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Shadows over Normandie – quand Cthulhu s’invite au Débarquement

Shadows over Normandie

Shadows over Normandie – quand Cthulhu s’invite au Débarquement

 

En présentant l’excellent Age of Towers, nous avions évoqué son aspect exceptionnel dans les jeux édités par Devil Pig Games, un jeu étonnamment « casual » (même s’il était tactique et riche) en comparaison de sa spécialité, le wargame. Mais du wargame player-friendly : graphismes très ameritrash, faisant appel à des personnages et des situations stéréotypées pour attiser le fibre geek, concentration sur le combat, sans notions de ravitaillement, de gestion de ressources en arrière-pays, bref sans tous les éléments qui font excéder les deux heures aux scénarios de wargames traditionnels. Que l’on soit dans Heroes of Normandie ou dans son spin-off encore plus fantaisiste Shadows over Normandie, les parties durent entre une demi-heure et une grosse heure, et réunissent 2 à 3 joueurs de 14 ans et plus dans des camps opposés.

Conçu par Yann et Clem, illustré par les auteurs, Alex, Olivier Derouetteau, Pixel Vengeur et Stan, Shadows over Normandie est disponible pour 65 euros, parfois beaucoup moins quand Devil Pig Games propose des soldes (comme à Noël, où il coûtait 48 euros 75 !), et l’extension Desert Wrath pour 50 euros. Notez que vous trouverez sur ces pages des boîtes de rangement, bienvenues pour un wargame au contenu foisonnant et donc aux centaines de jetons et de cartes disséminées dans le plus parfait désordre dans les boîtes de jeu, et que le site de Devil Pig Games propose également d’autres extensions d’ampleurs diverses et des scénarios gratuits en téléchargement, en même temps que des mises à jour sur les nouveautés liées à Shadows over Normandie !

 

Shadows over Normandie

 

Cthulhu en Normandie ?

Shadows over Normandie est le croisement entre le wargame de plateau Heroes of Normandie et le jeu de rôle Achtung ! Cthulhu. On y retrouve une escouade étasunienne, les Majestic, envoyée en éclaireur pour préparer le débarquement allié du 6 juin, et se retrouvant confrontée aux forces démoniaques (les Profonds) invoquées par les sorciers nazis (le Soleil noir). Le même postulat que le film Overlord donc, qui décidément n’a rien inventé.

Shadows over Normandie est constitué d’une campagne de dix scénarios, à jouer idéalement dans l’ordre, d’une part pour suivre les personnages de leur découverte du Mal à l’épilogue, d’autre part parce qu’une mission peut être influencée par les résultats de la précédente (les unités ne rentrent pas sur le plateau par le même endroit, les unités peuvent ne pas être les mêmes…). Comme on l’a dit, le site de Devil Pig Games propose également des scénarios supplémentaires, et surtout les règles invitent les joueurs à créer leurs propres scénarios une fois les règles parfaitement maîtrisées, scénarios qui peuvent ensuite venir enrichir ceux qui sont disponibles en ligne. Une dimension communautaire bienvenue, qui fait la force et l’originalité de l’éditeur, et naturellement l’une des forces d’un jeu que l’on a envie de poursuivre bien après sa déjà riche campagne.

Pour se lancer dans un scénario, chaque joueur choisit donc son camp. Les neuf premiers scénarios sont jouables à deux (l’un jouant les Majestic, l’autre ses ennemis), mais trois d’entre eux peuvent également être joués à trois (deux joueurs se partageant le Soleil Noir et les Profonds, tout en jouant dans le même camp). Le dernier nécessite trois joueurs, puisque les trois camps sont désormais tous ennemis.

Le livre de campagne livre pour chaque scénario quelques lignes pour le replacer dans le récit global, les unités constituant chaque camp en présence, la disposition du plateau (avec les numéros des différents éléments afin d’être certain de ne pas perdre trop de temps à les retrouver) ainsi que les zones de déploiement, le joueur ayant l’initiative, le nombre de cartes du deck de son camp que chacun pioche (et qui constituera le maximum de cartes de sa main pendant la mission), le nombre de tours et les objectifs. Ces derniers peuvent consister à sortir de la carte/empêcher l’autre de sortir de la carte, trouver des objets, déplacer des unités jusque dans une zone particulière, marquer des points de victoire… Ils sont assez divers tout en faisant naturellement appel aux mêmes compétences à se mouvoir et à se battre.

