Patchwork – rien n’est plus amusant que de tisser une couverture !

 

Après Agricola et Caverna, Funforge (TokaidoProfesseur EvilThe Big IdeaWarehouse 51Monumental) continue de localiser les jeux d’Uwe Rosenberg initialement édités par Lookout Games. Une fois n’est pas coutume, Patchwork n’est pas un jeu de gestion/collecte de ressources, mais un tetris-like qui mise au contraire sur la simplicité du matériel et des règles pour offrir à deux joueurs de huit ans et plus 30 minutes du curieux plaisir de composer un patchwork, c’est-à-dire un ouvrage d’une seule pièce (idéalement) composée de multiples petites pièces de tissu de tailles, formes et couleurs différentes, en l’occurrence illustrées par Klemens Franz (Noria, MontanaCavernaAgricola).

Disponible pour seulement 16 euros 90, sa publication française avait rencontré un succès si considérable que j’ai récemment dépassé mes premières appréhensions pour me laisser tenter… et effectivement séduire.

Patchwork boite

Tisser sa couverture

L’objectif de Patchwork est de concevoir une couverture de 81 cases (un carré de 9 par 9) d’un seul tenant et sans trous… ou en tout cas moins trouée que celle de son adversaire. Pour cela, on a à sa disposition 33 pièces de tissu de formes très différentes et donc d’un intérêt variable au cours de la partie. Une grande pièce sera ainsi une bénédiction s’il faut couvrir le plus de trous possibles, mais ne pourra pas toujours trouver sa place sur la couverture, ou risquera de bloquer la pose d’autres pièces si sa forme s’accorde mal avec les prochaines tuiles de tissu que l’on récupérera…

On place donc en début de partie les 33 pièces aléatoirement en ovale autour du plateau central, assez alignées pour que chacune soit clairement « avant » ou « après » les pièces adjacentes. Puis on place le pion neutre entre la plus petite pièce de tissu du jeu (la pièce de deux cases) et la pièce suivante dans le sens horaire.

Le joueur dont c’est le tour ne peut choisir qu’entre les trois pièces situées devant le pion neutre. Une fois qu’il l’a sélectionnée et a payé son éventuel coût en boutons, il la pose sur son plateau personnel et la remplace par le pion neutre. De sorte qu’il faudra toujours faire attention en choisissant la pièce qui nous arrange le mieux de ne pas donner accès à des pièces trop intéressantes à son adversaire. Naturellement les pièces ne peuvent pas être superposées, ni dépasser de la couverture, mais on peut les tourner dans le sens que l’on veut, y compris sur l’envers.

 

Patchwork pion neutre

Jeu de temps et de boutons

Or on ne disposera probablement pas les 33 pièces sur les plateaux individuels, Patchwork posant une contrainte de temps. Chaque pièce porte en effet en plus de son coût en boutons la mention de son coût en temps, ce qui signifie que l’on doit avancer son pion d’autant de cases sur le plateau central. D’une part la partie s’achève quand les deux joueurs sont arrivés sur la dernière case, quel que soit l’avancement de leur couverture, d’autre part on ne joue pas à tour de rôle, mais à la manière de Tokaido, c’est toujours au joueur le plus en arrière de jouer, de sorte que son « tour » peut lui permettre de poser plusieurs pièces avant que ce soit enfin au tour de son adversaire.

Si on peut avoir l’impression que les pièces les plus objectivement intéressantes (un carré de deux par deux, une longue ligne…) sont les plus chères en temps et en boutons, ce n’est pas toujours vrai et certaines valeurs peuvent sembler arbitraires, de sorte qu’en plus de ne pas laisser à l’adversaire un trop bon choix, il faut y regarder à deux fois avant de choisir une pièce commode et très peu chère, mais gourmande en temps.

