Zombie Kidz Évolution – ce que le jeu vidéo peut apporter au jeu de société
En présentant le Mr. Wolf de Wilfried et Marie Fort, j’évoquais la surprise générale par sa victoire de l’As d’or du meilleur jeu pour enfants face au Monstre des couleurs, à Kikafé et surtout face au Zombie Kidz Évolution d’Annick Lobet. Je concluais justement par l’hypothèse que Zombie Kidz Évolution était alors déjà un immense succès très médiatisé, n’ayant aucun besoin du coup de pouce d’une récompense aussi prestigieuse, que le jury avait peut-être volontairement choisi de remettre à un jeu moins novateur et impressionnant, mais méritant par sa délicatesse, sa joliesse, sa capacité à émerveiller les plus petits, une bonne image auprès du public qu’il n’aurait peut-être pas eu sans cela. Émettre une idée pareille peut sembler péremptoire, puisque l’on pourrait simplement attribuer le choix du jury à une préférence sincère et totale, et c’est peut-être tout à fait le cas, mais quand vous aurez lu ce test, vous constaterez à quel point la proposition faite par le Scorpion masqué (éditeur de Décrypto, quand même !) est disruptive.
Disponible pour 17 euros 90 (sauf quand il est en rupture, ce qui arrive souvent tant son succès est important), Zombie Kidz Évolution s’adresse à 2 à 4 chasseurs de zombies de 7 ans et plus – pas beaucoup plus au début, sinon pour les parents jouant avec leurs enfants, mais il s’avérera susceptible de captiver même des adultes au fur et à mesure des parties.
Du cimetière à l’école
À l’origine de Zombie Kidz Évolution, il y avait Zombie Kidz, un petit jeu de 2013, également conçu par Annick Lobet pour le Scorpion masqué qu’il s’agissait de rééditer, avec la possibilité d’un matériel un peu plus imposant puisque la gamme compacte dans laquelle il avait initialement été édité n’était plus d’actualité.
Or Annick Lobet avait justement dans l’idée d’améliorer sa proposition ludique. Peu après sa sortie, elle avait par exemple proposé une petite extension octroyant des pouvoirs aux joueurs, et elle sentait qu’il y avait matière à l’approfondir davantage encore.
À première vue, rien de révolutionnaire pourtant. C’est vrai, on passe d’un cimetière à une école, et des dessins de Paul Drouin à ceux de Nikao, parfaitement lisibles, colorés, amusants et vivants, mais les règles sont minimalistes (elles tiennent en deux petites pages) et pas spécialement passionnantes. Pas mauvaises, loin de là, mais propres effectivement à intéresser surtout de petits enfants.
À deux joueurs on pose le plateau École sur son côté Nuit, à trois ou quatre, sur son côté Jour (avec moins de portes entre les salles). Un zombie est placé aléatoirement sur chacune des quatre cases Portail, à l’extérieur de l’école, et les quatre autres forment une file, prête à l’envahir. Les aventuriers, un par joueur, apparaissent quant à eux dans la pièce rouge, au centre.
Dans le sens des aiguilles d’une montre, ils vont réaliser ces deux à quatre actions.
D’abord, lancer le dé, et placer un zombie de la file dans la salle de la même couleur. S’il n’y a plus de zombies dans la file, la partie est perdue, il s’agira donc impérativement de l’alimenter. Heureusement, l’une des faces est blanche, et signifie le répit de la petite équipe.
Ensuite, déplacer son aventurier sur une case adjacente et accessible par une porte si on le souhaite, sachant qu’il n’entrera pas dans une pièce occupée par trois zombies ou plus, et que de même il se déplacera obligatoirement s’il se trouve sur une pièce envahie.
Qu’il se déplace ou reste sur place, l’enfant élimine un maximum de deux zombies dans la pièce dans laquelle il se trouve, et les remet dans la file.
Enfin, s’il s’est déplacé sur une case portail déjà occupée par un autre enfant, il lui tape dans la main (une manière mignonne de rappeler la présence physique des autres joueurs) et pose un cadenas sur le portail. Cela n’empêchera pas les zombies d’entrer, mais au quatrième portail cadenassé, la partie est gagnée.