 

Shadows over Normandie

Peaufiner sa stratégie

Une fois le plateau prêt et les unités placées, on commence la partie avec la phase d’ordre. On y compte d’abord le nombre d’étoiles apparaissant sur ses tuiles et options de recrutement, ainsi que sur certaines unités, le total indiquant le nombre de pions d’ordre auxquels on a droit. Puis, on joue à tour de rôle un pion ordre sur l’une de ses unités. Ces pions sont numérotés, de sorte que le pion ordre 1 indiquera l’unité jouant la première, le pion ordre 2 celle qui jouera ensuite, etc. ; celles qui ne reçoivent pas de pion ordre n’auront pas reçu d’ordre, et ne pourront donc pas se mouvoir ce tour-ci, ce qui implique naturellement qu’un joueur n’ayant plus droit à aucun pion ordre perd immédiatement la partie. Chaque camp possède un pion leurre, qui peut servir à faire croire à l’adversaire qu’on va activer une unité afin qu’il adapte sa stratégie à cette décision.

La phase d’ordre peut être altérée par des cartes Action portant la mention « à jouer au début de la phase d’ordre/à la fin de la phase d’ordre », ou par des pions ordre spécial (obtenus grâce à une carte action, ils peuvent être activés au moment de son choix) et raccourcie ou augmentée au fur et à mesure que les joueurs perdent leurs étoiles ou en gagnent d’autres. S’il s’agit de la phase la plus simple et la plus courte, elle est aussi extrêmement tactique, et exige d’avoir bien conscience des possibilités de son adversaire afin de ne pas condamner ses unités et toutes ses chances de victoire. Le jeton leurre, et le fait qu’on ne voie pas le chiffre apparaissant sur les pions d’ordre adverses rendent également cette phase très ludique, en laissant escompter bien des surprises.

 

Shadows over Normandie

Le temps de l’action

Arrive ensuite la phase d’activation. À tour de rôle, les joueurs dévoilent leur pion ordre 1 et activent l’unité concernée, puis leur pion ordre 2, et ainsi de suite. Si un joueur épuise ses pions ordre, l’autre joueur continue jusqu’à ce qu’il n’en ait plus, le genre de déséquilibre dont il est bon de bénéficier et dont il faut à tout prix éviter d’être victime. L’unité activée a le choix entre trois actions, à commencer par celle… de ne pas agir.

L’action de mouvement permet à l’unité de se mouvoir d’autant ou moins de cases que sa valeur de mouvement, orthogonalement ou en diagonale. La plupart des unités disposent de 3 ou 4 points de mouvement, ce qui peut faire peu sur des terrains composés de 4 plateaux de 49 cases chacun, mais il faut savoir rester prudent. Ou profiter des véhicules, d’une anatomie d’amphibien… pour progresser plus vite.

Une unité ne peut naturellement pas traverser d’obstacles ou d’unités ennemies, et ne peut traverser des unités alliées qu’à condition de s’arrêter ensuite sur une case libre. Les véhicules et les grandes créatures seules peuvent percuter des unités ennemies, en s’arrêtant sur une case déjà occupée pour repousser sur une case adjacente (choisie par son propriétaire) l’unité qui était présente. Si aucune case adjacente n’est libre, l’unité ne peut pas éviter d’être écrasée et simplement éliminée.

Si le déplacement d’une unité lui permet de pénétrer la case d’une unité ennemie, elle peut interrompre son mouvement sur une case adjacente et lancer un assaut au corps-à-corps (si elle possède le bon pictogramme). L’attaquant lance deux dés, garde le meilleur résultat et y additionne un éventuel bonus, le défenseur un seul, auquel il additionne également bonus de terrain, de cartes, d’unité… Plus encore que dans Western Legends, on a rarement affaire à un chiffre contre un autre, mais on oppose des sommes qui peuvent largement grossir. Selon les particularités de l’unité, le perdant est retourné sur sa face blessée et bat en retraite d’une case si c’est possible, ou est éliminé.

