Le Dilemme du Roi – le meilleur jeu de société de 2019 et 2020 ?
Aucun jeu de société n’a été davantage mentionné dans mes articles que Le Dilemme du Roi. Outre un Open Ze Bouate, j’en avais quand même fait l’une de mes découvertes marquantes d’Essen 2019, l’un de mes jeux préférés de 2019, mon jeu le plus attendu de 2020, l’une des meilleures surprises de Cannes quand j’ai découvert par qui et quand il serait enfin localisé, l’un de mes jeux préférés de 2020 (si ce n’est à nouveau LE préféré), le jeu que j’aimerais offrir ou me voir offrir à Noël… et j’en oublie peut-être, sans même mentionner que je l’ai systématiquement défendu comme mon favori pour le Kennerspiel des Jahres puis pour l’As d’or expert, deux prix pour lesquels il a été nominé, deux prix qu’ils a perdus en faveur de The Crew.
Que je l’apprécie ne devrait pas surprendre ceux qui me connaissent et connaissent mon goût pour les jeux narratifs, particulièrement pour les jeux sachant faire jouer une histoire (ce qui n’est effectivement pas tout à fait la même chose), d’où une attirance particulière pour les Legacy – au point que Betrayal Legacy avait été mon jeu préféré de 2018. Or la perspective d’un Game of Thrones croisé avec Reigns en jeu de plateau était une promesse irrésistible d’association entre une certaine légèreté ludique et la profondeur des choix à réaliser pour sa maison nobiliaire et contre les maisons adverses.
Pourtant, rien dans le parcours des auteurs ne laissait imaginer une telle ambition : Hjalmar Hach avait après tout imaginé Photosynthesis et Similo, Lorenzo Silva Potion Explosion et Dungeon Fighter, et tous deux ensemble avaient fait Dragon Castle et Railroad Ink. De même, l’éditeur Horrible Guild s’était surtout illustré par tous les titres cités, et sortait en même temps le prometteur Alone et… Unicorn Fever, de sorte que l’on pouvait se fier à son sérieux tout en s’étonnant de le voir soudain tourné aussi résolument vers un narratif qui n’avait jamais semblé le préoccuper. Sans surprise, il avait pourtant fait le buzz à Cannes, et après avoir un temps été annoncé chez Edge, est finalement localisé par iello (Bunny Kingdom, My City, Smash Up, King of Tokyo, The Crew, Detective, Kanagawa, Sanctum, Unmatched) dans une gamme expert qui pour le coup l’associe à d’autres titres très prometteurs (Les Ruines perdues de Narak, Khôra, L’Antre du Roi de la Montagne).
Sans surprise aussi, annonçons d’emblée ce que j’avais déjà laissé présager plus d’une fois : Le Dilemme du Roi reçoit évidemment notre VG Award, un prix dont nous décrivions ici l’exigence, et pour l’heure seulement remis à Roll Player, Mystic Vale, La Vallée des Marchands Collection et Margraves de Valeria !
Une limite seulement peut freiner les curieux : Le Dilemme du Roi coûte 74 euros 90, 67 euros 41 avec l’abonnement Ludum, alors qu’il n’est jouable qu’une seule fois, la nécessité de placer des autocollants sur le plateau, de signer autocollants et cartes, de cocher son paravent, et simplement de connaître une partie des histoires possibles (parce que quantité d’enveloppes ne seront jamais ouvertes !), empêche tout à fait d’en envisager une seconde partie, sauf à passer par des merveilles d’ingéniosité – au risque de passer à côté du jeu.
Cependant, en considérant qu’il vous occupera une quinzaine de parties de 45 minutes (ce qui est agréablement court pour des parties d’un Legacy !), idéalement à 4 maisons royales, éventuellement 5, se répartir la dépense paraît une manière particulièrement judicieuse d’amortir ce qui sera une expérience assez marquante pour tout le groupe ! Et accessoirement d’aider la tablée à se sentir investie. S’il est théoriquement possible de quitter la campagne ou de la rejoindre en cours de route, ce n’est bien sûr pas idéal, et faire participer chacune et chacun à l’acquisition du Dilemme du Roi évitera que l’on se désengage trop légèrement avant d’avoir été happé irrésistiblement !
