Scarabya – pose de tuiles, scarabées et archéologie
Il semblerait que je sois très porté en ce moment sur le jeu de tuiles familial, plus ou moins pervers, avec des tests récents d’Isle of Skye, Patchwork, Kingdomino, Queendomino, Bärenpark et Gingerbread House, quand même. Quand j’ai donc appris que l’auteur du formidable Kingdomino, la star du jeu de société Bruno Cathala (Imaginarium, Mr. Jack, Okiya, Five Tribes…) revenait au jeu de pose de tuiles avec son compère Ludovic Maublanc (Mr. Jack, Dice Town, Oh mon Château, Château Aventure), de surcroît pour un jeu Blue Orange, j’étais particulièrement enthousiaste à l’idée de tester ce Scarabya. Illustré par Sylvain Aublin (Rolling Bandits, Oh mon Château), Scarabya s’adresse à 1 à 4 archéologues de huit ans et plus pour des parties d’une vingtaine de minutes et est disponible pour 26 euros 90. Alors, prêts à embarquer dans la recherche des mystérieux scarabées d’or ?
Des archéologues en quête du plus grand mystère de l’histoire ancienne ?
Des scarabées d’or ont été retrouvés aux quatre coins de la planète, voilà un mystère exigeant une ample investigation par une coordination d’archéologues inédite, annonciatrice de bien des révélations sur notre passé quand suffisamment de ces artefacts auront été retrouvés en vue d’analyse plus poussées…
Un thème plaqué sur un jeu qui n’a pas grand chose à voir avec la résolution de mystères, ni même au fond avec l’archéologie. On sait que le jeu de société moderne a « besoin » de cette contextualisation, en particulier chez un éditeur familial comme Blue Orange, mais il vaut mieux en être d’emblée conscient, le contraste entre la joliesse de la couverture d’une part, la rigueur mécanique et l’aridité scénaristique d’autre part, ne devant surtout pas trop décevoir les joueurs et les empêcher d’entrer dans une création assez riche quand on sait qu’y chercher – manifestement pas une réponse à l’énigme historique des scarabées disséminés de par le monde.
C’est que Scarabya est avant tout un jeu de pentominos, ces tuiles de formes différentes constituées de cinq carrés, et le jeu consistera exclusivement à entourer des zones comportant des symboles au moyen de ces pentominos. Pas facile de plaquer un thème et une cohérence graphique là-dessus, donc va pour l’archéologie ! Et il faut admettre que pour un thème complètement plaqué, celui-ci est assez bien relevé par le travail d’illustration des pièces, rochers et campements en particulier !
Champs de fouilles
Pour commencer, chaque joueur choisit une couleur, qui correspond à l’environnement dans lequel il va effectuer ses fouilles, désert, jungle, sommets enneigés, fonds marins. Un joueur est proclamé « Grand Explorateur », et est chargé de mélanger et placer sur la table, faces cachées, les cartes Mission, puis d’assembler aléatoirement ses quatre petits plateaux Site archéologique afin de former une grande zone dans son cadre. Les autres joueurs imiteront sa configuration pour former la même zone de fouilles chacun dans sa couleur. Les plateaux comportent des trous, où les joueurs poseront les pièces tridimensionnelles de rochers.
Le Grand Explorateur pioche une carte Mission, qui donne une forme de pentomino. Tous les joueurs prennent celle de leurs 12 tuiles Campement ayant cette forme et la posent sur leur site en respectant quelques règles : la première tuile doit obligatoirement couvrir l’une des quatre cases centrales, puis toutes les tuiles doivent être orthogonalement connectées à une tuile déjà posée.
Les autres contraintes sont de bon sens : les tuiles ne peuvent pas se chevaucher, dépasser le plateau et recouvrir un rocher – ce qui n’est de toute manière pas possible, compte tenu du relief. Le genre de petites touches qui rappelle à quel point Cathala aime que les règles soient intuitives. S’il n’est pas possible de placer une tuile, on la défausse. Il est sinon nécessaire de la poser, de sorte qu’il faut bien prendre garde en posant une tuile de laisser de l’espace pour la prochaine.
