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Chronicles of Crime 1400 : le jeu d’enquêtes applicatif, au Moyen Âge !

Chronicles of Crime 1400 : le jeu d’enquêtes applicatif, au Moyen Âge !

Dans la grande famille des jeux d’enquête post-Sherlock Holmes, Détective conseil qui ont surtout fleuri après le succès d’Unlock!Chronicles of Crime reste l’un de mes préférés. Recourant astucieusement à une application, téléchargeable gratuitement puis utilisable hors ligne, il me semble avoir trouvé une alternative intéressante au tout-physique (DetectiveSherlock Holmes…) pour raconter des histoires fortes (ce que ne font pas vraiment les DeckscapeDecktectiveSherlock Q-System) et vivantes sans amoncellement interminable de texte.

Que l’on enquête comme inspecteur dans le Londres contemporain (la boîte de base Chronicles of Crime), comme privé dans le Los Angeles des années 50 (l’excellent Noir) ou comme bande d’enfants dans un village états-unien des années 80 (Welcome to Redview), on se retrouve en effet confronté à des aventures complexes, aux nombreux rebondissements, inspirant pourtant une agréable sensation de liberté (bien que relativement illusoire bien sûr), et parvenant même à se renouveler entre les boîtes.

Il faut dire que son éditeur, les Lucky Duck Games, vient du mobile et avaient commencé par des transpositions de jeux pour téléphone portable (Fruit NinjaZombie TsunamiVikings gone wildJetpack Joyride, jusqu’à l’excellent Kingdom Rush dont on parlera bientôt) avant de se tourner vers des jeux originaux (Paranormal Detectives) et surtout vers des localisations variées et souvent passionnantes (L’Île des chats, Clash à l’Olympe, Cléopâtre et la Société des architectes, Margraves de Valeria – qui s’était vu décerner notre VG Award -, bientôt Ecos, Calico, le très bon Atlantis Rising et surtout Time of Legends : Destinies, qui semble juste… extraordinaire). Ils savent donc surprendre dans l’intrication fine entre mobile et jeu de société (et d’après le proto que j’avais pu essayer, Destinies le prouvera mieux que jamais), et quand on y ajoute une écriture réussie, il y avait effectivement de quoi produire des résultats stimulants…

Le succès ayant été au rendez-vous, l’éditeur lança un KickStarter au succès mirobolant (13 353 contributeurs, plus d’un million de dollars, pour un jeu d’enquête !) afin de donner vie à Chronicles of Crime – The Millenium Series, trois boîtes distinctes se déroulant toutes à Paris… mais à trois époques bien différentes, l’an 1400, l’an 1900 et l’an 2400. Un Chronicles of Crime médiéval ? Voilà qui rappelle le roman culte d’Umberto Eco Le Nom de la Rose, et il va de soi que l’on fait bien pire comme référence…

Chronicles of Crime 1400

Vendu 25 eurosChronicles of Crime 1400 est la première des trois boîtes à sortir (et qui sont donc toutes jouables de façon autonome), ce qui a une certaine logique, vous en conviendrez, tout en me réjouissant puisqu’il s’agissait de l’univers m’intriguant le plus. Il comporte 4 scénarios officiels d’une durée d’une heure à une heure et demie, plus un mini-scénario de tutoriel, sachant que l’on peut compter sur la communauté du jeu pour produire des scénarios amateur de qualité grâce aux outils mis à disposition par l’éditeur.

Les scénarios sont écrits par Grzegorz A. Nowak et Pierre Buty (CerbèreSOL), et nous font enquêter dans un scriptorium, dans des bains publics, sur un enlèvement par des brigands de grand chemin et sur une affaire occulte, dans une belle variété d’ambiances.

Puisque les joueurs incarnent tous la même instance, à la Unlock! ou Sherlock Holmes, leur nombre n’importe pas vraiment. Il pourra paraître préférable de privilégier des configurations très réduites, seul (mais on perd le plaisir du partage de théories, l’ambiance que crée le scénario), à deux éventuellement à trois, quand on pourra encore se passer l’unique téléphone sans que cela commence à devenir fastidieux, mais on peut aussi envisager des parties avec davantage d’enquêteurs, sans réelle circulation du téléphone, favorisant une certaine effervescence générale, assez adaptée aux familles en temps de confinement !

