Accueil Lifestyle Culture Geek Ginkgopolis – le meilleur urbaniste sera écologique… et férocement compétitif !

Ginkgopolis – le meilleur urbaniste sera écologique… et férocement compétitif !

Ginkgopolis – le meilleur urbaniste sera écologique… et férocement capitaliste !

Gingkopolis est le troisième jeu du célèbre éditeur belge Pearl Games, un détail qui a suffi à m’intriguer grandement – les deux premiers étaient pas moins que Troyes et Tournay, avant Bruxelles 1893La GranjaDeusSoleniaBlack Angel… Un superbe catalogue de jeux où Ginkgopolis m’avait curieusement été beaucoup moins évoqué que les autres. Sa réédition, cette fois distribuée par Funforge (TokaidoMonumentalPatchworkNemesis, Zombicide – La Nuit des Morts-vivants, Bärenpark…) au lieu d’Asmodee, était l’occasion rêvée de découvrir un titre que je finissais par voir comme une lacune, et de retrouver le travail très apprécié de Xavier Georges (Black AngelCarnegieCarson CityTroyes), associé au dessinateur Gaël Lannurien (When I DreamAnkh’orAmun-Re, le jeu de cartes).

Il faut dire que la promesse de ce Ginkgopolis était séduisante, entre un thème futuriste et écologique justifiant ce titre original (en 2212, l’urbanisme s’inspire du ginkgo biloba et de sa symbiose avec la nature) et la promesse d’un jeu de construction commune (mais très compétitive) de ville à partir de moteurs individuels – or je suis très amateur des engine buildings et Georges a déjà prouvé sa compétence à les concevoir finement.

Vendu 44 euros 90 (39 euros 06 sur Ludum avec l’abonnement) , Ginkgopolis s’adresse à 1 à 5 urbanistes (idéalement 2 à 4) de 10/12 ans et plus (la boîte me paraît un peu optimiste à l’annoncer à partir de 10 ans) pour des parties de 45 minutes très dynamiques.

Ginkgopolis

La ville-ginkgo

La ville est d’abord constituée d’une grille de 9 tuiles Bâtiment, 3 de chaque couleur (jaune, rouge et bleu) et chaque valeur basse (1, 2 et 3). Autour de ce carré, les jetons Urbanisation (portant simplement les lettres A à L) sont placés dans l’ordre alphabétique. Les 12 cartes Urbanisation et les 9 cartes Bâtiment correspondant donc aux 12 tuiles Urbanisation et aux 9 tuiles Bâtiment forment une pioche, quand les cartes Bâtiment allant de 9 à 20 sont séparées en trois piles face visible, une par couleur.

Chaque joueur reçoit alors 4 des 27 cartes Personnage, qu’il drafte : il en choisit une et passe la main à son voisin, recevant celle de son autre voisin, et répète l’opération jusqu’à avoir choisi trois cartes, la dernière étant retirée du jeu. Les auteurs ont judicieusement établi que pour une partie impliquant des néophytes, on pouvait simplement prendre un set préétabli de trois cartes, une de chaque couleur, garantissant un départ équilibré.

Ces personnages portent des symboles de Points de Réussite (PR), ressources et tuiles Bâtiment dans leur coin supérieur gauche, que l’on prend et cache derrière son petit paravent. Il faudra bien se positionner pour qu’ils fassent leur office, ou simplement jouer avec des personnes ne se souciant pas à ce point d’épier ce que vous possédez (ce n’est pas non plus crucial). En outre, et comme souvent les paravents ont l’agréable avantage de rappeler les actions du jeu.

Ce n’est qu’alors que les urbanistes reçoivent 4 cartes de la pioche (celle composée des cartes Urbanisation et Bâtiment donc). Vous aurez donc noté que l’on drafte les personnages avant d’avoir le moindre élément asymétrique (alors que l’on aurait pu imaginer de piocher d’abord, puis de drafter en fonction). Une idée intéressante pour que les joueurs partent davantage à égalité que s’ils pouvaient déjà fomenter délibérément leur stratagème, même si l’on y perd un peu en contrôle.

