Accueil Lifestyle Culture Geek Océans – édition limitée : l’évolution explosive dans les abysses !

Océans – édition limitée : l’évolution explosive dans les abysses !

Océans – édition limitée : l’évolution explosive dans les abysses !

Il y deux ans, j’avais été enthousiasmé par ma découverte du jeu de société Évolution, où les joueurs créaient des espèces animales, leurs attribuaient des traits physiques/comportementaux, et tâchaient de faire croître leur population malgré des ressources alimentaires se raréfiant. Les parties pouvaient en être un peu longues, malgré le plaisir toujours renouvelé de développer de nouvelles espèces, voire créer des situations un peu injustes pour les herbivores exposés aux carnivores, ou se défendant si bien que les carnivores s’éteignaient d’eux-mêmes. Or quelques mois plus tard, Northstar Games Studio lançait avec grand bruit la campagne KickStarter d’Océans, un jeu indépendant d’Évolution mais en reprenant certains principes, promettant à la fois rethématisation, altération et correction d’un jeu original vite devenu un quasi-classique.

Conçu par Dominic Crapuchettes, cette fois entouré de Nick Bentley, Ben Goldman et Brian O’Neill, et superbement illustré par Catherine Hamilton et Guillaume Ducos (Edge of Darkness, les jeux de cartes The Lord of the Rings et Arkham HorrorOcéans est également localisé par Funforge (Expédition à NewdaleTokaidoMonumentalZombicide – Night of the Living DeadIsle of SkyePatchworkBärenpark…), qui a fait le choix très intéressant de publier directement le jeu en Édition Limitée, donc avec davantage de contenu que la version retail anglophones, en bénéficiant de quelques additions de la campagne de financement participatif.

C’est-à-dire que cet Océans Édition limitée vendu 44 euros 90 (39 euros 06 avec l’abonnement Ludum) comporte le matériel pour être pratiqué jusqu’à 6 joueuses et joueurs (bien que les tranches de la boîte indiquent encore qu’il se pratique de 2 à 4) de 12 ans et plus. On recommandera particulièrement d’en profiter à 3, éventuellement 2, puis 4. 15 cartes Scénario et 10 cartes Abysses brillantes s’ajoutent en outre au matériel.

Notez que le jeu a également été localisé par Funforge en édition Deluxe, mais je n’en dirai pas plus, faute de l’avoir testée et incertain de sa disponibilité.

Océans

Plongée océanique

La mise en place d’Océans est déjà extrêmement encourageante, non seulement parce que le jeu est particulièrement joli, surtout parce que l’installation seule manifeste déjà quelques bonnes idées. On répartit ainsi équitablement les poissons (jetons Population) entre le récif et les trois zones Océan (imitant trois niveaux de profondeur). 100 sont des poissons-clowns, auxquels on ajoute 20 poissons d’une nouvelle couleur à chaque joueur au-delà du deuxième. Autrement dit, une étape qui aurait pu être fastidieuse se réalise en quelques secondes grâce à cette astuce visuelle.

Après cela, on défausse la première carte de la pioche de cartes Surface, dont la valeur de migration indique combien de poissons on transfère du récif et de la première zone Océan vers la troisième. Les règles ne précisent pas si clairement si on on prend quelques poissons de chaque lieu pour arriver à cette valeur ou si l’on extrait tant de poissons de chaque bassin (ce qui paraît plus plausible), mais on ajoute ainsi un intrigant modificateur initial, les enjeux n’étant pas les mêmes si la valeur de migration est de 5 ou de 11 !

Sous les poissons de la première zone Océan, on place la carte Explosion cambrienne – elle s’activera aussitôt que la zone sera vide- , et sur une languette placée sous la première et la deuxième zone Océan (permettant de les poser et de les retirer aisément, on place deux cartes Scénario (elles seront actives tant que la zone au-dessus est vide, et se désactivent quand elles sont repeuplées).

Ces deux cartes Scénario, les seules que l’on utilisera pendant une partie, sont piochées parmi… 40. On n’hésitera donc pas à les choisir d’une manière ou d’une autre, tout à fait ou au moins en prêtant attention aux icônes signalant qu’elles sont agressives, complexes et/ou des événements uniques. Et quand vous verrez à quel point elles peuvent être différentes, vous commencerez à concevoir la rejouabilité assez énorme d’Océans ! On y reviendra quand on aura un peu parlé des règles et que ces scénarios pourront signifier quelque chose pour vous.

