Split – La critique

Siegfried « Moyocoyani » Würtz, Laurianne « Caduce » Angeon

Split – La critique

Split – La critique

Siegfried « Moyocoyani » Würtz, Laurianne « Caduce » Angeon
28 février 2017
M. Night Shyamalan signe-t-il son grand retour avec le thriller horrifique Split ?

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Split : la critique sans spoilers

L’avis de Caduce : M. Night Shyamalan – pour le meilleur ou pour le pire ?

 

Il y a des associations de noms qui font rêver, et c’était le cas pour l’affiche de Split. D’un côté, James McAvoy, plus connu du public pour son rôle de Professeur X (jeune) dans la saga X-Men. Si son interprétation du personnage m’a toujours parue juste et convaincante, je devinais chez McAvoy un potentiel bien plus redoutable, qui plus est lorsque je l’imaginais dans le rôle d’un protagoniste moins « pur », attendant impatiemment le film qui le ferait enfin paraître sous un jour plus tourmenté. Mon attente fut donc récompensée avec Split, qui plus est lorsque je vis le nom de M. Night Shyamalan, un réalisateur cher à mon cœur, et pourtant capable du pire. Après son coup d’éclat avec des titres tels qu‘Incassable ou Sixième Sens, Shyamalan, avait ensuite déçu, à de nombreuses reprises avec des films inégaux : des titres pas franchement mauvais mais maladroits (Signes, The Village, The Visit…) et d’autres particulièrement vides de sens (passez votre chemin, si vous n’avez pas encore vu Phénomènes…). C’est donc avec un avis mitigé que je me rendais à la séance de Split, curieuse d’enfin découvrir McAvoy sous un nouveau jour, mais fébrile à l’idée que Shyamalan déçoive, encore une fois.

Je commencerais cette critique en vous disant de vous rendre au cinéma, sans regarder la bande-annonce ou les synopsis les plus longs, si possible. À vrai dire, essayez d’en lire le moins possible sur Split, quitte à retarder la lecture de cet article pour l’après-séance. Non pas que les rebondissements soient particulièrement incroyables, mais plutôt que le film mérite qu’on le regarde avec un œil vierge, afin d’en savourer les nombreuses qualités. Passé ce préambule, et avant de parler de ces dernières, parlons d’abord des quelques ombres qui ternissent le tableau de Split.

Pour faire simple, et ne pas trop en dire, Split suit le parcours d’un homme atteint d’un trouble de dissociation de l’identité. Kevin a, à ce jour, révélé pas moins de 23 personnalités, et cohabite chaque jour avec chacune d’entre elles. Un jour, il kidnappe trois jeunes filles et les séquestre chez lui – et franchement, c’est tout ce que vous devriez savoir avant de franchir le pas de la salle obscure.

 

 

Si à première vue, vous vous attendez à un huis-clos glaçant, vous risquez d’être quelque peu déçus : Shyamalan, dans un souci de présenter la pathologie de son héros, inclut maladroitement le personnage d’une psychiatre qui suit Kevin depuis de nombreuses années, nous permettant ainsi d’en apprendre plus sur ses différentes personnalités, et sur l’étendue du potentiel du héros, qui passe alors du statut de malade mental à celui d’un être presque supérieur. Le procédé est nécessaire, sans en révéler plus, mais maladroit, car on perd dès lors la tension induise par le huis-clos, malgré le caractère fascinant du héros. Car 23 personnalités se battent pour vivre dans le corps de Kevin… 23 ? Oui, c’est ce que l’on nous dit, histoire d’en jeter un peu : on ne se trouve pas devant le petit schizo de base. Mais des 23 personnalités de Kevin, nous n’en verrons finalement que très peu (moins d’une dizaine !), et en cela, le film vend un peu trop pour offrir finalement peu de choses. Cela étant, les quelques personnages que nous présente McAvoy demeurent fascinants, et si ils nous sont présentés séparément à chaque fois au début du film, nous attendons avec impatience de les voir s’enchaîner, afin de laisser l’acteur briller dans cet exercice périlleux.. et cela viendra, n’en doutez pas !

