Si, à cette première question, vous répondez par une autre question, qui serait de l’ordre de « Qu’est-ce qu’une langue fictive ? », je vous recommanderais chaudement de parcourir le premier volet de cette chronique, consacré au Quenya, et dans lequel je prends le temps de définir selon mes termes cette notion de langue fictive.
Néanmoins, pas besoin d’une explication complète pour affirmer ce qui va suivre : il n’est pas rare qu’un univers fictif se compose, outre de personnages et de lieux particuliers, spécifiques et parfois créés spécialement pour cet univers, de langues créées pour l’occasion. Ces langues, qui apportent très souvent cette petite pointe d’exotisme qui nous fait rêver, viennent surtout compléter l’ancrage de ces univers fictifs, les rendant plus crédibles et incroyablement plus riches. Et si nous nous plongions dans ces univers, parmi nos préférés, en apprenant leur langue ? C’est du moins ce que j’ai fait pour vous, en quatre semaines top chrono ! Bien sûr, il ne s’agira pas d’un cours de langue de ma part, mais plutôt d’une approche des différentes langues fictives qui peuvent exister, en s’intéressant à l’univers dans lequel elles s’inscrivent et à leur apprentissage.
Je vous avais laissés sur l’apprentissage du Gallifreyan, qui nous plongeait dans le monde non linéaire de Docteur Who, un alien voyageant à travers l’espace et le temps. C’est aussi ce genre de voyages que nous proposait Disney, en 2001, lorsque sortait Atlantide, l’empire perdu. C’était ainsi pour nous l’occasion de découvrir en compagnie de Milo Thatch, un linguiste et cartographe, les secrets mais aussi, vous l’aurez deviné, la langue d’une cité engloutie. Et comme nous aimons les films d’animation de Disney, il était temps que nous nous intéressions à cette fameuse langue : l’Atlante. Et si l’idée de découvrir une langue et la civilisation d’un peuple alien tombée dans l’oubli vous plaît, on ne saurait que trop vous conseiller le jeu Sethian.
Les origines de l'Atlante
Comme à notre habitude, je commencerai par aborder les aspects intradiégétiques de l’Atlante. Dans Atlantide, l’empire perdu, la langue est au cœur de l’intrigue, puisqu’elle est notamment la raison de la présence du personnage principal de Milo Thatch, seul linguiste capable de comprendre et parler l’Atlante, et qu’elle est l’outil qui va permettre la résolution de diverses péripéties. Cette langue est ainsi présente à la fois dans un ouvrage et sur de nombreux murs de la cité, mais aussi utilisée longuement dans certaines scène, ancrant profondément la langue dans une réalité quasi tangible.
On ne sait pas forcément grand chose de cette langue, dans l’univers du film d’animation, si ce n’est qu’elle est parlée par les habitants d’Atlantide et par Milo (linguiste héroïque avant même Louise Banks), donc, et qu’elle possède un système d’écriture. Au sujet de ce système d’écriture, il est intéressant de noter que la langue écrite a été oubliée par ses locuteurs, comme le montre la surprise de Kida lors de la présentation de l’ouvrage de Milo à cette dernière. Les habitants d’Atlantide sont donc dans l’incapacité de décrypter les messages présents sur les fresques ou sur les véhicules, par exemple, ce qui explique une partie du scénario.
D’un point de vue extradiégétique, l’Atlante est une langue construite, créée par quelqu’un que l’on a déjà rencontré, à savoir Marc Okrand, à l’origine du Klingon. L’idée à l’origine de l’Atlante était le principe d’une proto-langue, c’est-à-dire une langue mère supposée à l’origine d’un groupe de langue. Une proto-langue est en soi en langue reconstruite, une langue telle qu’on suppose qu’elle était, puisque nous n’en avons désormais plus aucune trace si ce n’est les résidus que l’on retrouve dans les langues filles ou petites filles. Nous pourrions ainsi citer le proto-indo-européen, à l’origine d’un grand nombre de langues européennes. Cela ne devrait pas être sans vous rappeler le cas du Wenja, dont il était question dans Far Cry Primal.