Dernière petite originalité, moins intéressante dans l’absolu mais digne d’être notée je pense, les joueurs reçoivent d’emblée un nombre de points dépendant de l’ordre de tour… les premiers en recevant davantage que les derniers. C’est bien sûr parfaitement cohérent, quoiqu’original : le premier joueur crée une espèce dans un environnement complètement vierge, sans savoir à quoi l’adapter, tandis que le deuxième peut déjà l’attaquer ou profiter de sa présence.

 

Des générations de poissons voraces

Un tour de jeu consiste en quatre phases.

Lors de la première, on pose l’une des six cartes Trait de sa main. Soit pour créer une nouvelle espèce, donc en l’associant à un nouveau plateau Espèce, que l’on placera judicieusement dans sa zone de jeu par rapport aux autres espèces déjà présentes. Soit pour améliorer une espèce déjà présente, dans une limite de trois traits par espèce (mais la liberté d’en défausser pour les remplacer).

Soit en la défaussant pour sa valeur de migration, qui permet de déplacer des jetons Population d’un emplacement vers un autre emplacement, par exemple de la troisième zone Océan vers le récif pour le refournir, ou du récif vers la première zone Océan pour le tarir et retarder l’activation du scénario associé. Notez qu’il s’agit du seul point de règle vraiment mal expliqué dans le manuel, parce que tout dans sa formulation laisse croire que l’on déplace les poissons depuis notre plateau Espèce vers le récif ou l’océan (de façon à faire migrer notre espèce), ce qui est absurde mécaniquement. Il nous a fallu un blocage à deux tiers de la partie pour de suivre notre intuition première que cette règle de migration était tout de même curieuse et aller trouver la règle bien formulée sur BGG !

Puis on nourrit une seule de nos espèces, soit en fouissant (on totalise sa valeur de fouissage et on récupère autant de poissons du bassin pour les mettre sur son plateau), soit en attaquant (on totalise sa valeur d’attaque, on en soustrait la valeur de défense de l’espèce visée, qu’elle appartienne à un adversaire ou à nous, et on prend cette quantité de poissons à l’espèce ainsi attaquée).

Bien entendu, si le récif est vide, vous serez réduit à attaquer… Mais si le récif est vide et que les autres espèces n’ont pas de poissons (donc de population) ou trop de défense, il sera simplement impossible de se nourrir, d’où l’intérêt de migrer auparavant, quitte à ce que cela mette des poissons à disposition des adversaires ! On appréciera d’ailleurs qu’une espèce avec 0 de population ne disparaisse pas et ne puisse pas être attaquée, l’agressivité en est moins récompensée, toujours fructueuse mais moins punitive.

Même si vous n’avez nourri qu’une espèce, toutes vieillissent alors : on prend un poisson à chacune, pour le placer… dernière notre minuscule paravent. C’est qu’ils sont la principale source de points de victoire ! Ainsi n’aura-t-on pas particulièrement intérêt à avoir trop de population de chaque espèce, ce qui ne peut manquer d’attirer les prédateurs, mais avoir de nombreuses espèces avec 1 ou 2 de population sera idéal afin de cumuler plusieurs points à chaque tour. D’autant qu’une espèce en surpopulation (dont l’icône de poisson avec des arêtes du plateau Espèce est recouverte) perd la moitié de sa population dans le récif ou l’océan… mais que devoir perdre un spécimen et ne plus en avoir fait mourir l’espèce avec tous ses traits. Voilà qui exige un petit équilibre !

Vous vous demanderez peut-être comment on peut faire vieillir toutes les espèces en n’en nourrissant qu’une seule à chaque tour sans que les autres disparaissent. L’occasion enfin d’évoquer une dimension que j’aime énormément dans Océans, la symbiose entre les espèces et sa manifestation mécanique sous la forme de combos.

