Les films qui n’ont pas obtenu d’Oscar en 2018 ?

 

En 2016 et 2017, j’avais passé une nuit pratiquement blanche pour annoncer sur VonGuru les résultats des Academy Awards, et commenter en direct les films récompensés dun Oscar, les autres films nominés et les oubliés. Pour l’édition 2018 de la cérémonie, j’avais fini par me figurer que c’était m’exposer à une fatigue relativement inutile, étant donné que je pourrais faire les mêmes remarques à partir de la seule liste des nominations, et avais donc écrit un article à ce sujet, que je n’avais jamais peaufiné et donc publié parce que le sujet m’infligeait cette année une insurmontable lassitude.

On a beau savoir qu’une cérémonie comme les Oscars n’est pas du tout représentative de la qualité de la production cinématographique américaine d’une année en raison de la profonde et injuste partialité d’un jury plus sensible aux flatteries et aux banquets qu’à la beauté et à la technicité du cinéma, on ne peut se retenir d’avoir quelque intérêt et plaisir à suivre nominations et récompenses pour voir jusqu’où nos chouchous pourront survivre à la course. Encore faudrait-il avoir des chouchous, et c’est sans doute l’élimination de tous les films qui m’intéressaient vraiment avant même les nominations qui ont le plus nui à mon intérêt pour ces Oscars, surtout quand cette élimination semblait faite pour des raisons plus politiques qu’artistiques.

Cet article est naturellement complémentaire de ceux qui portent sur les meilleurs films et meilleures séries de 2017.

Les films en trop

Difficile de parler des titres évincés sans parler des titres qui les ont évincés, ceux auxquels on a fait trop de place pour de mauvaises raisons, ou du moins pour des raisons ayant trop peu à voir avec leur qualité artistique. Il faut malheureusement admettre que nous ne vivons pas dans un monde idéal, ce qui pose de complexes questions de représentativité : le cinéma ne peut qu’évoluer dans le bon sens en valorisant les visibilités ethnique, sociale, sexuelle, et une cérémonie prestigieuse peut sembler l’endroit idéal pour opérer cette valorisation, même si la nomination de films affrontant ces problématiques n’implique pas qu’ils aient la moindre chance d’être ensuite récompensés.

Il semble qu’il « fallait » à l’Académie des noirs, des femmes et des homosexuels pour améliorer son image et éviter les scandales qui l’éclaboussent régulièrement, même au détriment de toute vraisemblance : Lady Bird ou Call me by your Name avaient ainsi tous deux leurs qualités, mais Greta Gerwig pouvait-elle sérieusement mériter un Oscar de la meilleure réalisatrice, Timothée Chalamet celui du meilleur acteur, tous deux celui du meilleur scénario (malgré l’immense affection que je porte à James Ivory) et même du meilleur film ? Et je ne parle même pas de l’habituel scandale du cinéma d’animation, Ferdinand n’ayant absolument rien à faire à côté de Coco ou de Loving Vincent, et remplaçant toute la production par exemple japonaise de cette année (forcément, on n’a eu droit à aucun film Ghibli, la société nippone distribuée par Disney aux États-Unis, et donc la seule à avoir droit à quelques nominations de temps à autre).

Il est cependant aussi bon, étant donné le prix de la cérémonie, d’attirer les téléspectateurs, et leur faire des appels du pied en nominant les films qui ont connu une certaine popularité est un bon moyen de concentrer l’intérêt d’un public large. Wonder Woman ne méritait évidemment aucune nomination, mais Logan avait été très apprécié tant par le public que par la critique, d’où une nomination absurde à l’Oscar du meilleur scénario adapté, même si le jury comme les scénaristes seraient bien en peine de dire de quelle oeuvre le film est l’adaptation ! Get out était même le film de l’année pour une grande partie des commentateurs. Sauf qu’un film d’horreur (pas très effrayant) flirtant avec le film de genre et dénonçant le racisme des blancs progressistes n’était pas pour les mettre à l’aise, de sorte qu’il fut vite mis à l’écart au moyen d’un Oscar du meilleur scénario original pour évacuer tout espoir qu’il obtienne des prix plus enthousiasmants…

 

 

Je suis par ailleurs toujours frappé de voir les mêmes films revenir dans toutes les catégories. Il y a une certaine logique à retrouver un nominé pour l’Oscar du meilleur film nominé également pour celui du meilleur réalisateur, du meilleur scénario, éventuellement un ou deux Oscars d’interprétation, voire celui de la photographie, puisque ce sont des catégories qui influent beaucoup sur notre appréciation d’un film. Mais à en croire la liste des nominés, il semblerait que tous les meilleurs films aient bénéficié du meilleur montage, du meilleur mixage et montage du son, et qu’il soit impossible qu’un film soit admirablement bien monté sans être par ailleurs excellent dans toutes les catégories, ce qui est simplement contraire à tout réalisme. Dans un monde objectif, la sélection manifesterait une bien plus grande variété et ferait même de la place à des films peu connus et peu médiatisés, et pourtant admirables au moins sur un plan.

