Xi’An – construire l’armée de terre cuite dans un jeu de société !

 

Il y a un an, presque jour pour jour, je me trouvais près de la ville de Xi’An pour observer l’armée de terre cuite avec laquelle l’empereur Qin Shi Huang (le premier empereur de Chine, et par ailleurs ordonnateur de la Grande Muraille) avait été enterré à la fin du 3ème siècle avant Jésus-Christ, un rêve dont l’exaucement était loin d’être décevant.

Or j’ai appris il y a quelques mois à peine que Matagot (KemetAeon’s EndMeeple Circus13 JoursScytheCharterstone) avait édité un jeu sur ce thème, logiquement intitulé Xi‘An, les titres plus précis Mausolée de Qin Shi Huang ou Armée de Terre cuite du premier Empereur de Chine étant évidemment trop longs, imprononçables ou plus propres à intituler un documentaire Arte qu’un jeu de société.

Xi‘An est à l’origine un jeu italien édité par les Milanais de Pendragon Game Studio en 2017, et donc localisé par Matagot. Conçu par Marco Legato et Francesco Testini (un passionné d’histoire chinoise diplômé de langues et cultures orientales), il est très correctement illustré par Davide Corsi, qui réalise un plateau et des cartes d’une sobriété se prêtant bien à l’historicité du thème.

Xi‘An propose donc à 2 à 4 délégués de l’empereur de quatorze ans et plus de mener les travaux de construction des soldats de terre cuite et de les installer dans la fosse principale du Mausolée en 45 minutes.

 

Objectif de Xi’An : être le meilleur… chef de chantier

Certains jeux n’adoptent un thème que pour habiller un ensemble de mécaniques abstrait se prêtant indifféremment à plusieurs univers. Xi‘An appartient au contraire aux jeux de gestion/stratégie où l’on sent que le thème précédait l’élaboration des mécaniques, et l’accompagnait pas à pas. Les règles sont d’ailleurs enrichies de nombreux encarts et pages historiques pour expliquer très précisément le contexte de la création de l’armée.

Colorer des blocs d’argile, leur associer des accessoires, puis les disposer dans différentes sections d’une fosse, ne sont pas des actions interchangeables, et elles s’ajoutent à un système de règles si varié qu’on l’imagine mal appliqué à un autre thème. Si varié d’ailleurs qu’on ne le décrira que pour faire comprendre sa richesse et ses lignes directrices au lecteur, sans trop rentrer dans des détails qui apparaîtraient comme absurdement abstraits sans le matériel sous les yeux.

Xi'An Mausolée

Chaque fonctionnaire commence avec 24 cartes ouvrier, deux cartes conseil, deux marqueurs, deux maîtres-bâtisseurs, deux signatures, six statues, un bloc d’argile et deux pièces. Et il ne s’agit là que de ses ressources et réserves personnelles initiales, avec lesquelles il devra commencer à composer pour répondre aux exigences de l’Empereur et du lieu. Tous les fonctionnaires ont également accès à un « marché » de quatre équipements piochés aléatoirement, l’un des quelques tirages au sort qui assure au titre une rejouabilité sans chaos.

Les quatre tuiles Bâtiment sont ensuite placées dans un ordre aléatoire, et on place le Premier Ministre sur le bâtiment de la même couleur que la Requête avec le nombre le plus haut, ce sera la couleur demandée par l’Empereur ce tour-ci. Enfin on dispose les tuiles Mausolée, les quatre premières et les seize tuiles Bonus seront identiques à chaque partie, tandis que quatre tuiles Fin de partie seulement seront tirées sur les huit que contient la boîte, et révélées aux joueurs. Je pense que vous comprenez combien il pourrait être fastidieux que je tente de décrire les règles point par point.

Sachez déjà que Xi‘An n’est pas un jeu de course, mais d’optimisation. La partie s’achèvera dans tous les cas au bout de six tours de deux phases chacun. Le tout sera donc de faire au mieux avec les cartes que l’on a dans la main, et de savoir s’adapter aux situations, en étant prévoyant sur le court terme (il faut anticiper la récupération des ressources pour construire efficacement quelques soldats) mais pas sur le long terme, trop imprévisible, la fin arrivant toujours trop tôt.

 

Xi'An contenu

Six tours pour construire la huitième Merveille du monde

À chaque tour, les fonctionnaires piochent les quatre premières cartes de leur pioche d’ouvriers. Ils choisissent deux cartes pour la première phase, et deux autres pour la deuxième. Les deux cartes sont posées simultanément par tous les joueurs, l’une légèrement au-dessus de l’autre. Celui dont la carte inférieure (dite carte d’Initiative) a la valeur la plus élevée commence, et doit exécuter l’action de la carte placée au-dessus (dite action Ouvrier), c’est-à-dire récupérer les ressources correspondant à l’Ouvrier représenté sur la carte et à son rang, sauf dans le cas des Assistants (carte verte) que l’on recrute pour un bonus en points de prestige et pour une capacité permanente (gains supplémentaires, réduction de coûts…). Au lieu de récupérer ces ressources, on peut choisir d’obtenir un pigment coloré de la couleur indiquée sur la carte.

Xi'An ouvriers

Puis le joueur pourra au choix gagner une pièce ou déplacer l’un de ses maîtres-bâtisseurs dans un bâtiment disponible et ainsi réaliser une action Bâtiment. Pour cela, il déplace le jeton Maître-Bâtisseur dans un bâtiment qui est encore ouvert, paye une pièce pour chaque Maître-Bâtisseur qu’il ne possède pas à leurs propriétaires, et applique enfin l’effet du lieu.