Si certains traits permettent à une espèce de se nourrir une fois de plus, d’adopter un trait de plus, de ne jamais passer en surpopulation (en empêchant cependant d’attaquer, il ne faut pas exagérer !), l’un vole deux poissons à l’espèce de gauche avant chaque phase de nourriture, un autre permet de gagner 2 poissons quand l’espèce de droite est attaquée, un autre encore octroie à l’espèce qui le porte 2 poissons si elle est l’espèce la plus proche d’une espèce avec 3 points d’attaque au moins ayant attaqué…

Or les règles relatives à l’adjacence ou la proximité renvoient aussi bien à nos espèces voisines des espèces concernées… qu’aux espèces adverses, selon la règle très intuitive rendant l’espèce la plus à gauche d’un joueur adjacent à l’espèce la plus à droite de son voisin dans le sens horaire. Ainsi faudra-t-il bâtir un véritable écosystème bénéficiant aussi bien des espèces rivales que des nôtres, la possibilité de donner plusieurs fois le même trait à la même espèce offrant une remarquable variété de tactiques possibles malgré l’existence… de 11 cartes Surface différentes à peine, en fait juste ce qu’il faut pour les maîtriser très vite et offrir autant.

L’autre grande idée, je vous l’ai dit, ce sont les cartes Scénario. Pour une première partie, on vous recommandera par exemple Abondance (qui augmente tous les gains d’1 poisson) et Fertile (qui permet à toute espèce de bénéficier de 2 poissons à sa création). Deux effets très simples, mais encourageant déjà pour l’une à privilégier les effets de gain, pour l’autre à se préparer à créer beaucoup d’espèces. Et que l’une ou l’autre soit associée à la première ou à la deuxième zone Océan modifiera déjà assez profondément la partie.

Alors imaginez le scénario Environnement agressif, qui autorise l’attaque des espèces avec 0 population pour les détruire, Environnement inhospitalier qui aggrave tout les vieillissements de 2 poissons, Saturation qui diminue la limite de population de 3, Diversité génétique qui augmente le nombre de traits par espèce de 1, Migration lointaine qui autorise le fouissage des zones Océan… Et il y a 40 cartes de ce genre, dont seulement 2 sont utilisées à chaque partie, dans un ordre déterminant, et face visible afin de servir à renouveler profondément le jeu sans infliger de hasard ! Et encore une fois, si un effet vous dérange pendant un tour, une petite migration pour occuper la zone Océan associée au scénario déplaisant le désactivera jusqu’à ce que la zone soit à nouveau vidée, décidément une idée très fine pour créer du contrôle et de l’interaction !

Une fois que l’on a fait vieillir ses populations, on peut piocher une carte Abysses, défausser des cartes Surface, puis piocher des cartes Surface jusqu’à avoir 6 cartes en main. Avec la variété assez réduite des cartes Surface, toutes intéressantes (bien que pas toujours pour la tactique pour laquelle vous avez opté) et la possibilité de défausser, vous ne devriez jamais « subir » la pioche.

 

Tout s’accélère 20 000 lieues sous les mers

Des cartes Abysses ? À côté de la troisième zone Océans, deux cartes Abysses sont en effet dévoilées, et au moment de piocher, on peut prendre l’une des deux dans sa main, ou en piocher trois dans la pile Abysses, en garder une et replacer les autres sur les cartes Abysses visibles. Ces cartes ne peuvent pas être défaussées, donc on n’en abusera pas, et surtout pas au début, où elles occupent notre main sans utilité…

Néanmoins, à partir du moment où vous aurez vidé la première zone Océan, la carte Explosion cambrienne dissimulée sous les poissons s’activera définitivement (y compris si des poissons sont replacés dans cette zone). Dès lors, on posera deux cartes Trait par tour (de quoi créer de magnifiques espèces d’emblée), on fera vieillir toutes nos espèces de 2 spécimens par tour et on pourra leur associer des traits Abysses.

Contrairement aux cartes Surface, les Abysses ont un coût… en jetons Population de notre pile de score ! Mais les 99 cartes Abysses uniques (par leur nom, leur superbe illustration et leur pouvoir !) sont particulièrement redoutables… Hybride copie tous les traits de l’espèce à sa gauche, Décharge électrique défausse un trait à l’espèce attaquée, Imitation reproduit l’une des deux cartes Abysses face visible, Colosse peut fouir jusqu’à 11 (exceptionnellement, elle peut fouir moins et donc contrôler son alimentation) en plus de ne pas pouvoir être attaquée par une espèce d’attaque plus faible que sa valeur de fouissage, Extrêmophile offre 1 trait de plus, empêche d’être parasité, la supropulation et l’extinction, Télomères résistants rapporte 2 poissons avant de vieillir mais les poissons du vieillissement sont défaussés au lieu d’être convertis en points (afin que l’espèce devienne une réserve à population pour nos autres espèces), Doux géant ne peut pas être attaqué ni attaquer et stocke 5 poissons supplémentaires…

ne personnalisation des espèces puissante dans une diversité assez folle, que les règles d’Océans encouragent à s’approprier en évinçant après nos parties les cartes nous plaisant moins.

