Spiel d’Essen, jour 1 : Libellud, Days of Wonder, Lucky Duck Games et quelques autres

Essen ?

 

Donc Essen, ancienne ville minière près de Düsseldorf, abritant aujourd’hui 600 000 habitants et surtout connue mondialement pour la tenue des Internationale Spieltage, le plus grand festival dédié au jeu de société, au moins incontournable pour tout éditeur soucieux d’une certaine représentation médiatique, et plus accessoirement pour les passionnés impatients de découvrir les nombreux titres inédits publiés à l’occasion du salon et les annonces exclusives. Incontournable aussi pour la presse, qui y trouve l’occasion de rencontrer « pour de vrai » les chargés de communication des grands éditeurs qui ne peuvent manquer d’être là, voire celle d’interroger quelques auteurs, et évidemment un excellent baromètre des tendances et hits de l’année à venir.

Essen et ses 209 000 entrées pour ses six halles d’une surface totale de 86 000 m² et ses 1200 exposants. Essen et la guerre sans merci pour s’y rendre et s’y loger sans trop de frais – l’entrée est déjà assez chère comme cela pour qui ne souhaite qu’y jouer, qu’y acheter, ou qu’y faire dédicacer quelques boites. J’ai eu immensément de chance de trouver un AirBnb un mois avant la convention, sans doute parce qu’il venait d’être créé et que j’en serais le premier résident, ne demandant que 100 euros pour trois nuits, et susceptible d’accueillir deux personnes (bien que j’aie été seul). Cela compensera un peu le prix du train (250 euros pour du Dijon-Paris, Paris-Essen puis du Essen-Cologne, Cologne-Paris, Paris-Essen…les réseaux de covoiturage pour festivaliers socioludiques se développent, mais ne sont pas encore très pratiqués) et son éloignement de la Messe, 45 minutes (cela va encore) dont deux trams et 15 minutes de marche – avec presque 20 kilos de jeux sur soi, ça peut être difficile.

 

 

On m’avait recommandé de privilégier le jeudi et le vendredi, à cause de la foule terrible du weekend, et effectivement, je n’ai jamais subi les embouteillages d’une Comic Con Paris (même s’il y avait beaucoup de monde), tout en profitant de contacts pas encore épuisés par quarante répétitions du même laïus. Ce qui me conforte dans l’idée que le choix était judicieux, c’est d’avoir vu la TricTrac Team sur le quai de la gare d’Essen samedi matin. Ils étaient sans doute là depuis la journée presse du mercredi (qui m’intéressait bien sûr mais trois jours de salon, cela commençait à faire cher), mais préféraient manifestement aussi repartir avant que cela devienne infernal.

Enfin, il faut souligner le bonheur d’avoir pu obtenir une accréditation juste avant le Spiel. Outre l’entrée gratuite, toujours appréciable, cela donnait accès à une entrée sans queue et cinq-dix minutes avant la foule, et au Press Center, où l’on pouvait se poser, discuter, recharger son téléphone ou brancher son ordinateur, passer aux toilettes (fondamental quand on reste de 10 heures à 19 heures) et même bénéficier d’eau pétillante, de thé et de café à volonté, servi par deux employés extrêmement serviables. Bref on est mis dans de très bonnes conditions pour nous donner le courage d’affronter la journée.

Restait la grande question des sacs, sachant que je ne possède pas ces très pratiques sacs à jeux (semblables aux sacs des coursiers Deliveroo), dont la version à la main pourrait être une intéressante option la prochaine fois – celle sur le dos est plus dangereuse. J’avais donc opté pour une valise à roulettes de format moyen, dont j’ai été déçu de constater qu’elle ne pouvait contenir que deux bonnes boites, mais que je pouvais porter sans problème une partie de la journée pour ne la faire rouler qu’en dernier recours, et où surtout je pouvais stocker deux grands sacs cabas (d’une capacité de deux jeux également), mon manteau et mon écharpe (il faut chaud au salon, mais bien moins dans les rues d’Essen en octobre à 9 ou 20 heures).

Et bien sûr j’avais un sac à dos (d’une capacité de zéro jeux) pour mes plans des halles où j’avais noté les lieux et les horaires de mes rendez-vous, mon carnet de notes, ma bouteille d’eau et quelques barres de céréales au cas où – Essen est heureusement assez laxiste de ce point de vue-là. Par ailleurs, l’équipement ne serait pas complet sans un plan de la Messe dans une poche, pour comprendre comment on passe d’une halle à l’autre (mais qui ne s’avérera finalement pas utile) et la liste de mes rendez-vous avec heure, nom du contact et emplacement du stand dans l’autre.