Afin de pouvoir chroniquer le jeu sans le spoiler, je me contenterai au besoin de tirer un seul vague exemple du Prélude, un set de 6 enveloppes et 14 autocollants vendu séparément (à 9 euros 50) et que l’on est libre de poursuivre pour débuter la campagne du Dilemme du Roi ou d’ignorer pour commencer ladite campagne vierge. Un bonus qu’il paraît moins grave de dévoiler un peu, mais toujours en restant peu précis, afin que même le Prélude puisse constituer une surprise.
Le Royaume d’Anclisse
Avant même de mettre en place Le Dilemme du Roi, n’hésitez pas à lire les quelques pages de lore à la fin du livret de règles, et à les faire lire aux autres joueurs (par exemple en leur envoyant préalablement le pdf des règles). Ce n’est pas essentiel, notamment parce que cela fait très low fantasy et pourrait inutilement rebuter les allergiques au genre, quand l’histoire que vous découvrirez en jouant et que vous écrirez sera autrement plus passionnante et immersive, mais certains sauront sans doute apprécier cette plongée détaillée dans cet univers fictif.
La première étape d’une campagne du Dilemme du Roi consiste à s’affilier à l’une des 12 maisons, représentées par 12 paravents – bien assez pour permettre à un joueur de s’ajouter aux autres en cours de partie, même si cela reste déconseillé. Chacune possède son blason, son titre de noblesse, sa terre, sa devise, son histoire, mais aussi ses hauts faits, quatre objectifs qu’il faudra impérativement garder secrets jusqu’à les accomplir, dont trois sont liés au gameplay d’une partie et un est un haut fait narratif qu’il faudra accomplir à un moment de la campagne, si l’on est parvenu à en réunir les conditions grâce aux décisions sur lesquelles on aura pesé tout au long de l’intrigue.
Le choix de la maison est aussi déterminant… qu’arbitraire, ce que vous risqueriez de reprocher au jeu à la fin de la campagne si vous estimez n’avoir jamais eu aucune chance d’accomplir votre haut fait narratif et donc d’obtenir sa récompense considérable. N’hésitez pas à vous référez au groupe Facebook Le dilemme du roi FR ou aux forums BGG pour décider pour tel nombre de joueurs quelles sont les maisons les plus recommandées. Vous pouvez aussi en donner 2 à chacun, et si aucune des deux ne lui convient, le laisser en prendre une autre face cachée au centre de la table sans possibilité de revenir en arrière. Une bonne méthode à mon avis pour profiter de la présence de 12 maisons tout de même et se donner une chance de croire à la maison que l’on va tout de même incarner dans les meilleurs moments et surtout les pires… Ou vous pourrez simplement accepter de laisser faire le hasard, après tout, on ne choisit pas dans quelle famille on naît !
Vous pourrez tout de même nommer votre maison librement, et croyez-moi, jamais un nom n’aura été aussi important dans un Legacy, parce que c’est celui dont vous signerez tout élément dont vous devrez assumer la responsabilité ! Accessoirement, vous pouvez poser près de l’aire de jeu la carte du monde incluse dans la boîte, une jolie manière de localiser votre maison, d’identifier vos voisins, et de comprendre à quels enjeux spécifiques vous pourrez être confrontés. La terre de la maison Crann est par exemple isolée au Sud-Est du Royaume d’Anclisse, à la frontière avec Cidlada et au bord de la mer de Séhl. Un seigneur de Solad, territoire au bord de l’Océan de Siar en plein Anclisse, peut-il vraiment comprendre un habitant de Crann ?
