Une année de compétition entre super-héros et super-studios : notre verdict
Si l’omniprésence des super-héros sur nos écrans est depuis longtemps programmée et effective, elle a franchi une étape en 2016 avec l’arrivée de DC Comics/Warner Bros. dans la course. À Marvel qui inaugurait sa phase 3 avec le 13ème film de la continuité du Marvel Cinematic Universe, Captain America : Civil War, Warner opposa Batman v Superman, lancement d’un nouvel univers étendu plus que suite à Man of steel. La rivalité de Marvel/Disney et DC/Warner Bros. n’avait jamais été aussi frappante, et l’impression qu’ils donnent d’un monopole sur l’industrie super-héroïque a été renforcée par le retard accusé par leurs concurrents. En ce qui concerne la Fox, le succès rafraîchissant de Deadpool apparaît comme une tentative isolée aux antipodes du fatigant X-Men Apocalypse, et l’abandon dans l’état actuel des choses du spin-off sur Gambit n’est pas pour nous rassurer, tandis que Sony, coulé par les échecs d’Amazing Spider-Man 2 et Les Quatre Fantastiques, a dû accepter la collaboration avec Marvel sur tous les projets touchant l’homme-araignée…
La compétition entre Marvel et DC Comics ne s’est cependant pas illustrée sur le seul champ de bataille des salles obscures : aux séries animées produites depuis des décennies, les deux maisons de divertissement ont récemment ajouté des séries live plus ou moins ambitieuses, que nous listions ici (avec un rappel des maisons d’édition et studios auxquels appartiennent les héros, ça peut toujours servir) et dont certaines sont d’une qualité étonnamment supérieure à la moyenne, tandis que leur opposition s’inscrit dans une guerre entre les deux sociétés de production et de distribution Warner Bros. et Disney, qui misent également sur d’autres franchises pour vider nos porte-feuilles (Star Wars vs. Les Animaux fantastiques).
L’année 2016 fut-elle donc celle de Disney/Marvel ou le challenger Warner Bros./DC Comics a-t-il su emporter le titre ?
DC vs. Marvel : les séries live
Personne, il y a quelques années encore, n’aurait pu ënvisager une présence sérieuse des super-héros sur le petit écran : entre le coût d’une telle série et l’image peu sérieuse associée à ces personnages en collants, il paraissait risqué de sortir des séries animées dont la qualité s’est maintenue depuis les années 1990. Game of Thrones faisait encore figure d’exception en terme de budget, et avait au moins l’avantage de pouvoir séduire la critique par son ambition, alors qu’une série live consacrée à Batman ou Spider-Man aurait pu apparaître comme un affadissement ciblant les adolescents des films connus par le grand public.
Avec le temps, il était cependant devenu clair que tout médium servirait de champ de bataille à Disney et la Warner, et après quelques tentatives assez timides, 2015 puis 2016 sont réellement apparues comme des années d’affermissement des super-héros dans le format long des séries. Le génie des deux sociétés pour pallier les difficultés évoquées plus haut fut d’emblée de les varier aussi bien en terme de public que de casting, de réalisation ou de ton.
En 2016, DC proposait ainsi 5 séries : Arrow, Flash, Supergirl et DC’s Legends of tomorrow sur The CW et Gotham sur la Fox, pour rivaliser avec Agents of S.H.I.E.L.D. et Agent Carter sur ABC, et les séries issues de la collaboration avec Netflix Daredevil et Luke Cage.
