Night of the Living Dead, le classique de Romero à la sauce Zombicide !
Troisième fois déjà qu’il est question du mythique Zombicide sur VonGuru, après l’article consacré par Lucile « Macky » Herman au jeu de base et celui que j’écrivais plus récemment sur l’excellent standalone SF Dark Side et l’extension Black Ops. Cela finirait par tourner à la routine un peu paresseuse si Night of the Living Dead était un Zombicide comme un autre.
Toujours développé par Guillotine Games (Raphaël Guiton, Jean-Baptiste Lullien, Nicolas Raoult), édité par CMON et traduit par Edge Entertainment France, il est cette fois distribué en France par Funforge au lieu d’Asmodee, dans le cadre d’un rapprochement déjà teasé au festival de Cannes, puis en mai quand l’éditeur de Tokaido, Patchwork, Évolution ou Agricola invitait innocemment à participer à la campagne de financement participatif d’Ankh en soutien à « nos amis de CMON », et dont la localisation de ce Zombicide n’est que la première preuve puissante, avant celle de Bloodborne et bien d’autres assurément…
Si l’on pourrait penser que Funforge a bien peu d’expertise dans ce genre de licences geek, il faut se souvenir qu’il s’agit d’une orientation assumée au moins depuis la campagne pour Monumental, et joliment revendiquée avec ce Zombicide, le jeu de cartes Dark Souls, Bloodborne… en partenariat avec des éditeurs aussi réputés dans le domaine que CMON ou Steamforged ! Il ne s’agit donc pas tant d’une exception opportuniste que d’une nouvelle lignée éditoriale soigneusement développée et bien entendu très intrigante.
L’autre grande surprise de ce Zombicide… c’est l’adaptation du film culte de George A. Romero Night of the Living Dead – La Nuit des Morts-Vivants en VF, mais on va garder le titre en VO par snobisme et pour le référencement – sous la supervision étroite d’Image Ten, les détenteurs des droits. Une intéressante interview d’Image Ten par CMON permet de confirmer leur participation au jeu tout en rendant hommage à l’importance séminale de Night of the Living Dead pour le cinéma de zombies et la série Zombicide, tandis que dans une autre, ce sont les trois auteurs du jeu qui expliquent comment ils ont adapté le film. Et vous verrez que cela ne se limite pas à reprendre vaguement le lieu et le nom des personnages…
Vendu 80 euros, Night of the Living Dead : A Zombicide Game s’adresse à 1 à 6 survivants (idéalement 6) de 12 ans et plus en ce qui concerne le système de jeu, voire 10 ans, indépendamment du thème qui peut bien entendu moins convenir.
L’objet Zombicide : Night of the Living Dead
Le plaisir matériel est au moins la moitié du plaisir pris à un Zombicide, c’est bien connu. Or à première vue, Night of the Living Dead est très loin de décevoir, tout d’abord… parce qu’il propose le système de rangement le plus pratique de toute la gamme. Pour des KS récoltant des centaines de milliers voire des millions de dollars, j’ai toujours trouvé l’insert des Zombicide étonnamment cheap, avec des cartes et des jetons s’échappant de toutes parts.
Or dans Night of the Living Dead, pas besoin d’un GameTrayz pour que tout soit calé à un endroit logique. Au bas du carton de figurines, on trouve même une illustration rappelant comment les ranger, afin d’éviter de perdre des heures à retrouver la case précise de chacune – on parle quand même ici de 23 moules différents pour 66 figurines !
Il faut quand même dire que ces 23 moules sont en-deçà de ce que l’on espère généralement des Zombicide, puisqu’on n’y trouve aucune grosse bête vraiment impressionnante, ni même d’ailleurs de zombies de base un peu originaux.
Sans surprise évidemment, on a acheté une adaptation de Night of the Living Dead, donc du film ayant justement popularisé la figure du zombie dans la culture populaire comme menace terriblement ordinaire, sans la grandiloquence qu’on pourra lui prêter plus tard, pour changer justement. Il s’agit après tout souvent, dans les premiers Romero au moins, d’une satire de la société décérébrante, notamment de consommation (Dawn of the Dead) ou raciste (Night of the Living Dead), ce qui fonctionne d’autant mieux que l’on peut trouver les êtres humains aussi stupides et agressifs que les zombies. Mais comme on a parfois l’impression, en dépensant 80 euros, d’avoir droit à des monstres colossaux dont le nombre de centimètres est un argument de campagne, il faut bien revoir le film pour apprécier de ne pas en avoir.