Cela suffit à en faire un jeu sympathique pour les plus jeunes, parce que le thème peut leur parler tout en étant aussi édulcoré que possible, et qu’il n’est pas si courant de leur faire pratiquer des expériences entièrement coopératives où la communication est aussi essentielle. Avec une bonne communication, le jeu est excessivement facile, tandis que le moindre faux pas peut s’avérer très punitif. Et la défaite n’est même pas si grave, puisque les parties durent difficilement plus de dix minutes ! De quoi attiser l’intérêt sans soulever les foules.
Un jeu pour enfants legacy
C’est là qu’intervient le désir d’Annick Lobet d’approfondir le jeu, un désir qui n’est dans un premier temps pas si évident : cela nécessiterait d’augmenter l’âge recommandé, si on propose des modules plus complexes à côté des règles plus simples on risquerait de perdre les jeunes joueurs… Le « Grand Boubou » du Scorpion masqué propose alors une solution pour satisfaire l’autrice et captiver les joueurs, faire de Zombie Kidz un legacy, c’est-à-dire un jeu évoluant d’une partie sur l’autre, gagnant en richesse mécanique par l’addition de nouveaux éléments et de nouvelles règles.
Contrairement aux « vrais » jeux legacy, les Risk Legacy, Pandemic Legacy, Betrayal Legacy où Rob Daviau et Matt Leacock ont précisément introduit cette idée, on ne détruira cependant pas de matériel, la densification ne devra pas être définitive, afin que les joueurs aient toujours le choix de ne pas appliquer une règle et de revenir à la précédente, voire de panacher des éléments sans être contraints par les additions.
La boîte de Zombie Kidz Évolution comporte ainsi 13 enveloppes dont il faut mériter l’ouverture en pratiquant le jeu encore et encore, de sorte qu’on n’ajoute de nouvelles règles qu’une fois que les précédentes ont été bien assimilées. Le manuel de règles, intitulé « Le Guide du chasseur de zombies », contient ainsi trois emplacements où placer les autocollants de règles supplémentaires une fois qu’ils auront été découverts.
Pour enrichir tout de suite le jeu et doper l’envie de débloquer la suite, la première enveloppe introduit par exemple les pouvoirs des personnages, une seule héroïne (pour l’instant) ajoutant à chaque tour un nouveau zombie, et pouvant en contrepartie en déplacer un vers une case adjacente. On voit que cela ajoute une véritable dimension tactique plutôt qu’un pur bonus, qui aurait été malvenu vu la simplicité initiale du jeu. Au contraire, on le complexifie nettement tout en donnant aux joueurs une meilleure prise sur leurs parties.
On ne dévoilera évidemment rien des autres enveloppes, mais comme vous pouvez vous en douter, entre les pouvoirs, les nouvelles règles, d’autres types de zombies et des défis, vous aurez de quoi faire, et vous retrouverez avec une oeuvre bien plus inépuisable qu’elle pouvait le paraître au premier abord !
Un jeu de société avec des achievements
Est-ce cela que je voulais dire par mon titre, que dans sa dimension évolutive Zombie Kidz Évolution pouvait rappeler la progression dans un jeu vidéo, évidemment toujours plus complexe au fur et à mesure qu’on affronte des ennemis plus puissants en développant des pouvoirs ou en trouvant des objets ? Il y a de cela, mais ce n’est pas ce qui fait le sel du propos. Non, ce qui rend l’oeuvre d’Annick Lobet inoubliable, c’est la manière dont on mérite les enveloppes.
Cela pourrait d’abord sembler assez classique : le dos du manuel de règles comporte une jauge de progression où l’on coche un cercle à chaque partie gagnée, et où l’arrivée à certains cercles autorise l’ouverture de l’enveloppe suivante. Sauf qu’il n’est pas nécessaire de gagner une partie pour avancer, même une défaite ayant ainsi une odeur de victoire, et qu’au lieu de cocher les cases, on y colle un autocollant cerveau, dans un geste bénin qui ressemble à la constitution d’un passeport personnel.