Venant pour la première fois – et n’ayant même jamais fréquenté de salon de jeux de société auparavant – j’ai vu large pour mes rendez-vous, par créneaux d’une heure. Bien m’en a pris, puisque si certaines personnes ne m’ont pas parlé plus d’une dizaine de minutes, d’autres avaient le temps et ont bien profité de l’heure pour des rendez-vous vraiment intéressants. Je n’ai donc pas eu à me presser, et n’ai jamais été en retard – contrairement à un éditeur que je devais voir vendredi à 10 heures et qui à 10 heures 30 n’était pas arrivé, seul échec du salon à mon grand regret puisqu’après une demi-heure je devais vraiment partir pour la rencontre suivante…

Avant de rentrer dans le détail des rencontres d’Essen, je tiens à préciser que toutes se sont vraiment bien déroulées, et la plupart même supérieurement bien, malgré de frappantes différences liées au degré de fatigue, au nombre de fois que les informations ont déjà été répétées, à la maîtrise de l’anglais (parce que le dialogue entre deux personnes qui ‘e font que le baragouiner peut vite s’avérer fastidieux pour les deux)… Mais pas du tout à la taille du studio, j’ai vu des représentants de très grands éditeurs dont je redoutais une certaine froideur professionnelle vraiment adorables et souriants, bref ces deux jours étaient gratifiants et humainement très agréables.

 

Libellud

Jeudi 10 heures. Je n’avais pas prévu qu’on pourrait entrer dans la Messe d’Essen avant son ouverture officielle, je retiendrai que la prochaine fois (s’il y a une prochaine fois) je pourrai accepter les rendez-vous dès 10 heures. Du coup j’ai le temps de découvrir les lieux vides, de repérer quelques stands, d’avoir quelques explications sur Aftermath (le nouveau Plaid Hat, après Histoires de peluches et Comanauts, sur des souris en guerre dans un monde post-apocalyptique) et Machi Koro Legacy, une de mes grosses attentes du salon qui me rappelle que Pandasaurus a annulé notre rendez-vous, pour mon plus grand désespoir…

Il est l’heure de rencontrer Maximilien de Libellud. La grande nouveauté de l’éditeur, c’est bien sûr Obscurio, le nouveau jeu de communication et déduction par l’image qui succède dans son catalogue à Dixit, Mysterium, Shadows – Amsterdam. Je n’en parle pas trop pour l’instant parce qu’un test lui sera bientôt consacré dans ces pages, mais on sent une volonté de se renouveler malgré un genre qui pourrait sembler un peu répétitif (surtout quand Igames, Lubee ou Repos Prod s’y mettent la même année), avec la force thématique de Mysterium mais plus de twists et de fluidité, notamment grâce à un traître, un seul à quatre joueurs ou plus. D’où l’intérêt de faire appel à l’Atelier, un collectif d’auteurs garantissant justement un certain sentiment de nouveauté, et à Xavier Collette et le Studio 81.

 

Évidemment, Libellud n’oublie pas sa locomotive, l’excellent Dixit, et annonce une nouvelle extension pour 2020, avec une patte assez différente des précédentes, moins ambigüe, moins onirique, préférant jouer sur les juxtapositions surréalistes entre le réel/quotidien et l’imaginaire, pour des résultats assez mignons !

Le studio promet surtout un autre jeu familial + autour du voyage dans l’automne 2020, un titre original mettant en avant l’opportunisme, le placement et la course, et tout de même conçu par l’un des duos à la mode, Matthew Dunstan et Brett J. Gilbert (Professeur Evil, Elysium, Chocolate Factory, Monumental). Voilà de quoi bien attiser notre curiosité !

 

Days of Wonder

Une heure après, je rencontre Alexiane de Days of Wonder. Sur le stand, il n’y en a que pour Deep Blue, un étonnant projet original qui cumule les créateurs danois de Flamme rouge, 13 Jours et Copenhague (Granerud et Pedersen) et un casting d’illustrateurs All-Stars, Nicolas Fructus réalisant la très jolie couverture et le plateau tandis que les marins à recruter sont dessinés par Biboun, Coimbra, Torres… Six ans de développement pour l’un des gros jeux du moment, dont je vous parlerai en profondeur d’ici une dizaine de jours !

