacent pour être posé et est entouré de quatre murs (pouvant donc clore des terrains). Sa pose rapporte une pièce, plus une pièce pour chaque terrain adjacent correspondant au type du temple, et plus tard, toute pose d’un terrain correspondant à ce type à côté d’un temple rapportera également une pièce, y compris si l’on n’avait pas posé le temple soi-même. De quoi faire de très jolies actions de gains de pièces et clôtures !
On regrettera seulement que les murs des temples des roches soient marrons foncés alors que les terrains rocheux sont marrons clairs. On comprend parce que le doute n’est pas permis et que le temple comporte une roche en son cœur, mais c’est étonnamment moins intuitif que les temples du lotus et des fleurs aux murs bleus et verts.
Il arrivera assez fréquemment que l’on recouvre ainsi un jeton Paysage. On doit alors immédiatement choisir l’une des deux tuiles Paysage visibles de la taille correspondante et l’insérer dans une rainure libre de notre choix. Et par « correspondante », je veux dire une grande tuile quand le jeton représente une montagne et une petite quand il représente une pagode, des dessins réalisés dans un style proche de l’estampe, donc avec un trait plutôt suggéré que franc et dans les mêmes tons marrons…
Pourquoi ne pas avoir fait de grands jetons pour les grands paysages et de petits jetons pour les petits paysages, voire avoir utilisé deux formes ou des couleurs différentes ? Fâcheux quand cela perturbe la lisibilité du plateau, surtout dans les premiers tours de la première partie, quand le retour aux règles est nécessaire pour se rappeler quel jeton correspond à quoi… Même en s’y habituant, très vite pour être franc, quelle bizarrerie que de ne pas avoir opté pour un design tout à fait intuitif !
S’il n’y a ensuite plus qu’une tuile Paysage visible, on en dévoile une deuxième, et s’il y a une ou deux tuiles Jardin face visible sur les piles aux quatre coins du plateau, on dévoile la première tuile des piles face cachées.
Au lieu de poser une tuile Jardin, un ingénieur peut placer une décoration. Pour cela, il pioche deux cartes plus une pour chaque tuile Jardin face cachée au sommet des piles, ce qui implique bien entendu qu’un joueur désavantagé parce qu’il aurait moins de choix de tuiles serait avantagé pour les décorations. Il ne conserve qu’une de ces cartes, les autres étant défaussées.
Il prend alors la décoration représentée et la place sur un terrain éligible (une tuile Jardin d’eau libre pour des poissons par exemple, un pin dans le jardin, un pont sur un emplacement de pont pour relier deux rives…) en plus de gagner l’éventuel bonus d’un niveau sur l’une des trois pistes ou la récupération d’un jeton Paysage de son choix (et l’insertion d’une tuile correspondante).
Chaque type de décoration fixe un objectif de fin de partie afin de remporter des pièces supplémentaires :
- 6 pièces pour chaque paire de cartes Oiseau/Poisson
- 6 pièces pour chaque paire de cartes Lotus/Pivoine
- 2 pièces par carte Pont
- 12 pièces pour le joueur ayant le plus de cartes Pavillon, 6 pour le deuxième.
- 1/4/9/16/25 pour 1/2/3/4/5 cartes Arbre différentes.
Comme vous vous en doutez, on ne peut conserver une carte si la décoration ne peut être posée nulle part, ce serait trop facile ! Pire, si aucune des cartes piochées ne peut être posée, on les défausse toutes sans aucune compensation, de sorte qu’en piocher beaucoup peut être réellement appréciable.
Après avoir posé sa décoration, l’ingénieur retourne face visible toutes les tuiles Jardin face cachée au sommet des quatre piles, évitant ainsi que les joueurs passent plusieurs tours à piocher de nombreuses cartes Décoration ou que l’un se « sacrifie » en en prenant une n’intéressant personne juste pour que l’on en dévoile de nouvelles.
