Harry Potter and the Cursed Child, la malédiction de trop ?
Pour les fans du plus célèbre sorcier à la cicatrice Harry Potter et de l’univers magique créé par J.K. Rowling, il faut admettre que 2016 est une bonne année. Entre le film Les Animaux Fantastiques dont la promotion ne finit plus en vue de la diffusion du film en novembre, et la publicité faite autour de la pièce Harry Potter and The Cursed Child, dont le mot d’ordre se résume à #KeepTheSecret, J.K. Rowling n’a cessé de nous faire miroiter toujours plus de magie. La magie est néanmoins là sur le plan financier puisque la pièce, dont il est à noter qu’elle se joue en deux parties, pour deux fois plus de billets vendus, est désormais disponible en papier, permettant ainsi à tous les fans n’ayant pu se rendre aux représentations (mais aussi à ces fans-là qui voudraient prolonger le plaisir) de découvrir cette histoire inédite. Coup marketing à base de fanservice ou développement et poursuite logique d’une histoire qu’on souhaiterait sans fin ? Nous vous proposons ici une review de ce livre, sobrement intitulé Harry Potter and the Cursed Child Parts One and Two.
Comme vous pouvez vous en douter, le moindre spoiler peut vous gâcher la lecture de la pièce. Un voyage accidentel sur le net m’a ainsi dévoilé un simple élément (un nom, pour presque tout vous dire), ce qui a suffi à gâcher tout effet de surprise. Cela a fortement nui à mon expérience, bien que cela n’ait pas réellement influencé ma perception de cette œuvre, et c’est pour éviter cela que cette review se veut spoiler free.
[divider]Synopsis[/divider]
Cela n’a jamais été facile d’être Harry Potter, et ce n’est pas maintenant qu’il est devenu un mari, un père de trois jeunes enfants et un employé débordé du ministère de la Magie que cela va changer.
Alors que Harry est toujours aux prises avec un passé qui refuse de rester dans le passé, son plus jeune fils, Albus, subit le poids d’un héritage familial qu’il n’a jamais demandé. Tandis que passé et présent s’entremêlent de manière inquiétante, père et fils découvrent une dérangeante vérité : parfois, l’obscurité vient des endroits les plus inattendus.
Qu’on se le dise, l’histoire se déroule après les aventures relatées dans les sept précédents ouvrages, quelques 19 ans après la défaite de Voldemort. La pièce et le livre reprennent à vrai dire exactement là où nous avions fini, à savoir sur le quai 9¾, en compagnie d’un Harry Potter revêtant le rôle de père devant un Albus Severus Potter exprimant ses doutes quant à sa première rentrée imminente à Poudlard. Même si cela s’étale désormais sur deux scènes, et que quelques interactions ont été ajoutées pour rendre le tout plus vivant et naturel, les répliques de Harry sont reprises à l’identique. Et c’est ainsi que l’aventure commence.
[divider]Coup de génie ou coup du sort ?[/divider]
Commençons par l’aspect le plus évident. Harry Potter and the Cursed Child Parts One and Two, publié aux éditions Little, Brown, est la publication du script en anglais de la pièce du même nom telle que jouée lors des répétitions, et dont la version française devrait être mise en vente en octobre 2016. Certaines choses, notamment du point de vue de la mise en scène, ont donc pu être modifiées depuis. C’est d’ailleurs pour cela qu’une autre version de l’œuvre devrait être publiée. Poule aux vifs d’or, dites-vous ?
Qui dit script dit en tout cas texte de théâtre et donc un mélange de répliques et de didascalies, et tout ce que peut impliquer un texte destiné non pas à être lu mais à être interprété. Pour ceux que lire une pièce de théâtre rebuterait, sachez que le livre se lit globalement bien (pour peu que la lecture de l’anglais vous soit familière). Les didascalies sont relativement limitées, et il y a rarement d’ambiguïtés quant à la localisation d’une scène ou aux personnages impliqués. Notons simplement que certaines de ces didascalies ne sont pas très visuelles : entendez par là que leur lecture seule ne permet pas forcément de se représenter de façon convaincante la mise en scène. Cela est tout particulièrement visible dans les premières scènes du premier acte, où un très grand nombre de mouvements ont lieu sur scène (d’après les didascalies, et dans cette version propre aux répétitions), et que l’on a parfois du mal à suivre mentalement.
