Conspiracy – la transposition en jeu de cartes du classique Abyss
En 2014, Bombyx était surtout l’éditeur de Takenoko et du hit Cardline quand avec Abyss il marque le monde socioludique. Encore considéré comme l’un des meilleurs jeux de Bruno Cathala (Kingdomino, Queendomino, Imaginarium, Queenz, Okiya), associé à Charles Chevallier, son compère de Kanagawa et Micropolis), il nous plongeait dans les intrigues politiques des espèces sous-marines, et frappait tant par l’excellence de son édition, de son ambiance et de l’intrication de ses mécaniques qu’il fut vite suivi par deux passionnantes extensions, Kraken et Léviathan – souvenez-vous, on vous décortiquait les trois œuvres ici.
Quelle surprise de voir les auteurs alors emprunter la voie de la « miniaturisation » de leur titre, à la manière d’Amun-Re, le jeu de cartes ou de Bruxelles 1897, pour imaginer Conspiracy – Abyss Universe ! Si Xavier Collette est remplacé aux pinceaux de Pascal Quidault (Sherlock Holmes, Détective Conseil, T.I.M.E. Stories, Splendor, Dicium), il est évident que ce « petit jeu de cartes » affiche des ambitions graphiques et matérielles à la hauteur de la franchise qu’il poursuit, dès la boîte métallisée en relief vendue 14 euros à peine dans cinq coloris et avec cinq motifs différents, une pour chaque guilde, tout en revendiquant une plus grande accessibilité puisqu’outre son format, il s’adresse désormais à 2 à 4 seigneurs marins de 8 ans et plus pour des parties d’une trentaine de minutes.
Les photos de cet article mettant en scène Conspiracy sont dues au très talentueux BoardgameShot, à suivre sur facebook et instagram !
Même réduit, l’océan reste profond
On s’en doute, la mise en place de Conspiracy est extrêmement rapide ; elle y ajoute l’avantage d’être aussi intuitive que possible, grâce à la différence entre les types de matériel, empêchant toute confusion, et le regroupement des pièces similaires, nous épargnant des recherches dans les piles pour les disposer sur la table.
On empile ainsi face cachée les 60 cartes Seigneur (12 par guilde/couleur).
Puis on fait une pioche des 24 cartes Lieu, dont seule la première est révélée.
Le marqueur Perle est posé sur le premier emplacement du petit plateau Piste des perles, et le jeton Maître des perles à proximité.
Chaque joueur reçoit un pion de chacune des cinq couleurs (les blasons), et la partie peut commencer, au bout d’une petite minute.
Conspiration dans le Sénat Océanique
Le tour d’un joueur commence avec le recrutement d’un seigneur :
- soit il pioche 1 à 3 cartes Seigneur, les dévoilant devant lui pour n’en choisir qu’une, les éventuelles autres étant défaussées dans autant de piles que de guildes auxquelles elles appartiennent.
- soit il prend tous les seigneurs d’une pile de la défausse (donc de la même guilde).
On comprend la subtilité : se donner le droit de choisir dans un plus grand échantillon, c’est aussi donner accès à plus de cartes à ses adversaires.
Il s’agit ensuite de poser les cartes récupérées dans sa chambre sénatoriale.
Celle-ci est construite selon un ordre strict, en pyramide inversée : une ligne de cinq cartes, puis une de quatre, une de trois, une de deux et enfin une seule carte, et toujours de gauche à droite. Naturellement, en récupérant plusieurs cartes au même tour, on choisit dans quel ordre les poser.
Si l’on pose ainsi notre premier seigneur d’une guilde, on pose sur lui le blason correspondant. Si l’on pose un seigneur plus puissant que les autres de la même guilde, on déplace sur lui le blason correspondant.
Ces seigneurs valent en effet 0 à 6 Points d’Influence (PI).
Ceux qui valent 0 PI permettent de permuter deux seigneurs de sa chambre sénatoriale, sauf ceux portant des clefs.
Ceux qui valent 1 PI portent une clef d’argent, ceux qui valent 2 PI une clef en or. Poser une deuxième clef identique permet de prendre le contrôle d’un Lieu :
- en piochant 1 à 3 lieux dont un seul est conservé, les autres étant tous étalés.
- en prenant l’un des lieux révélés.
Ce lieu est posé sur le seigneur ayant provoqué la récupération du lieu, annulant toutes les clefs précédentes.
On applique alors l’éventuel pouvoir du lieu : gain de perles, obligation des adversaires de piocher leur prochain seigneur dans la pioche, mélange de la défausse de seigneurs ou des lieux révélés à leur pioche, possibilité désormais de récupérer des lieux avec deux clefs quelles qu’elles soient… Certains lieux représentent aussi un objectif, une condition à laquelle on peut engranger davantage de PI en fin de partie.
Ceux qui valent 3 PI octroient 2 perles, ceux qui en valent 4 1 seule. À tout moment, celui qui possède le plus de perles (donc immatérielles mais représentées clairement sur les cartes) prend le jeton Maître des Perles et place le marqueur de la piste des perles sur le nombre qu’il en possède. La piste ne tient ainsi compte que du nombre de perles de celui qui en possède le plus, afin de rendre plus évident l’objectif à battre par les autres.