Aussi la distinction entre les zombies demandera-t-elle plus d’observation : les casseurs portent un objet dans un geste de destruction, les balèzes sont un peu plus grands, surtout plus épais, et écartent les bras pour se saisir de leur proie, tandis que les rôdeurs ressembleraient simplement à des civils s’ils n’avaient ce petit détail qui prouve qu’ils ont basculé de l’autre côté. Tiens, pas de coureurs ? Night of the Living Dead contant le périple d’une poignée de survivants enfermés dans une maison entourée de zombies, le danger viendra désormais de ceux qui sont capables de détruire des planches plus que des rapides…
On admirera d’ailleurs que chaque figurine reprenne fidèlement la pose d’un personnage dans le film, à l’exception des 6 survivants en mode Zombicide (on y revient) : les 6 survivants en mode Romero, les 28 rôdeurs, les 12 casseurs, les 12 balèzes et les 2 proches (avouez que vous vous demandez comment ils vont servir !).
Les dalles représentant la maison et ses environs relèvent d’un travail de maniaque encore plus poussé, puisque les auteurs ont dû régulièrement faire pause dans le film pour noter l’emplacement de chaque porte, de chaque fenêtre, de chaque objet, puis les modéliser avant de les reproduire… sans que ce souci du détail ait le moindre impact sur le jeu (où seule la disposition des pièces importe, pas du tout les objets qui s’y trouvent) ! On trouvera ici de jolies traces de ce travail.
Mode Zombicide, mode Romero ? L’astuce des auteurs pour s’immerger dans Night of the Living Dead et ses personnages désespérément peu charismatiques sans perdre le défourraillage de zombies qui est quand même l’essence de la série est de faire alterner chaque personnage entre un mode faible (Romero), disposant de compétences moyennes entre lesquelles on ne choisit par à chaque progression de niveau, et un mode fort (Zombicide), avec les habituelles compétences destructrices et l’habituel choix à réaliser entre deux compétences en danger orange et trois en danger rouge. Enfin ces compétences restent relativement peu variées, une douzaine en tout et pour tout, sans doute afin de conserver cette volonté d’accessibilité des règles (sans nuire la difficulté des scénarios, vous allez voir).
Avant la nuit
Zombicide de 2020 oblige, Night of the Living Dead bénéficie des réflexions des auteurs sur la modernisation du système de jeu. Si l’on y retrouve les fameux tableaux de bord personnels, avec leur jauge de danger, leurs cases sac à dos (désormais juxtaposées afin de ne plus se recouvrir), et main, leurs curseurs de compétences et de blessures, les pointeurs sont de la couleur du socle du survivant correspondant, toujours pratique. En outre, la mise en place est agréablement simplifiée.
Les joueurs se répartissent donc les 6 personnages (d’où ma préférence pour pratiquer Night of the Living Dead à 6, afin que chacun dispose d’un personnage, éventuellement à 3 voire à 2) en plaçant sur leur tableau de bord la bonne carte Personnage, le curseur d’XP sur le 0 de la barre de danger, le pointeur de compétence en haut de la jauge… de compétence et le pointeur de blessures sur le 0 de la jauge… de blessures (indiquant l’absence initiale de compétence et de blessures) et reçoit un pied de table, le premier joueur recevant de surcroît l’unique Winchester 84.
Petite originalité, les cartes sont désormais réparties en six decks : équipement de départ, équipement à distance, équipement de mêlée, équipement domestique, équipement spéciale et morts-vivants. Cela ne complique aucunement l’installation étant donné que leur dos les identifie immédiatement, et l’idée est évidemment maline afin de ne pas permettre à de médiocres survivants d’accéder à des armes destructrices où qu’ils fouillent, mais d’encourager l’exploration dans des lieux spécifiques pour des objets particuliers quand le reste de la maison ne contient naturellement que des objets… domestiques…
Il ne reste qu’à choisir l’une des dix scènes dans le livret de règles ou la scène mise gratuitement à disposition des joueurs sur le site de CMON (donc en anglais, je ne sais pas si Edge ou Funforge en ont prévu la traduction). On y trouve un synopsis suivant plus ou moins les grandes lignes du film de Romero, les dalles à prendre et leur disposition, les emplacements des tuiles Barricade ouverte/fermée, Escaliers ouverts/barricadés, Porte ouverte/fermée, le lieu de départ des différents héros, les objectifs (par exemple éliminer tous les morts-vivants de la maison et avoir barricadé les fenêtres indiquées) et les règles spéciales, parfois assez nombreuses afin d’assurer une vraie singularité à chacune.