Une fois l’action obligatoire effectuée, l’ingénieur a donc accès à trois actions facultatives, dont il peut ne réaliser qu’une, deux ou les trois… et même aucune bien entendu.
La plus importante est assurément celle qui consiste à influencer un personnage.
Pour cela, il faut avoir atteint avec ses trois marqueurs la troisième, cinquième ou huitième colonne sur le plateau personnel. Il peut alors prendre l’une des deux cartes Personnage face visible ou la première carte face cachée de la pioche, avec la figurine correspondante. Puis il place l’une de ses figurines (pas forcément celle qu’il vient de récupérer) sur un emplacement libre d’un jardin, sur un pont ou un pavillon et l’oriente vers l’un des quatre points cardinaux (un bord du plateau). S’il ne peut pas la placer ou ne veut pas choisir de personnage, il peut prendre un jeton Personnage qu’il pourra utiliser un tour suivant pour en recruter un.
C’est qu’en plus de rapporter à la fin de la partie une pièce par décoration dans sa ligne de vue, chaque personnage octroiera des pièces supplémentaires selon qu’on lui fasse ou non contempler ce qu’il aime, par exemple deux pièces pour chaque tuile de jardin avec un terrain eau, trois pièces pour chaque temple bouddhiste sur les paysages lui faisant face, six pièces si le soleil ou la lune apparaissent sur ces paysages, douze si les deux apparaissent, neuf pièces moins trois voire si l’Empereur et/ou la Dame se trouve dans son champ de vision…
Outre l’immense plaisir matériel qu’il peut y avoir à poser d’aussi jolies figurines sur un pont ou dans un pavillon, et à l’orienter de façon à lui offrir la plus belle vue possible sur les paysages qui s’élèvent littéralement devant lui, on comprend enfin tout l’intérêt tactique de placer des décorations et des paysages, et donc la tension entre le placement des bons jetons et bonnes tuiles malgré le peu d’emplacements disponibles et celui de figurines que l’on doit savoir récupérer au bon moment et combler.
Il faut dire que ces personnages ont de surcroît un pouvoir, qui va du gain de pièces à chaque fois que l’on pose un jeton précis ou que l’on progresse sur une piste donnée à la possibilité de piocher davantage de cartes Décoration ou de renouveler plus aisément les tuiles Jardin.
De façon assez originale, cette capacité n’est active que tant que le personnage n’est pas posé sur le plateau mais attend dans notre réserve. Cela implique bien sûr qu’on disposera toujours d’une capacité à la fois, pas moins, pas plus (puisque toute nouvelle arrivée de personnage impose de poser l’une de nos deux figurines, l’ancienne ou la nouvelle, sur le plateau), et qu’un personnage intéressant pour sa « préférence de vue » (son objectif) et sa capacité impliquera le sacrifice de l’une ou de l’autre, bref qu’il ne s’agira pas seulement de récupérer autant de personnages que possible et le plus vite possible. Une manière intéressante de réguler nos choix en plus des impératifs fixés par le terrain lui-même, et le plus passionnant élément de rejouabilité de Tang Garden.
Si l’on est bien entendu déjà dans un jeu dont deux parties ne se ressembleront jamais parce que l’aléa domine le renouvellement constant des pioches, le choix de prendre un invité, lequel parmi les trois disponibles, puis de celui que l’on pose est singulièrement stimulant, puisqu’il s’appuie précisément sur ce terrain toujours différent et sur ce que l’on pourrait éventuellement envisager de réaliser par la suite. Il ne s’agit pas que d’un élément arbitraire parmi d’autres, mais de celui par lequel on tente de profiter au mieux du jardin plus ou moins chaotique et de lui donner du sens.