Ceux qui valent 6 PI ont un effet négatif, logique quand on a compris la manière de fonctionner de Conspiracy : on défausse immédiatement le premier seigneur de la pile (augmentant ainsi le risque que d’autres joueurs.
Quand la pose est réalisée et l’effet éventuel appliqué, c’est déjà le tour du joueur suivant, de sorte que cela s’enchaîne de façon très fluide, même à quatre.
La partie s’achève quand un joueur pose son quinzième seigneur, la carte seule tout en bas de la pyramide inversée, et que tous ses adversaires ont joué un ultime tour.
On procède alors au décompte des points en additionnant les PI de tous les seigneurs, les PI de tous les lieux, 3 PI par seigneur de la plus grande « coalition », c’est-à-dire la plus longue suite de seigneurs d’une même guilde, et éventuellement les 5 PI de l’actuel Maître des Perles. L’égalité est favorable à celui qui possède le plus de lieux.
Ce qui est particulièrement passionnant avec Conspiracy, vous le voyez, c’est qu’il n’y a pas de « stratégie gagnante », pas de carte objectivement plus forte que les autres. Privilégierez-vous la valeur brute des seigneurs au détriment de leurs pouvoirs, une seule guilde pour une coalition aussi rentable que possible au détriment de la valeur des seigneurs, des lieux valorisant votre collection de perles, un type de clef, le nombre de lieux, une guilde donnée, bref continuant d’orienter votre stratégie ?
Vous pourriez bien sûr ignorer les perles : à quatre joueurs, il peut sembler particulièrement peu rentable de trop miser sur 5 petits points pour lesquels trois adversaires concourent également… mais quelque tactique que vous choisissiez, vous finirez par en amasser un peu, juste assez pour vous laisser penser que, quand même, il n’en faudrait pas beaucoup plus pour devenir Maître des perles, et que 5 points font souvent la différence.
Conspiracy : nouvelle plongée inoubliable dans les profondeurs d’Abyss ?
Conspiracy n’est pas «qu’» une version miniature d’Abyss, comme Bruxelles 1897, Gold River ou Amun-Re, le jeu de cartes ne sont pas que des versions miniatures de Bruxelles 1893, La Fièvre de l’or ou Amun-Re. Le passage à un format resserré impose naturellement des adaptations des mécaniques afin de procurer quelques sensations similaires dans un thème similaire, mais en réalisant des choix quant à ce qui paraît essentiel dans le jeu originel et en étant attentif à ce qui en est le mieux transmissible avec un matériel réduit et à un plus grand public. « Miniaturiser » un jeu, c’est donc déjà nécessairement le transformer, aussi fidèle que l’on veuille être à l’expérience originelle.
En outre, Conspiracy ne cherche pas à remplacer Abyss, il n’a aucunement l’ambition de faire « mieux » qu’un grand frère que rien ne rend encore archaïque, ni ses mécaniques variées et fluides, ni son matériel toujours superbe. Mais il est évident qu’il se présente comme un Abyss « familial », nettement moins cher, nettement plus accessible, dont il reprend plus franchement les idées de collection de seigneurs et de lieux ou le stop-ou-encore afin d’en faire quelque chose qui ressemblerait presque à un casse-tête, avec une idée de construction géométrique notamment, et de nombreux paramètres à prendre en compte.
C’est qu’il n’est pas objectivement possible de subir un mauvais tirage dans Conspiracy, ou de léser ses adversaires, et que l’on est constamment dans une pure quête d’optimisation, du meilleur choix possible afin de réaliser le maximum de points en s’adaptant un peu aux cartes piochées, et en tirant intelligemment profit de nos actions précédentes et de ce qui nous est accessible. Avec l’élégance à laquelle on reconnaît une oeuvre de Bruno Cathala, le jeu nous immerge ainsi habilement dans un système de règles extrêmement aisé à appréhender, et délicieusement exigeant dans les décisions qu’il nous impose de prendre dans l’élaboration de notre puzzle sénatorial.
Le jeu s’intitulant exhaustivement « Conspiracy – Abyss Universe », il semble permis d’en déduire que d’autres suivront pour étendre cet univers, probablement dans des formats variés. Après le jeu de cartes malin, dans quel genre souhaiteriez-vous que le prochain Abyss s’inscrive ?
Un Abyss duel, ça ça me botterait carrément.
Il faudrait que ce soit plus 7 Wonders Duel que Kingdomino Duel, mais carrément oui ! J’imagine bien un draft & write à la Boomerang aussi, très adapté au système de collection, voire un flip & write familial + comme ça commence à devenir la mode… Bon, j’avoue qu’au fond je rêve d’un legacy (d’ailleurs quand mon crémier m’a parlé pour la première fois de Conspiracy, il avait lu « legacy » et m’annonçait donc à mon plus grand enthousiasme un Abyss très narratif, snif), surtout après avoir vu la Team Kaedama en lancer un très prometteur (preuve que cela peut intéresser des auteurs a priori très éloignés d’un tel type de jeu) et en imaginant si bien la densité que cela apporterait à l’univers intrigant d’Abyss, mais ça restera très certainement juste un beau rêve ^^