Lors des cinq premières scènes, les héros commencent en mode Romero, et lors des cinq dernières en mode Zombicide. Mais rien n’est jamais acquis : on peut en effet retourner une carte Héros Romero sur son mode Zombicide (et donc échanger la figurine correspondante contre sa version badass) en lui faisant donner l’unique Winchester 94 à un autre joueur. Un peu comme dans Kingdom Rush, le fait de donner prouve une confiance en soi améliorant le personnage, accentuant l’importance d’une coopération active entre les joueurs. J’aurais peut-être apprécié d’autres règles pour changer de mode, mais cette absence de variété a au moins le mérite de constituer une règle permanente assez claire, apprise une bonne fois pour toutes.
A contrario, tous les héros repassent en mode Romero si un proche zombifié survient, les ramenant à leur condition d’être humains limités par leurs affects, troublés par la vue d’un ennemi qu’ils peinent à vraiment considérer comme un ennemi, même quand il commence à montrer les dents… Que les figurines de proches soient rouges permet d’identifier sans aucun doute cette menace terrible sur le moral de l’équipe et l’importance d’en faire sa cible prioritaire…
Survie oblige, deux nouveaux types de zone font leur apparition, les champs de maïs dont la ligne de vue est nulle (on ne voit personne dans un champ de maïs, on ne voit personne depuis le champ de maïs, pratique pour se cacher complètement dans une excursion à l’extérieur de la maison) et le bois (on en voit personne dans un bois, mais une personne dans un bois voit normalement en dehors, pratique pour les armes à distance). De quoi jouer habilement avec les règles de ligne de vue et les rendre un peu plus tactiques, quoique plus simples que celles de Dark Side.
Un Zombicide zombifié par le maître des zombies
Night of the Living Dead se joue à peu près comme n’importe quel Zombicide. En effet, les héros y disposent à leur tour de 3 Points d’Action (PA) qu’ils dépensent librement avant de laisser la main au héros suivant.
Ces actions consistent à :
- se déplacer, en dépensant 1 PA par zone franchie, plus 1 PA par zombie présent dans la zone que l’on quitte, et en interrompant immédiatement le déplacement en arrivant dans une zone occupée par des zombies.
- fouiller une zone de la maison ne contenant aucun mort-vivant, en piochant dans le pioche d’équipements domestiques en mode Romero, ou au choix dans la pile d’équipements à distance, de mêlée ou domestiques en mode Zombicide.
- ouvrir ou fermer une porte dans une zone sans mort-vivant.
- construire une barricade sur un lieu pouvant l’accueillir et dans une zone sans zombie, d’ouvrir une barricade (seulement avec un outil adapté) ou de fermer une barricade. Pratique aussi bien pour dévier le chemin des zombies que pour sortir rapidement aider un allié à l’extérieur ou rentrer en catastrophe.
- réorganiser son inventaire, en déplaçant les objets de ses mains vers son sac à dos et inversement, et en donnant (ou échangeant) ces objets avec les autres héros présents dans la même zone.
- combattre, si les armes et la ligne de vue le permettent, ce qui octroie 1 point d’expérience par zombie tué. Certaines armes peuvent être obtenues en défaussant deux cartes afin d’aller chercher le résultat parmi les équipements spéciaux, comme la pétoire de m’man (hachette + canon scié) ou le cocktail molotov (kérosène + bocal). On peut même enflammer le pied de table avec lequel on commence la partie et du kérosène (cette fois conservé, parce qu’on en utilise fort peu) pour une torche proprement dévastatrice !
- prendre ou activer un objectif dans sa zone.
- passer son tour.
- monter ou descendre de voiture, dans les scènes impliquant un véhicule (une tuile comportant 1 emplacement Conducteur et 5 emplacements Passager).
- changer de siège en voiture.
- conduire la voiture si on en est le pilote en la déplaçant d’une ou deux zones en extérieur (hors bois et champ de maïs). Traverser une zone occupée par des zombies permet de les écraser, en lançant une attaque de voiture (chacun des deux véhicules a ses propres caractéristiques), mais si la zone contient aussi des héros, ceux-ci subissent les échecs (comme avec les attaques à distance). En utilisant plusieurs déplacements de voiture dans le même tour, on peut rouler plusieurs fois sur les mêmes zombies, assez jubilatoire ! Tellement que l’on aurait rêvé un petit montage pour réaliser la voiture plutôt qu’une simple tuile à faire glisser…
Quand tous les héros ont réalisé leurs trois actions, on passe à la phase des morts-vivants.