Une fois le paravent/maison choisi, pour l’ensemble de la campagne, chaque partie commencera avec l’installation du plateau Royaume, agréablement dépouillé. Vous ne devez en effet d’abord vous soucier que de ses pistes centrales : les ressources (influence, prospérité, moral, bien-être, connaissance), pour chacune desquelles vous placez le marqueur correspondant, sur sa face noire ou blanche au hasard, sur la case 9 (au centre de la piste) ; et la prospérité, également au centre de sa piste. Le jeu commence en effet avec le couronnement de Harald V, de sorte que le Royaume est encore une page blanche… Au bas du plateau Royaume, deux balances, entre lesquelles on place 3 jetons Pouvoir.
Chaque joueur pose une carte Oui-Da, une carte Nenni et une carte Passe devant son paravent, et 8 jetons Pouvoir et 10 pièces derrière.
Celui qui possède le chiffre de maison le plus bas sur le paravent (dans les parties suivantes, ce sera celui qui possède le moins de prestige) prend les 6 cartes Objectif secret, en retire une au hasard et en choisit une, puis fait passer le paquet au joueur suivant, qui en choisit une à son tour et fait passer le paquet, etc. Celui qui semble le plus en retard sait ainsi quels objectifs il a donnés aux autres, et peut avoir une vague idée de leur choix pour les contrecarrer, quand celui qui possédait le plus de points ne choisit pas son objectif, et peinera bien davantage à en profiter. Cela peut sembler frustrant, mais il s’agit habilement de rééquilibrer les chances des maisons, tout en ajoutant de la tension pour des maisons en tête constamment obligées de se battre pour maintenir leur rang plutôt que de se laisser porter.
Cette carte indique en effet l’orientation que la maison doit faire prendre au Royaume pour gagner des points en fin de partie, définissant un profil moral qu’il devra tâcher de faire coïncider avec ceux de sa maison – ce sont les désirs particuliers de l’individu que vous incarnez pendant cette partie, qu’il faut savoir allier aux besoins de sa famille, valables quant à eux sur plusieurs générations.
La même maison au chiffre/prestige le plus bas prend le jeton Modérateur quand la maison au chiffre/prestige le plus haut prend le jeton Meneur.
Il ne reste alors plus qu’à ouvrir l’enveloppe 00, à en lire la première carte afin de situer le contexte, à la poser sur l’emplacement du plateau portant le même symbole, à mélanger les autres cartes de l’enveloppe et à en faire une pile face cachée, recouverte de la carte Cache afin que même le recto en reste inconnu pour l’heure. Pour le Prélude, on ouvrira plutôt l’enveloppe D1, qui narre l’intronisation de Harald IV et annonce trois jours et nuits de festivités… dont les dignitaires vont profiter pour gagner en influence dans la nouvelle cour.
Comme vous le concevez sans doute, cette mise en place est très légère une fois la maison choisie et connue : installer votre paravent, placer quelques marqueurs sur le plateau, prendre un objectif et quelques jetons, attribuer deux rôles et préparer le paquet de cartes Dilemme, voilà qui vous prendra trois minutes. La phase pourra changer un peu en cours de campagne, parce que la création d’un monde vivant et vibrant passe aussi par une densification narrative et ludique des débuts, mais ce sera très progressif et demeurera agréablement simple compte tenu de l’ambition du Dilemme du Roi.
La guerre des dilemmes
Un tour de jeu commence par la pioche de la carte Dilemme du dessous du paquet Dilemme et la lecture à voix haute de son seul recto. Vous apprenez par exemple qu’au lieu de vous fournir en nourriture comme c’est leur devoir, les paysans d’une ville ont cessé le travail et consomment votre dû en orgies. Votre maréchal suggère bien entendu de ramener ces manants au travail…
Un choix déjà difficile, et ce dès la première enveloppe du Prélude ! Bien entendu, vous pourriez faire jouer votre fibre humaniste en décidant qu’ils font bien ce qu’ils veulent de la nourriture qu’ils ont cultivée et de leur vie, et qu’ils n’ont pas à se conformer à un système féodal quasi-esclavagiste. D’un autre côté, si le premier conseil que vous donner au premier roi d’une longue lignée est de tolérer qu’on ne paye pas l’impôt, Anclisse risque de sombrer très vite dans le chaos, et non seulement on ne pourra pas considérer que vous ayez bien rempli votre fonction, mais les conséquences pourraient être douloureuses pour vous aussi…
Sur le recto apparaissent en effet deux voies, Oui-da et Nenni, associées à des symboles donnant des indices sur l’impact de votre décision. Remettre les paysans au pas vous rapportera bien sûr du bien-être mais nuira au moral, quand les laisser en paix affectera en mal votre influence (qui correspond notamment à vos relations avec l’armée, bafouée par votre refus d’écouter son conseil) et causera l’application d’une chronique négative. On peut avoir des surprises ne se résumant pas à la valeur du bonus ou du malus dans la ressource indiquée, de sorte qu’une véritable attention au scénario importera au moins autant que de se laisser paresseusement guider par les mouvements de ressources allant dans le sens de nos objectifs !
