Mr. Wolf – le meilleur jeu pour enfants de 2018 ?

 

Il y a quelques semaines avait lieu le Festival International des Jeux de Cannes, et donc la remise annuelle de ses trois As d’or (meilleur jeu, meilleur jeu pour experts, meilleur jeu pour enfants), l’une des récompenses les plus importantes du monde socioludique. Si je regarde habituellement peu la section des jeux pour enfants, un titre revenait sur toutes les autres et était désigné depuis sa sortie comme l’inévitable lauréat. Pourtant, ce n’est pas à Zombie Kidz Evolution que le jury a choisi de remettre son prix, mais au discret Mr. Wolf de Marie et Wilfried Fort, illustré par Gaëlle Picard et édité par Blue Orange. Or comme vous le savez si vous avez parcouru l’un des nombreux articles consacrés à Blue Orange (sur PhotosynthesisPlanetKingdominoQueendominoOkiyaBlue LagoonRolling Bandits), j’aime énormément cet éditeur, et c’est poussé par cet amour en plus d’être intrigué par cette surprise que j’ai décidé de tester le mystérieux Mr. Wolf, quitte à aborder une cible d’âge à laquelle je n’ai consacré qu’une petite poignée d’articles (Attrape RenardMa Première Aventure) – n’étant pas parent, je m’intéresse naturellement moins aux jeux pour les plus petits.

C’est que Mr. Wolf amusera pendant quinze minutes un à quatre enfants de quatre ans et plus (et pas beaucoup plus), et est disponible pour 19 euros 90.

 

Mr. Wolf Blue Orange

Un jeu adorable

Ce qui frappe d’abord avec Mr. Wolf, c’est à quel point il est adorable. On pourrait avoir tendance à se dire que c’est la moindre des choses pour un jeu pour enfants, mais force est de constater que ce n’est pas si souvent le cas, et surtout à ce point. Même le loup, pourtant présenté dans une aberrante perspective à la Guernica, est assez mignon, mais les animaux brillent par excès de kawai, et ce dès la couverture.

On pourrait alors juger curieux le contraste entre ces couleurs franches et bucoliques, ces personnages au comble de l’adorabilité, et un thème assez sombre, la poursuite prédatrice de ces mêmes animaux par le carnassier pour les manger. D’une part, cette conclusion funeste n’est pas évoquée par les règles, où l’on nous invite simplement à guider les « petits animaux » dans leur maisonnette avant l’arrivée du loup, tandis que la victoire dudit loup n’est guère énoncée que comme une victoire pour Mr. Wolf, sans réflexion sur ses implications. Mr. Wolf n’est alors pas tant un jeu sur la chaîne alimentaire qu’une histoire de fable, où il faut fuir une métaphore manichéenne du Mal. D’autre part, le personnage hostile n’est incarné par aucun des joueurs, le Mal est ainsi dépersonnalisé, sa victoire amorale, et le combat des joueurs strictement coopératif. Assurément des choix judicieux dans un jeu pour de si jeunes enfants.

Le plateau de jeu représente un pré, parsemé des 28 jetons d’animaux face cachée (face fleur visible), bordé à sa droite par un chemin de pierre,sur la première dalle duquel attend Mr. Wolf. Au-dessus, quatre emplacements, où l’on dispose les quatre maisonnettes. Sur chaque maisonnette on place l’une des huit tuiles avec deux animaux, et l’on peut faire commencer la partie au plus jeune.

 

Mr. Wolf Blue Orange

Fuir le loup, une question de mémoire

Le gameplay est on ne peut plus simple : dans le sens des aiguilles d’une montre, les joueurs retournent un jeton fleur. Si le joueur actif y voit un animal représenté sur l’une des maisonnettes, il le glisse dans cette maisonnette, ou dans celle de son choix si l’animal est représenté sur plusieurs d’entre elles. Si l’animal ne correspond à aucune maisonnette, ou que les maisonnettes de ces animaux ont déjà leur locataire, l’animal est posé dans la cour de la ferme, juste derrière la barrière du pré. S’il s’agit du loup, Mr. Wolf avance d’une case, et le jeton est reposé dans le pré face fleur visible. Au bout de six mouvements, il atteint le pré et remporte la partie.

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On appréciera déjà la dimension matérielle du jeu, qui n’est pas au niveau d’Attrape Renard, mais s’avère d’autant plus plaisante que Blue Orange aurait pu trouver bien des solutions plus simples que d’encombrer le jeu des quatre tirelires imposantes en forme de maison. Une coche dans le toit permet de stabiliser la tuile posée dessus, tandis que la fente est juste assez large pour laisser passer les jetons, et juste assez réduite pour qu’il ne soit pas possible de voir à l’intérieur – et il est évidemment interdit de soulever les soulever en cours de partie pour les consulter.

Il s’agit ainsi de compléter les maisons sans oubli et sans doublon, quitte à ce que les joueurs discutent pour mettre leurs souvenirs en commun (ce qu’ils n’ont cependant pas le droit de faire pour le jeton loup). Lorsqu’ils estiment que toutes les maisons sont complètes, on les soulève une par une pour plus de suspens (c’est un conseil des règles). Si c’était bien le cas, la partie est gagnée, mais si une seule erreur a été commise, Mr. Wolf remporte la partie.

Notons que Mr. Wolf propose trois variantes. La solitaire consiste… à jouer seul pour compléter les quatre maisons, en ne se fiant donc à personne d’autre qu’à lui, ce qui peut en faire un plaisant exercice de mémorisation. 3 par 3 consiste à jouer avec les tuiles 3 animaux, ce qui complique beaucoup le jeu et s’avérera assurément nécessaire dès lors que l’enfant a grandi, ou s’il a trop de facilités à jouer avec les tuiles 2 animaux. Il lui faudra donc retourner bien plus de jetons, ce qui intensifie le risque de découvrir Mr. Wolf ou de ne plus se souvenir de ce qui se trouve déjà dans chaque maison, une variante pour le coup très bienvenue. Ferme en folie consiste enfin à mélanger les tuiles 2 animaux et 3 animaux, et à en tirer quatre, en évitant simplement qu’un même animal apparaisse trois fois ou plus. Cela n’ajoute pas grand chose d’autre que de la surprise sur la difficulté de la partie à venir.

 

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Un petit jeu mignon et pédagogique

Mr. Wolf est indéniablement moins neuf, moins original et moins mémorable que Zombie Kidz Evolution, mais son choix contre le carton du Scorpion masqué s’explique très bien par deux raisons : d’abord, Zombie Kidz Evolution connaît déjà une médiatisation inédite pour un jeu pour enfants, et un succès considérable. Même Kikafé avait beaucoup fait parler de lui, là où Mr. Wolf était pratiquement inconnu du grand public. Dans un genre où les jeux de société ne parviennent pas si bien à faire parler d’eux, donner de la visibilité à une oeuvre qui a déjà plus de visibilité que n’importe quel jeu de sa catégorie, et plus même que beaucoup de jeux plus familiaux ou experts, pouvait légitimement paraître dommage. Par ailleurs, Zombie Kidz Evolution s’adresse aux enfants à partir de 7 ans, et peut s’avérer amusant pour un public plus âgé. Le jury a donc fait (comme souvent en fait) le choix d’un vrai jeu pour les plus petits, court, malin, adorable, qui méritait à son avis bien plus d’attention qu’il n’en a eu. L’idée était louable et ravira assurément les parents de jeunes enfants, peu aidés dans leur recherche de jeux de société adaptés et pourtant de qualité.