Ensuite,et sans parler des différents rebondissements, bien sûr, il faut savoir que Split est un probablement un film que vous apprécierez, même s’il faut lui laisser sa chance de séduire. Car l’un des principaux points faibles du film (et à la fois l’une de ses forces), c’est que Split prend son temps pour nous convaincre. Après une introduction sobre et efficace (mention spéciale au générique saccadé et à sa musique qui donne le ton) McAvoy fait une première apparition réussie, et terrifiante. Professeur X est bien loin désormais, et l’apparition de ce héros tourmenté fait vraiment froid dans le dos. Passé cela, et lorsque les premières personnalités de Kevin se manifesteront, la hype retombe un peu : l’acteur surjoue quelque peu ces différentes facettes, et l’on pourrait croire à première vue que l’exercice sera raté. Il n’en est rien pourtant, et une fois installé dans l’ambiance du film, vous pourriez parfois vous surprendre à croire en ces personnages plus vrais que natures, réunis dans le corps d’un seul et même homme, finalement magistral dans ce rôle torturé. N’ayant pas eu la chance de voir le film en VO, je pense même que la doublure VF devait sans nul doute amoindrir l’excellente interprétation de McAvoy, dont j’attendais tant de choses. À ses côtés, Anya Taylor-Joy reste convaincante, sans égaler son partenaire de jeu, en particulier à cause de maladresses scénaristiques qui enfoncent des portes ouvertes sur une personnalité relativement creuse (de nombreux flash-back viendront casser le rythme du film, et leur récurrence annonce bien évidemment quelque chose pour la suite…). En ligne de mire de cette intrigue, la trame de fond de l‘enfance et de la maltraitance, un thème parfois secondaire mais que l’on avait déjà vu chez Shyamalan.

 

 

Le réalisateur signe avec Split un grand retour sur la scène du thriller horrifique avec une réalisation soignée, des plans judicieusement choisis, et un rythme très cohérent lorsque l’on se retrouve dans le cadre du huis-clos. Le suspense grandit sans que l’on y prenne garde, les quelques rebondissements valent le coup d’être vus, sans égaler toutefois d’autres dont Shyamalan avait eu le secret, notamment dans Sixième Sens et The Village. Enfin, s’il fallait retenir quelque chose de mémorable dans Split, en dehors des qualités évidentes citées plus haut, ce serait sa capacité à mêler le suspense, l’horreur et le drame. Car Split est un film grave, et si la première apparition de McAvoy génére de la tension, son personnage tourmenté ne manquera probablement de vous toucher par sa complexité et son infinie tristesse. Pour un peu, on en viendrait (presque) à oublier le bourreau qui séquestre pour ne voir finalement que l’homme blessé, dont l’inconscient s’est chargé de le protéger de nombreux traumas. Haletant, mélancolique, sombre et glauque, Split reste une excellente surprise et signe le grand retour tant espéré de M.Night Shyamalan. Le film reste encore en tête, plus de deux jours après le visionnage, j’ai adoré (Moi, aussi ! – Ouais, c’était pas mal – Oui, je pense pareil ! ).

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L’avis de Moyocoyani : Split, le vrai retour de M. Night Shyamalan

 

Je n’attendais rien de bon de Split, et sans la perspective de cet article collaboratif, il est probable que j’aurais attendu la sortie du DVD pour le découvrir. Unbreakable appartient pourtant à mes films préférés, j’avais été très favorablement impressionné (comme le monde entier) par Sixième Sens, et même par Signes, où l’on sentait pourtant déjà Shyamalan sur une pente descendante. Le Village était déjà plus empli de ces moments bizarres, de ces répliques en décalage avec leur contexte, de cette impression diffuse d’un réalisateur qui souhaite manifester un style sans savoir comment se mettre autrement en avant qu’en en faisant trop – ce qui sera confirmé par l’idolâtrie qu’il cherchera à susciter par son faux documentaire The Buried Secret of M. Night Shyamalan, où il semble se prendre très au sérieux, ou par The Man who heard voices, ouvrage commandé par le réalisateur à Michael Bamberger et supposé imprégner de mystique le tournage de La Jeune fille de l’eau, première catastrophe intégrale de Shyamalan.

Consacrant sa descente aux enfers avec le très mal accueilli Phénomènes (pourtant un regard frais et assez stimulant sur le genre du film catastrophe), et contraint de s’attaquer à des projets aussi impersonnels que Le Dernier Maître de l’air et After Earth, il lui avait fallu s’associer à Jason Blum – passionnant producteur de films d’horreur à petit budget auquel on doit largement les insidious aussi bien que les excellents Whiplash et Lawlesspour un timide retour il y a deux ans. Si The Visit n’était pas extraordinaire, il prouvait que Shyamalan était capable de s’effacer derrière un projet humble, mettant ses capacités de scénariste et de réalisateur au service d’une intrigue reposant sur un unique twist, mobilisant un nombre réduit d’acteurs dont pas un seul n’était connu, dans un cadre proche du huis-clos sans inutiles sophistications baroques. En cela, il signalait un possible renouveau, et inspirait une timide confiance pour la suite. C’était déjà beaucoup pour un homme voué à l’oubli.

