Après de nombreuses péripéties, dont la décision de Disney (propriétaire de Marvel) de retirer ses contenus de Netflix pour privilégier un service de streaming spécifique, l’échec relatif des trois dernières collaborations Marvel/Netflix (Luke Cage, Iron Fist, The Defenders) et le report de The Punisher suite au massacre de Las Vegas, ce qui nous avait inspiré un coup de gueule contre l’image que cela donnait du personnage, de la télévision et des super-héros, la série est enfin sortie le 17 novembre. Curieusement, The Punisher continuait d’attiser la curiosité alors qu’il ne semblait plus y avoir grand espoir à placer dans cet univers étendu en chute libre. Non seulement, elle pouvait enfin éloigner Marvel du kitsch qui avait miné ses productions précédentes, mais The Punisher avait été lancé en réponse à l’accueil favorable que les spectateurs avaient réservé au personnage en le voyant dans l’excellente deuxième saison de Daredevil. Était-ce la réponse appropriée et la série qui relancera enfin dans la bonne direction le MCU télévisé ?
Une nouvelle recette pour un nouveau public
C’est en tout cas une réponse d’une réconfortante radicalité : c’est bien simple, The Punisher n’est pas une série super-héroïque et elle n’est connectée au MCU que par des caméos qui auraient très bien pu ne pas en être. Certes, le personnage et ses antagonistes tirent avec une précision et une létalité surhumaines, et Franck Castle jouit d’un facteur auto-guérisseur que lui envierait Wolverine, mais ce sont de malheureuses conventions de cinéma d’action tout à fait indépendantes d’une production super-héroïque. The Punisher n’a même pas l’esthétique colorée et soignée des autres séries des Defenders, preuve ultime que Marvel assume sa volonté de séduire le public imperméable aux séries de personnages masqués en collants et sensible aux drames de politique/manipulation/action. Aussi intéressant que cela soit, c’est aussi assez regrettable, parce que sauver une franchise super-héroïque en occultant son super-héroïsme et tout ce qui la rattachait à la franchise manifeste une capacité à se renouveler aussi bien qu’une décomplexion à renoncer à son identité. The Punisher séduit ainsi un nouveau public en espérant que l’ancien ne tiendra que grâce à l’étiquette Marvel…
The Punisher, histoire et idéologie
Et tout cela pour une intrigue un peu facile, qui mâtine l’origin story excessive et stéréotypée du Punisher d’éléments de Querry ou plus explicitement encore de Homeland. Or à quoi bon se saisir d’un personnage pareil si c’est pour raconter quelque chose d’aussi peu neuf que la revenge story d’un homme prenant les armes pour abattre ceux qui ont tué sa femme ? Y ajouter du PTSD était une bonne idée… si seulement c’est le Punisher qui en était atteint, mais les scénaristes ont préféré en affecter un personnage tout à fait secondaire, occupant une intrigue parfaitement digressive pendant les deux tiers de la série avant de croiser les préoccupations du héros. Même si j’ai beaucoup apprécié la référence forte à l’attentat d’Oklahoma City (un vétéran qui avait voulu se venger du gouvernement responsable de guerres absurdes en faisant 848 victimes, dont 168 morts, dans une explosion), et les parallèles qui étaient faits entre le Punisher et le terroriste poursuivant (d’après lui) le même objectif, cela manquait de cohérence dramatique, et même le rapprochement entre les deux figures était poussif, le Punisher comme le spectateur voyant d’emblée et très bien la différence…
L’attitude idéologique de The Punisher est en effet difficile à cerner, d’autant que j’étais moi-même persuadé avant d’avoir vu la série qu’elle problématiserait la violence de son protagoniste… alors que son visionnage donne plutôt l’impression qu’elle explique et justifie son vigilantisme criminel comme unique moyen de purifier le monde quand même les élites sont pourries. Dinah Madani, qui travaille à la sécurité intérieure, est de bout en bout le personnage qui croit à l’action légale, qui a foi dans un système qui a fini par apporter la paix à tous ses citoyens, tout en admettant qu’il est fragile et a besoin de la protection de toutes les personnes de bonne volonté. Elle est donc par excellence l’anti-Punisher… jusqu’à ce qu’elle fasse elle-même face à la corruption et à la mort d’un de ses proches, et tolère les actions de Castle même sans les approuver moralement. De même, la série montre à quelques reprises un sénateur favorable à l’interdiction du port d’armes, amené à nuancer ses propos quand sa vie est menacée et qu’il doit donc faire appel à une société de surveillance armée, et par ailleurs mis face à ses contradictions quand il est interviewé par Karen Page et lui demande pourquoi elle porte constamment une arme sur elle… alors qu’il a deux gardes du corps à ses côtés. Tous ces éléments aboutissent à une démonstration efficace… en faveur du port d’armes et de l’auto-justice. Les scénaristes se rendent-ils compte qu’ils utilisent simplement un argument de la NRA quand ils font dire à leurs personnages que dans une société normale où l’État prendrait soin de ses enfants l’un comme l’autre n’existeraient pas ? Cela me fait penser à The Circle : je ne vois pas pourquoi une oeuvre culturelle n’aurait pas le droit d’argumenter en faveur de la surveillance électronique permanente ou du port d’armes, que ce soit sérieusement ou par provocation, j’ai seulement peur que cela n’ait pas été vraiment le projet des auteurs, auquel cas cela prouverait leur aveuglement complet sur le message qu’ils véhiculent, ce qui est plus grave que tout…
Une planche dans un naufrage ?