L’autre action possible, la troisième, est le tir, qui remplace donc le déplacement/assaut. Il faut naturellement qu’un pictogramme nous autorise à attaquer l’unité choisie (selon qu’il s’agisse d’infanterie, de véhicule léger ou de véhicule lourd, toute arme n’étant pas efficace en toutes situations), et que cette dernière se trouve dans sa ligne de vue (bloquée par certains obstacles ou limitée par certains environnements). Une unité, alliée ou ennemie, est toujours un obstacle à la ligne de vue, mais un véhicule ou une grande créature peut toujours attaquer (ou être attaquée) par-dessus des unités. Véhicules et grandes créatures ne sont d’ailleurs pas aussi vulnérables sous tous les angles : chercher le point faible permet de faciliter grandement une victoire importante.

S’il n’existe pas de limite de portée, au-delà de 7 cases, le tir est moins puissant (il subit un malus de 2). L’attaquant lance un dé, applique les bonus et malus, et blesse, fait reculer ou élimine l’unité ennemie si le résultat est supérieur à sa valeur de défense. Si le tir est deux fois plus puissant que la valeur de défense, l’unité ennemie est immédiatement éliminée, y compris s’il s’agit d’un véhicule lourd (alors que ceux-ci se contentent habituellement de subir des dommages).

Enfin, pendant la phase de réserve, on défausse les pions leurre et chaque joueur (en commençant par celui qui a l’initiative) peut déplacer toutes ses unités (ou moins) n’ayant pas été activées par un pion ordre, sans assaut ou tir bien sûr.

On défausse ensuite les cartes de son choix avant de piocher à nouveau une main complète, et on avance d’un cran les marqueurs sur le compteur de tours, en octroyant l’initiative au joueur suivant. À deux contre un, le joueur seul joue naturellement deux fois plus que les autres, qui jouent alternativement.

 

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Folies et autres petites joyeusetés

Voilà pour la structure normale des tours pendant une partie de Shadows over Normandie. Comme on peut le constater, résumé de la sorte, c’est extrêmement simple, plus même que V-Commandos, mais ce serait oublier d’une part que le jeu n’est pas aussi player-friendly : le nom des tuiles est en anglais, comme la notion de « suppressed » (ce qui n’est pas du tout mécaniquement gênant mais crée une rupture qui n’est pas agréable), la boîte ne contient pas de sacs alors que deux sont exigés par les règles, il faut impérativement trouver soi-même des solutions de rangement pour s’y retrouver dans le matériel, et passer un peu de temps à démêler des règles parfois étrangement réparties entre livre de campagne et livret, en particulier pour la mise en place, en l’absence d’une vue générale de ce à quoi la table de jeu devrait ressembler et d’exemples… Heureusement, les explications sur le déroulement des tours et la multitude de symboles sont, elles, impeccables, mais il faut consentir beaucoup d’efforts initiaux pour en arriver là, beaucoup de va-et-vient entre les livrets et les cartes, beaucoup de fouille dans la boîte, et cela peut légitimement rebuter un joueur ne connaissant pas bien les codes du wargame.

D’autre part, cette structure est chahutée par d’innombrables cas particuliers qui rendent en fait l’expérience sincèrement palpitante. On pense d’abord aux cartes, qui peuvent annuler les cartes Action des adversaires, réactiver une unité qui a déjà agi, relancer un dé, activer une unité avant celle de l’adversaire qui a l’initiative, octroyer une phase de réserve aux unités activées… Il faut aussi mentionner que l’on peut fouiller des emplacements de la carte au prix d’une action (pendant la phase d’activation ou celle de réserve), ce qui, en cas de réussite, octroie la personnalisation ou le sortilège pioché dans un emplacement libre d’une tuile.

Naturellement, les sectateurs de Cthulhu ont choisi les pires environnements pour se livrer à leurs rituels, des environnements parfaitement adaptés aux créatures invoquées : les Profonds sont ainsi amphibies, et ne subissent aucune pénalité dans les marais (alors que les autres reçoivent un marqueur de suppression), de même qu’ils peuvent passer sous les constructions sur pilotis (sans s’arrêter en-dessous). Il leur est ainsi plus facile sur certains terrains d’anticiper où se déplaceront les rangers, à moins que ceux-ci n’aient l’audace d’affronter les marais… En outre, certains scénarios peuvent se dérouler de nuit ou dans un brouillard épais, et les grottes sont très sombres… On y applique alors une portée maximale, qui réduit également la distance de malus de longue portée et facilite le camouflage…

 

Shadows over Normandie

 