On regrettera seulement que chaque scénario soit accompagné d’un avertissement faisant redouter bien pire que ce que le scénario peut contenir. Je n’ai par exemple même pas le souvenir des « références sexuelles » contre lesquelles le premier scénario nous prévient, sans douter d’ailleurs qu’elles soient présentes quelque part, mais c’est dire à quel point elles étaient notables. Quant aux « scènes graphiques potentiellement inappropriées », elles se résument parfois à un cadavre avec une flaque de sang, mais quand on ne le sait pas (et comment le saurait-on ?), on peut s’attendre à quelque chose de bien plus dérangeant. J’approuve bien sûr inconditionnellement les trigger warnings, et je ne fais cette remarque que parce qu’elle ne me semble pas toujours bien cibler les problèmes, et risquerait malheureusement de décourager à tort des publics qui n’auraient pas été choqués par si peu, mettant à égalité des scénarios qui ne sont pas également perturbants.

David Cicurel, auteur de la série, s’est cette fois associé à Wojciech Grajkowski pour une édition médiévale superbement illustrée par Barbara Gołębiewska, Mateusz Michalski, ainsi que par le directeur artistique et la graphiste attitrées de l’éditeur, Mateusz Komada et Katarzyna Kosobucka. Et quand je dis « superbement », ce n’est pas que pour la flagornerie, comme vous pourrez en juger…

Abelard, Perceval, prémonitions et QR codes

Chronicles of Crime 1400 nous place dans la peau d’Abelard Lavel – et non pas Iavel (?) comme on peut le déchiffrer sur la couverture du livret de règles. Ce chevalier de bonne famille expérimente depuis sa jeunesse des visions prémonitoires, un don qu’il met au service de la population afin de résoudre des crimes, et qui lui a évidemment valu une certaine réputation.

La nouveauté la plus frappante de ce Chronicles of Crime 1400 réside en effet dans des cartes Vision que l’on pioche au début de toute aventure, des rêves que fait le protagoniste avant même qu’on toque à sa porte pour lui proposer le scénario choisi par les joueurs.

Elles ont déjà l’avantage de contribuer à l’ambiance du scénario, de nous y immerger davantage quand les autres boîtes pouvaient paraître parfois un peu abstraites, puisque ce sont les seuls éléments qui ne reviennent pas d’enquête en enquête, offrant des illustrations propres à chacune.

En outre et surtout, ces images non-textuelles sont de subtils indices pouvant nous guider si on sait en faire bon usage. Si au cours des interrogatoires un personnage évoque rapidement une chapelle, vers laquelle aucun indice ne pointe, il se peut qu’elle apparaisse dans une vision, invitant donc à explorer ce qui sinon serait apparu sans importance. De même ces visions nous confrontent à des visages que l’on découvrira au fur et à mesure de l’investigation, stimulant les joueurs enfin en mesure de faire le lien entre ce qu’ils ont vu et un nom, voire des informations, et appelant peut-être à une suspicion renforcée : s’il apparaît sur une vision mais ne semble avoir aucun rapport avec l’enquête, c’est peut-être qu’il cache quelque chose…

 

Les deux autres nouveautés sont plus légères. D’abord avec la fusion des spécialistes auxquels on pouvait faire appel pour nous aider à analyser certaines données en un unique plateau, la Maison familiale. En effet, ces trois experts aux compétences mieux identifiées que jamais (les livres, les autres objets, les personnes, notamment nobles), évitant de faire analyser une même carte par tout le monde faute de savoir qui sera la plus à même d’en tirer quelque chose, sont trois membres de la famille Lavel, notre oncle le moine, notre sœur la riche marchande, notre frère l’espion du Roi. Une jolie manière de densifier l’univers l’air de rien, de souligner que notre protagoniste ne vient pas de nulle part sans même avoir à en raconter l’histoire !