En outre, pour inciter les joueurs à enchaîner les parties, des formes vides au-dessus de la jauge évoquent la présence dans certaines enveloppes de badges de niveau pour signifier leur progression de novice à survivant, puis à chasseur de zombies amateur, entraîné, accompli, héroïque et enfin ultime. Un titre de RPG auquel on a évidemment envie d’accéder au plus vite.
En outre, il est possible de gagner des autocollants trophée, que l’on colle à la place des cerveaux et qui accélèrent ainsi la progression, puisqu’on peut avancer de deux cases par partie à condition de remplir des missions : gagner une partie une semaine après sa première partie, gagner trois parties d’affilée, gagner à deux joueurs sur le côté jour du plateau, gagner avec cinq zombies sur une case, gagner en n’utilisant que six zombies au lieu de huit, gagner une partie à quatre joueurs, etc. Les 12 missions sont réparties par groupes de 3, et la complétion d’un groupe octroie un trophée supplémentaire. Et comme on peut commencer à s’en douter, les enveloppes contiennent trois groupes de missions supplémentaires (ce n’est pas un spoil, trois emplacements libres leur sont dédiés) pour s’imposer des défis toujours plus nombreux et variés !
En outre, une page propose d’y inscrire son nom et prénom, la date de sa première partie, les noms de cinq joueurs découvrant Zombie Kidz Évolution avec soi, les noms des quatre héros, les noms des quatre types de zombies, et d’illustrer une case blanche par une photo ou un dessin de soi. Un chouette procédé d’appropriation du jeu… que l’on fera sans hésiter parce que sa complétion octroie un nouveau trophée !
Zombie Kidz Évolution, le meilleur jeu pour enfants de 2018 et bien davantage ?
L’apparition des premiers legacy accompagnait un profond désir de mutation du jeu de société vers toujours plus de modernité, plus de dynamisme, d’interactivité, de thème, plus de narration, plus de satisfaction des joueurs, et l’ensemble de mécaniques comprises sous ce terme pouvait ainsi apparaître comme l’idéal vecteur de toutes ces ambitions. On a ainsi vu les jeux les plus inattendus se réinventer dans ce genre (Risk, Aeon’s End), et de nombreuses œuvres originales suivre des sentiers similaires ou parallèles sans se conformer exactement au même cahier des charges (Spirit Island, Dawn of Peacemakers, les T.I.M.E. Stories). On ne s’attendait cependant pas à ces innovations trouvent leur voie dans le jeu pour enfants, même en abandonnant une progression scénaristique trop complexe pour de jeunes esprits.
Zombie Kidz Évolution est formidable pour l’addition du troisième terme au titre de la première version éditée du jeu, et parce qu’il mêle à cette dimension évolutive des emprunts très fins au jeu vidéo, très efficaces pour doper le désir des enfants et des plus grands de jouer toujours davantage, de tout débloquer. Cela fonctionne même mieux que dans de nombreux jeux, où l’addition de « succès » s’avère souvent très artificielle, et où l’envie de débloquer du contenu se perd, soit qu’il n’y ait plus rien à débloquer (comme dans certains jeux de course ou de combat où l’on possède d’emblée tous les personnages), soit que le contenu soit si pléthorique qu’il n’y ait aucune satisfaction à débloquer.
Zombie Kidz Évolution ouvre-t-il alors la voie à de nouvelles expérimentations similaires dans le jeu pour enfants ? Sur certains plans, il faut le souhaiter, tant il est exceptionnel qu’on ait à ce point envie de jouer et rejouer à la même oeuvre à une époque où l’accumulation de titres et de types de divertissement détourne très vite les adultes comme les enfants d’une activité vers une autre. Et quand on ajoute à cela un prix vraiment faible (moins de vingt euros) pour le matériel, l’intérêt et la générosité de l’expérience, il est difficile de nier que Zombie Kidz Évolution s’est érigé au rang d’incontournable !