Pour s’adapter au combat redoutable qui les attend, les unités ont accès à des options de recrutement, que l’on greffe aux tuiles de recrutement pour équiper toutes les unités de cette tuile. Parmi ces options, outre les unités, on compte les personnalisations (armes et objets divers), du matériel (munitions, amulettes, grenades… dragons, gaz toxiques et hypnotiques), des traits de caractère (héroïque, solide ou vétéran, qui peuvent être défaussés pour relancer des dés, ôter des marqueurs de suppression, réactiver une unité), des ordonnances (pour plus de cartes en main, de pions ordre ou un deuxième pion bluff)… et les formidables sortilèges, qui en échange d’une pénalité en marqueurs de suppression, peuvent susciter le brouillard, drainer la vie, paralyser, faire rouiller un véhicule, lancer des flammes maudites… Chacune de ces options est matérialisée par un jeton, mais certaines ont un effet sur le terrain, concrétisé par une grande tuile (le nuage suffocant, la Bénédiction du Soleil Noir), qu’il est extrêmement plaisant de poser sur le plateau pour le marquer de sa puissance.

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Les unités se distinguent également par leurs capacités spéciales, et il en existe plus de 30 ! Ce sont elles qui permettent d’attaquer au corps-à-corps, voire en mouvement, de détruire des bâtiments, de se mettre en embuscade, d’éviter les tests de terreur, de lancer les sorts avec moins de pénalités, de soigner des unités, de sauter par-dessus les obstacles, de ne subir aucun malus de longue portée, de tirer en rafale… On appréciera grandement le fait que toute l’iconographie soit détaillée sur la dernière page du livret de règles. Si un deuxième exemplaire aurait pu s’avérer bienvenu, on finit par les reconnaître assez vite, les dessins étant globalement assez clairs pour qu’on n’ait plus à se reporter à cette aide de jeu une fois qu’un symbole a été rencontré quelques fois.

Last, but not least, qui dit Grands Anciens, dit Folie, comme dans Les Montagnes hallucinées ou l’escape box Cthulhu. A fortiori dans un jeu où des rangers en quête de nazis tombent face à face avec la magie noire et les atroces créatures de Lovecraft. Lors de la phase de réserve, si une unité qui a reçu un marqueur de suppression a vu une manifestation du mythe (une unité ou un élément ayant le symbole de Cthulhu), elle réalise un jet de terreur. Le résultat du dé, moins 2 par marqueur de suppression, doit être supérieur ou égal à la valeur de la manifestation du mythe. Sinon, l’unité est terrorisée : perdant tous ses marqueurs de suppression, elle peut être aléatoirement atteinte de rage, de catatonie, de paranoïa, de pulsions suicidaires, de peur ou d’hystérie. Elle pourra ainsi se lancer sur l’unité la plus proche pour l’attaquer, être paralysée pendant un tour, courir le plus loin possible de la manifestation du mythe si elle le peut… Ces folies ne sont pas une catastrophe, seulement une gêne qu’il vaut mieux éviter. Il ne s’agirait en effet pas que cet effet d’immersion dans la Mythe facilite trop le camp des Profonds au détriment des rangers, tandis que d’un autre côté, la première rencontre avec ces monstres ne peut pas laisser la santé intacte.

Comme on s’en doute, deux parties ne se ressembleront jamais, même en pratiquant le même scénario : outre la possibilité de jouer un camp puis l’autre, chaque déplacement ou chaque attaque a trop d’implications pour susciter la moindre sensation de répétition, et cela est renforcé par les choix tactiques de recrutement et le tirage aléatoire des folies, des cartes Action… Ainsi, on pourrait même considérer chaque scénario comme un mode de jeu à part entière, imposant ses règles de placement et ses objectifs, et laissant ensuite libre cours à la férocité des belligérants.

 

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Se battre comme on veut, tant qu’on veut

C’est que Shadows over Normandie n’est pas tant foisonnant qu’extrêmement généreux. On se souvient des choix de V-Commandos pour rendre rejouables ses missions alors même qu’on y affrontait une intelligence « artificielle », non-joueuse. Ici, l’élément humain pallie toute crainte de pauvreté mécanique et de répétition, tandis que Yann et Clem vont jusqu’à ajouter aux règles un guide concis et complet de création de parties.

