Après la récente sortie du film Les Mauvais Esprits sur son catalogue, Netflix poursuit l’ajout de contenu horrifique sur la plateforme. De quoi – sans doute – permettre aux utilisateurs de se mettre dans l’ambiance toute propice d’Halloween, et pourquoi pas, d’avoir de quoi se préparer quelques marathons horrifiques. The Apostle – Le Bon Apôtre – en français, a donc fait son arrivée le 12 octobre (tout comme Erremantari). Après le très décevant Open House et le parti pris souvent assez mitigé de Netflix au niveau des productions horrifiques, je me suis lancée dans The Apostle, afin d’y voir – peut-être un essai plus transgressif que ses prédécesseurs du genre.
Le Bon Apôtre est le dernier né du réalisateur Gareth Evans, connu comme le papa des films The Raid (1&2). Parfaitement à l’aise donc dans le registre de l’action et de l’effréné, Mr. Evans s’est aujourd’hui essayé au genre horrifique, dans un film qui – au visionnage du trailer – semble bien loin des éclats fiévreux de sa filmographie passée. Ici, nous retrouvons un synopsis plutôt basique : un homme part à la recherche de sa sœur, kidnappée par un culte religieux vivant reclus sur une île, bien loin du continent – tout cela, au début du siècle dernier, en 1905.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que The Apostle, fait envie, non seulement par son trailer hautement intrigant, mais aussi par le début du film, qui nous plonge efficacement et directement au cœur de l’intrigue. Si le sujet d’un culte religieux fanatique ne révolutionne rien dans le genre, son traitement particulier ne fait que nous rappeler à quelques bons exercices (pour ne pas non plus dire certains excellents) : une communauté recluse du monde, régie par la peur d’un châtiment (The Village), un prédicateur qui ne semble pas être blanc comme neige (La Nuit du Chasseur, Brimstone…) un fanatisme religieux qui mène au pire (The Witch…), sans parler d’une ambiance horrifique singulière oscillant entre le sanglant et l’effroi, sans recours abusif aux jumpscares et autres clichés « faciles » qui n’est pas sans rappeler quelques excellents longs-métrages à l’ambiance parfaitement maîtrisée (comme dans mon dernier coup de cœur, Hérédité). Alléchant donc, et diaboliquement prometteur.
Et donc, qu’est-ce que ça donne ?
Du neuf ! Et mon Dieu (si j’ose dire), qu’est-ce que cela fait du bien. Alors bon, avant de s’engouffrer dans une pluie d’éloges totalement subjectives, il faudra tout d’abord nuancer en disant que The Apostle est un bon film, là où il aurait sans doute pu devenir bien plus que cela. C’est donc une critique en demi-teinte qui suivra, mais avec tout de même son lot d’excellents retours.
À commencer par la réalisation et la photographie du film, brillantes et soignées. The Apostle est un beau film, aux plans réfléchis et minutieux, instaurant à merveille cette ambiance de thriller tout à fait malaisant. Les paysages, les scènes fortes, tout comme le lore du film, puisent dans un mysticisme entre The Village et les créatures dérangeantes de Silent Hill. On y retrouve alors une empreinte originale, aboutie et assumée. Car The Apostle ne se contente pas d’en rester à une bête histoire de fanatisme qui tourne au fiasco, et malgré le fait que le film s’attache pourtant très fort à cette aspect, quelques indices surnaturels viennent – dès le départ – nous suggérer qu’il y aura plus. Cela arrive ponctuellement, sans grand renfort de cris et de frayeur (au début tout du moins) pour créer un mélange des genres tout à fait jouissif. Ainsi, vous n’aurez pas à choisir entre un film sanglant ou un film d’horreur, puisque Le Bon Apôtredécide d’aller puiser dans le meilleur de chacune de ces spécificités pour nous offrir une œuvre noire, viscérale et poignante.
Ce choix assumé de ne pas se contenter du gore ou du surnaturel est donc l’une des grandes surprise de ce film, parce qu’en plus d’une initiative tout à fait louable, il excelle dans certaines scènes mettant en lumière chacun de ces genres. Le sang coule à flots, et lorsqu’il n’est pas bêtement en train de couler, il est suggéré dans les sévices, dans ce que cet obscurantisme suggère de punitif, dans des plans bien choisis, dans certaines images qui distillent le dégoût sans pour autant nous montrer l’insupportable : une scène d’exécution mettra par exemple vos tripes à l’épreuve. Si rien n’est – tant que ça – montré, la suggestion opère diaboliquement bien, et l’on se surprend à tressauter, à se cacher les yeux alors que la caméra a depuis longtemps quitté le champ de l’image difficile à voir. Une réelle maîtrise, tant pour le gore, que pour la créativité des scènes chocs – à grand renfort d’inspiration médiévale, type inquisition.