Une fois par tour, l’ingénieur peut utiliser l’une de ses quatre lanternes pour :
- Placer deux tuiles Jardin au lieu d’une
- Placer deux décorations au lieu d’une
- Déplacer et/ou réorienter l’un de ses personnages dans le jardin
- Choisir un personnage parmi tous ceux disponibles (y compris face cachée dans la pile) au moment d’en influencer un, ou choisir une tuile Jardin parmi toutes celles face cachée au moment de placer une tuile Paysage
Enfin, la dernière action facultative consiste à défausser trois jetons Paysage (quatre à deux joueurs) de la « même taille » (donc représentant la même montagne ou la même pagode) pour récupérer une tuile Lanterne, un rafraîchissement auquel on aura recours bien entendu avec toute la parcimonie possible compte tenu de la rareté de ces jetons, mais que l’on tâchera de ne surtout pas oublier : la victoire peut aisément se jouer sur la bonne utilisation des très précieux pouvoirs des lanternes, dont on voit bien le bon en avant qu’ils peuvent représenter pour un joueur !
Cela vous paraît beaucoup ? Relisez attentivement, en dehors du placement (facultatif) d’un personnage, pas plus de crainte d’analysis-paralysis que sur un Carcassonne et des tours à peine plus longs, s’enchaînant tout de même avec beaucoup de fluidité pour remplir assez vite le jardin et augmenter assez vite la tension pour faire pencher l’équilibre de ce jardin commun en notre faveur.
La partie s’achève en effet dès que l’une des quatre piles de 15 tuiles est vide, ou dès qu’il y a trois jetons Paysage ou moins sur le jardin. Or si ce dernier compte 56 cases, celles comportant lesdits jetons sont bien entendu particulièrement convoités, garantissant des parties durant rarement plus d’une heure, surtout après assimilation des rudiments.
Afin de calculer son score, on récupère les pièces octroyées par les cartes Décoration et par les personnages, on les ajoute à celles que l’on avait déjà dans sa réserve, et celui qui en totalise le plus est désigné meilleur (et plus riche) ingénieur impérial des jardins, l’égalité étant favorable à celui qui possède le plus de jetons Paysage, puis à celui qui est le plus avancé sur les trois pistes.
Le plus rude des combats, celui contre soi
Le mode solo de Tang Garden est assez curieux pour mériter qu’on s’y attarde, faisant le pari d’adapter tout à fait les règles à cette configuration pour un résultat étonnamment différent.
On n’utilisera que les 28 cases centrales du plateau Jardin, pas du tout le plateau personnel ou les capacités des personnages, tandis que les quatre premières cartes Décoration sont posées face visible aux quatre coins du plateau (près des piles de tuiles). En outre, on pioche deux personnages dont on conserve une carte et une figurine comme personnage de départ tandis que l’autre est placé sur un emplacement éligible du jardin pour le bloquer.
À chaque tour, on prend une tuile Jardin et la carte Décoration associée, immédiatement appliquée. Si à n’importe quel moment on ne peut plus appliquer aucune des quatre paires, pas même avec les lanternes, la partie est perdue. Et pour qu’il ne soit pas trop facile de planifier les tours suivants, choisir une paire défausse la paire se situant au coin opposé, de sorte qu’on les renouvelle ensuite toutes deux. Une petite subtilité qui peut devenir assez retorse si l’on souhaitait les deux paires, et qu’il faut donc envisager la suite autrement.
Puisque l’on risque bien trop vite de ne plus avoir accès à une décoration éligible à ce rythme, il est possible d’en défausser une déjà posée en utilisant quatre jetons Paysage, tandis que les tuiles Lanterne ont de nouveaux effets :
- Ne placer que la tuile Jardin d’une paire et défausser la décoration
- Placer l’une des tuiles Jardin défaussées
- Défausser les quatre décorations en jeu et les remplacer
- Réutiliser la capacité d’une lanterne
Vous aurez noté que l’on ne peut plus réinitialiser un jeton Lanterne en défaussant des jetons Paysage, ce qui les rend plus précieux que jamais.
Nos marqueurs ne progressent naturellement plus sur les pistes… puisqu’on n’a plus de piste, et on ne gagne plus d’argent pour avoir complété un sentier, seulement une pièce pour chaque bord de la tuile posée dont l’élément correspond à un élément adjacent plus une pièce par terrain clôturé.