Les deux pages d’ « affrontements libres » commencent par un tableau, détaillant, selon la longueur de la partie et donc la taille des armées voulue, combien le jeu recommande de plateaux, d’objectifs, de points, de cartes en main. Pour une partie courte, avec moins de 150 points d’armée par joueur, on nous conseille ainsi deux plateaux et un élément de décor, un seul objectif principal neutre (pouvant être atteint par les deux camps) valant dix points, deux objectifs secondaires valant cinq points, le choix entre atteindre 20 points au quatrième tour ou 25 au sixième (si ce score n’est atteint par aucun joueur, ils continuent de jouer jusqu’au huitième tour), deux cartes en main. Naturellement, les joueurs experts prêts à pratiquer Shadows over Normandie toute l’après-midi pourront se lancer dans une partie avec plus de 500 points d’armée, six plateaux, 4 à 6 éléments de décor, un objectif principal par camp, valant 20 points, six objectifs secondaires valant 5 points, un objectif de 50 points au bout de quatre tours ou de 60 au bout de six tours, et quatre cartes en main. Et ces valeurs ne sont données qu’à titre indicatif : elles résultent de l’expérience des auteurs et des testeurs, mais rien n’interdit de les plier à sa convenance.

En outre, ces pages proposent cinq modes de jeu, l’affrontement (où chaque armée se déploie à une extrémité du plateau), l’attaque/défense (où l’armée défensive occupe 50% du plateau, mais dispose d’un peu moins de points d’armée), l’embuscade (où le joueur en défense doit sortir ses troupes du plateau en traversant une zone occupée par l’autre armée, légèrement inférieure en nombre), l’encerclement (où l’attaquant doit atteindre un objectif en plein dans la zone occupée par le défenseur), la percée (l’attaquant entre par une extrémité du plateau, et doit percer une ligne de front adverse pour atteindre l’objectif à l’autre extrémité). Et encore une fois, libre aux joueurs de réinventer les modes de jeu et les configurations, après avoir expérimenté celles proposées par les règles. L’essentiel est que tous passent un bon moment, et selon le niveau de chacun ou son état, une partie pourra être imaginée pour être tactique et aride ou au contraire assez fun, avec davantage de cartes et d’éléments, un semblant de scénarisation, des alliances incongrues…

 

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Desert Wrath : les Grands Anciens en Égypte !

Pour prolonger le plaisir de Shadows of Normandie, Devil Pig Games a fait paraître de petites et moins petites extensions, les packs Cthulhu Mythos Call, la boîte Shadow Hunters, et surtout l’imposant Desert Wrath. C’est que, vaincus en Normandie, le Soleil Noir s’intéresse désormais aux artefacts égyptiens, de sorte que les services de renseignements britanniques déploient leur unité secrète spécialisée dans les menaces paranormales, la section M. Autant dire que les ennemis du Mal seront autrement mieux équipés (ou autrement plus bizarrement) que les rangers de la boîte de base de Shadows over Normandie ! Ce qui est d’abord présenté comme une extermination des derniers Soleils Noirs par une unité spéciale britannique s’avère naturellement bien plus compliqué, quand on découvre l’existence d’un portail reliant la Normandie à l’Égypte et les progrès des nazis dans leurs recherches occultes. La grande guerre secrète mêlera alors armées britannique et états-unienne, le Soleil Noir, les soldats nazis, les bédouins, les Profonds, et l’énigmatique Guillaume Duprez…

On passera sur quelques coquilles et une page du livret de règles… qui  n’est simplement pas traduite, pour apprécier la densité des dix scénarios proposés, avec deux embranchements, c’es-à-dire deux scénarios dont la configuration peut radicalement changer en fonction du résultat des scénarios précédents, en plus des habituelles altérations liées à la victoire d’un camp ou de l’autre. L’impression de vivre une histoire épique n’en est que plus forte, et même si le récit se focalise sur les troupes alliées, l’Axe, ses serviteurs occultes et les démons qu’il invoque se sentiront à peine moins impliqués dans cette fresque où se joue le destin du Reich millénaire.

