Deckscape : Braquage à Venise – le nouvel escape room de poche
Après avoir contribué à l’émergence du jeu vidéo en fondant une partie des réflexions sur le game design et la transformation d’univers narratifs en mécaniques ludiques, le jeu de société avait fini par constituer une catégorie à part, souvent cantonnée aux Monopoly et autres Cluedo. Son retour dans le domaine du « geek » n’était qu’une question de temps, surtout après son récent renouveau, qui s’est concrétisé dans des jeux plus variés, et laissant souvent plus de place au thème. Après Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide, Mr. Jack, Small World, Unlock ! et Unlock! : Mystery Adventures, Loony Quest, T.I.M.E. Stories, Château Aventure, Zombie Tsunami, Smash Up et Star Realms, Vikings Gone Wild, Les Montagnes hallucinées, Adrénaline, un Coffre des joueurs (comportant Clank!, Wendake, et Light Hunters), Imaginarium, puis Professeur Evil et la Citadelle du Temps, Caverna – caverne contre caverne, Pocket Ops, Not alone, Minuit, Meurtre en Mer, Taverna, Concept, Dice Throne, When I Dream, Ex Libris, Fruit Ninja : Combo Party, 7 Wonders et Les Aventuriers du rail : New York, Tokaido et ses extensions, nous allons nous intéresser à Deckscape.
Deckscape, c’est la localisation par Super Meeple (U.S. Telegraph, Mafiozoo) de trois jeux édités par son partenaire italien dV Giochi, À l’épreuve du temps, Le Destin de Londres et Braquage à Venise, dont il sera question dans cet article. Super Meeple a d’ailleurs eu l’humilité de ne pas mettre son logo sur le jeu tous les trois conçus par Martino Chiacchiera et Silvano Sorrentino. Dans cette petite boîte, vous trouvez soixante grandes cartes et un « plan secret », qui à elles seules devront vous faire vivre l’aventure intense et immersive d’un escape room… transportable dans une poche (parfait pour les vacances).
Or comme vous vous en doutez après mes tests d’Unlock et d’Exit, en plus d’être amateur d’escape rooms, je suis passionné par ces tentatives d’en recréer l’intérêt avec un dispositif minimal et malin. Et moins cher : en l’occurrence, une boîte de Deckscape (qui ne contient donc qu’une aventure) se vend 11 euros 90, l’éditeur tenant à ajouter qu’au moins, vous n’aurez pas à « découper, plier ou immoler votre jeu » (contrairement à Exit), vous laissant ainsi la liberté de le prêter, ou de le mettre dans un coin le temps d’en oublier les solutions.
Deckscape : Braquage à Venise est jouable de 1 à 6, même si, comme pour ses concurrents, la configuration parfaite est de 2 à 4 joueurs, l’essentiel étant de varier les perspectives quand un esprit seul et inexpérimenté peut vite être frustré par un obstacle, et de ne pas trop se marcher sur les pieds. Conseillé à partir de 12 ans, la partie en dure environ une heure, jusqu’à une heure et demie si vous jouez de 1 à 3 et cherchez à soigneusement résoudre toutes les énigmes.
Venise, ses gondoles et ses braqueurs !
Les joueurs incarnent des cambrioleurs à la retraite, contraints par une lettre inquiétante de se lancer dans un ultime braquage à Venise, sous peine de voir leurs identités dévoilées à la police. L’objectif, un jeton de poker valant un million d’euros dans le plus ancien casino de la ville (et naturellement le mieux protégé).
Si le scénario semble classique, sachez qu’il s’agit de l’un des points forts de la gamme Deckscape, à qui vous pouvez donc faire confiance pour résoudre tous les arcs narratifs à la fin de la partie, avec surprises et rebondissements, sans se contenter d’aligner des énigmes sans âme pour vous faire parvenir simplement au jeton et à un décevant « Bravo, vous vous êtes échappés. Fin. ».
Pour cela, les auteurs tirent tous les bénéfices possibles de la taille des cartes. Celle-ci permet non seulement de rendre les énigmes plus visibles, et ce de la part de tous les joueurs (ce qui n’est pas si évident quand on regarde la concurrence), elle permet également de laisser de la place au texte pour raconter l’histoire, expliquer pourquoi vous en êtes là, ce que vous devez faire, comment vous réagissez… Ainsi, toutes les cartes participent à l’immersion, qu’elles soient purement narratives (puisque cela n’empêche pas une illustration) ou qu’elles représentent une énigme (puisqu’elles se paient en plus le luxe de faire avancer l’histoire en deux ou trois lignes).