Tâchons d’ignorer toute réflexion que la série pourrait prétendre porter sur le monde réel. Ignorons une intrigue prévisible qui dans ses thématiques et sa dramaturgie est assez faible et longue, alors que la concision de The Defenders (pourtant l’aboutissement de cinq saisons), seulement huit heures, laissait croire que Marvel/Netflix avaient essayé de résoudre un de leurs problèmes. Ignorons enfin une mise en scène assez peu inspirée, où même les combats manquent de l’énergie chorégraphique de Daredevil, et une bande originale tout à fait inexistante, alors qu’elle est signée Tyles Bates (Les Gardiens de la Galaxie 1 et 2, John Wick 1 et 2). Il semblerait qu’il n’y ait alors plus grand chose à voir, et pourtant The Punisher est une série regardable, et assurément recommandable à un certain type de public.
Malgré les 13 heures et tous les sérieux problèmes énumérés, Steve Lightfoot sait raconter une histoire et écrire des personnages que pourra faire vivre un casting impeccable. Même si le showrunner se ment apparemment à lui-même en affirmant que Frank Castle est un personnage complexe et duel en qui se déroule un terrible combat moral, Jon Bernthal (tellement meilleur que dans son auto-caricature de Baby Driver) en livre une interprétation étonnamment humaine, faisant bien ressortir la perte définitive et depuis longtemps avérée de toute innocence chez le Punisher, et sa nostalgie d’un temps dont il sait qu’il ne le revivra pas, dont il a conscience que le seul exutoire est la sauvagerie contrôlée dont il ne pourra jamais se départir. Le personnage de Micro, d’abord assez ridicule, se dote au fur et à mesure des épisodes d’un semblant de profondeur, au point qu’on s’identifie périodiquement à lui (bien plus qu’à Castle d’ailleurs), tandis que sa famille est peut-être le ressort émotionnel le plus réussi de la série dans sa capacité à susciter d’intéressantes ambiguïtés. Madani comme Billy Russo sont des fils directeurs de l’intrigue plus que de véritables personnages, ce qui est une imperfection d’écriture et certainement pas de jeu, tandis que Karen Page apporte enfin quelque chose (alors que ses moments de grâce étaient quand même rares dans Daredevil), mais apparaît trop peu…
Conclusion
The Punisher est ainsi une série que je conseillerais, et sans aucun doute la meilleure du MCU depuis un an et demi, ne serait-ce que parce qu’on y passe un bon moment. Elle est pourtant très insatisfaisante parce qu’elle préfère renoncer au super-héroïsme et donc à sa spécificité plutôt que de chercher une voie différente, comme la saison 2 de Daredevil justement, celle qui avait introduit le Punisher, et brillait par la variété de ses personnages aux enjeux et aux désirs contradictoires, et donc par sa variété dramatique, tout en bénéficiant d’une réalisation admirable, ou comme Legion, qui explorait avec génie une espèce de voie médiane entre kitsch super-héroïque pénible et absence de super-héroïsme. Les modèles existent, le Punisher n’en deviendra sans doute pas un, mais il montre peut-être la conscience d’un changement chez Marvel qui n’arrive pas assez vite…