Tout semblait parfait dans le meilleur des mondes : les séries Marvel se déroulent dans le même univers (le MCU) que les films, leur assurant un complément en terme de background que ne peuvent ignorer les spectateurs qui se ruent deux fois par an dans les salles pour revoir les héros de la Maison des idées, et après une saison consacrée aux Inhumains, c’est le Ghost Rider qui était au centre de Agents of S.H.I.E.L.D., plutôt prometteur ! En face, la Distinguée Concurrence a pris la décision de rapatrier Supergirl sur The CW afin de le placer dans le même monde qu’Arrow, Flash et Legends, d’y intégrer pas moins que Superman, et de proposer un méga-crossover entre les quatre séries, tandis que Gotham monte en puissance, l’histoire de la ville avant que Bruce Wayne ne devienne Batman se concentrant sur l’ascension du Pingouin, la Cour des hiboux et l’arrivée des Mutants…
Pourtant ces séries sont en perte d’audience. Elles attirent toujours un peu pour leurs premiers épisodes, les promesses de nouveauté attirant naturellement des spectateurs qui ne demandent qu’à pouvoir leur accorder leur confiance, et déçoivent assez vite. Tandis qu’Agent Carter a été annulé au bout de deux saisons, il n’est pas certain que Agents of S.H.I.E.L.D. se maintienne à flot très longtemps, et les chiffres pour les séries sur The CW sont pour l’heure biaisés par le regain considérable du crossover.
La faute n’en revient pas tant à une baisse de qualité des séries qu’à une perte de vitesse naturelle : tant de séries paraissent chaque année que peu de spectateurs ont encore la patience de commencer une série qui compte déjà trois ou quatre saisons, et ceux qui abandonnent temporairement une série pendant une saison peuvent ainsi être vite découragés d’y revenir, surtout si chaque saison compte plus de 20 épisodes, alors que la mode est aujourd’hui aux saisons e 10 épisodes. La plupart de ces séries ont par ailleurs le défaut de souffrir d’un manque d’ambition artistique, entre une réalisation assez plate, des effets spéciaux souvent cache-misère, un casting honnête sans performances inspirées…
Gotham est probablement la série dont l’insuccès est le plus regrettable : passionnante dès son idée de départ, elle est plus brute, présente pus d’aspérités graphiques et psychologiques que ses concurrentes trop adolescentes. Ses showrunners seraient inspirés d’en réduire le nombre d’épisodes par saison : en concentrant mieux le budget et en arrêtant de diluer les sous-intrigues pour passer le temps, elle pourrait être plus légitimement remarquée.
Mais Marvel emporte la manche des séries haut la main grâce à la saison 2 de Daredevil. En 2015, la première avait fait sensation, en prouvant que Marvel avait parfaitement compris comment concilier les attentes des fans de super-héros, de sérivores, et de tout spectateur en recherche de qualité. Le format impeccable (dix épisodes de moins d’une heure, diffusés en une seule fois sur Netflix, donc sans attente) autorisait enfin un développement efficace de l’intrigue, concentrée autour de plusieurs personnages approfondis, en empêchant les fillers qui sont l’un des principaux objets de décrochage d’un spectateur. Laissant la part belle aux combats impeccablement chorégraphiés, elle n’en oubliait pas l’exploration des traumatismes des personnages gravitant autour du héros. Elle n’hésitait pas à lancer dans l’arène l’adversaire le plus connu du diable de Hell’s Kitchen sans attendre une dixième saison, ne cherchait pas à temporiser les résolutions, ni à épargner ses personnages, et brillait par sa colorimétrie sombre, sa photographie soignée et un casting très mature d’acteurs oubliant tout à fait leur caractère kitsch.
L’annonce pour la deuxième saison de l’arrivée du Punisher et d’Elektra aurait pu faire redouter le pire, parce que ni l’un ni l’autre ne paraissent pouvoir bien s’intégrer à une série prenant tant au sérieux son environnement contemporain et son réalisme, et elle est finalement presque aussi irréprochable que la première, son seul défaut flagrant étant de trop se penser dans la continuité des autres séries Marvel/Netflix, et donc de ne plus si bien chercher à boucler ses intrigues. La série crée du coup une attente qu’elle était supposée pallier, mais c’est un mal bien pardonnable quand on admire la réussite éclatante de Jessica Jones, et que l’on ne peut donc qu’espérer le meilleur des séries suivantes.
Les faiblesses de Luke Cage ne devraient pas ternir cet espoir : elles paraissent en effet bien cantonnées à cette série en particulier, à la difficulté de rendre l’histoire de ce personnage invulnérable aux balles aussi sombre et crédible que les autres, et de le confronter à un super-vilain aussi charismatique.