Vous pourriez en effet être tentés de vous dire que tout embranchement offrant plus de ressources au Royaume doit être systématiquement soutenu si votre objectif secret valorise les ressources au maximum. Mais si trop de marqueurs Ressource montent trop vite, la partie peut s’achever au terme d’une quinzaine de minutes, et vous n’y aurez pas gagné tant que cela, en plus d’avoir dévoilé un peu vite ce que vous cherchiez à faire au risque de laisser une chance aux autres de vous contrer.
Et puis ce choix est-il compatible avec votre haut-fait narratif ? Il ne faudrait pas que vous l’empêchiez définitivement… En outre, toutes les conséquences du choix vont-elles dans le sens de vos autres hauts-faits et de votre objectif privé ? Pensez à vous projeter dans ce que votre décision signifiera. Peut-être qu’à court-terme l’impact qu’elle aura sur le Royaume ira dans votre sens. Un dilemme appartient cependant à un arc narratif, et influencera donc les dilemmes apparaissant ensuite, qui eux pourraient vous être beaucoup moins favorables… Bref on pourra ne regarder parfois que les ressources et les chroniques dans la balance (littéralement et symboliquement), mais vous aurez tout à gagner (pour le roleplay et dans le jeu) à ne pas répondre aux dilemmes trop automatiquement !
Les chroniques sont des autocollants que l’on place directement sur le plateau, signalant une conséquence à long terme. Que croyez-vous par exemple qu’il va arriver en épargnant ce village ? Assumer la responsabilité d’une chronique n’est pas à prendre à la légère…
Avec ces vagues indications, vous devrez voter pour la décision dans le sens de laquelle vous allez influencer le monarque et donc le royaume. Au cas où, des jetons représentant les conséquences (par exemple le jeton Influence négative) sont placés sur la balance Oui-da ou la balance Nenni du plateau. En commençant par le meneur, chacun place des jetons Pouvoir sur sa carte représentant sa décision. Outre Oui-da et Nenni, on peut passer : tous les joueurs ayant passé prennent une pièce et se répartiront les jetons Pouvoir au centre de la balance, ou l’on prendra le jeton Modérateur si l’on ne gagne ainsi aucun jeton Pouvoir – un rôle puissant, tranchant toutes les égalités.
À tout moment du vote, le joueur ayant misé le plus de jetons Pouvoir reçoit le jeton Meneur. Quand le tour de table revient au joueur ayant le jeton Meneur (parce que tous les autres ont passé et se sont couchés, ou simplement qu’ils ont surenchéri mais n’ont pas misé davantage que le joueur possédant le jeton Meneur et ne l’ont donc pas récupéré), le vote s’achève.
Vous l’aurez compris, négocier sera primordial afin de mettre toutes les chances de votre côté, une fois des alliés de circonstance identifiés. Si l’on ne peut échanger de jetons Pouvoir, Meneur ou Modérateur, on peut troquer des pièces et des promesses : en tant que modérateur de trancher une égalité en faveur du corrupteur, promesse de signer quelque chose à la place du Meneur afin d’en subir les conséquences, de soutenir quelqu’un d’autre lors d’un vote futur.