Vous commencez sans doute à le sentir, Ginkgopolis est de ces jeux qui n’ont pas grand sens thématiquement. Il me rappelle assez Paris : New Eden d’ailleurs (qui pourrait en être inspiré), dans cette idée qu’un futur très vert oblige à reconstruire la civilisation… mais de façon compétitive, alors que tout le background laisserait plutôt croire qu’on serait portés vers de la coopération, de sorte qu’il faut sauver le monde et en même temps être le meilleur chef/urbaniste/que sais-je en écrasant les autres.

Le thème est avant tout prétexte à une jolie couverture et à de jolies illustrations, habillant gentiment un jeu qui ne cache pas longtemps son abstraction – la pioche de cartes Urbaniste et Bâtiment n’a pas de nom ; on nous explique bien une fois que le jaune correspond aux PR, le bleu aux bâtiments et le rouge aux ressources, mais on continuera de ne parler que par valeurs, couleurs et lettres plutôt que par notions thématisées… Comme les règles, vous parlerez de « ressources jaunes », de « tuile bleue », de « carte B » faute de comprendre ce que vous faites, ce qui ne vous empêchera pas de le faire bien, rassurez-vous !

Ne pas croire au thème n’empêche d’ailleurs pas d’apprécier le travail réalisé par Gaël Lannurien pour distinguer son univers. On admirera particulièrement que les 20 cartes Bâtiment de chaque couleur, donc numérotées 1 à 20, racontent la construction d’un même bâtiment, d’une structure très basique (1) à une merveille d’urbanisme (20), chaque carte améliorant très légèrement différente de la précédente.

Écologie et capitalisme

La première phase d’un tour est simultanée : les joueuses et joueurs peuvent défausser un de leurs deux pions Changer de main afin de défausser leur main et de repiocher quatre cartes, puis toutes et tous posent une carte.

La seconde est l’activation de ces cartes dans le sens horaire.

Si l’on a joué une carte Urbanisation seule, on récupère une tuile Bâtiment dans la pioche de tuiles face cachée, dont on prend connaissance avant de la dissimuler derrière notre paravent. Si l’on a joué une carte Bâtiment seule, on active le bâtiment qu’elle indique (par exemple le bâtiment 3 bleu) en gagnant la récompense correspondant à la couleur (PR, tuiles ou ressources).

Si l’on a joué une carte Urbanisation en l’associant à une tuile récupérée antérieurement, on place cette tuile à la place du jeton Urbanisation correspondant à la carte jouée (portant donc tous deux la même lettre). Le jeton n’est pas défaussé, mais décalé au-dessus de la nouvelle tuile. Ainsi, en rejouant la même lettre avec une autre tuile, on continuera d’étendre la ville dans cette direction. Dans ce cas, on place l’une de nos ressources sur cette tuile afin de signifier à toutes et tous qu’on en est propriétaire. Toutes les tuiles Bâtiment adjacentes orthogonalement à la tuile posée sont exploitées, rapportant les mêmes PR, tuiles et ressources que si l’on avait posé la carte Bâtiment correspondant à l’une de ces tuiles.

Si l’on a joué une carte Bâtiment avec une tuile, on pose cette tuile sur le bâtiment indiqué par la carte (donc portant le même numéro et de la même couleur). Si la tuile recouverte appartenait à un joueur, il récupère ses ressources, et s’il s’agissait d’un adversaire, il gagne autant de PR (une consolation pour l’avoir délogé). Attention cependant, poser un bâtiment d’une couleur sur un bâtiment d’une autre couleur coûte une ressource, et poser un bâtiment sur un autre bâtiment au numéro plus élevé coûte autant de PR que leur différence (parce que l’on annule les derniers progrès sur ce bâtiment). Et on pose sur cette tuile autant de nos ressources que sa hauteur. Ne pas pouvoir réaliser cette dépense empêche la pose de la tuile, et n’active que la carte.

Désormais, quand on activera ce bâtiment, soit grâce à une tuile Bâtiment posée à côté, soit grâce à une carte Bâtiment seule, on gagnera autant d’éléments que sa hauteur, de sorte qu’un bâtiment jaune de hauteur 3 rapportera 3 PR au lieu du seul PR octroyé à l’origine ! Vous aurez noté que la carte Bâtiment ne sera désormais plus utile, puisqu’elle désigne un bâtiment recouvert. On la place devant soi afin de bénéficier de ses effets permanents et de fin de partie.