Avec cette idée d’une proto-langue, et mise en lien avec l’histoire d’Atlantide, une cité à l’origine de toute une civilisation, il y a plus de 9000 ans, mais dont la capitale a été isolée des siècles durant du reste du monde suite à un cataclysme, Marc Okrand a donc fait le choix de combiner le proto-indo-européen avec du chinois archaïque et de l’hébreu biblique afin d’essayer de remonter vers une langue mère absolue.Ces mélanges ont servi de base pour le lexique, avec plus ou moins de liberté pour que la prononciation de certains mots ne ressemblent pas à ce que l’on connaît, et la grammaire s’est quant à elle inspirée du sumérien et de langues améridiennes.
Autre élément qui a été fait pour ne ressembler à rien d’autre : l’alphabet. Difficile en effet de parler de l’Atlante sans parler de son alphabet. Autre particularité graphique, cette langue utilise un système d’écriture de type boustrophédon, c’est-à-dire qu’elle alterne une lecture de gauche à droite sur les lignes impaires avec une lecture de droite à gauche sur les lignes paires. Cela imite en quelque sorte le mouvement de va et vient des vagues. Si la majeure partie des lettres ont été conçues à partir de centaines d’esquisses réalisées pour chaque lettre de façon aléatoire par l’animateur John Emerson et sélectionnées par les réalisateurs, la lettre A a fait l’objet d’une attention toute particulière (attention, spoilers). Elle correspond en effet à une carte miniature de la ville d’Atlantide, représentant la caverne, la ville et la localisation du cristal.
L'apprentissage de l'Atlante
Abordons maintenant la question de l’apprentissage de l’Atlante, en commençant par faire un point sur les ressources à votre disposition.
Liste des courses
Pour l’Atlante, je ne vous renverrai pas vers un cours Memrise, puisqu’il n’y en a à ma connaissance pas encore. Mais j’ai mieux que ça : un cours par son Marc Okrand lui-même, et en vidéo !
Bien évidemment, si la vidéo est très sympathique au demeurant, elle ne vous apprendra pas grand chose, du moins rien de bien utile pour vous. Pour vous aider dans votre apprentissage, il faudra donc se reporter à des supports un peu moins didactiques, mais néanmoins complets. Je pourrais par exemple citer ce site archivé, qui donne quelques informations intéressantes au sujet de la langue, et notamment un accès à un corpus et à un lexique (très sommaires, mais néanmoins existants). Vous pouvez aussi vous reporter au DVD du film, où il est spécialement question de la langue, avec Marc Okrand et Leonard Nimoy, mais je n’ai pas pu mettre la main dessus et je ne pourrais pas vous en dire beaucoup plus. Enfin, les pages Omniglot, Wikia et Wikipédia consacrées à l’Atlante vous apporteront les informations nécessaires concernant l’alphabet, mais aussi la grammaire ou la prononciation, avec de nombreux exemples à la clé. Et bien évidemment, je ne peux que vous recommander le film lui-même, notamment pour la prononciation.
Apprentissage de l’Atlante
Notons que l’Atlante peut s’employer de deux façons : comme un alphabet ou comme une langue à part entière. À ce titre, on distinguera les 20 lettres initiales et spécifiques à la langue Atlante, et les 9 lettres (ou plutôt graphèmes) supplémentaires que sont c, f, j, q, v, x, z, ch et th, qui ont été ajoutées pour permettre de transcrire l’anglais. À l’image de l’Hylian, l’apprentissage de l’Atlante peut donc se limiter dans un premier temps à l’apprentissage d’un alphabet. Vous pouvez tout à fait l’apprendre pour retranscrire de l’anglais ou du français en un alphabet très exotique et dur à déchiffrer pour ceux qui ne sont pas initiés.