C’est un aspect qui m’a particulièrement parlé, parce qu’il m’a rappelé City of Horror, le jeu de Nicolas Normandon qui a largement contribué à ma découverte du jeu de société moderne, en m’impressionnant par la possibilité d’échanger tout et n’importe quoi à n’importe quel moment de la partie, y compris des promesses auxquelles rien n’engageait ensuite sinon le besoin éventuel de préserver sa réputation.
S’il y avait des jetons Pouvoir au centre de la balance, on a dit qu’ils étaient répartis entre les joueurs ayant passé. Dans tous les cas, ce n’est qu’après que les joueurs ayant remporté le vote placent le pouvoir misé au centre de la balance, l’exposant à être gagné par ceux qui passent au prochain tour. Ainsi faudra-t-il judicieusement réfléchir à la valeur de chaque vote, et déterminer quand il vaut mieux gagner du pouvoir et quand il vaut mieux essayer de peser dans un vote, sachant bien sûr que s’il y a beaucoup de pouvoir sur la balance, beaucoup de joueurs risquent de vouloir passer, réduisant les bénéfices de chacun… Les joueurs ayant perdu le vote récupèrent quant à eux leurs jetons Pouvoir, leur garantissant pratiquement de pouvoir bientôt compenser cette défaite par une victoire !
Enfin on peut résoudre le dilemme et lire la partie du verso correspondant à l’option victorieuse. Un texte narratif explicite votre décision et on vous confirme quels marqueurs vous allez mouvoir, dans quelle direction et de combien. Chaque mouvement d’une ressource est accompagné d’autant de mouvements dans la même direction du marqueur Stabilité. Si votre influence et votre bien-être augmentent de deux, la stabilité augmentera ainsi de quatre, y compris si le bien-être est bloqué dans son ascension par la limite de sa piste !
Plus complexe : si la ressource monte, on la place sur sa face blanche ; si elle descend, sur sa face noire. Si la ressource va dans la direction de sa couleur (donc si elle poursuit un mouvement ascendant), elle se déplace d’une case supplémentaire dans cette direction, et on lui associé un marqueur Progression. Si elle va dans la direction de sa couleur et porte déjà un marqueur Progression, elle se déplace de deux cases supplémentaires ! Dans le cas contraire, son marqueur Progression est défaussé et elle est à nouveau retournée sur sa face opposée.
Cela vous paraît technique ? Croyez-moi, il ne vous faudra pas trois tours pour comprendre les implications essentielles de ce point de règle et la nécessité impérieuse de prêter la plus grande attention aux couleurs des jetons et à leurs marqueurs. Pour un jeu proposant si peu de jetons (étonnamment peu même quand on le compare à d’autres Legacy), qu’il parvienne à créer autant de tension par leur truchement devrait vous impressionner (ou vous terrifier si le mouvement des jetons ne vous convient vraiment pas).
Il s’agira parfois, on l’a dit, de coller une chronique. Pour cela, on vous indiquera précisément quel autocollant chercher dans un bloc qui en comprend… 176, plus 14 pour le prélude ! Le meneur actuel (normalement responsable largement de cette conséquence) signe la chronique et la colle sur l’emplacement vide le plus à gauche de la ligne du plateau représentant la même ressource que son coin supérieur gauche. S’il n’y a pas de cases libres, il recouvrira l’autocollant avec le plus de cases cochées (le plus vieux), dans une magnifique idée thématique : les événements les plus anciens sont oubliés, remplacés par des maux ou des bonheurs récents. Et comme chaque chronique rappelle de quelle péripétie elle résulte, vous verrez vraiment une histoire récente de votre Royaume en consultant les chroniques en cours, et verrez cette histoire défiler en en remplaçant les caduques par de nouvelles !
Enfin, une décision peut impliquer d’ouvrir une nouvelle enveloppe ! Généralement, selon la voie choisie, vous ouvrirez une enveloppe au détriment d’une autre (le Oui-da conduisant à l’enveloppe D4 et le Nenni à la D2 par exemple), qui ne sera jamais dévoilée. On lit alors la carte Histoire de cette enveloppe, que le Meneur devra signer, on l’ajoute à l’emplacement du plateau correspondant à son symbole (son arc narratif), et les trois autres cartes sont mélangées au paquet de cartes Dilemme. Bien sûr, toutes les enveloppes ne suivront pas exactement cette structure.