L’autre genre où The Apostle excelle, c’est donc aussi celui de l’épouvante. Et ça, ça fait du bien. Là où il peut être plus simple de choquer par le sang, choquer par l’effroi demeure un exercice périlleux, tant les productions horrifiques abondent en quantité (le qualitatif ne suit pas toujours, mais on en demeure pas moins persuadés d’avoir « tout vu » ou presque). Pourtant, Le Bon Apôtre regorge de quelques scènes tout simplement brillantes. D’un bref plan fantomatique, à la peur d’une apparition plus subite, le film surprend parfois lorsque l’on oublie qu’il nous propose – aussi – du fantastique. L’une des scènes est totalement surprenante : partant d’une simple course-poursuite qui finit dans une fosse d’égout, aussi étroite que répugnante, The Apostle suggère le caractère étouffant, claustrophobe par les plans : ce qui est alors malaisant devient totalement insupportable lors d’une apparition surnaturelle, glaçante d’effroi. On se sent oppressé, coincé avec le protagoniste dans cet instant viscéral et glauque. Une claque, un sursaut de peur que je n’avais pas eu depuis Hérédité, et avant cela dans le film Deux Sœurs. L’essai est donc transformé par cette photographie, et cette réalisation magistrale. Il est également difficile de ne pas remarque l’excellent travail extra-diégétique des musiques, qui distillent la peur par des instrumentations qui sortent de l’ordinaire. Point de grand « boum » pour marquer le sursaut, mais une peur suggérée par une bande-originale efficace et originale. De ce côté de l’horreur, The Apostle sera donc très proche d’un The Witch – et c’est donc déjà excellent !
Pourquoi The Apostle n’est donc pas LE film d’horreur à ne pas manquer et à garder en mémoire ?
Alors oui, le film ose, le film transgresse, le film frappe un grand coup pour ne jamais être complaisant et facile. Mais il se perd. Après une première moitié de film fort efficace, avec un savant dosage du thriller qui bascule doucement vers l’horreur, Le Bon Apôtre s’engouffre dans une seconde partie et un final qui s’emporte et décourage tous les espoirs que l’on sentait naître. Le scénario se brouille un peu (les enjeux ne sont plus si clairs, et le synopsis initial non plus…), les différents portraits s’en retrouvent parfois incohérents et perdent leur force initiale, tandis que visuellement, l’œuvre plonge dans une surenchère grotesque, sordide et surtout malvenue ! Quelle déception lorsque l’on était si bien parti, qu’on se surprend à être terrifié d’une seconde sur l’autre, de trembler devant une telle progression pour ensuite laisser une sorte de Delirium Tremens prendre possession de la fin du film qui suggérait pourtant une parfaite gestion de la peur et du dégoût… On était si proche d’avoir une œuvre marquante, et quel dommage. Alors oui, c’est dur de faire sombrer un film dans la folie, de faire tournoyer l’ambiance qui suggère la peur vers un concret bien plus terrifiant : mais The Apostle donnait pourtant toutes les clés pour qu’on le croit capable de cela.
Dans le même genre, Hérédité et surtout ses 20 dernières minutes de film m’avait complètement sciée : j’avais rarement vu un final aussi haletant, terrifiant et une conclusion à la mesure de cela : j’en étais ressortie hébétée, sans happy end, abasourdie. The Apostle suggérait le même folklore païen et ses dérives, et l’on pouvait alors croire qu’il cherchait à reproduire cette même « fuite en avant » horrifique. Sauf que cela part dans tous les sens, et que cela vient gâcher toutes les prémices brillamment exposées en première partie. Ajoutons à cela le casting relativement moyen, à part le rôle titre tenu par Dan Stevens (vu dans le remake du Disney La Belle et et la Bête) et Michael Sheen en prédicateur auto-proclamé. Le reste ne sont que des seconds rôles assez pâles dans leur psyché et dans les enjeux scénaristiques auxquels ils participent.
Allez, sans rancune, car il serait dommage de ranger The Apostle au placard sous prétexte de cette fin décevante. Car il regorge quand même d’idées et de scènes novatrices et puissantes, et qu’à l’exception d’Annihilation et quelques autres (qui n’ont rien à voir, on est d’accord), c’est un des rares films de la plateforme à oser à ce point, dans le gore comme dans l’horreur. Son interdiction aux moins de 18 ans n’est d’ailleurs pas volée à mon sens : on est loin d’un film de genre à la Martyrs ou Grave, mais cela reste quand même un style visuel assez particulier, qui dérange, qu transgresse et qui choque dans le bon sens du terme, et rien que pour cela, ça fait du bien !