L’autre nouveauté est la présence constante à nos côtés du chien Perceval. Comme on s’en doute, il s’agira de lui faire renifler des objets afin qu’en limier extraordinaire il nous conduise immédiatement à leur propriétaire. On appréciera que de nombreux personnages rencontrés y fassent référence, donnant vraiment l’impression qu’il nous accompagne. En outre, comme les Visions, il s’agit d’un élément de gameplay sortant de l’ordinaire des Chronicles of Crime, de sorte qu’on peut avoir tendance à les mettre de côté pendant qu’on se focalise sur l’enquête au sens le plus classique du terme, avant de se souvenir tout à coup qu’ils sont assurément susceptibles d’ouvrir de nouvelles voies, et j’aime beaucoup cette idée d’avoir de nouvelles choses auxquelles songer sans nécessairement que cela alourdisse le jeu.

L’un dans l’autre, j’avais sans doute préféré l’idée formidable, dans Noir, de pouvoir interagir différemment avec les personnages et environnements, en disposant en permanence de quatre actions, prendre en filature, corrompre, forcer une serrure et bousculer. Mais à la manière des Unlock!Chronicles of Crime brille aussi en sachant se renouveler même quand la série avait imaginé quelque chose qui pourrait tout à fait être transposé, renonçant sciemment à une bonne idée parce qu’elle a déjà été utilisée, ce qui est tout à leur honneur. Ce renouvellement fonctionne parfois formidablement bien (Noir), parfois de façon un peu moins convaincante et néanmoins intéressante (les éléments de soft-RPG dans Welcome to Redview), et Chronicles of Crime 1400 tend plutôt vers le premier que vers le deuxième.

En dehors de cela, Chronicles of Crime 1400 se joue exactement comme les autres Chronicles of Crime : en scannant des QR Codes avec l’application, on visite des lieux et l’on rencontre des personnages, que l’on peut interroger sur des objets ou sur d’autres personnages. Et environ deux fois par enquête, on se retrouve face à une scène de crime ou à un lieu suspect que l’on peut inspecter en réalité virtuelle ou en scène 3D, afin d’y découvrir des objets pouvant être en lien avec l’enquête.

Par exemple en jugeant louche qu’une grosse bourse d’argent se trouve non loin d’un cadavre, on cherchera la carte Objet Pièces de monnaie dans la pile de cartes Objet pour la scanner, et déterminer si on la posera dans l’espace bleu de notre plateau (celui des objets en notre possession). Si un personnage nous évoque au contraire la disparition d’un objet important, dont on suppose qu’il pourra être important de le retrouver, on le disposera dans l’espace orange du plateau, afin de pouvoir interroger d’autres personnages à son sujet sans pour autant pouvoir le montrer ou le consulter.

Et bien sûr, puisque les cartes Personnages et Objet sont génériques, on aura toujours plaisir à constater qu’un visage sera celui d’un sage bienveillant dans une enquête, et celui d’un infâme brigand dans le suivant, de quoi se forcer sans cesse à dépasser les apparences !

Comme les autres Chronicles of Crime, cela exigera un certain espace devant soi. Le plateau central n’est pas si grand, mais il faudra y ajouter plusieurs plateaux Lieu, recouverts d’une à quatre cartes Personnages, en plus d’une poignée de visions à étaler soigneusement aux yeux de tous, de Perceval et de la Maison familiale à conserver devant soi… Aussi ce Chronicles of Crime 1400 a-t-il eu la bonne idée de limiter à sept le nombre de lieux que l’on pourrait utiliser au cours d’un même scénario, avec sept plateaux Lieu recto-verso, autorisant donc tout de même la visite de quatorze lieux différents sur l’ensemble des scénarios.