DC vs. Marvel : les films
2016 était surtout une année importante en matière d’adaptations super-héroïques parce que DC Comics y entamait son DC Extended Universe, comme on l’a dit : en donnant enfin une suite à Man of steel, et en l’intitulant Batman v Superman : Dawn of Justice [League] plutôt que Man of steel 2, la Warner manifestait sa volonté de s’attaquer directement au Marvel Cinematic Universe, en frappant fort. Batman et Superman restent en effet malgré tout les super-héros les plus populaires, et les studios devaient avoir l’impression de mettre toutes les chances de leur côté en faisant appel à un casting mirobolant (Ben Affleck, Jeremy Irons, Jesse Eisenberg), en introduisant enfin une super-héroïne pour ne pas laisser trop longtemps les spectatrices en dehors du champ de bataille marketing, et en acceptant même le risque d’un ton résolument plus sombre et plus violent que les productions concurrentes, au risque de perdre leur audience family-friendly.
La suite du programme n’était pas moins prometteuse, puisque Suicide Squad devait poursuivre cette logique impitoyable, sans concessions, et très audacieuse en offrant les premiers rôles à plusieurs méchants emblématiques du bestiaire de DC Comics.
On connaît le résultat : Batman v Superman subit un tel massacre critique, notamment à cause de son trop long build-up, de la violence de ses super-héros inconciliable avec l’images qu’en avaient les spectateurs, de sa trame décousue et d’un Eisenberg en roue libre, que l’auteur de comics Geoff Johns, mis à la tête de la branche divertissement de DC Comics pour rattraper le coup, promit que l’on tiendrait compte des reproches adressés à ce film pour Suicide Squad. Bien mal lui en prit, puisque Suicide Squad est bien placé dans tous les flops de l’année 2016, précisément parce que ses super-vilains étaient bien trop héroïques, que ses couleurs kitsch tranchaient avec l’obscurité promise, que tout ce qui aurait dû être moralement et visuellement dérangeant, particulièrement les scènes sur-vendues du Joker, avait été simplement effacé au profit d’un montage publicitaire aussi honni que les tendances clipesques de Snyder.
Le désastre fut tout de même très rentable pour la Warner, même si la leçon dût être difficile à admettre (ce n’est pas tous les jours que l’on apprend qu’il ne faut surtout pas écouter la majorité des critiques), et que l’on ne sait plus du tout quoi attendre de la suite. Il constitua dans tous les cas une aubaine pour Marvel, qui avait justement tiré d’un des comics les plus ambitieux des dernières années, Civil War, un film très lisse, et qui brisa tous les records. Habitués aux films Marvel, les spectateurs savaient exactement quoi attendre d’un film calibré pour plaire, et surtout savaient précisément qu’il ne fallait pas trop en attendre, et firent bien : Captain America : Civil War peut sans difficulté être considéré comme l’un des meilleurs films, si ce n’est le meilleur, de la Maison des idées. Si l’affrontement entre Batman et Superman était impressionnant, il ne pouvait pas durer plus de cinq minutes en raison de l’inégalité des deux héros. Ici, les pouvoirs des super-héros sont parfaitement bien mis en valeur parce qu’ils sont utilisés contre des adversaires à leur mesure, d’autres super-héros, qui peuvent encaisser les coups et les rendre au meilleur de leur puissance, pour le plus grand plaisir des fans. Les nombreuses incohérences à l’origine des accords de Sokovie ou des accusations contre le soldat de l’hiver, ou un Daniel Brühl fort peu inspiré en Baron Zemo, apparaissent à peine comme des défauts : encore une fois, il y a longtemps que l’on n’attend plus de réelle profondeur psychologique ou politique des films Marvel, mais de l’humour, du rythme, et des personnages impressionnants, et on est servi à tous les niveaux avec Captain America : Civil War.