On peut apprécier The Shape of Water et se dire que le quasi-record de 13 nominations surestime amplement cette aimable parabole humaniste, qui n’aurait peut-être pas eu le même succès auprès de l’Académie si elle ne dénonçait pas tout ensemble le rejet des femmes, des noirs, des juifs, des homosexuels, des communistes, des bas métiers et des classes sociales précaires… De même qu’il y a plus d’idées de cinéma dans The Post que dans la plupart des films de Spielberg de ces dix dernières années, ou que Phantom Thread est mystérieusement magnétique et rappelle en cela le génie d’un P. T. Anderson grandiose même quand son montage ou sa photographie affichent moins leur sophistication que dans ses précédents longs-métrages, et très bon directeur d’un excellent acteur, Daniel Day-Lewis y livrant une interprétation autrement plus impressionnante que le bien-aimé Gary Oldman. De même que Three Billboards possède une prémisse particulièrement prometteuse, et une ambiguïté morale si singulière que c’est à se demander si elle est volontaire, mais toutes leurs qualités en font de bons films, pas des « meilleurs films de l’année » pouvant légitimement phagocyter toutes les catégories. Et j’ai déjà expliqué ailleurs combien Dunkerque m’avait déçu, je ne reviens donc pas sur ce sujet douloureux.

Le palmarès des grands oubliés

On s’amuse souvent en parlant des grandes récompenses à lister les noms immenses qui ont toujours échoué à les obtenir, et Spielberg n’a pas manqué cette année de parler des « chefs-d’oeuvre » ne s’étant pas vu décerner d’Oscar. Les lacunes de cette année sont moins criminelles, mais se font suffisamment sentir pour être regrettables, à commencer par l’absence d’une catégorie pour récompenser la meilleure série. On ne peut exclure l’hypothèse que les membres de l’Académie sont « trop occupés » pour regarder plusieurs séries (quand on voit les arguments qu’ils émettent sur le cinéma d’animation, il faut prendre en compte toute la mauvaise foi possible), il n’empêche qu’en 2018 plus que jamais la création de cette catégorie ferait sens.

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C’est que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les membres de l’Académie ne vont pas voir tous les films, et affichent même un certain snobisme. En soi ce n’est pas condamnable, il faut bien qu’il fassent des choix, et se laisser guider par leur intuition et la rumeur vers les films semblant les plus « importants » n’est pas la pire règle possible, dommage seulement que cela se fasse un peu péremptoirement au détriment du cinéma « populaire ». Et un peu trop en faveur des films Disney, Star Wars compris mais tout de même pas Marvel, il ne faut pas pousser !

Ainsi, seulement deux films Netflix en compétition, le documentaire Icarus, primé dans sa catégorie (mais le jury regarde-t-il seulement beaucoup de documentaires ou s’est-il laissé séduire par la dimension anti-russe de celui-ci ?), et l’intéressant Mudbound, qui n’est même pas une production Netflix (à l’instar de Okja ou War Machine) mais dont Netflix a seulement racheté les droits de distribution (à l’instar d’Annihilation, What happened to Monday ou The Cloverfield Paradox). Et si l’on fait preuve de mauvais esprit, on pourrait faire valoir que Mudbound DEVAIT être nominé étant donné son succès dans d’autres festivals, et que son silence aurait été trop criant. Il n’a d’ailleurs pas été récompensé aux Oscars – et ne le méritait pas vraiment, mais je regrette que Okja ou The Meyerowitz Stories n’aient pas eu les mêmes honneurs, soit parce qu’ils étaient des productions Netflix soit parce qu’ils n’avaient pas bénéficié de suffisamment de visibilité, alors que tous deux avaient des droits à faire valoir pour certaines nominations (en matière de scénario et d’interprétation notamment).