Si la carte Histoire clôt un arc, le joueur ayant signé le plus de cartes Histoire de cet arc bénéficie d’un bonus. En outre, un épilogue influera sur la fin de la partie, et pourra correspondre au Haut fait d’une maison !
Dernière étape importante, la carte Dilemme résolue est glissée sous la partie gauche du plateau, sous un emplacement libre de la frise du temps – à moins qu’il s’agisse d’une carte Événement ou d’une carte Immédiat et rejoigne plutôt la zone Événements.
Puis une nouvelle manche peut commencer, à moins…
La fin d’un règne
À moins donc :
- que le marqueur Stabilité ait atteint une extrémité de sa piste, y compris si un effet tentait de le faire redescendre. Dans ce cas, le roi abdique, l’instabilité le conduisant à proposer un nouveau roi quand un excès de stabilité conforte le Conseil dans son besoin de le déposer pour s’arroger plus de pouvoir.
- que le dernier emplacement de la Frise du temps est occupé par une carte Dilemme marquée d’un crâne, ou par une cinquième carte Dilemme. Dans ce cas, le roi décède, après un règne relativement long mais usant. De quoi assurer que les parties s’achèvent assez vite de quelque manière que ce soit.
Si la partie s’achève, il est temps d’évaluer la manière dont chacun a tenté d’influer sur le Conseil pour faire progresser sa maison. La carte Objectif secret, reçue en début de partie, indique combien on gagne de points d’objectif selon le nombre de marqueurs ressource dans la zone indiquée (par exemple vers le centre du plateau si l’on nous avait assigné un profil modéré), et selon la quantité de pièces que l’on possède de plus que nos rivaux. Ces points ne sont pas attribués de la même manière selon les joueurs, un avare gagnant bien plus s’il possède beaucoup d’argent par exemple – de sorte que cet objectif influera beaucoup sur sa manière de jouer : il sera probablement plus enclin à renoncer à influer sur des dilemmes contre quelques pièces…
Les joueurs marquent également les points relatifs à leurs objectifs publics. Comme ce décompte ne survient pas lors de la première partie, j’en parle plus tard ! On appréciera seulement que l’on ne subisse pas dès la partie de découverte toute l’étendue des règles du Dilemme du Roi, et comme vous le verrez, l’addition de ces éléments se fait très naturellement, sans que l’on ait à nous dire « ne faites pas ça à la première partie, mais faites-le à la deuxième ». Posséder plus de jetons Pouvoir que les autres derrière son paravent octroie aussi un petit bonus en points d’objectif.
Ces points d’objectifs sont soigneusement notés à la fin du livret de règles. Celui qui en possède le plus remporte la partie, et pourra marier son héritier à l’héritier du roi, nommant le prochain monarque ! Selon leur rang, ils cochent des points de prestige et de convoitise au dos de leur paravent. Par exemple si le roi est mort, le premier joueur gagne 5 points de prestige et le dernier gagne 2 points de convoitise, mais si le roi a abdiqué, le premier joueur gagne 3 points de prestige quand la stabilité était à son comble et 3 points de convoitise quand la stabilité était au plus bas, le dernier gagnant à l’inverse 2 points de convoitise quand la stabilité est à son comble et 2 points de prestige quand la stabilité est au plus bas !
Autrement dit… il ne s’agira pas béatement de chercher autant de points d’objectif que possible, mais il faudra adapter sa tactique à ce que l’on cherche à obtenir en fin de partie, en fonction du rang que l’on peut oser espérer et de la manière dont on pense que la partie s’achèvera ! On pourra d’ailleurs obtenir davantage de points de convoitise et de prestige en cochant la case correspondant à son objectif secret sur son paravent et en ayant quatre fois (à quatre parties différentes) le même profil moral.