Pour récupérer des boutons, on peut à son tour décider d’avancer jusqu’à se placer juste avant son adversaire, et de la sorte récupérer autant de boutons que de cases franchies, ce qui lui cède automatiquement le tour puisqu’il est ainsi situé derrière nous. On en gagne également quand on passe le symbole Bouton sur le plateau. On gagne alors autant de boutons qu’il y en a sur les pièces de tissu de notre couverture. Et comme vous l’aurez compris à la finesse de Patchwork, leur nombre relève également d’une forme d’arbitraire, de petites pièces pouvant porter plusieurs boutons et certaines grandes pas du tout.

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Autrement dit, pour choisir un bouton, il faut prêter garde à sa position dans le « marché », sa forme, sa taille, son coût en boutons, son coût en temps et le nombre de boutons qu’elle porte, donc de nombreuses variables qui peuvent rendre une sélection parmi seulement trois pièces très tactique !

 

Patchwork couverture

Le plus beau patchwork

À la fin de la partie, on commence par gagner autant de points que de boutons que l’on possède, en ne comptant que sa monnaie effective, pas les boutons représentés sur les pièces. Puis on soustrait à cette valeur deux points par case vide sur le plateau couverture, ce qui doit pouvoir produire des scores négatifs il me semble (un cas que je n’ai jamais rencontré, mais qui paraît tout à fait possible).

C’est on ne peut plus simple, même s’il faut mentionner deux règles qui influent autant sur le score que sur la manière de jouer. Comme on l’a vu, il vaut mieux être prudent, choisir des pièces peu coûteuses en temps pour jouer plus que son adversaire, à l’exception de quelques folies nécessaires pour récupérer des pièces particulièrement intéressantes. Cependant, seul le premier joueur à créer un carré parfait de 7 cases par 7 gagnera 7 points bonus, ce qui peut impliquer un peu de course.

Surtout, 5 pièces de cuir sont présentes sur le plateau central. Le premier joueur à passer par ces cases peut les récupérer et les poser immédiatement sur son plateau, ces petits carrés n’occupant qu’une case étant particulièrement pratiques pour combler les quelques trous presque inévitables laissés par le placement des pièces, évidemment inamovibles, à moins d’être vraiment un champion de Tetris.

 

Patchwork boutons

Patchwork, coup de cœur du petit jeu malin

Patchwork me fait beaucoup penser à Kingdomino, qui était sorti quelques mois plus tôt. Avec la même idée d’un jeu accessible aux enfants avec des règles extrêmement simples, où il s’agit de poser des tuiles dans un espace limité, tous deux parviennent à faire des merveilles et à passionner légitimement les plus stratèges des gamers, bien loin du petit jeu familial qu’ils semblent être au premier abord. C’est donc sans surprise que l’on voit les noms de leurs auteurs, Uwe Rosenberg et Bruno Cathala appartenant aux concepteurs de jeux de société les plus célèbres, et il fallait probablement un véritable talent pour les jeux combinatoires complexes et ambitieux pour réaliser un petit jeu aussi simple et pourtant aussi efficace.

Pour ne prendre que l’une des preuves discrètes de la subtilité de Patchwork, remarquons que le jeu n’est jamais bloqué, même quand aucun confectionneur n’est intéressé par les pièces devant lui ou n’a les moyens de les acheter. On ne peut pas les défausser, mais on peut toujours choisir, à défaut de les jouer, de gagner des boutons en se plaçant devant son adversaire. Si l’adversaire adopte la même tactique, on finira immanquablement par avoir les moyens d’acheter l’une des trois pièces, ou par arriver à la dernière case du plateau et à finir le jeu. Même le non-jeu fait ainsi avancer la partie tout à fait normalement, le genre de petite trouvaille qui n’a l’air de rien mais prouve une grande finesse de conception.

Patchwork est ainsi un jeu qui pourrait rendre Bruno Cathala jaloux, et c’est un compliment aussi bien pour Cathala que pour Rosenberg. Une merveille de jeu de société parfaitement simple, malin et huilé !