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Fruit Ninja : Combo Party – l’improbable jeu de société ?

Fruit Ninja : Combo Party – l’improbable jeu de société ?

 

Après avoir contribué à l’émergence du jeu vidéo en fondant une partie des réflexions sur le game design et la transformation d’univers narratifs en mécaniques ludiques, le jeu de société avait fini par constituer une catégorie à part, souvent cantonnée aux Monopoly et autres Cluedo. Son retour dans le domaine du « geek » n’était qu’une question de temps, surtout après son récent renouveau, qui s’est concrétisé dans des jeux plus variés, et laissant souvent plus de place au thème. Après Sherlock Holmes, Détective conseil, Mechs vs. Minions, Zombicide, Mr. Jack, Small WorldUnlock ! et Unlock! : Mystery AdventuresLoony QuestT.I.M.E. StoriesChâteau AventureZombie TsunamiSmash Up et Star RealmsVikings Gone WildLes Montagnes hallucinéesAdrénaline, un Coffre des joueurs (comportant Clank!, Wendake, et Light Hunters), Imaginarium, puis Tokaido, Professeur Evil et la Citadelle du TempsCaverna – caverne contre cavernePocket OpsNot aloneMinuit, Meurtre en MerTavernaConceptDice Throne, When I Dream, Ex Libris, nous allons nous intéresser à Fruit Ninka : Combo Party.

Nous avions déjà parlé deux fois du jeune éditeur Lucky Duck Games. Conçu précisément pour adapter des jeux mobile en jeux de société, on lui devait en effet l’ambitieux Vikings Gone Wild et le party game Zombie Tsunami. Mais avant tous ces jeux, Lucky Duck Games avait projeté l’adaptation de Fruit Ninja, l’application de Halfbrick, en trois jeux de société distincts, Fruit Ninja : Card Master, Fruit Ninja : Slice & Dice et Fruit Ninja : Combo Party, tous trois confiés à des concepteurs différents.

Lancé sur Kickstarter, le projet n’avait cependant pas eu le succès escompté, et il s’était soldé par la première annulation d’un financement participatif de Lucky Duck Games – première et seule, puisque l’éditeur semble avoir tiré des leçons de ses erreurs. En l’occurrence, la plus importante était probablement le prix. Les pledgers n’ont généralement pas peur de débourser de fortes sommes pour des jeux de société, mais la somme émise est généralement proportionnelle à l’ambition du jeu. Or débourser 29 dollars pour un simple party game Fruit Ninja, et 69 pour les trois, semblait excessif…

Ainsi Lucky Duck Games avait été victime de son exigence, de son ambition de variété et de qualité matérielle, deux caractéristiques parfaitement louables tant qu’elles ne se traduisent pas en dépenses déraisonnables. Pour conjurer le sort, la décision fut prise de commencer par commercialiser Fruit Ninja : Combo Party séparément. Conçu par Julien Vergonjeanne (Vikings gone Wild) et Benjamin Ravet (NeighborhoodZ), il était peut-être celui qui jouait sur la formule la plus éprouvée, mêlant le principe d’un « stop ou encore » aux mécaniques du Jungle Speed.

Fruit Ninja : Combo Party est prévu pour 3 à 6 joueurs de huit ans et plus, et pour des parties d’une vingtaine de minutes. Sorti à la mi-juillet, il est disponible pour vingt euros (ce qui est tout à fait raisonnable, étant donné le matériel). Est-ce alors le party game fun et déjanté escompté ?

 

Fruit Ninja boite

Du jeu au jeu

Le jeu mobile Fruit Ninja de Halfbrick était à ses débuts ce qu’on pouvait imaginer de plus simple : il fallait simplement glisser son doigt sur l’écran pour découper des fruits qui y apparaissaient et disparaissaient, idéalement en en découpant plusieurs en un seul coup afin d’obtenir un meilleur score, tandis que laisser les fruits retomber sans les toucher faisait perdre des vies jusqu’à la défaite. Un jeu minimaliste, sorti au bon moment (2010) pour occuper ceux qui avaient précisément besoin d’un divertissement court, fun et immédiat, et qui cinq ans après avait été téléchargé… 1 milliard de fois, toutes plates-formes comprises.

Dans ce concept, rien ne paraît transposable en jeu de société non-sportif, ni dans le thème ni dans les mécaniques – l’idée-même de découper quelque chose, centrale dans Fruit Ninja, pose cent questions complexes. Il fallait donc puiser avec inventivité dans les ressources du jeu de société afin de proposer des variations ludiques faisant penser au jeu mobile plutôt que de le transposer directement. Or développer trois jeux sur un cœur de gameplay aussi minimaliste laissait précisément les coudées franches à chacun de ces jeux pour exploiter un autre possible, jeu de dés, jeu de combo, et même deck-building.

 

Fruit Ninja, jeu de combo

On gagnait après tout davantage de points grâce aux combos de fruits découpés. Valorisons donc sous une forme différente la capacité du joueur à créer un combo de fruits identiques, ou au contraire de fruits tous différents. Pour cela chaque joueur reçoit en début de partie 12 cartes Fruit, chacune représentant l’un des six fruits différents du jeu : pastèque, banane, citron, ananas, kiwi et poire.

Sauf qu’après avoir placé une carte Fruit devant lui, il doit passer sa main au joueur à sa gauche, et récupérer la main du joueur à sa droite. Il peut ainsi essayer de réaliser un combo maximal de six fruits identiques… et ne recevoir aucun de ces fruits dans sa nouvelle main, de même que dans l’application on ne pouvait jamais prévoir les fruits qui allaient arriver. Il faut donc tâcher dès le début de se souvenir à peu près des différentes cartes qui nous passent dans les mains afin de ne pas casser son combo.