Insérer une tuile Paysage contraint à insérer immédiatement l’autre tuile Paysage face à celle tout juste placée. On appréciera la cohérence avec le titre du mode solo de Tang Garden, Yin et Yang, puisque cette idée de dualité est désormais très présente mécaniquement.
Quand on atteint 10/20/30 pièces, on peut influencer l’un des deux personnages visibles et prendre sa carte et sa figurine devant nous, tandis que l’autre est placé dans le jardin.
On perd la partie si l’on ne peut plus jouer de paire ou que l’une des piles est épuisée, et on la remporte en occupant les 28 cases du jardin central. Dans ce cas seulement, les personnages invités peuvent être placés aux endroits stratégiques du parc afin d’évaluer sa performance, et de déterminer si l’on a été artisan, créateur, ingénieur ou inspecteur.
Si je suis assez mitigé sur un mode solo qui transforme trop les règles de Tang Garden (jusqu’aux effets des lanternes !) pour qu’on en reconnaisse bien les mécaniques, j’apprécie sa dimension nouvelle de véritable casse-tête, un peu aléatoire certes, mais rapide et tendu, nous épargnant toute intelligence artificielle afin de nous laisser nous concentrer sans interruption sur la seule complétion du jardin, bien sûr aidé en cela par une mise en place encore facilitée.
Tang Garden, de l’ingénierie horticole comme une course à la contemplation
Il suffit d’un coup d’œil sur Tang Garden pour percevoir sa plus grande qualité et son pire défaut : le jeu est si beau qu’il paraîtra nécessairement moins parfait mécaniquement qu’esthétiquement. Du moins n’essaye-t-il pas de nous faire croire autre chose, puisque son assez court livret de règles expose clairement sa nature de jeu de pose de tuiles assez familial, lorgnant du côté d’un Fertility ou d’un Cuzco par exemple, avec cette ambition d’être le plus beau de tous et l’un des plus beaux jeux parus et pouvant paraître en France en 2020.
C’est que sur ces tuiles, on pose des décorations, qui vont du petit jeton floral au superbe pont ou pavillon tridimensionnel, assez imposant pour accueillir l’une des figurines de notable chinois venant contempler le jardin. Ces visiteurs sont d’ailleurs au cœur visuel et mécanique de Tang Garden, puisqu’il faudra se soucier de placer devant eux le panorama propre à les combler, avec les décorations et surtout grâce aux petits et immenses paysages que l’on insère dans les quatre côtés du plateau, renforçant encore cette impression d’élaborer une véritable maquette d’un jardin idéal ou d’un coin de paradis extrême-oriental.
On s’en doute, cette question de perspective vient avec son lot de petites tensions, d’autant que ce jardin est commun à différents ingénieurs horticoles œuvrant à leur propre élévation. Chacun sera ainsi prêt à profiter des travaux des autres pour y greffer l’harmonieuse addition que l’on avait sans doute en vue, équilibrant admirablement roche, eau et végétation, et afin de faire fructifier son influence auprès des nobles visiteurs des lieux.
À la manière d’un Tokaido, titre pour lequel je clame souvent mon admiration, Tang Garden est ainsi un jeu tactique sur la contemplation appelant à la contemplation, au moins aussi réussi dans ce qu’il donne à voir aux joueurs que dans ce qu’il leur demande de donner à voir aux personnages de sa diégèse !
Tang Garden peut être précommandé sur le site des Lucky Duck Games, seul lieu où seront disponibles les quatre mini-extensions Abricotier, Cygne, Le Voyageur et L’Herboriste en quantités très limitées, et seule occasion d’obtenir le tout à 78 euros 95 au lieu de 86 euros 95, avant la sortie en boutiques de la seule boîte de base le 21 juillet !
Et retrouvez nos photos de Tang Garden sur notre instagram dédié aux jeux de société !