Et attention, les points de convoitise ne sont pas des « mauvais » points. Ils représentent votre mesquinerie et votre égoïsme, votre frustration d’être écrasé à la cour par des maisons œuvrant pour le Royaume, et votre renfermement sur vos seuls intérêts, mais ce n’est pas illégitime, et si le Royaume poursuit sa déchéance, le chaos sera justement favorable à ceux qui auront préservé leurs intérêts avant tout…
Sauvegarder
Si Le Dilemme du Roi peut sembler assez léger pour que son rangement et son installation soient assez rapides, il va de soi qu’il ne faudrait surtout pas mêler des dilemmes résolus et à résoudre. Les règles vous indiqueront comment exploiter quatre emplacements à peine de la boîte assez ingénieusement pour ne prendre aucun risque de ce genre, une manière de « sauvegarder » une partie afin de pouvoir la reprendre aisément la prochaine fois sans trop devoir vous fier à votre mémoire. Du moins pour la mise en place.
En ce qui concerne le scénario… il n’est pas indispensable de trop rapprocher vos parties. Après tout, une histoire inachevée risque de vous être à nouveau présentée lors d’une péripétie à venir, tandis qu’une histoire achevée ne vous concernera plus. Mais vous trouverez plus de plaisir à enchaîner deux ou trois parties par session (cela ne vous prendra pas plus de deux ou trois heures) et à enchaîner les sessions pour rester dans l’« état d’esprit » Dilemme du Roi – preuve que cela fonctionne !
Petit conseil : entre deux parties… changez l’ordre des joueurs autour de la table. C’est que certaines de vos décisions seront influencées par vos hauts faits, ou votre quête de points de prestige ou de convoitise. Or il serait dommage que vous ayez l’impression de subir toujours les décisions du même voisin lors des enchères, quand il suffira de changer de place pour créer des dynamiques un peu différentes.
Chroniques : le Royaume se souvient
Après la première partie, il y aura donc des autocollants sur le plateau, tenant lieu de chroniques. Ils vont ajouter bien des subtilités dès la deuxième partie, assurant au moins une première partie plus narrative et légère. Au début de chaque tour, on cochera une case de chaque chronique pour signaler son vieillissement. Puis chaque chronique positive ou négative relative à une ressource la fera monter ou descendre d’un cran (sans affecter la stabilité).
Avoir signé des chroniques positives rapporte autant de jetons Pouvoir, quand les chroniques négatives en retirent aux signataires – vous comprenez mieux l’enjeu d’échanger des signatures avec les autres joueurs contre des voix ou de l’argent ! C’est la succession au pouvoir : le souvenir favorable ou défavorable que vous avez laissé lors des dernières grandes décisions ayant touché le Royaume influe sur le pouvoir que vous possédez à la Cour.
Pour chaque ressource enfin, le joueur ayant signé la plus récente chronique positive relative à cette ressource en reçoit le jeton Objectif public positif (qui représente simplement la ressource sur fond blanc), quand le joueur ayant signé le plus récent autocollant Chronique négatif reçoit le jeton… Objectif public négatif (en noir).
Lors du décompte de fin de partie, un objectif public positif rapportera 3/1 point d’objectif s’il représente la ressource la plus haute/la deuxième ressource la plus haute, tandis qu’un objectif public négatif ôtera des points si la ressource représentée est la plus basse ou la seconde plus basse.
Dans une logique similaire, vous vous souvenez peut-être que certaines cartes Histoire doivent être signées. Chaque nouvelle carte Histoire recouvre la précédente, mais une carte Histoire sur le dessus de sa pioche octroie à son signataire des capacités particulières, à usage unique, au début de chaque partie, octroyant de l’argent, des points d’objectif… De quoi ajouter encore un peu plus de mémoire au Royaume et de sens à être le meneur !