C’est en effet après avoir joué une carte, et avant de voir sa prochaine main, qu’on peut décider de scorer un combo, c’est-à-dire de mettre de côté le combo en cours et de récupérer les pommes d’or correspondantes. Pour deux fruits différents, on ne gagne qu’un point, mais pour trois fruits, on gagne un point et une carte Récompense (pouvant aléatoirement accorder 1 à 3 points), et pour six fruits, 5 points et trois cartes Récompense ! Pour les combos de fruits identiques, les points sont simplement doublés !

Si l’apprenti ninja a cependant omis de scorer son combo, ou a cru à tort que sa prochaine main lui permettrait de l’améliorer, la carte cassant le combo est annulée, et il est obligé de scorer le combo en ne gagnant que les pommes d’or, sans aucune carte Récompense. Ainsi, un joueur avec quatre fruits différents, mettons poire-ananas-citron-kiwi, se retrouvant contraint de jouer une carte qu’il possède déjà (par exemple une poire), ne gagnera que deux points, alors que s’il avait scoré, il aurait pu récupérer une carte Récompense en plus… Et s’il avait reçu une pastèque dans sa nouvelle main, il aurait pu gagner trois pommes d’or et deux cartes Récompense, creusant l’écart avec ses adversaires.

Il ne s’agit ainsi pas que d’être prudent, l’amélioration des combos correspond à un gain de points exponentiel, et c’est l’attention qui sera surtout valorisée, le joueur sachant grosso modo sur quelles cartes il pourra prochainement compter pouvant intelligemment attendre ou scorer.

C’est le principe du « Stop ou encore », dont de bons exemples sont Qui veut gagner des millions ou le Blackjack : continuer permet de gagner bien davantage, mais fait courir le risque de perdre beaucoup.

 

Fruit Ninja, jeu de vitesse

L’astuce de Lucky Duck Games a été d’adjoindre à cette mécanique celle d’une bataille ou d’un Time’s Up. Tous les joueurs révèlent en effet leur fruit en même temps. Si plusieurs joueurs révèlent le même fruit, ils doivent s’emparer du tsuka (manche de katana, qui fait office de totem) au milieu de la table. Le premier à le prendre gagne une carte Récompense supplémentaire, et naturellement, le renverser ou le prendre alors qu’on ne devrait pas octroie un malus d’un point, tandis que comme au Time’s Up, si deux joueurs le prennent en même temps, on compare le nombre de doigts sur le tsuka, puis en cas d’égalité on fait gagner celui qui a la main le plus près de la base.

Je me demandais au début pourquoi (comme au Time’s Up), la récupération du Totem n’octroyait pas un énorme avantage (par exemple la pose d’une carte supplémentaire), ou un malus conséquent aux adversaires (par exemple l’annulation de leur dernière carte jouée), afin de créer de la tension, alors qu’avec ces règles, les joueurs concernés peuvent très bien rester en retrait, et abandonner l’idée d’une petite récompense pour ne pas risquer l’accident.

Après quelques tours, j’ai cependant vite compris l’intérêt de ce choix. D’une part, on ne pénalise pas trop les joueurs qui ne sont pas concernés par la bataille, d’autre part, le score final d’une manche (quand il ne reste qu’une carte dans la main de chaque joueur) peut souvent se jouer à la carte Récompense près. Cela accentue ainsi le côté fun sans frustration et sans injustice de Fruit Ninja : Combo Party, ne pas récupérer le tsuka n’est pas dramatique, mais on est naturellement poussé à tenter de le récupérer, d’abord parce qu’en tant que joueurs nous sommes conditionnés à faire ce que le jeu nous demande, ensuite et surtout parce que l’on sent vite l’avantage que peuvent représenter ces cartes Récompense supplémentaires, notamment pour compenser quelques échecs de combo.

D’ailleurs, cette idée d’un totem qu’il faut récupérer plus vite que les autres, dans un mouvement rapide et adroit (pour ne pas le faire tomber), évoque très justement le vif mouvement de lame qu’il faut réaliser dans l’application Fruit Ninja pour optimiser ses scores, tout en étant thématiquement raccord (une fois qu’on a expliqué à tous les joueurs qu’il s’agissait d’un tsuka). Sachant qu’il ne s’agit en l’occurrence pas que de vitesse : en observant les combos des autres joueurs, vous pouvez essayer de deviner quelle carte ils vont jouer, et vous préparer à vous emparer du tsuka avant même qu’ils n’aient eu le temps de comprendre que vous jouiez le même fruit !

 

Fruit Ninja, un parfait party-game estival

Fruit Ninja : Combo Party a ainsi à première vue toute l’apparence du party-game opportuniste, profitant sans inventivité d’une application populaire. Il ne faut pourtant pas plus d’une partie pour se rendre compte que derrière son minimalisme se cachent des auteurs, soucieux autant de respecter l’identité du jeu mobile que de susciter le même plaisir par les moyens propres du jeu de société. Si vous êtes à la recherche d’un party-game estival, vraiment fun et immédiat (sans vous prendre pour un idiot), Fruit Ninja : Combo Party mérite votre attention, de même que vous pourriez jeter un œil du côté du récent Zombie Tsunami du même éditeur. Et si vous appréciez ces expériences, ou êtes admiratifs de ces transpositions astucieuses de jeux mobile, sachez que le prochain jeu de Lucky Duck Games adaptera une autre production Halfbrick, nulle autre que Jetpack Joyride, et que vous pouvez participer à son financement jusqu’au 31 juillet !

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