Il vous faudra cependant pour cela apprendre à connaître chaque symbole, et savoir le lire de la gauche vers la droite (comme en frannçais) et de la droite vers la gauche (comme en arabe). Comme nous l’évoquions précédemment, l’Atlante est une langue de type boustrophédon : son écriture commence dans un sens puis va dans l’autre et rebelotte. C’est une petite gymnastique à laquelle il faut rapidement s’habituer. On remercie par ailleurs les équipes d’avoir ajouté les fameuses lettres manquantes de l’Atlante initial, même si cet ajout a été fait pour l’anglais, et que cela ne se révélera donc pas toujours pertinent pour nous. Je pense notamment au graphème th, et à l’absence des signes diacritiques (accents, cédille, tréma et autres signes) que nous employons régulièrement en français. Mais on s’en accommodera. Ne comptez cependant pas sur une quelconque logique entre les symboles pour vous aider à les retenir.
Abordons maintenant un aspect délicat relatif à l’apprentissage d’une langue : la prononciation. Seules les 20 lettres initiales ont une prononciation officielle (donnée dans les différentes ressources proposées). Certaines prononciations ne nous sont cependant pas familières, ce qui en compliquera l’apprentissage. La vidéo de Marc Okrand et le film en lui-même vous aideront à bien comprendre les subtilités. Certaines transcriptions, romanisées et phonétisées, vous seront tout aussi utiles.
Traduction
Spirits of Atlantis, forgive me for defiling your chamber and bringing intruders into the land.
Romanisation
Nish.en.top Adlantis.ag, Kelob.tem Gabr.in karok.li.mik bet gim demot.tem net getunos.en.tem bernot.li.mik bet kag.ib lewid.yoh.
Phonétisation
NEE-shen-toap AHD-luhn-tih-suhg, KEH-loab-tem GAHB-rihn KAH-roak-lih-mihk bet gihm DEH-moat-tem net GEH-tuh-noh-sen-tem behr-NOAT-lih-mihk bet KAH-gihb LEH-wihd-yoakh.
Mais si vous souhaitez réellement parler l’Atlante, il vous faudra aussi apprendre sa grammaire spécifique. On notera ainsi que cette langue utilise un ordre Sujet-Objet-Verbe très strict, à l’image de Le chat la souris mange, et que cela a un impact sur la formation de phrases interrogatives, à l’aide de particules, ou la position d’adjectifs (postposés) ou d’adverbes (antéposés) : Le chat gros la souris goulûment mange. On constatera que l’Atlante est une langue fortement agglutinante (les informations grammaticales sont données par des suffixes que l’on ajoute à une base) et qu’elle se caractérise par l’existence d’un système casuel, le nombre de cas variant en fonction de l’objet linguistique considéré (sept pour les noms, cinq pour les pronoms). Le système des temps, modes et aspects verbaux est lui-aussi assez dense, faisant par exemple la différence entre le passé simple et le passé immédiat, ou entre les futurs simple, possible et obligatoire.
Enfin, si je devais soulever quelques détails, en vrac, je dirai que l’Atlante n’est pas soumis à la ponctuation ou à la casse (pas de majuscule ou de minuscule), qu’elle présente un système relativement complexe de propositions et de connexion de ces propositions, et qu’un système mathématique sommaire, mais néanmoins existant, a été mis en place.
Conclusion
L’Atlante saura charmer tout un chacun par son double visage : un alphabet et une langue complète. Ces deux aspects se caractérisent par deux niveaux distincts. Si l’alphabet peut facilement être intégré, pourvu que l’on y consacre le temps nécessaire, la langue est quant à elle plus compliquée à maîtriser. Outre son système casuel et verbal qui ne nous est pas familier, certaines subtilités indépendantes de la langue elle-même, mais davantage liés à des aspects pragmatiques (l’usage, la compréhension que l’on a d’un énoncé donné) pourront poser problème, comme le montre la traduction littérale de certains extraits d’Atlante du film.
La plus grande difficulté restera cependant selon moi l’accès au lexique, celui-ci semblant relativement limité et peu distribué. L’Atlante reste néanmoins une langue au charme exotique indéniable, et qui offre plusieurs étapes d’apprentissage permettant à tout un chacun de s’y retrouver.