Cette suite, ce fut Split. Toujours produit par Blumhouse Productions pour un budget à peine plus élevé que The Visit, toujours scénarisé par Shyamalan lui-même, Split pouvait cependant effrayer par son sujet, la schizophrénie, qui n’a jamais été traité avec beaucoup de finesse dans les films à tendance horrifique, et il faut dire que les bandes-annonces avaient de quoi inquiéter le spectateur par la promesse d’une histoire assez cliché et d’une performance aussi remarquable que ridicule de James McAvoy.

 

Dès les premières minutes, quelque chose se passe : la mise en scène du générique, dont les différents éléments alternent en montage serré avec des images très brèves, captive l’attention et distille l’impression vaguement positive d’une réalisation soignée. Quelques scènes convainquent moins, comme ces flash-backs de Casey Cooke, dont on se demande comment ils pourraient être habilement liés à la suite, et au centre desquels se trouve toujours un fusil que l’on voit venir gros comme une maison à la fin de l’intrigue ; ou comme ces sorties brutales du lieu où sont enfermées les filles enlevées par le schizophrène pour aller voir une psychiatre. Par moments on songe tellement à ce que 10, Cloverfield Lane avait de meilleur que ces renoncements temporaires au huis clos paraissent d’une maladresse assez impardonnable.

On ne constate donc rien de grave, mais on sait que cela ne peut aboutir à grand chose, et cette certitude peut nuire par instants au visionnage… et saisir puissamment quand on se rend compte que l’on s’était fourvoyé, qu’il y a même un certain génie dans l’élaboration du scénario par la manière qu’a Shyamalan de jouer avec le « fusil de Tchekhov » – si si, souvenez-vous, c’est ce principe de dramaturgie qui dit que quand, dans une œuvre de fiction, on insiste sur un objet dès le début, c’est que cet objet doit resservir plus tard, sans doute au dénouement, un principe utilisé dans des milliers de films et épuisant à force de manquer de subtilité.

De même, on se dit que Split ne pourra manquer d’un twist à la Shyamalan… alors que la seule question que l’on pourrait se poser au cours du film possède sa réponse dans les trailers, ce qui est sans doute un crime du marketing plus qu’une audace de réalisation, mais un crime presque appréciable, puisqu’il permet de se laisser emporter plus posément par l’histoire et de mieux y adhérer que dans Identity par exemple, type même du film qui en parlant de schizophrénie cherche simplement à produire des frissons divertissants au spectateur.

Alors qu’il y a davantage dans Split, quoique ce ne soit pas évident avant le dernier acte : on parle bien de maltraitance de l’enfance assez tôt, plutôt comme d’un thème d’arrière-fond, prétexte à l’intrigue, et ce n’est qu’au fur et à mesure du développement de l’intrigue que l’on se rend compte que Split est une belle fiction de la maltraitance. Il y a même un plan, simplement un peu plus large que ceux auxquels nous étions habitués, dont nous ne nous étions même pas aperçus qu’il manquait, et qui sur le moment coupe le souffle par la finesse toute cinématographique de son traitement de l’invisibilité des souffrances. On n’en dira pas plus, évidemment.

 

 

Split est une réussite incroyable : malgré quelques défauts (une bande-annonce trop révélatrice, une référence finale superbe mais mal amenée, des incohérences très légères, un McAvoy excellent qui ne parvient pas toujours à incarner aussi bien qu’il l’aurait fallu ses différentes identités, en particulier la finale, qui manque un peu de présence), le film bénéficie de la photographie et de la musique de deux parfaits inconnus, Mike Gioulakis et West Dylan Thordson, dont le travail aide beaucoup Split à fonctionner, d’une réalisation sans effets baroques, où chaque cadre et chaque mouvement de caméra sont bien sentis, d’une histoire ne suscitant pas tant l’empathie et la terreur qu’une sensible inquiétude qui suffit à faire croître notre curiosité et notre intérêt. Le petit thriller horrifique d’un réalisateur sur le déclin s’avère l’un des films les plus importants de sa carrière – et un parfait prétendant pour mon top 10 de 2017.

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