Les zombies se situant dans la même zone que des survivants les attaquent en leur infligeant 1 ou 2 blessures. Mais un casseur se trouvant dans une zone sans survivant ouvre toutes les barricades et portes fermées !
Les zombies n’ayant pas attaqué ou ouvert de barricades se déplacent alors d’une zone vers celle qui contient le plus de survivants dans leur ligne de vue si possible, ou hors de leur ligne de vue sinon, les barricades et portes fermées ayant évidemment leur importance dans le calcul de la distance.
Puis vient le moment de la mauvaise surprise, avec le retournement d’une carte de la pioche Mort-vivant par pion Invasion en jeu. La plupart imposent l’apparition de nouvelles figurines dont le nombre dépend du niveau de danger (le niveau d’expérience) du héros le plus expérimenté en jeu, de quoi vous inviter à ne pas faire grimper votre XP tout seul, parce que 7 balèzes d’un coup si les deux tiers des héros sont en niveau jaune, cela peut faire très mal !
Et si toutes les figurines du type représenté sont déjà en jeu, elles bénéficient d’une activation supplémentaire (donc attaque ou déplacement). Un signe annonciateur de défaite, qu’on s’efforcera de repousser du mieux possible en exterminant régulièrement les zombies proliférant un peu trop autour de la maison. D’autres cartes font intervenir un proche ou détruisent des barricades… il faut être prêt à tout, et surtout au pire !
Quand revient le tour des héros, le suivant dans le sens horaire devient premier joueur.
La partie s’achève immédiatement par une défaite quand un survivant est éliminé, empêchant radicalement tout comportement individualiste, et par une victoire si tous les objectifs sont atteints.
Comme toujours avec les Zombicide, on peut assez aisément ajuster la difficulté. D’abord en s’autorisant le mode ultrarouge, qui permet de débloquer nos autres compétences même une fois le niveau d’expérience rouge atteint, puis en triant les cartes Mort-vivant, judicieusement numérotées pour se contenter pratiquement des rôdeurs et balèzes, pour introduire les ouvertures de barricades et portes (ce qui facilite bien entendu les parties en extérieur) ou les retirer, et tout simplement pour ajuster la quantité de balèzes, de proches ou plus généralement de cartes faisant apparaître des hordes de zombies. On s’assurera seulement de se laisser une petite part de surprise et de ne pas évacuer toute tension, c’est après tout ce qui donne de la valeur à la survie !
Night of the Living Dead : un bel hommage à Romero et un bon Zombicide
Night of the Living Dead: A Zombicide Game surprend par sa fidélité presque maniaque au film de Romero : ses figurines immortalisent des poses emblématiques des protagonistes, ses lieux reprennent au détail près chaque élément de la maison dans laquelle les survivants se terrent, les marqueurs de points de vie et de compétences ont même la forme de pieds de table, de longues citations parsèment l’ensemble du livret de règles, les scènes en font rejouer quelques moments emblématiques…
Ce respect irrigue même les mécaniques du jeu, avec la difficulté à accéder à de véritables armes en dehors des objets domestiques naturellement présents partout dans la maison, l’importance cruciale de savoir quand barricader une fenêtre et quand ouvrir une porte pour un raid express, la conduite jubilatoire de la voiture, la faiblesse des personnages dans leur lutte pour la survie face à une menace inhumaine et pourtant si humaine…
Les auteurs n’ont pas oublié pour autant de respecter aussi la série des Zombicide, avec cette idée formidable de faire passer les survivants du mode Romero au mode Zombicide grâce à leur coopération – l’arrivée d’un proche zombifié les faisant cependant revenir à la faiblesse du mode Romero, à la difficulté à combattre ce dur rappel à la réalité. Et bien sûr, tous les principes de Zombicide sont au rendez-vous, les lignes de vue, les attaques à base de D6, les trois points d’action, les compétences (même si elles sont peu nombreuses), les différents types de zombies (même s’ils sont plus impressionnants de fidélité à Romero que de la monstruosité attendue des autres jeux de la gamme)…
En utilisant l’univers du film qui a créé la figure du zombie dans l’imaginaire populaire, et en profitant des efforts de modernisation accompagnant naturellement l’évolution de la série des Zombicide, les auteurs de ce Night of the Living Dead en créent probablement le titre le plus accessible en termes de règles…
qui est cependant loin d’être si accessible en termes de difficulté à remporter la victoire. Plus fluide que jamais, il sait remarquablement équilibrer survie de personnages communs et défouraillage de hordes de morts-vivants, ce que l’on peut aimer chez Romero et ce que l’on peut chercher dans un Zombicide.