Ces effets permanents s’ajoutant à ceux des personnages, et s’activent à chaque fois que l’on réalise l’action représentée. La carte Bâtiment 1 bleu permet par exemple de piocher une tuile à chaque fois que l’on joue une carte seule. La carte 2 jaune octroie 1 PR à chaque fois que l’on étend la ville. La carte 6 rouge donne une ressource à chaque fois que l’on agrandit un bâtiment. Vous comprenez mieux l’intérêt du draft initial, il sera essentiel de bien penser ses actions afin de bénéficier au mieux des effets permanents des cartes devant soi, et idéalement de plusieurs cartes à chaque fois, pour des tours bien plus rentables que la seule action de pose d’une carte éventuellement assortie d’une tuile.

La troisième et dernière phase est bien entendu la préparation du tour suivant… particulièrement piquante dans Ginkgopolis. En effet, chaque joueur y prend les cartes inutilisées par son voisin pour constituer sa nouvelle main, et pioche une carte pour la compléter, dans un vrai draft continu délicieusement interactif, pimenté d’un très léger hasard destiné à éviter une main trop punitive.

Par ailleurs, dès que la pioche est épuisée, on ajoute à la défausse les cartes Bâtiment correspondant aux nouveaux Bâtiment en jeu (soit étendant la ville soit lui donnant de la hauteur) afin de la reconstituer en tenant compte des nouvelles possibilités. C’est que plus les cartes Bâtiment ont une valeur élevée et plus leur pouvoir est fort : le 5 rouge rapporte par exemple une ressource à chaque agrandissement de la ville, le 8 rouge y ajoute 1 PR. Et dans toutes les couleurs, à partir de la carte 10, les effets représentent des objectifs de fin de partie et les PR qu’ils peuvent octroyer s’ils sont remplis. On définit donc soi-même ses objectifs… et on définit en grande partie ceux des autres, puisque l’on sait quelle main on leur passe !

Quand toutes les tuiles sont épuisées, les urbanistes peuvent refournir la réserve, en dévoilant simultanément la quantité de leurs tuiles qu’ils accepteraient de fournir. Manifestement, un joueur pensant gagner n’a aucun intérêt à prolonger la partie, mais chaque tuile ainsi dévoilée rapporte 1 PR, de quoi faire vaciller son trône s’il ne trouve pas un bon équilibre entre dépense et conservation ! De quoi injecter aussi une petite part de bluff à la partie.

Elle s’achève réellement quand la réserve de tuiles est épuisée pour la seconde fois (le deuxième épuisement étant bien plus court que le premier) ou qu’un joueur a déjà placé l’ensemble des ressources dont il pouvait disposer pendant la partie (et qui dépend du nombre de joueurs, afin de ne pas trop faire durer la partie à 4 ou 5).

Chaque urbaniste additionne alors ses jetons PR, 2 PR par jeton Changer sa main, ceux de ses cartes Bâtiment Objectif (par exemple 2 PR par carte jaune, 3 PR par bâtiment de hauteur 3 ou plus, 1 PR par ressource placée sur des bâtiments jaunes…) et les points des quartiers.

C’est l’ultime subtilité de Ginkgopolis et le cœur de son système de scoring : chaque quartier (ensemble d’au moins deux bâtiments orthogonalement adjacents de la même couleur) rapporte autant de PR à l’urbaniste qui y possède le plus de ressources sur des bâtiments que de ressources totales dans ce quartier (donc y compris possédées par d’autres). Le deuxième urbaniste y possédant le plus de ressources gagnera seulement autant de PR que le nombre de ses ressources.

Bien sûr cette manne de points en est aussi la source la plus incertaine : il suffit presque toujours d’une élévation en changeant la couleur pour casser un quartier que l’on pensait très fructueux, ou même d’une simple élévation sur l’un de nos quartiers essentiels pour que l’on perde toute influence sur une aire. Ginkgopolis est trop malin pour permettre ces retournements sans garde-fous (la récupération des ressources et le gain de PR si l’on est recouvert, le coût que cela représente de nous recouvrir avec une valeur arbitraire, et donc la possibilité de se protéger avec des bâtiments de forte valeur…), et c’est ce qui en fait aussi le sel, on n’est jamais à l’abri, mais bouleverser la partie demande de la préparation.