Pourtant, si la pièce se lit bien, elle n’est pas exempte de défauts. Loin de là. Passer d’un format romanesque à un format théâtral n’est pas sans conséquence. Ces deux formats-là n’impliquent pas les mêmes contraintes, et cela se ressent lourdement dans Harry Potter and the Cursed Child. En seulement 330 pages sont décrites plusieurs années. Pour être précise, près de trois années défilent devant nos yeux en l’espace d’une cinquantaine de pages, soit une demi-douzaine de scènes. Pire, en une seule scène, nos héros prennent deux années dans les dents. A contrario, pour rappel, les sept précédents tomes occupaient chacun pas moins de 600 pages afin de narrer une seule et unique année. S’il ne s’agit pas ici de défendre la règle des trois unités du théâtre classique, il faut cependant noter que cette nouvelle aventure pâtit de ce raccourcissement drastique.
Si nous n’avons désormais plus accès aux pensées de Harry, de par l’absence d’un narrateur omniscient dans la pièce, ce qui réduit déjà considérablement les informations que nous pouvons assimiler, la pièce n’a tout simplement pas le temps de présenter, développer et conclure convenablement son intrigue, ressorts et personnages. C’est d’autant plus dommage que l’idée initiale, la question du poids de l’héritage familial, du passé qui nous rattrape, était intéressante. Mais les différentes péripéties mises en place s’enchaînent bien trop vite, les nouveaux personnages, clés pour certains, sont trop rapidement intégrés à l’histoire, laissant paraître de très grosses faiblesses scénaristiques pour peu que l’on se penche un peu plus en détail sur leurs origines, et ce au point de mettre à mal la cohérence et la structure générale du monde magique de J.K. Rowling. Alors oui, il s’agit d’un monde magique, où presque tout est possible, mais cela n’autorise pas non plus à faire apparaître comme par magie un personnage, ni même à compléter ou modifier les règles physiques ou métaphysiques magiques au cœur même du scénario, et déjà pourtant bien abordées dans les précédents tomes, histoire de coller au scénario, juste parce que f*** you I’m J.K. Rowling.
On se retrouve au final avec une histoire survolée, pour ne pas dire bâclée, avec des personnages et des relations trop peu développés, au point d’en devenir caricaturales ou pas crédibles. Un grand nombre d’événements perdent ainsi de leur gravité, et il est difficile de se sentir happé par l’histoire. Dans bien des aspects, j’ai souvent eu l’impression d’avoir sous les yeux une fanfiction parmi tant d’autres se caractérisant par une volonté de faire dérouler l’intrigue coûte que coûte, sans perdre une minute ou un mot de trop. Et il faut admettre que j’avais été habituée à autre chose de la part de J.K. Rowling.
[divider]Conclusion[/divider]
Pourtant, Harry Potter and the Cursed Child reste une œuvre que je ne regrette pas d’avoir lue, ne serait-ce que pour son appartenance à l’univers magique de J.K. Rowling et pour étancher ma curiosité. Cela permet de replonger temporairement dans cet univers magique et même de découvrir quelques petits détails supplémentaires. La patte de J.K. Rowling est palpable dans cette nouvelle œuvre, et c’est à la fois un bon et un mauvais point à mes yeux. Ceux qui ont aimé la fin du tome 7 (contrairement à moi) seront sans doute comblés par la fin de ce nouveau pan d’histoire.
Cette nouvelle aventure n’était cependant pas nécessaire. Bien que l’intrigue soit intéressante (bien que trop dense, même si trop survolée, pour en faire une pièce de théâtre à mes yeux), elle n’était absolument pas vitale à la complétion de l’univers de Harry Potter. Elle ne répond à aucune question posée à la fin du tome 7, et n’apporte rien de plus à l’histoire originelle. Sa réalisation en demi-teinte ne parvient pas à justifier davantage ce nouveau tome, qui a bien du mal à trouver à mes yeux de la légitimité.
Cela étant, il faut souligner que Harry Potter and the Cursed Child Parts One and Two est avant tout un script, et que seule son interprétation sur scène peut réellement rendre justice aux différentes intentions des auteurs. Bien que cela n’efface pas certaines grosses faiblesses, il faut donc prendre un peu de distance. Hélas, tant que je n’aurai pas l’occasion d’assister à sa représentation, Harry Potter and the Cursed Child Parts One and Two restera à mes yeux une œuvre oubliable, une erreur de parcours dont on aurait très largement pu se passer, et dont la lecture n’est guère satisfaisante.
