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Cartographers : welcome to the roll & write dans l’univers de Roll Player

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Cartographers : welcome to the roll & write dans l’univers de Roll Player !

 

Roll Player est le jeu pour lequel j’ai créé le VG Award, une récompense ayant la prétention de n’être que très rarement décernée (et n’a de fait été attribuée que trois fois depuis, à Mystic ValeLa Vallée des Marchands – Collection et Margraves de Valeria) et toujours à des titres m’ayant tellement conquis que je les crois dignes de l’attention d’un public plus large. Aussi va-t-il de soi que j’étais extrêmement curieux et enthousiaste d’apprendre la création d’autres titres dans le même univers, à commencer par un roll & write intitulé Cartographers.

Si l’on peut légitimement ressentir une certaine lassitude du roll & write, un genre connaissant décidément trop de déclinaisons, et de nombreuses peu inspirées, Cartographers a déjà le triple-avantage d’être connecté à un univers apprécié, d’être plus précisément un flip & write (on y retourne des cartes plutôt que de lancer les dés), et d’être sorti en France plus ou moins en même temps que Demeter et Welcome to Las Vegas, deux flip & write étonnamment techniques, rassurant sur la capacité du genre à se renouveler, y compris en cherchant d’autres publics.

Et il faut dire que la proposition d’incarner des cartographes est à la fois joliment originale, pertinente avec l’idée-même du roll & write, et prometteuse d’une relative densité thématique – on explore afin de les comprendre autrement des pays dans lesquels on a déjà joué.

Naturellement, sa nomination au Kennerspiel des Jahres (contre l’excellentissime King’s Dilemma et le lauréat The Crew), son prix doux de 18 euros et son ascension au rang de 21ème meilleur jeu familial de tous les temps ont largement favorisé son succès, avec une rupture instantanée qui fait attendre d’autant plus impatiemment le reprint du mois prochain , et entretenu la curiosité du public, tandis que Thunderworks Games (Dual Powers) s’est empressé d’annoncer l’extension Heroes, toujours conçue par Jordy Adan et illustrée par Lucas Ribeiro.

Mérite-t-il cet impressionnant tapage et le cercle vertueux dans lequel il semble ainsi s’être inscrit ? C’est ce que nous allons tenter de voir dans ce test de Cartographers, un jeu pour 1 à 100 cartographes (ou plus, tant que l’on possède des fiches) de 10 ans et plus et des parties d’environ 30 minutes.

 

Le territoire avant la carte

L’ouverture de la boîte de Cartographers est l’occasion de quelques bonnes surprises, à commencer par la présence de quatre crayons – alors que tant de roll & write n’en proposent pas, récusant la nature de « jeu de voyage » (aussitôt acheté, aussitôt jouable) souvent associée au genre.

La seconde est celle d’une carte Cartographe pour Roll Player, un goodie de circonstance rappelant l’intimité entre les deux jeux (de même que l’on avait dans Demeter des cartes pour Ganymède).

La troisième est la découverte de cartes Compétence, qui auront une fonction de mini-extension.

La dernière est la possibilité d’utiliser les deux faces des 100 « parchemins », pour un total de 200 feuilles, le verso représentant un gouffre au centre de la carte, et donc une difficulté supplémentaire.

 

 

Avant de commencer, chaque cartographe s’empare donc de l’un de ces parchemins, et y inscrit son nom, son titre et sa devise en plus de dessiner son blason. Bon, je dois confesser me contenter souvent du nom, et de l’emplacement du titre nobiliaire pour noter ma victoire ou ma défaite, mais j’aime beaucoup cette latitude laissée à l’imagination, très dans l’esprit rôliste de Roll Player. Tous doivent recourir à la même face de leur parchemin. Si l’on peut imaginer qu’un expert utilise le gouffre et ses adversaires la face ordinaire, il paraît si improbable que le premier vainque les seconds qu’il ne s’agit pas d’une variante très intéressante. Et puis évitez-vous les remarques de mauvais perdant du type – « forcément tu as gagné, sur ta fiche c’était plus facile ».

Notez que vous pouvez jouer à bien plus de quatre cartographes, du moment que vous avez assez de fiches et de crayons (la boîte en contient quatre, c’est déjà pas mal !). Ce ne sera absolument pas un handicap puisque l’on joue simultanément, et que les rares moments d’interaction ne concerneront que l’un de nos voisins directs.

