Fate of the Elder Gods – faites venir les Grands Anciens sur Terre !
Avant de tester l’excitant Culte de Bragelonne, je tenais à vous présenter un jeu antérieur sur le même thème, joli succès sur KickStarter en 2016 avant d’être livré en 2017 aux backers, Fate of the Elder Gods. Si l’univers lovecraftien est naturellement très présent dans le jeu de société (et on a déjà eu l’occasion de présenter AuZtralia, Shadows over Normandie, Les Montagnes hallucinées, l’escape box Cthulhu…), l’idée d’incarner les invocateurs des Grands Anciens avait de quoi séduire, surtout dans un KS, un jeu donc cher (75 euros) du fait de sa généreuse proposition matérielle, jolie et immersive. Et ce qui inspire davantage confiance encore dans le jeu du spécialiste du Mythe Richard Launius (Horreur à Arkham, Le Signe des anciens, Eldritch Horror), associé à Chris Kirkman et Darrell Louder, que le travail graphique très réussi de Chad Hoverter (sculptures), Christopher Kirkman, Darell Louder (conception graphique), Nolan Nasser, Jorge Ramos et Lucas Durham (dessins), c’est le nom de l’éditeur, Greater than Games, sous le label Fabled Nexus… c’est-à-dire l’éditeur assez rare de l’inoubliable Spirit Island ! Laissez-vous donc tenter par l’aventure occulte, seul ou jusqu’à quatre cultistes à partir de douze ans, pour des parties d’une bonne heure !
Constituer son culte
Dans Fate of the Elder Gods, les joueurs contrôlent les cultes de Grands Anciens qu’ils doivent tenter d’invoquer sur Terre tandis que des investigatrices perturbent la cérémonie. On ne fait ainsi pas seulement quelque chose de mauvais, on est vraiment les méchants de l’histoire, et les protecteurs de l’humanité sont nos antagonistes. Une dimension immorale assumée et évidemment fort amusante, auquel le jeu doit beaucoup de son charme.
On commence logiquement par déterminer quel Grand Ancien on va adorer, en piochant deux cartes pour en choisir une et prendre le plateau individuel correspondant (la loge). Puis on opte pour une couleur, pour s’emparer de ses 20 figurines de cultiste. On en place un par zone du plateau central (l’Autel), 7 dans sa loge, 7 dans les Abysses (au centre de l’Autel). Le marqueur d’invocation de la même couleur est placé sur le premier emplacement de la piste d’invocation, sur la loge.
Quand chacun a pioché trois sorts, on place un sort face cachée derrière chaque lieu de l’Autel (Musée, Cérémonie, rues d’Arkham, autres Mondes, Librairie, Assemblée). Près du musée, deux artefacts arcaniques seulement sont dévoilés. On place de même près de l’Autel les cartes portail, les cartes malédiction, les jetons signe des anciens, les dés du destin.
Il ne reste plus qu’à placer une investigatrice dans chaque zone de l’Autel, à déterminer qui jouera le premier (en mélangeant puis piochant au hasard l’une des cartes Grands Anciens) et on peut commencer. La mise en place n’est ainsi pas courte, mais certainement pas longue : le thermoformage impeccable la facilite grandement, chaque joueur peut y participer en gérant ses pièces, les éléments dévoilés ont leur intérêt (Grand Ancien de chacun, artefacts, sorts portant sur leur verso un symbole qui va beaucoup importer), et surtout sont aussi jolis qu’agréables à manipuler. Leur qualité est très honnête, et les choix graphiques témoignent d’un soin certain, à la hauteur du thème, en particulier l’imposante figurine de Cthulhu qui sert de pion du Destin (les backers du KS avaient droit à davantage de figurines effrayantes) et commence sa course dans les autres mondes.
Vénérer, invoquer…
Un tour est divisé en quatre phases. La première consiste simplement à désengager des artefacts utilisés (on va voir comment). Donc rien qui concerne les joueurs au cours de leur premier tour.
La deuxième phase consiste dans plusieurs déplacements.
D’abord le déplacement du pion du Destin. Pour cela, on place un sort sur son verso là où il se trouve, donc à côté de la carte initialement placée là et des éventuelles cartes déjà posées par les autres joueurs aux tours précédents. Ce verso porte un symbole astral qui correspond à une autre zone, où le pion s’installe donc. Une autre option consiste à poser deux cartes au dos identique, auquel cas on peut mouvoir Cthulhu où on veut, indépendamment des symboles. Une autre option encore consiste à jouer une carte portail, qui permet de même de choisir où déplacer le pion.
