Muse : laissez-vous inspirer par ce nouveau Dixit-like !
Je ne me lasse pas des Dixit-like. Je comprends entièrement ceux qui les trouvent répétitifs et opportunistes, n’y voyant que des variations au mieux paresseuses sur un titre cultissime (et formidable) de déduction par l’image, mais il me paraît stimulant de pouvoir en adapter les règles, la durée, l’atmosphère, à des publics divers et à leurs attentes, en plus de pouvoir mêler les illustrations presque toujours formidables de ces titres afin d’enrichir l’expérience de l’un avec le matériel de l’autre.
Après Shadows: Amesterdam, Obscurio, Detective Club, dans une certaine mesure When I Dream, évoquons donc aujourd’hui le Muse de Jordan Sorenson, merveilleusement illustré par Apolline Etienne (Wreck Raiders, Monsieur Carrousel), Andre Garcia (Champions de Midgard, Edge of Darkness), Kristen Plescow, édité par Quick Simple Fun Games et localisé par Don’t Panic Games (Above, Maraudeurs de Midgard, DC Comics Deck-Building Game, Cowboy Bebop: Space Serenade).
Vendu 23 euros, il s’adresse à 2 à 12 artistes (idéalement 6 à 8) de 10 ans et plus pour des parties d’une vingtaine de minutes, qu’il est évidemment aisé de raccourcir ou rallonger.
La course à l’inspiration
Commençons par décrire les règles de Muse pour 4 à 12 joueurs, la configuration « normale » et la plus satisfaisante de loin, où les artistes se répartissent en deux ou trois équipes, idéalement deux pour plus de fluidité.
L’équipe comportant le joueur le plus jeune commence, et désigne l’un de ses membres pour être la Muse.
L’équipe opposée pioche six cartes Chef-d’oeuvre et deux cartes Inspiration, en choisit une de chaque et remet la première à la Muse, l’autre étant posée face visible sur la table.
La Muse utilise la carte Inspiration afin de donner un indice qui pourra permettre de deviner le Chef-d’oeuvre.
Elle rend le Chef-d’oeuvre à l’équipe opposée, qui le mélange aux 5 autre chefs-d’oeuvre, et les dévoile.
Enfin, les artistes de l’équipe de la Muse doivent tenter de retrouver la bonne carte, la Muse ne pouvant que répéter son indice.
Vous concevez assurément la double-difficulté qui se présente ici : d’une part, l’équipe adverse a normalement choisi l’association chef-d’oeuvre/inspiration la plus incongrue, s’assurant qu’elle soit à peu près indevinable ou puisse correspondre à plusieurs chefs-d’oeuvre ; d’autre part, la Muse ne donne son indice en ne connaissant que le chef-d’oeuvre, pas les cinq autres cartes, de sorte qu’elle n’a aucune moyen de savoir si son indice ne pourrait pas mieux s’appliquer à une autre carte.
Heureusement, la boîte de Muse comporte 30 cartes Inspiration, ce qui offre une variété d’autant plus grande qu’elles sont parfois farfelues, ou en tout cas toutes profondément différentes : il peut s’agir de citer un lieu non fictif sur Terre, un mot d’exactement trois lettres, un nombre, un insecte, de prendre une pose en utilisant n’importe quelle partie de son corps, de fredonner une mélodie… Jamais rien qui rendrait le joueur « ridicule » d’ailleurs, au contraire des mimes de Time’s Up, des Montagnes hallucinées ou de beaucoup de jeux d’ambiance où l’introverti sera nécessairement pénalisé. Il s’agit davantage ici d’inventivité, ce que j’apprécie beaucoup.
Ce qui est alors assez fort, c’est que tous les joueurs vont réellement réfléchir, l’équipe opposée (qui doit trouver l’association la plus absurde parmi toutes les possibilités qui leur sont accessibles), la Muse (qui doit tenter de leur donner du sens sans savoir à quels autres chefs-d’oeuvre elle sera confrontée) et ses artistes (qui doivent l’interpréter malgré son absurdité, et en soupçonnant une fourberie). Trois camps qui vont dialoguer chacun de son côté, se triturer les méninges… Et vraiment s’amuser !