Par ailleurs, et contrairement aux autres aventures Deckscape, les joueurs incarnent cette fois des personnages, Passe-Partout, Bomberman, le Cerveau, Houdini, Caméléon ou Pare-Feu, de façon paritaire. Vous n’aurez ainsi pas seulement un nom et un corps dans lequel vous représenter mentalement, vous disposerez également d’une spécialité, et donc de plusieurs informations ou avantages listés au dos de votre carte Personnage, dont vous pouvez parler librement à vos compères, mais que vous ne pouvez pas leur montrer. Cette particularité pourra légitimement vous encourager à jouer à six. En effet, vous distribuerez toutes les cartes même si vous êtes moins nombreux, de sorte que des joueurs pourront incarner jusqu’à trois personnages, ce qui est naturellement moins immersif et vous contraindra à jongler entre les indices. À vous de voir si vous préférez favoriser l’immersion ou la lisibilité de la partie – pour notre part, le choix est vite fait, vous l’aurez compris, d’autant qu’on finit quand même par s’y faire, n’exagérons pas.
Du cambriolage considéré comme un des Beaux-Arts
La progression dans l’intrigue ne sera pas aisée, c’est aussi pourquoi les auteurs ont voulu la rendre limpide, concentrant la difficulté sur les énigmes. Comme on l’a dit, Deckscape se compose de soixante cartes, et d’un plan du casino que vous pourrez lire quand le jeu le permettra. Pour jouer, il suffit de dévoiler la première, puis de suivre les instructions. Toutes les cartes étant rangées dans un ordre croissant, piocher la carte suivante au moment où la permission en est donnée vous fait avancer, arriver à la dernière conclut la partie. Ponctuellement, on vous demandera de réaliser plusieurs piles d’énigmes, comme autant de voies où vos personnages devront s’engouffrer, et dont vous pourrez vous répartir la résolution, étant entendu que celle-ci pourra rarement se faire indépendamment des autres cambrioleurs, une pile pouvant souvent contenir un indice pour une autre !
Deckscape ne comporte pas de tutoriel ou de règles, du moins pas en dehors du paquet : vous entrez immédiatement dans l’histoire, les premières cartes se chargeant de vous introduire le jeu, son principe en même temps que son univers. Les consignes encadrant la partie vous sont ainsi livrées au moment idoine, plutôt que d’être extérieures à la partie, les deux principes les plus importants étant celui du score et des réussites et échecs.
C’est que le cambriolage est chronométré. On ne peut naturellement pas vous dire de combien de temps vous disposez, puisque personne ne peut prévoir à quelle vitesse vous alerterez la sécurité du casino et à quelle vitesse elle interviendra, de sorte que vous aurez cet amusant sentiment d’être chronométrés dans un temps illimité, seul le score final dont le barème est précisé en toute fin de partie vous précisant en combien de temps vous auriez dû accomplir un braquage parfait. Si on vous précise d’emblée qu’à chaque erreur dans la résolution d’une énigme vous devez inscrire un X sur une feuille, vous ne saurez de même qu’à la fin à quelle pénalité ces X correspondent.
Il faut dire que dans Deckscape, l’échec est pensé en termes inhabituels. Dans les autres escape games, il vous faut réfléchir jusqu’à ce que vous trouviez la réponse, les échecs ne vous permettant pas d’avancer. Ici, vous retournez la carte Énigme quand vous pensez avoir la réponse, et celle-ci vous est donnée au verso. Que vous ayez réussi l’énigme ou non, vous passez donc à la suite, sanctionnés ou non par un X.
Évidemment cela peut paraître frustrant, surtout quand vous vous dites en voyant la réponse qu’une minute de plus vous aurait permis d’arriver au même résultat, ou que cette réponse correspondait à votre seconde intuition. Admettons que cela a cependant une certaine cohérence thématique : au cours d’un braquage, je doute que vous ayez l’occasion de tenter deux fois la même action, surtout quand des yeux ou des caméras vous épient. Super Meeple et dV Giochi visent aussi l’accessibilité : si les énigmes sont trop retorses, vous pouvez simplement abandonner, retourner la carte qui vous explique toujours clairement comment vous auriez pu parvenir à la solution, ajouter un X, et passer à la suite.