On vérifie ensuite si les Investigatrices découvrent sa loge, ce qui a lieu quand Cthulhu est déplacé dans une zone contenant trois investigatrices ou plus. Toutes les investigatrices sont alors déplacées dans sa loge.
Enfin, le joueur actif pose un cultiste de sa loge et une investigatrice de la réserve sur l’emplacement où la figurine de Cthulhu a été déplacée. Thématiquement, on considère que l’arrivée d’un nouveau cultiste et les pratiques occultes de ce tour ont attiré l’attention des autorités.
Si l’on ne possède plus de cultistes dans sa loge, ce sont les Abysses qui nous en fournissent deux en échange de la pose d’un signe des Anciens sur le dernier emplacement de son plateau individuel. Quand le 10ème signe est posé, on perd la partie… Comme le marqueur d’invocation et le signe des Anciens progressent sur la même piste dans des directions opposées, il peut arriver qu’ils se croisent. En ce cas, le joueur à droite du joueur actif pioche une carte malédiction et la lit secrètement, attendant qu’il réalise une action interdite pour lui signifier son malus.
S’il n’y a plus d’investigatrices dans la réserve, tous les joueurs subissent un raid. Ils lancent alors autant de dés que d’investigatrices sur leur loge. Un résultat inflige le gain d’un signe des Anciens, tandis qu’une investigatrice reste dans la loge enhardi par son succès. Un résultat inflige le gain d’un signe des Anciens avec la destruction d’une investigatrice. Un résultat tue une investigatrice.
La troisième phase consiste dans l’activation des pouvoirs du lieu. Le pouvoir basique des autres mondes permet ainsi de lancer un dé pour chaque cultiste, et pour chaque tentacule ou Chtulhu, d’avancer le marqueur d’invocation d’une case en échange du sacrifice d’un cultiste (qui retourne aux abysses). Le pouvoir basique du musée permet de récupérer un ou les deux artefacts visibles ou le premier artefact de la pioche, etc.
L’action basique du lieu est obligatoire. Si le joueur actif possède trois cultistes sur le lieu, et strictement plus que les autres, il possède également le contrôle temporaire du lieu. Si ce n’est pas le cas, il peut lancer un dé, et obtenir le contrôle temporaire s’il obtient la face Cthulhu. Le pouvoir du contrôle temporaire est facultatif, mais redoutable. La cérémonie permet ainsi de sacrifier deux cultistes pour avancer le marqueur d’invocation, la librairie de préparer un sort gratuitement, les rues d’Arkham de sacrifier un cultiste pour placer une investigatrice dans la loge de chaque adversaire…
Il s’agit enfin de conclure son tour… encore que pas tout à fait, puisque la phase de conclusion est elle-même subdivisée en trois étapes. La première, facultative, autorise le joueur à poser un seul sort s’il possède les bons symboles astraux, au dos des sorts déjà préparés au-dessus de sa loge ou près du lieu où se trouve le pion du Destin, un symbole de Portail valant n’importe quel symbole astral. Une fois le prix payé (il montre donc aux autres joueurs le prix de sa carte, et rien d’autre), il défausse toutes les cartes du lieu, qu’elles aient été utilisées ou non dans ce paiement. Puis il pose le sort face cachée devant lui, et pourra ensuite le révéler à tout moment pour l’utiliser. À moins qu’il ait déjà trois sorts préparés devant lui, auquel cas le nouveau sort devra être activé immédiatement, ou remplacer un autre sort, défaussé sans avoir servi.
Ensuite, il remplit sa main de trois sorts, une carte portail ne comptant pas dans cette limite. S’il en avait déjà trois, il en pioche une.
Enfin, et c’est vraiment la fin du tour, il regarde si cinq investigatrices ou plus se trouvent dans sa loge. Si c’est le cas, elles réalisent un raid.
Les tours sont donc assez longs. Pas interminables, puisque beaucoup d’événements découlent logiquement du lieu choisi, et que la possession d’environ trois cartes en main limite beaucoup les risques d’analysis-paralysis, enfin assez longs pour qu’on se réjouisse qu’ils soient cruciaux pour les autres joueurs qui doivent y prêter grande attention pour prévoir leurs propres actions.
La partie s’achève de deux manières différentes : si le marqueur d’invocation d’un joueur atteint le dernier emplacement de sa piste, le Grand Ancien est invoqué, et le joueur actif gagne. Si la piste d’invocation d’un joueur est entièrement occupée par des signes des Anciens, il perd immédiatement la partie, et celui de ses adversaires qui possède le moins de signes sur son propre plateau gagne. En cas d’égalité, il doit également avoir le plus fait progresser son marqueur d’invocation.