Si vous êtes plus de 8, n’hésitez d’ailleurs pas à désigner deux Muses, une seule donnant l’indice bien entendu, mais les deux pouvant réfléchir ensemble. Il s’agit après tout du seul rôle solitaire, et il n’est pas toujours le plus évident, en plus d’être le plus exposé à la pression. C’est que la concertation est essentielle à l’appréciation de Muse, raison pour laquelle l’ambiance me paraît bien moins intéressante à 4 et le jeu vraiment meilleur à partir de 6.
Et sachant que le chef-d’oeuvre sera souvent assez impossible à deviner, à moins que l’équipe ennemie tombe sur deux inspirations « faciles », n’hésitez pas à imaginer d’autres petites variantes. S’il est amusant d’être confronté à l’absurdité, ne voir aucune équipe marquer dignement le moindre point après plusieurs manches peut également lasser…
Pourquoi ne pas demander aux adversaires de donner deux chefs-d’oeuvre à la Muse, en la laissant choisir laquelle elle souhaite faire deviner avec sa carte Inspiration ? Ou leur faire piocher trois cartes Inspiration, en leur demandant d’en donner deux à la Muse, parmi lesquelles elle pourra également choisir ? Peut-être y perdra-t-on un tout petit peu en ambiance absurde, et y gagnera-t-on assez en « jeu » pour que cela satisfasse au moins autant les joueurs et leurs neurones !
Comme on l’imagine, les artistes ne peuvent désigner qu’une carte. S’ils ont trouvé la bonne, ils la récupèrent, sinon c’est l’équipe opposée qui se l’octroie, puis on échange les rôles.
Et une fois qu’une équipe a collecté cinq cartes (ou plus si on décide de prolonger), elle remporte la partie. À partir de 10, tous les joueurs risquent de ne pas avoir endossé le rôle de la Muse, ce qui serait dommage, tandis que les concertations peuvent être un peu trop longues. À moins de se séparer en trois équipes, auquel cas l’une reste inactive pendant que les deux autres participent, pas idéal pour la fluidité du jeu…
Et à 2/3 joueurs alors ? Muse propose la seule solution envisageable, devenir coopératif : la Muse pioche un chef-d’oeuvre qu’elle doit faire deviner avec une carte Inspiration (choisie parmi deux), puis la mélange à cinq autres cartes. Il s’agira de réussir 5 fois avant d’avoir raté 3 fois… Dans l’ensemble, c’est assez facile, et l’on perd la tension compétitive essentielle à l’ambiance du jeu… Mais cela remplit son office, celui d’occuper les joueurs avec les jolies cartes de la boîte.
Muse, pâle copie ou jeu inspiré ?
Un Dixit-like et light misant sur l’ambiance, récipiendaire du Sceau d’Excellence de Tom Vasel (Dice Tower), voilà qui devrait suffire à attiser la curiosité de joueurs aimant la déduction par l’image et cherchant à varier les expériences autour de cette constellation de mécaniques. Muse ne trahit pas cette promesse, en ne mettant pas d’autre matériel à disposition que ses illustrations et les contraintes pour les faire deviner, dont les règles s’expliquent en une minute, et en privilégiant une configuration compétitive en équipes puissamment interactive et taquine.
C’est qu’il échoit à ses adversaires de décider de la carte à faire deviner et de la manière de la faire deviner, impliquant fortement leur cohésion dans le processus, avant que la Muse ne tente de faire sens de cette association improbable pour ses alliés, artistes bien en peine d’interpréter son laconique indice. Souvent, Muse s’avère ainsi assez chaotique, et en appelle à l’inventivité de toute la tablée pour triompher, bloquer l’équipe adverse, et simplement s’amuser à se triturer les méninges pour créer ou démêler l’incongruité.
Surtout, comme la plupart de ses concurrents dans sa petite famille de titres un peu trop proches les uns des autres, Muse peut fournir de nouvelles cartes à Dixit, Detective Club, Obscurio… Aux illustrations desquels ses magnifiques images n’ont rien à envier, parvenant superbement à en retrouver la poésie surréaliste, obscure ou féerique, toujours belle et ambivalente.
Sachez par ailleurs qu’un expandalone existe, ce Muse: Awakenings étant probablement promis à la localisation par Don’t Panic Games si le succès de cette première boîte permet ce joli prolongement.
Et retrouvez nos photos de Muse sur notre Instagram dédié aux jeux de société !