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À l’atelier, vous pouvez modeler un soldat de terre cuite (donc en échange d’une certaine quantité d’argile) et le placer dans la fosse, éventuellement en le protégeant contre les actions des autres joueurs avec l’un de vos deux jetons Signature (il serait fâcheux qu’ils les peignent et s’en arrogent le mérite !).

Au laboratoire, vous pouvez peindre un soldat de terre cuite de la fosse en échange de pigments colorés, une action que vous ne pourrez réaliser que six fois maximum dans la partie.

À l’armurerie, vous pourrez acheter un équipement et le poser face cachée devant vous, l’objectif étant de compléter des collections.

Au Palais enfin, un joueur peut avancer son Superviseur d’une case sur la piste du superviseur, la piste de six cases correspondant aux six tours de jeu. Cela lui permet de récupérer la tuile Mausolée qui s’y trouve. Chaque tuile Mausolée octroie un bonus à usage unique, à l’exception des tuiles du sixième emplacement (donc de la fin du jeu), qui correspondent à des objectifs à décompter à la fin, logique.

Quand tous les joueurs ont joué leurs deux phases, ils récupèrent leurs Maîtres-Bâtisseurs, déplacent le Premier Ministre pour imposer une nouvelle couleur, défaussent deux cartes Équipement pour les remplacer et reconstituer un magasin de quatre cartes. Puis ils rejouent, jusqu’à ce que plus aucun joueur n’ait de cartes Ouvrier (c’est-à-dire après la deuxième phase du dernier tour).

Xi'An bâtiments

Les cadeaux de l’Empereur

On procède alors au décompte des points selon cinq critères additifs. On commence par récompenser le plus important, le nombre de soldats peints par chaque joueur. Celui qui en a peint le plus dans la section A reçoit 10 points, le deuxième 5, le troisième 3. Dans la section B, les joueurs les plus présents reçoivent 12, 6 et 3 points, et dans la section C, 14, 7 et 4.

Puis on regarde les collections de cartes Équipement. Chaque ensemble d’équipements de bois ou de bronze rapporte 2, 5 ou 10 points selon qu’il contient une, deux ou trois cartes. Puis les joueurs gagnent 3 points pour chaque soldat de terre cuite qu’ils ont peint et qu’ils peuvent équiper, un soldat ne pouvant se voir attribuer qu’un équipement, et chaque équipement étant restreint à une section, ce qui nécessite naturellement de bien réfléchir aux équipements que l’on acquiert en cours de partie.

Xi'An équipement

Puis les joueurs gagnent 1 point de prestige par tuile bonus du Mausolée qu’ils n’ont pas utilisée. On y ajoute les points figurant sur les tuiles de fin de partie pour les joueurs ayant atteint la fin de la Piste du superviseur.

Enfin, les fonctionnaires de l’Empereur sont récompensés pour leur sens de l’économie, en recevant 1 point par ensemble de trois ressources possédé à la fin de la partie. L’or a de la sorte la même valeur que l’argile ou les pigments, il n’est qu’un moyen parmi d’autres de satisfaire l’Empereur, rien de plus.

Xi'An Matériel

Xi’An, le meilleur du jeu à l’allemande au service de la culture chinoise

Xi’An n’est pas un jeu très complexe. S’il demande un certain temps d’assimilation, c’est seulement parce que ses règles manquent de clarté aux moments où elles auraient le plus besoin d’être parfaitement claires. Rien heureusement dont plusieurs relectures ne puissent venir à bout, et il faut dire que les éditeurs ont manifestement eu conscience du problème, puisque outre les quelques illustrations, le livret contient une quantité inédite d’exemples, souvent aussi longs que les règles elles-mêmes.

Il faut également signaler l’absence de thermoformage et le côté plastique très affirmé des soldats de terre cuite, deux nécessités pour rester dans une tranche de prix raisonnable, mais qui peuvent rebuter quand on cherche une forme d’immersion graphique. Je me réjouis tout de même du choix des figurines : malgré leur qualité, elles apportent un relief très bienvenu, assez rare dans les jeux à l’allemande.

Xi'An soldats

Quand on est conscient de ces quelques obstacles à une appréciation immédiate et inconditionnelle de Xi’An, on peut enfin profiter pleinement de la richesse du titre. Une richesse tactique bien sûr, puisqu’il s’agit d’un jeu d’affrontement indirect étonnamment concluant, avec ses phases de jeu assez rapides, et la multitude des stratégies possibles pour vaincre. Une richesse thématique surtout, que j’ai rarement vu aussi accomplie. Les jeux dits à l’allemande sont connus pour leur thème artificiellement plaqué sur des mécaniques subtiles, tandis que dans Xi’An, tout transpire l’authenticité.

Même les encarts historiques ne sont pas tant un gimmick qu’une manière de rappeler à quel point certaines règles sont fidèles à une réalité historique. J’aime également beaucoup la complétion des règles autour des soldats, qu’il s’agit de poser, de peindre et d’équiper dans différentes fosses avec des règles différentes pour chacune de ces étapes. On va jusqu’à ressentir en fin de partie une certaine humilité à avoir fourni autant d’efforts pour la seule gloire de l’Empereur, un sentiment assez rare dans les jeux de gestion où l’on nous habitue plutôt à asseoir notre domination et prouver notre puissance, plutôt qu’à être le fonctionnaire le plus fidèle d’un chef sur chantier ! Je n’ai peut-être pas retrouvé les sensations éprouvées devant la véritable armée de terre cuite, mais j’ai retrouvé les sensations procurées par un jeu passionnant, et quelque part, c’est ce que je pouvais attendre de mieux en testant Xi’An.

Xi'An boîte