L'avis de Siegfried « Moyocoyani » Würtz : un bon Netflix n'est pas forcément un bon Evans ou un bon film
Après avoir réalisé trois films d’arts martiaux indonésiens, dont le culte The Raidet une suite qui peut à mon avis prétendre au titre de film d’action le plus éblouissant de la décennie (aux côtés de Mad Max : Fury Road sans doute), Gareth Evans revient dans son pays de Galles natal pour un film fantastique/d’horreur doté d’un casting exclusivement britannique. Il y conte l’enquête de Thomas Richardson pour retrouver sa sœur, enlevée par une secte qui espère pourvoir à sa protection et à sa survie économique grâce à la rançon. Pour cela, il doit se faire passer pour un nouvel adhérent aux thèses du Prophète, et s’intégrer à la communauté d’une petite île du début du XXème siècle, rendue paranoïaque par les attaques régulières de la Couronne dont elle conteste l’autorité, et perturbée par des crises internes. C’est que ce Prophète prétend avoir rencontré la déesse de l’île, et mêle ainsi curieusement idéaux utopistes et un mysticisme dont on ne sait pas s’il n’est qu’une affabulation manipulatrice ou s’il se fonde sur quelque réalité plus inquiétante.
Apostle est ainsi un projet narrativement assez dense, et d’autant plus curieux qu’il se vante de subvertir nos attentes, quitte à frustrer le spectateur. À épouser presque exclusivement le regard d’un nouvel arrivant sans grand intérêt pour l’idéal défendu par la secte, il en dévoile peu les enjeux, de sorte que l’on partage les incertitudes du protagoniste sur ce qu’il est permis et interdit de faire, sur le degré de puritanisme ou de libertarisme de la micro-société, sur les règles et la place d’une religion païenne dans l’utopie anti-monarchiste et anti-capitaliste voulue par le Prophète. Il n’est alors pas toujours aisé de se laisser porter par un monde qui se refuse à nous, ou de s’identifier à un personnage d’emblée brisé par des événements que l’on ne connaîtra jamais très bien, et puisant dans cette obscure tragédie une détermination méthodique et invincible à sauver celle qui incarne le peu d’humanité qu’il lui reste. C’est bien sûr d’abord une force : il est singulièrement plaisant de se laisser porter par une sous-intrigue sectaire pour être soudain rappelé à la dimension fantastique de l’île, et d’osciller entre les différents genres, comme autant de réalités coexistant dans ces lieux maudits.
L’entretien de ces mystères est indéniablement une facilité narrative, il est toujours plus aisé de dissimuler que de prendre le risque d’exposer trop platement des choses trop banales, comme il est une audace éminemment stimulante dans un genre cinématographique dont la plupart des représentants récents souffrent au contraire d’une propension à la sur-explicitation. Réalisateur, monteur et scénariste, Evans livre ainsi un film « d’auteur », une œuvre personnelle fidèle à ce qu’il avait rêvé, et cela se sent aussi bien dans les curiosités parsemant sa diégèse que dans sa grande compétence visuelle. L’action n’est pas aussi efficace que dans The Raid 2, loin s’en faut, mais les quelques moments de tension et d’horreur témoignent d’une maestria qui pourrait faire pâlir d’envie un James Wan si Evans s’attaquait plus entièrement à ce genre de cinéma, notamment parce qu’il est éminemment capable d’exprimer simplement les sensations des personnages par un travail des plans.
Avec l’abandon de situations encore excessivement stéréotypées, une direction d’acteurs occidentaux plus maîtrisée (Dan Stevens, pourtant excellent dans Legion, sur-joue parfois péniblement), et l’approfondissement de son univers, Evans aurait pu livrer avec Apostle un film surpassant son évident modèle, le Wicker Man de Robin Hardy, et plus réussi dans son baroquisme que A Cure for life de Verbinski. Reste un témoignage intéressant de la démarche de Netflix, qui en évitant de soumettre ses réalisateurs à un contrôle créatif contraignant, donne de la visibilité même à des œuvres qui auraient peiné à trouver leur place dans les salles obscures, juste trop longs, trop populaires dans leur genre et trop expérimentaux dans leur démarche pour satisfaire à coup sûr aux exigences d’une exploitation traditionnelle.