L’objectif du jeu est de créer des zones de fouilles en s’aidant des contours du plateau, des rochers et des tuiles Campement. Une zone de fouille ne peut pas comporter plus de quatre cases, et vaudra autant de points que le nombre de scarabées qu’elle contient multiplié par le nombre de cases dans la zone. Si vous parvenez à enfermer trois scarabées dans une zone de quatre cases, elle vaudra donc douze points. Évidemment, les scarabées recouverts par des campements ne comptent pas, selon le sain adage socio-ludique : ce qu’on ne voit pas n’existe pas.
Quand la douzième mission a été réalisée, on compte ses points. Toujours aussi prévenants, Cathala et Maublanc ont imaginé des jetons Scarabée de 1 à 4 à poser sur les scarabées scorés à chaque complétion d’une zone de fouilles. Ainsi, pour compter ses points, il suffit de prendre ses jetons Scarabée et d’en additionner la valeur, rendant le calcul plus aisé.
Scarabya, trois jeux en un
L’une des forces de Scarabya dit Bruno Cathala, c’est de comporter trois jeux en un – et pas juste un jeu avec deux variantes.
Le deuxième de ces jeux est un 1 contre 1… sur le même plateau, mimant la rivalité entre deux adversaires sur le même site archéologique. Une fois qu’on l’a assemblé ledit site, chaque joueur pioche à tour de rôle une carte Mission et pose la tuile correspondante en suivant les mêmes règles de fouille que dans les règles « normales ». Quand on complète une zone de fouilles, on prend devant soi les scarabées correspondants, et on pose un scarabée dans la zone pour signaler sans doute possible qu’elle a déjà été comptabilisée.
Au bout de six tours déjà on compare les scores. Un mode très rapide, très fonctionnel et évidemment plus interactif puisqu’on peut profiter des campements de son adversaire pour établir ses propres zones de fouilles. Au lieu de préparer les zones les plus intéressantes, on tentera plutôt de scorer aussi tôt que possible pour prendre des points à l’adversaire et en garantir quelques-uns de son côté. Et les règles proposent une sympathique revanche, en gardant les mêmes tuiles dans le même ordre mais en faisant commencer l’autre joueur, astucieux, surtout quand on a un peu de mémoire !
Enfin, comme vous l’avez lu dans l’introduction, on peut jouer à Scarabya seul. Descendant de l’ancienne civilisation ayant semé ses scarabées, vous cherchez à les dissimuler à la vue du monde afin que vos secrets ne soient jamais découverts. Vous dévoilez les cartes Mission une par une et jouez vos tuiles au fur et à mesure, en respectant les mêmes règles de pose mais en essayant cette fois de recouvrir tous les scarabées en douze tours. En cas d’échec, pourquoi ne pas simplement retourner la pile, sans la mélanger, et retenter sa chance avec un vague souvenir de son ordre ? C’est très malin : s’il s’agissait seulement de scorer des zones de fouilles, vous pourriez légitimement vous lasser de faire seul la même chose qu’à quatre, mais la contrainte de recouvrir plutôt que d’entourer apporte une fraîcheur très bienvenue.
Scarabya, trois jeux, douze tuiles, et autant de scarabées que de plaisir ?
Le Scarabya de Cathala et Maublanc a bien des forces, à commencer par la simplicité de ses règles, courtes (elles tiennent en deux pages) et intuitives (une fois apprises, on n’a plus aucun besoin de se référer au livret), ses trois jeux en un, son design juste assez joli pour donner l’impression de faire autre chose que de poser des pentominos, juste assez en retrait pour ne jamais faire oublier les mécaniques, au cœur de toute l’expérience. Rejouable, immédiat, nerveux, varié, et financièrement abordable, il n’a qu’un défaut, celui de sortir peu après Kingdomino, après la réédition de Patchwork et la localisation de Bärenpark, bref à un moment où la compétition graphique et mécanique est très forte entre trop bons concurrents (Rosenberg, Walker-Harding et… Cathala lui-même, excusez du peu). Même si sa discrétion thématique peut naturellement être nuisible pour un jeu familial, comme le fait d’arriver un peu tard, Scarabya a, comme on l’a vu, des arguments à faire valoir, et il serait bien dommage de l’occulter – ou de négliger les concurrents cités.