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Detective Club – a-t-on trouvé le nouveau Mysterium ?

Detective Club

Detective Club – a-t-on trouvé le nouveau Mysterium ?

 

Vous connaissez probablement Mysterium, ce somptueux jeu d’Oleksandr Nevskiy déjà érigé au rang d’incontournable des ludothèques alors qu’il n’a pas plus de quatre ans, où un joueur incarnait un fantôme cherchant à faire deviner grâce à des images les circonstances de son assassinat. Curieusement peut-être, je n’ai jamais été trop sensible à ses charmes, parce que j’en trouvais l’asymétrie un peu fastidieuse, le système un peu arbitraire, la mise en place et les parties bien longues pour un jeu aussi léger, justement parce que l’éditeur (Libellud) avait trop bien fait les choses en multipliant les éléments superbes, mais souvent dispensables.

Or voilà que le même Oleksandr Nevskiy conçoit un nouveau jeu, pour l’éditeur ukrainien IGames cette fois-ci, en s’appuyant sur les superbes illustrations de ses compatriotes du M81 Studio, déjà responsables de Shadows – Amsterdam et illustrant également le futur Obscurio (à nouveau chez Libellud). Est-ce le Mysterium 2.0 espéré, plus en phase avec les exigences contemporaines de fluidité et d’interactivité, tout en conservant une haute exigence graphique ? C’est ce dont on va juger tout de suite, avec le test de Detective Club, un jeu vendu 26 euros 90 seulement, pour quatre à huit joueurs (idéalement cinq à huit) de huit ans et plus, et des parties d’environ 30 minutes, plus si vous êtes nombreux autour de la table.

 

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Un club de détectives ?

Après le thème facile, mais très joliment matérialisé, de Mysterium, Nevskiy livre dans Detective Club une histoire beaucoup plus plaquée, que l’on préférera oublier bien vite que de se demander comment nos actions intègrent cette narration. Dans un club de détectives se trouverait en effet un voleur… de rêves. Il faut donc voyager dans les rêves grâce à un informateur pour écouter les témoins et découvrir celui qui ment. Rien ne fait sens mais qu’importe, retenez simplement ces trois rôles, quoi qu’ils soient supposé signifier : l’informateur, les témoins, le voleur.

On aurait pu adopter le marchand de sable, les rêveurs et le voleur de rêves/croque-mitaine, un peu à la When I Dream, ou vraiment assumer la dimension policière au lieu de la mâtiner aussi étrangement de merveilleux, mais qu’importe, on va faire avec ce qu’on a, et s’apercevoir que cela n’a après tout aucune importance. À la décharge de l’auteur, le développement a pu être un peu chaotique, ce qui expliquerait que les règles mentionnent dans la liste du matériel (mais plus ensuite) et montrent des marqueurs qui en fait n’existent pas, qu’aucune illustration ne représente les jetons Loupe, qu’elles représentent en revanche bien des espèces de barres colorées, qui ne sont pas citées dans le matériel et dont il faudra deviner l’usage, puisque le manuel ne le dit pas. Il y a donc de quoi être perdu cinq minutes avant de se rendre compte, comme pour le thème, que les règles sont tout à fait claires, et qu’il faut donc vraiment passer outre cette dimension un peu brouillonne.

Tous les détectives choisissent une couleur, prennent le joli jeton Loupe et la longue barre cartonnée correspondantes et piochent six cartes.

On place à leur proximité la pile des 168 immenses cartes Preuve face cachée, les 58 jetons Points de Victoire, autant de carnets qu’il y a de joueurs moins un, et le crayon fourni dans la boîte… et on peut commencer ! En trente secondes, on est ainsi déjà lancé, et on a déjà eu l’occasion d’admirer l’édition particulièrement soignée du jeu, par-delà les quelques errances signalées. Belle boîte métallisée, matériel généreux et d’excellente qualité, et grandes cartes oniriques à la Dixit appâtent avant même que l’on ait besoin de s’intéresser aux règles, et impressionnent de la part d’un jeu aussi peu cher.

Cette excellente première impression se maintiendra-t-elle ?

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Des rêves et du bluff

Une partie de Detective Club se pratique en autant de manches que de joueurs (à six, sept ou huit) ou en deux fois plus de manches que de joueurs (à quatre et cinq).

À chaque manche, un détective différent est nommé Informateur. Pour la première, il est choisi au hasard, et on tournera ensuite dans le sens horaire.