Notez qu’une variante de découverte encourage à jouer d’abord sans les cartes Abysses, sans doute une bonne idée compte tenu de la relative maîtrise qu’elles exigent pour déterminer quand il vaut le coup de les piocher, puis de sacrifier des points de victoire pour les poser et où.

Quand il n’y a plus aucun poisson dans l’Océan (sans tenir compte des poissons du récif), on y place les 60 jetons Population de fin de partie, qui permettent uniquement aux suivants dans l’ordre du tour (celles et ceux qui n’auraient pas encore joué autant que celle ou celui ayant mis fin à la partie) d’avoir accès à des jetons en quantité illimitée. Joueuses et joueurs n’ont alors plus qu’à additionner les jetons Population derrière leur paravent et sur les espèces en jeu à leur jeton Bonus de début de partie pour déterminer le vainqueur !

 

 

Notez qu’il existe une application Oceans Board Game Lite, gratuite sur Android, très joliment faite. On peut y bénéficier d’un tutoriel et d’affrontements contre une IA débutante ou facile, et en déboursant 1 euro à peine, d’affrontements contre une IA moyenne, de pass and play et de nouvelles cartes Abysses et Scénario, un excellent investissement auquel ne manque bien entendu que l’affrontement en ligne – mais il ne faudrait pas être déraisonnable dans ses attentes pour une application d’une telle qualité compte tenu de son accessibilité ! Une très jolie manière de découvrir le jeu avant d’acquérir sa version physique, ou de le pratiquer seul.

 

 

Océans : la meilleure façon d’évoluer

Héritier d’ÉvolutionOcéans peut en apparaître comme une version améliorée, plus élégante, plus satisfaisante, plus judicieusement interactive, plus variée. Les tours en sont, au fond, extrêmement simples : on joue une carte, on nourrit une espèce en fouissant dans le récif ou en en attaquant une autre, on fait vieillir toutes nos espèces, on pioche.

Une simplicité qui ne dissimule pas longtemps la profondeur des choix à effectuer : améliorer une espèce avec un nouveau trait ou en créer une nouvelle, placer cette dernière à droite, à gauche ou entre les autres, attaquer une de nos espèces ou une espèce adverse (sans pouvoir la faire disparaître), piocher ou non une carte Abysses, faire migrer de ou vers une zone Océan ou vers le récif… ne sont que certains des principaux choix auxquels on sera confronté d’autant plus naturellement qu’avec 11 cartes Trait seulement à sa disposition, on comprendre vite les enjeux d’Océans.

En comprendre les enjeux est cependant très différent de passer maître dans la création d’espèces sous-marines, parce qu’il ne s’agira pas seulement de donner de supposés « meilleurs » traits à une espèce, mais de créer d’étonnants combos entre les espèces peuplant l’océan, seule manière de les nourrir toutes sans que le vieillissement aboutisse à leur extinction.

Si cette dimension d’écosystème combinatoire dynamise nettement Océans, on pourrait le redouter répétitif à sans cesse se nourrir puis vieillir, puis se nourrir, puis vieillir… Or non seulement se nourrir peut impliquer toute une élaboration stratégique, mais le jeu a la grande idée de se renouveler profondément et à plusieurs reprises en cours de partie ! Vider la première zone Océan active en effet une nouvelle règle et provoque en effet l’explosion cambrienne, ce qui double le nombre de traits posés chaque tour, double le vieillissement, permet l’utilisation des 99 redoutables cartes Abysses uniques. Puis l’évidement de la seconde zone Océan active un nouveau scénario, également placé face visible lors de la mise en place parmi les 40 cartes proposées, afin de créer une rejouabilité proprement impressionnante sans générer pour autant de réel hasard.

Océans est simplement, avec les incontournables Patchwork et Tokaido, mon jeu préféré parmi ceux localisés/édités par Funforge, ce qui n’est pas peu dire. Formidablement varié, combinatoire, interactif, joli, accessible mais malin, il aurait même indiscutablement figuré dans mon top 2020 si je l’avais découvert l’an passé.

AUCUN COMMENTAIRE

Quitter la version mobile