Notez surtout… que vous pourriez être bien inspirés de troquer les crayons de papier de la boîte de Cartographers contre des crayons de couleur bleu, rouge, vert, jaune et violet. Vous comprendrez très bientôt pourquoi.

Les quatre cartes Décret (représentant les lettres A à D) sont alignées au centre de la table, associées à quatre cartes Décompte, chacune étant piochée dans une pile de quatre. Vous trouvez dommage de ne pas les tirer directement dans les 16 cartes Décompte, pour des parties encore plus variées ? C’est à vrai dire une décision assez fine, chacune de ces piles concernant un objectif de type différent, évitant ainsi d’être confronté à deux objectifs concernant les cases Village mais exigeant des configurations différentes, ce qui les galvauderait tous deux.

À proximité, on empile les cartes Saison dans l’ordre chronologique (du Printemps à l’Hiver), même si rien au fond n’empêche un peu de fantaisie. Deux lettres y figurent, celles des objectifs que l’on marquera à cette saison, selon un principe identique à Isle of Skye, de sorte qu’un même objectif ne sera marqué que deux fois, et devra être complètement oublié après, une dimension que j’aime beaucoup. Ces lettres sont d’ailleurs rappelées au bas des feuilles de score, au point que l’on pourrait très bien imaginer de jouer à Cartographers sans cartes Saison, voire sans cartes Décret, par exemple pour gagner en surface et le pratiquer dans le train, au prix d’un minimum de clarté et d’immersion.

Une autre pile est composée des quatre cartes Embuscade. L’une d’entre elles est mélangée à la pile face cachée de 13 cartes Exploration et la partie peut commencer, assez vite vous le voyez si vous avez bien trié les différents types de cartes à la fin de la dernière partie et qu’aucun de vous ne peine à se trouver un nom !

 

La cartographie, un art de la création plus que de la description ?

Au commencement d’une saison, on dévoile une carte Exploration. Sur celles-ci apparaissent des types de paysage (village, forêt, ferme, montagne) et des formes, qu’il faut reproduire sur sa fiche. À chaque type correspond un dessin… mais il pourra vous paraître un peu long de faire figurer des petits arbres, des maisons, des vagues, des stries… sur votre feuille, ou vous pourriez craindre que ce ne soit finalement pas si lisible que cela.

Ces formes ont été pensées pour être thématiques et lisibles à la fois, de sorte qu’on les distingue assez aisément, mais pas aussi bien que des couleurs. Or comme chaque type est d’une couleur radicalement différente, il pourra être plus aisé et joli de privilégier le coloriage au dessin. On appréciera par ailleurs les appariements spécifiques de formes et de couleurs, favorables aux déficients visuels et agréables à l’œil de tous les autres. Plus friendly que l’écriture minuscule et passée des cartes Décompte !

Une carte Exploration donnera souvent le choix entre deux formes ou deux types de paysage, et souvent encore la forme occupant le moins de cases sera assortie d’une pièce, immédiatement cochée au bas de notre feuille.

 

 

Quelques montagnes apparaissent sur le parchemin. Les entourer par les quatre côtés, de quelque façon que ce soit, permet également de cocher une pièce.

Si l’on dévoile ainsi une carte Ruines, il faut dévoiler une nouvelle carte Exploration dont une case au moins devra courir une case Ruines du parchemin.

Si toutes les cases Ruines sont occupées (ce qui arrive d’autant plus souvent que l’on peut très bien dessiner par-dessus même sans carte Ruines) ou que l’on ne peut simplement plus représenter l’une des formes de la carte Exploration sur son parchemin par manque de place, on ne colorie qu’une seule case, celle que l’on veut, de la couleur de notre choix.

On peut également tomber dans une embuscade. Y figure un motif (des monstres cornus dans une configuration particulière) qu’il faut représenter sur la fiche de notre voisin horaire ou antihoraire, selon l’orientation des flèches de la carte.

 

 

Sur chaque carte Exploration figure une valeur temporelle, de 0 à 2. Quand la valeur temporelle de la saison est atteinte ou dépassée (de 8 à 6), on applique la carte en cours puis on y met un terme.

On calcule alors les points des deux objectifs de la saison, dont l’un des atouts de Cartographers est la variété : on gagnera par exemple 3 points pour chaque montagne reliée à une autre montagne par une région de forêts, 3 étoiles pour chaque case du bord du plus grand carré de lignes remplies, 1 point par case de village de la plus grande région de village non adjacente à une montagne, 3 étoiles pour chaque région de fermes ou de lacs non adjacente à une région de lacs ou de fermes ou à un bord du parchemin… Vous concevez assez bien à quel point les tactiques des joueurs pourront varier selon les objectifs et leur ordre !