Jouer une Maison, jouer pour une Maison
Sans spoiler, il faut juste signaler que le jeu reprend parfois le pas sur l’histoire. Bien entendu, il faudra faire certains choix parce que nos objectifs le demandent, sans que cela colle tout à fait avec ce qu’on aurait voulu, même par roleplay, mais cela incite à remodeler notre vision de la Maison qu’on incarne pour y intégrer nos nouveaux choix, de sorte que cela peut fonctionner extrêmement bien. Cependant, à la fin il faudra bien faire gagner quelqu’un. Le Dilemme du Roi brille en faisant tout de même oublier pendant une grande partie de la campagne qu’on est dans une course aux points, et que l’on est peut-être en retard par rapport aux autres.
On n’en sait pas assez pour se décourager, ni sur la progression des adversaires (dont on a une vague idée) ni sur la manière dont le jeu nous évaluera dans son dénouement (dont on n’a aucune idée), ce qui est formidable – d’autant que cela signifie aussi qu’on ne se sentira pas pénalisés si au bout de deux ou trois parties tous n’ont pas assimilé au même degré les subtilités du Dilemme du Roi – mais peut ramener brutalement à la réalité quand il s’agira de dévoiler les vainqueurs, et qu’on n’adhèrera pas forcément au scoring final. Tout dépendra alors de votre capacité à apprécier le chemin parcouru ensemble, l’ambiance assez folle générée autour de la table pendant cette douzaine de parties intenses – et franchement, repenser à tout ce que vous avez traversé devrait largement effacer leu peu de déception que certains pourraient éprouver à la toute fin !
Le Dilemme du Roi : son achat ne doit pas être un dilemme !
Le Dilemme du Roi est un parangon du Legacy, en ce qu’il ne soupoudre pas un jeu de placement d’ouvriers, de gestion de ressources ou de pose de polyominos d’éléments narratifs et évolutifs, mais consiste au contraire pleinement en une intrication d’histoires, habilement ludifiées afin d’impliquer constamment les Maisons et d’amuser constamment joueuses et joueurs. Si l’on pouvait admirer l’équilibre entre scénarisation et choix, qui implique un système d’embranchements d’une passionnante ambition (quitte à ne jamais voir une grande partie des enveloppes de la boîte), cet équilibre entre intrigue et jeu est plus stupéfiant encore, le système d’enchères et le paramétrage des ressources participant pleinement à l’écriture de l’Histoire.
À me lire sans connaître Le Dilemme du Roi, on pourrait alors croire qu’il se situe du côté des grands jeux narratifs, ceux qui possèdent des livres de rencontres de 300 pages… alors qu’il nous épargne cette lourdeur pour tout conter sur ses seules cartes, d’ailleurs toujours denses mais synthétiques. Celles-ci narrent le monde du jeu en nous faisant interagir avec lui, les dilemmes prolongeant à la fois le Royaume d’Anclisse et nous obligeant à le jouer, à prendre une décision que rien ne pourra plus jamais effacer…
C’est bien simple, même en grand passionné de jeux narratifs et Legacy, je n’avais jamais été happé à ce point par l’histoire d’un jeu de société, grâce à la légèreté de cette présentation couplée à la profondeur des choix à faire et du monde à écrire. Tout le monde l’a déjà dit, Le Dilemme du Roi, c’est l’excellent jeu mobile Reigns au service de Game of Thrones, deux références évidentes, dont l’alliance devrait vous intriguer invinciblement.
Le Dilemme du Roi a été l’occasion de développer le Dilemma Card System, appelé à s’appliquer à de futurs titres sans doute déjà en cours de conception. Ils pourraient être l’occasion d’affiner les seules limites du Dilemme du Roi, des choix moraux pouvant s’avérer moins moraux quand on se laisse porter par les objectifs de sa maison, et un système de détermination final des vainqueurs qui n’est sans doute pas à la hauteur de l’expérience vécue. Mais c’est que cette expérience est inouïe, et qu’il était difficile de conclure aussi bien le jeu que l’histoire, quand la première porte déjà la seconde à un si haut niveau tout au long de la campagne.
À moins d’une sensibilité aux thèmes assez durs auxquels vous pouvez être confrontés, et auxquels vous devrez même prendre part – une force du jeu qui peut légitimement en rebuter certains – Le Dilemme du Roi me paraît une sortie singulièrement importante et une expérience collective et narrative incontournable.