L’Informateur choisit mentalement un mot que lui évoquent deux de ses cartes, et il en pose une au centre de la table. Puis il prend les carnets et y note le mot, sauf dans un, qu’il laisse vierge. Enfin, il les distribue aux autres joueurs, de manière aléatoire généralement, mais on peut très bien imaginer de temps à autre de le faire de façon plus consciente, pour le plaisir de varier.

Comme on l’aura compris, un seul des joueurs (le voleur) ne sait pas quel est le mot choisi, et donc ce qu’est supposé désigner l’image au centre de la table.

À tour de rôle, les autres détectives posent une carte évoquant le même mot devant eux, puis l’informateur pose une nouvelle carte, et les autres font de même.

Au voleur donc de tenter de comprendre en regardant les autres cartes quel peut être le thème qui les unit, et de poser deux cartes ne le trahissant pas.

Le principe semble être le même exactement que celui de l’excellent A Fake Artist goes to New York, mais c’est sur la dernière phase que Detective Club affirme son amusante originalité.

 

Pour la comparaison, présentation de A Fake Artist goes to New York par l’excellente chaîne/équipe du Passe Temps

 

Une fois les deux cartes par joueur posées, l’informateur révèle en effet le mot qu’il avait choisi, et explique le lien entre ses cartes et ce mot. Puis chaque joueur défend l’un après l’autre ses cartes, et ce n’est qu’après cette phase orale que les détectives (à l’exception de l’informateur) désignent tous en même temps celui qu’ils pensent être le voleur en posant leur loupe devant lui.

Le voleur dévoile ensuite son identité. Tous les détectives qui l’avaient découverte marquent trois points (ils prennent un jeton 3 qu’ils posent devant eux face cachée). Si au moins deux détectives ont découvert le voleur, ni l’informateur ni le voleur ne marquent aucun point. Si un seul détective ou personne n’avait trouvé le voleur, il marque 5 points de victoire et l’informateur 4 points.

On pourrait se dire que cela n’a aucun sens thématiquement, mais l’idée est en fait excellente pour que l’informateur ait intérêt à poser des cartes illustrant clairement son choix. Ainsi le voleur peut-il deviner sans trop de peine le mot, tout en restant incapable d’avoir la moindre certitude, alors que si l’informateur travaillait contre le voleur, il lui suffirait de trouver un thème abstrait ou au moins complexe et des cartes tarabiscotées et l’affaire serait entendue.

C’est que les détectives ordinaires n’ont aucun intérêt à « jouer le jeu », et c’est assurément un point noir de Detective Club. Imaginons qu’ils posent n’importe quoi pour embrouiller le voleur, ils auront certes le plus grand mal à expliquer leur choix ensuite, et alors ? On ne saura plus au juste qui est le voleur, les votes se dissémineront, et ceux qui ne se seront pas montrés fair play auront plus de chances d’être les seuls à gagner des points en trouvant le voleur. Évidemment il faut faire confiance aux joueurs pour trouver du plaisir à poser les cartes de leur main relatives au thème, mais au cas où, n’hésitez pas à trouver un petit système de malus pour ceux qui auraient un comportement très suspect et se défendraient donc très mal.

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Pourquoi ne pas imaginer que chaque détective votant pour vous vous ôte un point si vous n’êtes pas le voleur ? Cela ne peut qu’inciter chacun à poser ses cartes les plus pertinentes (quitte à en poser une plus ambigüe d’abord, puis une plus claire) et à bien se défendre ensuite, en mettant de l’enjeu pour des détectives risquant sinon de ne pas se sentir réellement concernés, ne risquant rien.

 

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Un autre inconvénient vient tout bêtement de ce que le voleur ne connaît pas le thème et peut donc hésiter, et en hésitant, trahir sa nature. En effet, aussitôt que les autres détectives auront le mot, ils auront tendance à choisir aussitôt leurs deux cartes, de sorte que quand ce sera leur tour, ils la joueront sans réfléchir, en regardant à peine les cartes de l’informateur. Le pire arrive bien sûr quand le voleur se trouve juste après l’informateur dans l’ordre du tour. Il doit immédiatement assimiler la carte posée et poser la sienne comme s’il connaissait le thème, et fera difficilement illusion deux secondes…

C’est évidemment pour pallier cette difficulté que l’informateur pose sa carte avant même d’écrire son mot dans les carnets, donnant plus de temps aux joueurs de la regarder à un moment où ils ne savent même pas encore s’ils sont le voleur ou pas. Les trente secondes ainsi obtenues permettent de prendre connaissance de sa main par rapport à la carte posée, sans adopter de comportement suspect. Par ailleurs, il faudra se méfier du bluff : un voleur pourrait poser une carte très vite, presque spontanément, et un vrai détective faire semblant de bien regarder les cartes en jeu et de sa main pour disperser les votes.