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On ajoute à ce score 1 point par pièce cochée, y compris lors des saisons précédentes. Naturellement, il sera ainsi bien plus intéressant d’en cocher au cours des premières saisons (afin de les scorer jusqu’à quatre fois) que lors des dernières.

On en retranche enfin 1 point par case libre adjacente à au moins un monstre. Placer des monstres chez un adversaire peut ainsi perturber sa complétion des objectifs tout en lui retirant de nombreux points quand ils sont isolés. Aussi s’agira-t-il d’occuper aussi vite que possible ces cases pour ne pas perdre trop de points de tour en tour.

 

 

Quatre cases occupent au bas du parchemin ces quatre scores de chaque saison, avec des symboles représentant les objectifs, les pièces et les monstres. Peut-être y manquerait-il une case pour le total, mais c’est chicaner tant il y a de toute manière d’espace pour inscrire le total à côté, même moins élégamment.

Vous aurez remarqué que rien n’impose d’occuper le plus de cases possible, qu’il n’y a pas de malus pour les cases restant vierges. Une curieuse décision tant il aurait paru naturel d’inciter à cartographier aussi complètement que possible, dont on se consolera en jugeant que ce qui distingue le bon cartographe du mauvais n’est pas la quantité, mais l’harmonie de son travail et sa cohérence avec les décrets royaux.

 

 

Reste à préparer le nouvelle saison en dévoilant la carte Saison suivante, en rassemblant les cartes Exploration et en y ajoutant une nouvelle carte Embuscade. Si une carte Embuscade avait été dévoilée, elle n’est pas réintégrée (on ne va pas se faire avoir deux fois par le même groupe de monstres !), sinon elle reste dans le paquet. Il m’est parfois arrivé d’arriver au terme de quatre saisons en n’ayant fait face qu’à une embuscade, mais savoir qu’il y en avait trois qui pouvaient potentiellement parsemer notre exploration nous faisait assez peur !

La partie s’achève simplement à la fin de l’hiver. On totalise les points de réputation des quatre saisons et le meilleur score détermine l’heureux lauréat du titre de Cartographe royal ! En cas d’égalité, il faudra avoir perdu le moins de réputation à cause des monstres, une jolie règle, aisée à calculer et logique.

 

Le cartographe solitaire

Peu interactif, Cartographers se prête bien évidemment très bien à des parties solitaires, comme beaucoup de roll & write.

La seule différence à la mise en place… est l’interdiction de s’octroyer un titre, qui sera mérité par notre score final.

Et la seule différence dans les règles est évidemment leur seul point interactif, les embuscades. On se fiera alors à un petit motif de la carte Embuscade représentant un coin du parchemin pour y dessiner les monstres. Si ce n’est pas possible, on décale leur configuration d’une case dans le sens des flèches, puis d’encore une case, etc., puis en se décalant d’une case vers l’intérieur… jusqu’à trouver un emplacement où on pourra les disposer légalement. Si décidément nulle zone ne s’y prête, les monstres ont échoué leur embuscade.

La grande astuce de Cartographers vient du calcul des scores. Après tout, l’intérêt de jouer en solo est de comparer son score avec d’autres joueurs, mais selon les objectifs cela peut être plus ou moins facile ! Peu de jeux solo parviennent à trouver un aménagement adéquat, mais Cartographers s’en sort en attribuant une valeur à chaque carte Décompte, soustraite à notre score final, permettant une comparaison plus juste. Les scores seront parfois si bas que l’on pourra obtenir -15 points et ne pas se voir décerner le titre le plus bas (on ne sera qu’un assistant incompétent, ce qui vaut bien mieux que le buveur d’encre patenté) !

Il faudra de l’habitude, du talent et un peu de chance pour arriver régulièrement aux 30 points faisant de nous un cartographe légendaire, titre que l’on s’empressera d’inscrire en lettres d’or au sommet de notre parchemin !

 

Virtual cartographers ?

Cartographers existe également en version dématérialisée grâce au travail de Brettspielwelt. Vendue 5 euros sur Google Play, disponible exclusivement en anglais et allemand, cette application est particulièrement réussie : intégration discrète mais efficace d’un tutoriel, coloriage intuitif des cases, automatisation du placement des monstres et du calcul des scores…

On pourrait regretter l’absence de mode multijoueurs, mais il faut bien concevoir ce que l’application pourrait perdre en stabilité et les parties en fluidité pour le plaisir de jouer à plusieurs à un jeu comme toute peu multijoueurs.