Je suis le premier surpris de revêtir le rôle d’avocat d’une pièce que j’ai trouvée dispensable, mais pas « oubliable ». Certes, elle n’a pas été écrite par Rowling (rappelons-le), mais par Jack Thorne, avec le soutien du metteur en scène John Tiffany, Rowling n’étant créditée qu’au côté des deux autres comme auteure de l’ « histoire originale », c’est-à-dire l’action de la pièce, mais pas son déroulement précis. On imagine qu’elle a surtout recadré ce qui pouvait trop sortir de l’image qu’elle se faisait des personnages et de l’univers et apposé son sceau royal sur l’ensemble, son nom n’apparaissant sur la couverture (deux fois plus grand que les auteurs de la pièce) que pour vendre mieux… Mais cette bénédiction est une légitimation conséquente : Harry Potter et l’enfant maudit en ressort bel et bien comme un livre canonique dans la continuité de la saga. Autrement dit, si Rowling veut un jour écrire une suite, elle devra prendre en compte ce livre, qui devient alors un indispensable pour tout amateur de la septologie originale. Ce n’est pas un gage de qualité (après tout, les sept tomes n’étaient pas non plus tous aussi bons les uns que les autres), mais ça lui confère une indiscutable valeur.
Les auteurs ont dû surmonter, avec plus ou moins de bonheur, un écueil formidable : la pression des fans, très attachés à leur sorcier à lunettes, qu’il fallait donc contenter tout en mettant le héros en danger. Bref, il s’agissait de reprendre et de mûrir les personnages, de chambouler l’univers, sans remettre en cause tout ce que les fans appréciaient. Il en résulte quelques bonnes idées (les relations entre les « enfants de… », et entre les personnages principaux 20 ans après les romans), quelques idées plus stéréotypées mais acceptables (les relations père-fils), et un recours massif au fan-service, toute l’intrigue semblant bâtie autour de l’idée de faire plaisir. Evidemment, la pièce en souffre : il est difficile d’en faire trop et pas assez à la fois, sans paraître à la fois excessif et lacunaire. Et évidemment, l’accumulation dans un univers de magie entraîne de petites trahisons par rapport aux autres romans et quelques incohérences – dont les romans de Rowling étaient très loin d’être exempts d’ailleurs.
Entièrement d’accord en cela avec l’impression de lire une fanfiction, mais une fanfiction ambitieuse, qui permet de voir beaucoup plus que ce que l’on aurait cru en lisant le pitch, et une fanfiction de qualité, qui atteint souvent son but de procurer la quantité souhaitée de nostalgie. Une fanfiction pour autant assez consensuelle, familiale, parfois trop explicite sur les sentiments des personnages pour s’assurer que le spectateur rêveur comprenne tout, et qui préfère glisser sur leurs abîmes que de les explorer plus profond. Elle parvient ainsi à être assez captivante grâce à ses retournements de situation étonnants, mais pas passionnante ou intense, ce qui n’est pas aussi imputable à la forme théâtrale qu’à la volonté de drainer le plus large public possible. Ce n’est pas tant « bâclé » ou « survolé » que facile, ou populaire.
Il va de soi qu’il faut lire Harry Potter and the Cursed Child en anglais, par purisme et parce que la traduction a quelques étrangetés. Que cette lecture n’est pas abolie par la mise en scène : il s’agit clairement d’une pièce destinée à être lue par ceux qui, comme tu le dis si bien, n’ont pas pu voir la pièce ou veulent en retrouver l’impression : ce huitième Harry Potter a été publié comme livre et peut être apprécié et jugé comme livre, indépendamment d’une mise en scène qui produit un résultat différent et constitue, dans une certaine mesure, une œuvre différente.
Et il va de soi que je ne peux que lui reprocher de briser partiellement mon rêve d’un spin-off sur le personnage le plus intéressant de la saga – je ne dirai pas qui pour ne pas spoiler. Mais difficile de résister à un livre qui confirme malgré tout que Jack Thorne apparaît comme un choix assez avisé pour adapter une autre saga intéressante, A la croisée des mondes (His Dark Materials, et qui surtout, quels que soient ses défauts, reste un nouveau livre officiel Harry Potter (excusez du peu !), de surcroît lisible en trois heures, et qu’il n’y a donc aucune raison de bouder.