Si le suivi de l’histoire prend de l’ampleur, les règles sont naturellement les mêmes, à l’exception d’unités pouvant disparaître pendant une mission si elles ont été éliminées au cours de la précédente, ou au contraire de personnages gagnant de l’« expérience » – des options supplémentaires – s’ils ont survécu. Pour autant, l’expérience est très loin d’être identique. Comme on l’avait vu dans le cas de Shadows over Normandie, les règles sont un canevas sur lequel se dessinent des parties riches et variées, fortement individualisées, du fait des terrains, capacités spéciales, options…

 

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Or Desert Wrath arrive déjà avec douze nouveaux plateaux (six plateaux double-face), comprenant des déserts avec leurs dunes et leurs palmiers, des rochers, des temples… Une unité peut désormais être aveuglée par le soleil si elle tire dans sa direction, et que sa ligne de vue va jusqu’au bord du plateau. Par ailleurs, la fournaise peut infliger un marqueur de suppression à un véhicule ou une unité d’infanterie utilisant tous ses points de mouvement. Le désert étant un lieu dangereux, il est peuplé de créatures non contrôlées par les joueurs. Avant la phase d’activation, elles peuvent se montrer agressive (en assaillant l’unité la plus proche, en tirant sur elle ou en se déplaçant vers elle), être à l’affût (en tirant sur l’unité la plus proche, en l’assaillant ou en s’embusquant) ou errer (elle se déplace dans une direction aléatoire, mais en attaquant tout ce qui se trouve sur son chemin). Ainsi dans le scénario 9, les marécages sont-ils peuplés de crocodiles sacrés agressifs envers les intrus, mais ignorant les bédouins.

Parmi la quinzaine de nouvelles capacités spéciales, une unité peut désormais être éthérée ou folle, avoir la forme d’une tornade, charmer (ôter un pion ordre à une unité proche), utiliser un lance-flammes (avec la tuile correspondante pou déterminer le rayon d’action), immoler une unité alliée (lui infliger un pas de perte) pour réduire la pénalité d’un sortilège, tirer deux fois… Les nazis disposent également du Norn, des individus possédant des capacités surnaturelles liées au rêve : si elles plongent dans le sommeil (et ne bougent donc plus, s’exposant à être détruites au moindre assaut), leur ligne de vue est toujours dégagée et leurs sortilèges ont le double de leur portée habituelle. Le surnaturel est donc plus présent et plus délicieux que jamais !

Shadows over Normandie – Desert Wrath ajoute également six nouvelles folies, la crise, la mythophobie, la folie profonde, l’inconscience, et les plus amusantes (enfin à voir, pas quand on les subit), la schizophrénie et la confusion. Et naturellement, qui dit nouvelle faction dit nouvelles cartes, avec un épais deck Action pour la section M, tandis qu’une extension aurait exotique ne serait pas concevable sans son lot d’options diverses, traits de caractère, matériel, personnalisations et trois sortilèges particulièrement stimulants. Le premier permet d’intensifier l’horreur inspirée par une unité, en la dotant de la capacité Manifestation du Mythe, le deuxième offre pendant un tour la possession d’une unité ennemie portant un pion ordre mais n’ayant pas encore été activée, le troisième invoque un Simoun, un vent violent octroyant un fort bonus défensif et constituant un obstacle.

Shadows over Normandie

Shadows over Normandie : l’une des plus passionnantes ludifications du Mythe

Est-il utile, pour conclure, de dire que Shadows over Normandie est aussi convaincant qu’il est séduisant ? Ses quelques errements (coquilles, anglicismes, défauts matériels superficiels, absence de sac ou de rangement – ce qui n’est pas tant un défaut qu’une tradition du wargame) sont très loin d’occulter la qualité graphique et la solidité de ses pièces en carton très épais et en bois, et surtout l’ambitieux travail d’intrication de scénario historico-lovecraftien et de mécaniques de wargame. On ne s’étonne pas dès lors du succès de son financement participatif (160.000 pounds) et de la communauté qu’il fédère, notamment sur les forums de l’éditeur. Très riche, il est d’autant plus inépuisable qu’il s’accorde le luxe d’un manuel de créations de parties, et d’une compatibilité complète avec le jeu Heroes of Normandie dont il est le spin-off délirant. Shadows over Normandie impressionne par sa générosité malgré sa qualité tactique (qui mérite que l’on s’accroche un peu à la lecture des règles), et Desert Wrath ne fait qu’amplifier ses points forts. À la fois wargame (avec ce que cela implique de rigueur) et jeu aux thèmes et aux mécaniques parfaitement geek, il est assez exemplaire de ce que l’on peut faire d’ambitieux avec la culture pop, sans succomber comme tant d’autres aux écueils du thème artificiellement plaqué ou d’une accessibilité obtenue au détriment de la richesse ludique.

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