Les concepteurs y ont à mon avis apporté la meilleure réponse possible, avec trois modes de jeu : l’un au tirage complètement aléatoire, l’autre au tirage prédéterminé des cartes Exploration mais au tirage aléatoire des décomptes, le dernier au tirage prédéterminé des deux. Si vous souhaitez comparer vos scores à ceux d’un ami comme si vous aviez fait la même partie, il suffit de choisir le mode complètement prédéterminé avec le même parchemin (avec ou sans gouffre) !

 

 

En outre, les prédéterminations changent de façon hebdomadaire, ce qui en fait un véritable défi régulier à lancer autour de soi, particulièrement bien vu ! D’autant que des leaderboards donnent les meilleurs résultats de la semaine pour chaque mode, et un décompte clair (à la seconde près !) avant la modification des tirages. Vous aurez même accès aux leaderboards précédents !

Enfin, vous aurez accès à vos propres highscores, avec date, score, nombre de parties jouées, score moyen et meilleur score, et une série de succès, également remise à zéro chaque semaine afin de donner quelque pertinence à la comparaison avec d’autres joueurs.

Bref, une application très bien pensée et bien conçue, que je recommande chaleureusement si vous connaissez déjà les règles ou n’êtes pas allergiques à l’anglais (pour des textes courts et simples, enfin de l’anglais tout de même) !

 

CartographersKennerspiel 2020 ?

Si l’inscription de Cartographers dans la famille de plus en plus riche des flip & write (où l’on retourne des cartes avant de cocher des cases, au lieu de lancer des dés comme dans le roll & write) n’est plus si originale à l’époque où le pionnier Welcome to multiplie les extensions et standalone, et où arrivent le plus gamer Demeter et le malin Trails of Tucana, il a la curiosité d’être sans doute l’un des titres les plus simples à expliquer de sa catégorie, plus encore que le premier Welcome to, sans pour autant être « relégué » parmi les jeux décidément « familiaux ».

Ce que tendrait d’ailleurs à prouver sa nomination avec deux rivaux à peine au Kennerspiel des Jahres (peut-être le prix le plus prestigieux pour un jeu adressé aux « connaisseurs ») malgré les débats que sa simplicité pouvait susciter, face à l’excellentissime King’s Dilemma et au favori de longue date (et effectivement lauréat) The Crew. Une sélection assez révélatrice d’un véritable intérêt ludique, surtout pour un jeu non-allemand.

Cela peut déjà s’expliquer par son univers : se présentant comme un spin-off du VG Award Roll Player, il revendique d’emblée son appartenance à un univers ludique connu et relativement mature, là où sa complète indépendance aurait renforcé une impression d’accessibilité.

Surtout, il faut porter cette reconnaissance au crédit de ses nombreuses astuces, qui lui apportent une dimension cérébrale et mécaniquement très satisfaisante sans rogner sa simplicité : des ruines et des monstres pour donner du poids à nos choix, des objectifs dont la nature et l’ordre changent notre orientation tactique du tout au tout, des points et des malus persistants, n’ayant pas le même impact selon le moment de la partie où ils apparaissent, une pile de cartes juste assez réduite pour susciter espoirs et craintes sur ce qui pourrait tomber et juste assez grande pour garantir rejouabilité et imprévisibilité… Cartographers s’autorise même le luxe d’une interactivité chafouine, rarissime dans sa catégorie, où elle reste aussi amusante que maline, bien loin du chaos que l’on pourrait redouter.

Cartographers est l’un de ces X & write forts parce qu’on aime les sortir en toutes circonstances avec des connaisseurs comme avec des néophytes. Casse-tête accessible, fluide, rapide, varié et malin, il participe au et du plaisir que l’on avait à explorer les contrées de Roll Player et confirme la pertinence (qui aurait pu sembler opportuniste) d’y apporter des spin-offs, puisqu’ils sont réalisés avec tant de soin.

On se réjouit ainsi de découvrir au quatrième semestre 2020 le standalone Lockup en français, ainsi que la campagne KickStarter de l’expandalone Cartographers: Heroes, que nous suivrons bien sûr de près ! En attendant, vous pouvez vous attendre à une critique de l’impressionnante extension Monstres et Sbires de Roll Player très prochainement !

 

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