Docteur Strange apparaissait presque en comparaison comme un bonus. Introduction cette fois solitaire d’un nouveau héros, il peut servir de piqûre de rappel à tous ceux qui sont tentés de placer Marvel sur un piédestal, tant il est caractéristique des défauts de leur méthode. Évidemment, on est éblouis par les effets spéciaux, et les combats kaléidoscopiques font figure de jamais-vu, mais comment est-il possible qu’en dehors de cet émerveillement, un film nous offrant Benedict Cumberbatch et Tilda Swinton face à Mads Mikkelsen et à la menace cosmique Dormammu face si peu impression ?
C’est à mon avis Batman v Superman qui remporte cette manche, bien que j’admette que la conclusion s’impose moins évidemment que celle de Daredevil pour les séries. Avec ce film, DC montrait une volonté sincère de proposer quelque chose de tout à fait différent de la formule Marvel. Loin de le calibrer pour satisfaire les attentes du public sans l’emporter, les studios acceptaient de prendre des risques, pour aboutir à un film manifestement plus inégal, mais aussi traversé de fulgurances mémorables. Comme je le disais déjà dans le top films de 2016, j’aime mieux les œuvres qui ont au moins l’audace de proposer quelque d’intéressant, et tous ceux qui ont vu l’Ultimate Cut devront admettre qu’il présente un film autrement plus valable que l’impression biaisée qu’ils en avaient eu en sortant de leur premier visionnage au cinéma.
Pour mieux comprendre cette préférence, n’hésitez pas à vous reporter aux critiques établies par la rédaction de Captain America : Civil War, Batman v Superman, Batman v Superman : Extended Cut, Suicide Squad et Doctor Strange !
DC vs. Marvel : départagés par les bonus
Si l’on cherchait à établir à la hache une moyenne de la qualité des productions des deux studios, Marvel l’emporterait sans doute, grâce à la qualité de ses séries sur Netflix, et au désastre Suicide Squad, même si dans le détail des propositions, aucune ne défait tout à fait son adversaire.
C’est pourquoi, de manière tout à fait arbitraire et subjective, je vous propose de jeter un œil à deux extras. Le premier est le film d’animation The Killing Joke, tellement attendu par les fans de Batman que sa sortie en VOD a pu être considérée comme un événement cinématographique pouvant être pris en compte dans la guerre avec Marvel. Adaptation du comics culte d’Alan Moore et Brian Bolland, cette plongée introspective dans la folie du Joker aurait été merveilleuse en étant fidèle à son matériau. Cet article vous rappellera cependant que même en oubliant les piteuses additions sur lesquelles les critiques se sont focalisés, l’adaptation elle-même, dès qu’on l’analyse en détail, est d’une pauvreté scénaristique et graphique qui est toute à la honte de DC Comics.
En face, une simple bande-annonce, ni prévue ni attendue. Pire encore, une bande-annonce ne montrant aucune image du film qu’elle est supposée annoncer, qui en évoque à peine l’intrigue, bref apparemment une vidéo qui n’a rien d’un challenger pour un film d’animation promis et espéré depuis des années.Cette bande-annonce, c’est celle de Thor : Ragnarok. Cela devrait être pire que tout : les deux premiers Thor appartiennent au pire des films de super-héros Marvel, bien qu’ils aient établi Tom Hiddleston en Loki comme l’un des meilleurs méchants de l’histoire du cinéma, et l’on se demande même pourquoi un troisième film est prévu, alors qu’il ne bénéficie d’aucun capital sympathie, et qu’il est confié à Taika Waititi, réalisateur méconnu de What we do in the shadows (vampires en toute intimité).
Bon, entre-temps Waititi a réalisé Hunt for the Wilderpeople, un film wesandersonien avec Sam Neill déclaré meilleur film de 2016 par Empire, et Ragnarok a promis d’oublier Nathalie Portman pour une intrigue dans un autre monde, où Thor s’allierait à Hulk (et peut-être à Strange ?) pour retrouver Loki en affrontant Cate Blanchett. Cela ne suffit pas à nous rassurer (Marvel a bien réussi un film décevant avec Mikkelsen, Swinton et Cumberbatch, on ne l’oubliera jamais), mais tout de même… Et la bande-annonce, qui fait donc plutôt figure de court-métrage autonome, réalisé par Waititi lui-même, inspire quand même férocement confiance !