Il serait en effet dommage que le temps ou la difficulté des énigmes vous frustrent ou créent une tension incompatible avec un état de réflexion à peu près serein. Si on pourra regretter l’absence d’indices (encore une fois cohérente thématiquement), en dehors d’une fiche amusante mais un peu sommaire, l’idée est ainsi de proposer différents niveaux de difficulté, les experts en énigmes cherchant naturellement à finir leur cambriolage aussi vite que possible, sans indices et idéalement sans aucun X, les plus débutants ou les plus jeunes pouvant s’autoriser à ignorer le chronomètre, à prendre le temps de poser les énigmes, voire à passer à la suite. Une mécanique très bienvenue dans un jeu où les énigmes sont parfois vraiment retorses…
Cette solution des cartes portant sur leur recto l’énigme et sur leur verso la réponse a un autre avantage considérable, celui de diversifier les énigmes. À partir du moment où vous n’êtes plus limités aux combinaisons d’objets bleus et rouges pour trouver le chiffre de la prochaine carte, ou à la répétition de symboles à aligner dans une roue, vous pouvez développer les énigmes que vous voulez, avec la seule limite (démesurée) qu’elles puissent apparaître sur une grande carte. De nature visuelle ou textuelle, faisant appel à l’observation, à la déduction, à la mémoire, à la combinaison, au calcul, ou à plusieurs compétences en même temps, sous dix formes différentes, aucune énigme ne ressemble à la précédente, et on n’a jamais l’impression de déceler un systématisme dans la conception du jeu, ce qui est très agréable.
Deckscape, une proposition originale dans un genre déjà très divers
À regarder Deckscape sans le connaître, on peut aisément avoir l’impression qu’il s’agit d’une imitation opportuniste et appauvrie des autres jeux simulant l’escape game avec des cartes. On peut aussi considérer déjà qu’il est celui qui tient le mieux sa promesse de se contenter d’un deck de cartes (et d’un petit plan, il est vrai), sans l’application indispensable d’un Unlock!, le matériel varié d’un Exit, et même sans règles. Il pourrait en paraître moins immersif si ce système ne lui permettait pas une grande variété d’énigmes nécessitant l’observation attentive de ses dessins soignés. Et ce sera peut-être mon seul véritable regret, le nom de l’illustrateur semble être Alberto Bontempi, et il n’apparaît nulle part sur le boîtier ou à l’intérieur… En dehors de cela, que vous soyez amateur d’escape games, d’énigmes à la Professeur Layton, ou que vous souhaitiez simplement vous amuser en faisant travailler votre cerveau, je ne vois aucune raison sérieuse de ne pas considérer la proposition Deckscape.
« Le destin de Londres » contient une carte spéciale « indices » pour aider sur les énigmes si le besoin s’en fait sentir.
Je ne sais pas si c’est parcequ’ils considèrent les énigmes comme plus difficiles qu’elle est présente sur ce jeu et pas sur celui de Venise mais sa présence nous a servi à 2 occasions. 🙂
Merci Mickael pour cette intéressante précision, qui me permet de revenir sur un point sur lequel je passe en effet très vite dans l’article ! Braquage à Venise contient également une fiche d’indices, mais assez sommaire, au point, dans un cas, de n’aider par exemple à résoudre que la moitié la plus évidente d’une énigme, et pas celle qui aurait bénéficié du coup de pouce. J’ai cependant beaucoup apprécié le fait que ces indices nous aident à percevoir une réponse (par exemple en mettant un mot clef en valeur) au lieu de livrer trop d’éléments. Mais si je mentionne à peine la fiche d’indices, c’est qu’on est loin d’un système à la Unlock! ou à la Exit, et que les joueurs sont tout de même incités à ne pas y avoir recours, au point que des joueurs expérimentés devront simplement la mettre de côté et tenter de résoudre toutes les énigmes seuls (ce qui est traduit par l’absence de toute pénalité liée aux indices). Très curieux du coup de jeter un oeil aux autres propositions Deckscape pour voir si la teneur des énigmes et des indices rend cette fiche plus nécessaire, et donc à quelle point la difficulté peut varier d’un deck à l’autre !