Par ailleurs, j’ai vu plusieurs fois des voleurs mieux défendre leurs cartes que les détectives, soit parce qu’ils avaient compris le mot tout de suite, soit parce qu’ils avaient eu la chance de poser d’emblée une carte assez proche pour éloigner les soupçons (qui se reportaient alors sur le détective n’ayant aucune carte pour mieux illustrer le thème en main), soit parce que l’ambigüité onirique des cartes permet parfois d’improviser des justifications n’ayant aucun lien avec la raison pour laquelle on les avait posées ! Il m’est même arrivé d’être accusé… parce que j’avais trop d’arguments pour défendre mes cartes et que cela ne paraissait pas naturel.

Dans une autre situation amusante, une voleuse jouant juste après l’informateur avait été prise d’un fou rire en entendant le thème, certaine que ses cartes tout à fait inappropriées la trahissaient tout de suite… alors qu’elles étaient défendables en en tordant un peu le sens. Comme vous vous en rendrez compte, les cartes disent rarement explicitement ce qu’on veut leur faire dire, et ce sera donc souvent sujet à l’interprétation personnelle, de sorte que certains choix pourront paraître curieux avant d’entendre le joueur les ayant faits.

À la fin d’une manche, les joueurs complètent leur main et le rôle d’informateur va au suivant.

 

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Quand tous les joueurs ont été une ou deux fois l’informateur, la partie s’achève et celui qui possède le plus de points remporte la partie. Il arrivera souvent que vous étendiez un peu les parties, en proposant un tour de table supplémentaire ou simplement en confiant le rôle de l’informateur à un joueur souhaitant particulièrement l’incarner une nouvelle fois. Par ailleurs, je me suis rendu compte après coup n’avoir simplement pas compté les points de plusieurs parties, parce que nous nous étions tant amusés que nous n’avions même plus songé au score et au classement !

Notons pour finir que le manuel de Detective Club propose deux variantes. La première consiste à fixer un thème pour toute la partie, dans lequel devront s’inscrire tous les mots choisis. Je vous avouerais franchement que je ne sais même pas comment cela peut fonctionner. Il est déjà si difficile parfois de donner un sens commun à deux de ses six images qu’ajouter cette contrainte me paraît assez fantaisiste. En outre, cela risque de trop faciliter le travail du voleur, qui aura bien moins à réfléchir. Sur quelques manches et juste pour le fun pourquoi pas, mais à l’échelle d’une partie ça ne me paraît vraiment pas intéressant.

L’autre variante propose simplement de sauter la phase de discussion. Aussitôt les deux cartes posées, on vote pour celui que l’on croit être le voleur. Pour le coup, elle est habile, et habilement placée dans les variantes. Il ne fait aucun doute que les règles avec discussion sont plus agréables et plus riches. Même moi qui n’aime pas trop les jeux à bagou, je trouvais beaucoup de plaisir à défendre mes cartes, même quand je n’étais que détective, et à laisser au voleur une chance de duper son monde. À force d’enchaîner les parties, on peut cependant souhaiter légitimement un peu de variété, et pratiquer de temps à autre un très rapide (puisque muet) tour de table avec cette variante s’avère reposant et tout à fait satisfaisant.

 

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Detective Club, le nouveau Mysterium ?

Detective Club n’a pas la densité et la splendeur matérielle de Mysterium… Et c’est tant mieux. Pour dix euros de moins, on a affaire à un jeu qui se met en place en trente secondes et s’explique aussi vite, qui pourtant ne s’avère pourtant pas moins rigoureux ou plus léger que son illustre aîné, et parvient à livrer des illustrations parfaitement dignes de celles d’un Dixit ou d’un Shadows – Amsterdam (réalisées par le même studio) et des pièces de très bonne facture. Ce que l’on perd en thème, on le gagne ainsi en fluidité, en immédiateté, sans sacrifier l’émerveillement essentiel à un « jeu d’images », de sorte que j’aurais pour ma part tendance à juger que oui, Oleksandr Nevskyi a réalisé avec Detective Club le nettoyage de Mysterium qui pouvait s’imposer pour lui faire assumer sa nature de jeu d’ambiance de luxe et répondre aux exigences toujours plus pointues conditionnant (pour le meilleur) le « jeu de société moderne ».

 

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