Si le temps réel n’est pas décompté, chaque déplacement d’un lieu à un autre prendra 20 minutes, et chaque carte scannée en coûtera 5. On apprendra ainsi à tenter d’économiser son temps afin de bénéficier du bonus final si l’enquête a été résolue rapidement, sans même compter la possibilité qu’un personnage ne soit plus sur son lieu de travail le soir venu, ou qu’un rendez-vous donné à une heure précise puisse être manqué faute d’attention…

C’est qu’à la fin on sera comme d’habitude confronté à une dizaine de questions, dans la pure tradition Sherlock Holmes, certaines directement relatives au crime et d’autres plus annexes, valant moins de points mais procurant un vrai plaisir à avoir compris l’univers par-delà la seule enquête. Et évidemment, ce sera aux joueurs de déterminer quand y mettre fin, d’estimer quand ils auront réuni assez d’éléments pour clore l’affaire, sans que le jeu leur dise jamais qu’ils ont suivi toutes les pistes ou que le coupable leur confesse jamais explicitement son crime.

Il va de soi qu’on aimera mieux fouiller chaque lieu et interroger dix fois chaque personnage sur tout que de risquer de conclure l’enquête trop vite, au risque de la gaspiller (puisqu’évidemment il n’y a pas grand intérêt à la refaire une fois qu’elle est résolue, sauf à vouloir la réussir à 100%). L’application pourra cependant nous donner la possibilité de revenir à l’enquête si dès la première réponse elle juge qu’on n’y est pas du tout.

 

J’aurai seulement un double-problème à pointer du doigt, dont vous jugerez probablement qu’il n’est pas du tout problématique et que je fais seulement mon grammar naziChronicles of Crime 1400 recourt aux guillemets anglais («  ») au lieu des guillemets français («  »), ce qui est non seulement déconseillé par l’Académie française, mais marque aussi moins efficacement la différence entre les dialogues et la narration.

En outre, les textes n’utilisent pas d’espaces insécables avant les points d’exclamation et d’interrogation, c’est-à-dire d’espaces ne pouvant être coupées par la fin de la ligne, de sorte que l’on a souvent des points d’exclamation en début de ligne… Pas du meilleur effet. Curieusement, je n’ai pas le souvenir d’y avoir été confronté dans les boîtes précédentes, sans parvenir à déterminer si l’éditeur a vraiment changé ses normes typographiques (ou n’a juste pas prêté attention au fait qu’il en appliquait soudain d’autres d’ailleurs) ou si je suis juste plus pinailleur qu’avant…  Cela me faisait régulièrement « sortir » de l’enquête, heureusement de façon très éphémère parce que la finesse des scénarios m’y immergeait à nouveau aussitôt.

 

Chronicles of Crime 1400 : vivement le futur !

Comme beaucoup, le seul projet d’un Chronicles of Crime au Moyen Âge avait suffi à me séduire, d’abord par mon affection pour cette série de jeux d’enquête applicatifs, toujours fluides et fins dans quelqu’ambiance qu’ils nous plongent, ensuite parce que diverger aussi radicalement des trop habituelles investigations dans la contemporanéité anglo-saxonne colportait une fraîcheur bienvenue, assumant bien sûr une référence agréable au Nom de la Rose.

Et ce Chronicles of Crime 1400 est loin de dépareiller dans une série aussi stimulante. Fidèle à ses grands principes (un tutoriel en open-and-play, éduquant au système sans avoir à toucher aux règles, des QR Codes à scanner pour interroger les personnages et se déplacer entre les lieux, des pièces à fouiller en réalité virtuelle…), il y ajoute, comme chaque opus précédent, son lot de nouveautés bienvenues, en l’occurrence des visions prémonitoires, un fidèle compagnon canin et des experts rassemblés dans notre maison familiale, afin de nous obliger finement à mieux explorer que jamais toutes nos possibilités. Et tout cela avec des illustrations picturales particulièrement superbes, aidant bien sûr grandement à nous faire croire à cet univers et à l’admirer.

Si je peux avoir quelques réserves sur la présentation typographique du texte, je n’en reste pas moins admiratif que les Chronicles of Crime continuent de parvenir à une telle qualité d’écriture et d’immersion, très loin de la répétition que l’on pourrait commencer à redouter après quatre boîtes et une vingtaine de scénarios. Cette idée d’explorer une même ville sur un millénaire dans une trilogie est donc d’autant plus enthousiasmante qu’elle commence avec des promesses si bien tenues !

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