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Évidemment Days of Wonder n’oublie pas sa locomotive, Les Aventuriers du rail. Le succès de la version Londres (aussi présenté sur le festival en version géante, et aussi bientôt en test) confirme une série d’autres boîtes Express consacrées à d’autres villes.

Dans la série « normale », l’extension Japon/Italie fait parler d’elle à juste titre avec ses petites idées intéressantes. En Italie, il faudra relier les régions et les îles, au Japon on pourra contribuer à la construction du Shinkansen, qui bénéficiera aux routes de tous les joueurs mais dont les plus gros contributeurs seront mieux récompensés en fin de partie que les autres. La double-extension affiche une durée de parties de 30 minutes à une heure, soit plus que les express et moins que les boites ordinaires. Ce n’était pas volontaire, mais il a paru judicieux à Days of Wonder de la maintenir, sans que cela illustre une  » politique » pour les boites à venir, et cela m’a paru assez bienvenu pour rafraîchir la gamme avec un pays très attendu ! J’avoue que cela m’a donné fort envie, et ce sera peut-être l’occasion de parler enfin de ce jeu mythique qu’est Les Aventuriers du rail et dont je n’ai jamais évoqué sur Vonguru que les boites Express.

Rien n’est malheureusement prévu pour faire revivre Yamatai… Cependant, Days of Wonder va continuer d’éditer les extensions de Five Tribes, et promet un très grosse année 2020, tant pour fêter les 15 ans des Aventuriers du rail Europe que pour son autre franchise-phare, qui pourrait bien avoir droit à un nouveau standalone

 

 

J’ai un peu de temps pour aller saluer Michele de Giochix afin qu’il me parle un peu de De Vulgari Eloquentia, dont le thème est… la diffusion des écrits en langue vernaculaire au Moyen Âge ! Qu’il soit plaqué ou bien intégré, je suis soufflé par l’originalité de l’idée, et Michele m’en donne une copie afin de satisfaire ma curiosité… et sans doute la vôtre ! Test dans un mois environ.

 

Lucky Duck Games

À midi 30, je voyais enfin Vincent de Lucky Duck Games, débordant d’énergie et d’une bonne humeur communicative dans un stand aux couleurs de Paranormal Detectives, très intéressant jeu d’ambiance macabre, en test bientôt. L’éditeur connait une telle expansion que malgré trente minutes à égrener les projets nous n’avons même pas parlé de Mint Cooperative, de son partenariat avec USAopoly pour des Rising ou de l’édition ou non des deux autres Fruit Ninja !

Ce qui me frappait récemment avec cet éditeur que je suis avec le plus grand intérêt depuis quelques années et que j’apprécie particulièrement, c’est l’abandon progressif de sa ligne éditoriale, pourtant encore revendiquée sur son site internet : l’adaptation sur plateau de jeux vidéo pour navigateur et mobile. On se souvient bien sûr de Vikings gone wild, Zombie Tsunami ou Fruit Ninja, et si dans les sorties récentes il faut noter Mutants et Jetpack Joyride, le premier adapte un titre à peu près inconnu du public international tandis que le second était en financement participatif il y a assez longtemps, et aurait dû être livré en mai s’il n’avait subi des problèmes de fabrication.

Vincent a admis que cette ligne éditoriale serait mise entre parenthèses, pas annulée parce qu’il n’est pas question de se fermer à de stimulants projets, mais plus mise en avant et a fortiori plus exclusive. C’est qu’aussi « geek » qu’elle paraisse, elle n’attirait pas tant les joueurs que cela, et quand les canards chanceux ont eu l’occasion de localiser voire d’éditer des titres différents, ils auraient été bien bêtes de refuser, à la manière d’un Super Meeple promettant bien plus de localisations de titres récents et de jeux originaux que de remakes, alors que Deckscape exceptés, cela résumait l’intégralité de sa production jusqu’aux Couleurs de Paris.