Le ginkgo solitaire

Ginkgopolis est doté d’un mode solitaire contre l’automa Hal, rien que ça.

Après deux parties, je ne peux pas dire en avoir été réellement convaincu, au point d’avoir l’impression d’un solo pour le solo, parce que c’est devenu une espèce de mode aujourd’hui. Non qu’il soit proprement mauvais, il m’a seulement paru se différencier excessivement des règles de base de Ginkgopolis tout en cherchant à en proposer une version plus légère.

Si l’on s’attendait par exemple à ce que l’automa ne dispose pas de PR, de tuiles, de ressources ou de combos, et ne se voie pas infliger de surcoût en cas de pose d’une tuile sur une autre de couleur différente et de coût supérieur, j’ai été surpris que l’on commence soi-même avec des ressources, tuiles et PR mais sans jetons Changer sa main, et surtout sans personnages.

Chaque tour nous voit piocher trois cartes, en jouer une puis défausser les deux autres, et piocher ensuite une autre carte pour l’automa. Ce dernier construit à chaque tour avec une tuile piochée aléatoirement, en étendant la ville si cette carte est une carte Urbanisation, en l’élevant s’il s’agit d’une carte Bâtiment. Et à la fin de la partie, il compte les points comme un urbaniste vivant qui aurait joué n’importe comment, mais aurait construit sans cesse, bien plus qu’un joueur ordinaire, et trouverait des points dans la quantité plutôt que la qualité.

Cela offre au joueur vivant bien des opportunités de se développer et s’adapter, cependant s’adapter au n’importe quoi du hasard m’a semblé retirer à peu près tout le plaisir de Ginkgopolis, à la fois parce que c’est frustrant sur le plan tactique, et surtout parce qu’il manque terriblement cette interactivité taquine qui constitue une part important du sel du jeu. Enfin disons que le mode solo a le mérite d’exister et de ne pas être fastidieux, sans doute cela suffira-t-il à des joueurs plus adeptes de solo que je peux l’être moi-même.

Ginkgopolis, ginkgo biloba ou brindille du jds urbanistique ?

 
Ginkgopolis est un jeu abstrait de pose de tuiles et de contrôle de zone nourri par du draft et de la construction de moteur. Si cela paraît faire beaucoup, c’est qu’il jongle très astucieusement entre ces mécaniques variées pour offrir un intéressant équilibre en apparence paradoxal, avec une interactivité prononcée d’un côté, et une satisfaction calculatoire de l’autre.
 
Les urbanistes y construisent en effet une ville commune, en l’agrandissant et en l’élevant par la pose de tuiles à côté et sur les tuiles déjà en place. Si la pose elle-même octroie naturellement divers avantages, qui s’amplifient au fur et à mesure que la partie avance, elle permet aussi de redéfinir les contours des quartiers et de les faire changer de propriétaire, mais sans jamais trop frustrer les joueurs dépossédés – ceux-ci reçoivent en effet une consolation substantielle, un peu comme dans The Artemis Project ou Blood Rage, selon une règle assez maline pour conserver une interactivité taquine sans agressivité injuste.
 
Surtout, les actions des urbanistes déclenchent les combinaisons de leurs cartes Personnage (assignées/choisies au début de la partie) et de certaines cartes Bâtiment. Cela ne provoquera pas de combos en cascade mais intensifiera considérablement l’intérêt des actions appropriées, tout en imposant le joli choix de beaucoup miser sur les combos provoqués par une action particulière, ou d’équilibrer ces combos pour en déclencher de plus faibles sur des actions diverses. Si aucune action ne pourra de toute manière être tout à fait ignorée, pouvoir se passer toujours mieux d’actions « mineures » (l’exploitation exclusivement dédiée au gain de ressources et de tuiles) favorisera une sensation de progression très stimulante.
 
La seule déception pourrait venir d’un thème écolo-futuriste que l’on ne ressent jamais au cours de la partie, même si elle donne lieu à quelques jolies idées d’illustrations. Enfin ce serait pinailler que de lui en faire grief tant Ginkgopolis offre par ailleurs de satisfaction et de fraîcheur ludique dans ses parties taquines et malines !

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