On peut aussi invoquer un Grand Ancien seul ou à deux !
À deux joueurs, les règles sont les mêmes à cette différence près que chacun a sa propre figurine Cthulhu. On ne peut pas déplacer celle de l’adversaire (sauf effet en ce sens), et on ne peut pas occuper le même lieu. On pourrait craindre que cela isole les joueurs, mais il faut bien voir que chaque action agressive sera réalisée contre l’autre, de sorte que ce que l’on perd d’un côté, on le gagne de l’autre.
L’avantage des règles de victoire de Fate of the Elder Gods, c’est qu’elles peuvent très bien s’appliquer à un joueur seul. On y ajoute seulement une condition de défaite, quand le joueur obtient sa cinquième malédiction. Normal, cela ne le pénalise plus par rapport aux autres, il ne fallait donc pas lui permettre de les accumuler.
Le cultiste solitaire affronte donc les investigatrices, qui ont leur propre pion du Destin initialement placé dans les rues d’Arkham. La mise en place est en dehors de cela, strictement identique. Moi qui n’aime pas trop les mises en place interminables pour jouer seul, j’ai trouvé celle de Fate of the Elder Gods encore supportable, me réjouissant qu’elle soit similaire aux parties à plusieurs, et ainsi de ne pas avoir à consulter les règles pour le placement de chaque élément.
À la fin de chaque tour du joueur, c’est aux investigatrices de jouer. On prend la première carte du deck de sorts, on l’applique comme une instruction de déplacement en la posant près de l’emplacement où se trouve le pion du Destin des investigatrices, et en déplaçant ledit pion sur la case indiquée par le symbole astral pour y poser une investigatrice. S’il arrive dans la zone occupée par le pion du joueur, ce dernier pioche une malédiction, et on renvoie celui des investigatrices dans les autres mondes. Si la rencontre s’était précisément produite dans les autres mondes, on le renvoie dans les rues d’Arkham.
Quand le symbole astral indique les rues d’Arkham, bastion des investigatrices, celles-ci y voient un signe et se lancent dans un raid. Si le joueur réalise l’action du lieu, il renvoie deux investigatrices de sa loge dans la réserve, et s’il a en plus le contrôle du lieu (donc trois cultistes au moins, et strictement plus de cultistes que d’investigatrices), il peut sacrifier un cultiste pour retirer une investigatrice supplémentaire. Dans tout lieu d’ailleurs, si le joueur en a le contrôle, il peut choisir de subir trois signes des anciens pour détruire une malédiction au lieu de réaliser l’action de contrôle normale. Un lourd tribut, parfois nécessaire pour ne pas perdre la partie…
Fate of the Elder Gods : accessible, sulfureux, amusant
Plusieurs choses m’ont frappé dès ma première partie, à commencer par l’accessibilité de Fate of the Elder Gods : le plateau n’est divisé qu’en six zones, juste assez pour autoriser des stratégies variées en même temps qu’une guerre de contrôle du plateau avec les autres joueurs et un rapide apprentissage des subtilités et possibilités du titre. Par ailleurs, il est à l’opposé des eurogames, et cela faisait quelques temps que je n’avais pas joué à un « gros jeu » ameritrash, avec une véritable présence thématique, beaucoup d’adaptation aux actions des autres joueurs, bref un certain plaisir à sentir que l’on n’est pas seul sur le plateau, pour une impression d’interaction et de vie qui est naturellement liée, dans une certaine mesure, à la manipulation du matériel. La quantité de figurines, la diversité (en termes de nature, d’illustrations, de formats) des cartes, favorisent l’intégration des rapports de force et le désir d’en découvre, de vaincre les figurines de ses adversaires avec les siennes. Au sujet des figurines justement, j’ai été frappé que les investigateurs soient tous des investigatrices. On pourrait faire valoir que les femmes sont, « comme par hasard » les antagonistes, et peut-être légèrement trop féminisées (pourquoi porter des talons quand on va affronter des occultistes invoquant une divinité maléfique ?), enfin elles ont le « beau rôle », et la fabrication de 25 figurines féminines sur un thème lovecraftien, chasse gardée des rôlistes il y a quelques années encore, m’apparaît comme une excellente initiative, une raison de plus de s’intéresser à un jeu si sa qualité matérielle et ludique ne suffisait pas !
Mentionnons l’existence d’une extension, dont je ne parle pas plus faute d’avoir pu la tester :