 

 

Vincent l’a très bien exprimé en rappelant que les Lucky Duck venaient du jeu vidéo, et que ce qui intéressait les joueurs n’était pas de retrouver cette origine dans les thèmes, mais dans le savoir-faire de l’éditeur. Savoir-faire qu’il a mis à contribution dans les Chronicles of Crime bien sûr, dans le si excitant Time of Legends : Destinies, et qu’il a bien l’intention de continuer de développer dans des projets narratifs-applicatifs futurs… À commencer par un Chronicles of Crime : Millénium, qui présentera une même famille parisienne en 1400, 1900 et 2400 ! Quand on admire les progrès faits pour rendre les histoires toujours plus profondes et les interactions toujours plus ludiques, difficile de ne pas admirer une idée aussi folle ! Et plusieurs projets hors CoC sont à l’étude, mais encore secrètement – ce n’est pas comme si Lucky Duck Games manquait d’annonces !

Ceux qui suivent leur actualité savent en effet déjà que suite à un partenariat avec Red Raven Games, ils vont enfin faire débarquer en français les jeux de Ryan Laukat, Near and Far et Above and Below, auxquels on peut espérer que s’ajoutera le plus modeste et fort joli Roam, et plus tardivement le prometteur Sleeping Gods.

 

 

En outre, l’éditeur a noué avec La Forêt des Frères Grimm un autre partenariat formidable avec Skybound Games, lequel concernera au moins Tidal Blades et le jeu de déduction Grimm Masquerade (par l’équipe derrière La Forêt, dont l’exceptionnel dessinateur Mr. Cuddington !), peut-être Sorcerer City, dont on ne me dit que du bien mais qui me semble un peu en-deçà de l’ambition matérielle habituelle de Lucky Duck Games. Enfin cela n’illustrerait que mieux la diversification de Lucky Duck Games et son ambition de qualité mécanique, et ils ont toute ma confiance pour faire le meilleur choix. En outre, je n’avais pas remarqué en suivant la campagne de Trial by Trolley que l’hilarant et immoral jeu d’ambiance de Cyanide était en fait distribué par Skybound…

En partenariat avec AEG, ils importeront en France Les Petites Bourgades, véritable coup de cœur de Vincent, et au deuxième trimestre 2020, Ecos.

Le canard a évolué, et son expansion est impressionnante. Dans le monde socioludique, c’est un nom que l’on commence à connaitre ; en 2020, il sera incontournable grâce à la passion de ses 18 employés. D’autant qu’ils gardent bien des surprises sous le coude, dont deux qui m’ont été très rapidement teasées, et qui invitent encore davantage à la plus grande attention !

 

Intrafin

Puis un passage rapide chez Intrafin pour faire confirmer par Jurgen Devriese l’une des grosses annonces socioludiques du moment, la localisation de Cerebria dans le deuxième trimestre 2020, qui pourrait donner lieu à d’autres traductions de jeux Mindclash si son succès se confirme sur notre territoire. Et comment pourrait-ce ne pas être le cas ? On m’annonce aussi Cartographers au début 2020, le jeu qui obsède Geoffrey Wood d’Ankama, comme il me le confiera le lendemain, un reprint d’Ultimate Mage Knight et l’extension de Roll Player, sans surprise compte tenu du succès du titre.

J’apprends avec surprise qu’Intrafin ne représente qu’une dizaine d’employés, un chiffre assez réduit pour un nom que j’ai l’impression d’avoir vu passer tant de fois ces dernières années ! En tout cas il a du flair (Terraforming Mars, Cerebria, Spirit Island, Roll Player, Mage Knight, Sword and Sorcery) et compte bien sur Barrage pour ancrer davantage encore sa réputation d’éditeur expert de jeux experts, sans que cela le ferme d’ailleurs à des propositions plus accessibles… Dans tous les cas, si vous avez à l’esprit des noms de jeux anglophones dont aucune localisation n’est prévue et dont vous avez l’impression qu’ils sont vraiment attendus, n’hésitez pas à les lui suggérer !

 

 

 

Un petit tour chez Gamelyn pour voir enfin à quoi ressemble Heroes of Land, Air and Sea et regarder les derniers Tiny Epic. Tiens, un proto d’un Tiny Epic Dinosaurs !

Dan d’USAopoly n’est plus si loin, pourquoi ne pas discuter un peu des Rising (donc bientôt localisés par Lucky Duck, et dont je parlais déjà ici) ? Et Céline de Blue Orange passe sur son stand entre deux entretiens au moment où je regarde Uxmal (qui fait référence à un site que j’ai visité il y a tout juste un an et qui m’avait particulièrement impressionné).

 

Presque 3 000 mots déjà ? Faisons une petite pause jusqu’à demain pour la suite trépidante de cette première journée bien chargée aux Internationale Spieltage d’Essen !