 

 

L’an dernier, DiCaprio a été récompensé pour The Revenant, une interprétation honnête qui n’était pas la meilleure de sa carrière, loin de là. Mais c’était « pour le principe » : tout le monde s’indignait qu’il n’ait jamais obtenu d’Oscar, et pour une fois il s’était abaissé à serrer les mains qu’il fallait, à promouvoir activement sa personne auprès de tous les membres du jury. Gary Oldman appartient également à cette lignée d’immenses acteurs n’ayant jamais été récompensés, et son Oscar pour The Darkest Hour apparaît également comme une réparation plutôt que comme la consécration d’un rôle. On s’en réjouit pour lui, enfin n’était-il pas temps aussi de nominer Andy Serkis ? Rappelons tout de même qu’en tant que Gollum ou que César il avait été nominé ou récompensé aux Film Critic Awards, aux Saturn Awards, aux Screen Actors Guild Awards, Satellite Awards, entre plusieurs autres, mais jamais aux Oscars. Or l’achèvement de la trilogie de prequels de La Planète des singes était l’occasion rêvée pour une nomination au moins, encore un coche manqué par l’Académie…

La Planète des singes : Suprématie m’était d’ailleurs apparu comme l’un des meilleurs films de l’année, un modèle de blockbuster sérieux, méritant d’être distingué par-delà la seule catégorie des effets visuels, catégorie où il méritait effectivement d’être ballotté par Les Gardiens de la Galaxie 2 et Blade Runner 2049, et où aucun des films de la trilogie n’a été récompensé malgré trois nominations. Michael Seresin aurait même pu être nominé comme meilleur directeur de photographie, la catégorie qui m’intéresse toujours le plus chaque année, et où la compétition était comme toujours plus rude que pour les récompenses « principales ». De sorte que je peux concevoir l’absence de Split, A Cure for wellness ou Alien: Covenant, mais où sont Rodrigo Prieto (Silence) et le génial Emmanuel Lubezki (Song to Song) ?

On l’a déjà dit, il y a les films vers lesquels l’Académie est naturellement portée et ceux qui n’existent pas à ses yeux. Cela m’est subjectivement douloureux parce que les deux films américains qui m’ont le plus procuré de plaisir en 2018 étaient Split et The Lost City of Z, deux titres complètement évacués de la sélection malgré des qualités qui me paraissaient évidentes. Surtout, c’est un problème quand on voit la banalité des compositeurs nominés pour l’Oscar de la meilleure bande originale, au détriment des compositions formidables de West Dylan Thordson (Split) et Daniel Pemberton (King Arthur).

 

 

Le désamour de l’Académie pour les blockbusters est évident, celui pour le cinéma de genre peut l’être davantage quand on voit à quel point ils ont voulu couvrir La Forme de l’eau de statuettes. Mais malgré ses aspérités (la terratophilie, une scène un peu violente, l’onanisme quotidien de l’héroïne), La Forme de l’eau lui offrait tout ce qu’elle voulait voir, une parabole humaniste évidente, et un voyage nostalgique dans un âge d’or hollywoodien fantasmé. Leur peur du baroquisme devait nuire à Split, et jouer quand il s’est agi de couronner le meilleur film étranger, compte tenu de l’éclosion du cinéma de genre à l’international. Certains pays se sont méfiés d’emblée, comme le Japon qui a proposé son film le plus « américain » au lieu du très sympathique Creepy de Kiyoshi Kurosawa, ou d’un Kore-eda, ou comme la Belgique qui a préférer mettre en avant le fade Le Fidèle que le formidable Grave. Je ne sais pas si Mise à mort du cerf sacré était considéré comme un film états-unien (c’est une co-production anglo-américaine) ou comme un film étranger. Dans le premier cas, je ne comprends pas son absence des catégories où il brille (scénario, photographie surtout), dans le second, qu’il n’ait pas même été proposé pour l’Oscar du meilleur film étranger. C’est finalement le Danemark qui a assumé sa différence en proposant le vraiment bon Thelma au lieu d’une mélasse « américanisée ». Sans succès certes, mais ils ont osé. Les Français ont quant à eux eu l’étrange idée de soumettre 120 Battements par minute, très beau film mais bien trop franchouillard pour attirer l’attention d’un jury qui ne l’a en effet même pas retenu pour la « liste courte »…

Mais si l’Académie est si soucieuse de visibilité, la nomination de 120 Battements pour minute aurait été une agréable surprise. Plutôt que Gerwig, elle aurait également pu distinguer Sophia Coppola (Les Proies est un remake très convaincant au moins dans ses deux premiers tiers) ou Kathryn Bigelow, Jason Boyega ayant d’ailleurs aussi mérité de voir son nom cité comme meilleur acteur secondaire pour Detroit. Ces films n’ont cependant pas été assez médiatisés pour participer au grand show que sont les Oscars…

Enfin, de façon plus anarchique et avec une subjectivité complètement assumée, parmi les personnes et films dont je n’ai pas encore parlé, j’aurais aimé voir nominés : mother! (réalisation et interprétation féminine), Liam Neeson (Silence), Ryan Gosling (Song to Song – pas Blade Runner 2049), Adam Driver (Logan Lucky, éventuellement The Last Jedi), Michael Keaton (Spider-Man : Homecoming), Tom Hiddleston (Thor : Ragnarok), le vraiment joliment fait Professor Marston and the Wonder Women, pourquoi pas American Made, Colossal (scénario).