Essen (3) : Hush Hush, Repos Prod, Space Cowboys, Horrible Games, Ankama
Troisième article pour le deuxième et dernier jour de visite des Internationale Spieltage à Essen, la plus grande convention mondiale consacrée aux jeux de société !
Dans le premier article, j’allais notamment voir Libellud, Lucky Duck Games, Days of Wonder en plus de relater mon organisation pour le festival, et dans le deuxième, Matagot, Bragelonne, Snowdale Design, Gigamic et Artipia.
Mindclash Games
Arrivant un peu avant dix heures, je tenais à me rendre au stand de Mindclash Games avant la ruée de la foule, les autres journalistes et exposants faisant plutôt la queue pour les grosses nouveautés d’Essen vendues en quantités notoirement limitées (Tapestry notamment). Belle occasion de récupérer une boîte de Cerebria, ce jeu manifestement aussi complexe que passionnant racontant la lutte entre la félicité et la mélancolie au sein d’un esprit en constante évolution. Je pourrais donc vous en parler dans quelques semaines, mais pas tout de suite, je crains qu’il me faille un certain temps pour le dompter, heureusement aidé par sa très grande beauté. Mais le test sortira tout de même avant la publication de la traduction française, prévue par Intrafin (on vous en parlait avant-hier) pour début 2020 !
Comme je n’étais venu que pour cette transaction, j’étais très agréablement surpris de découvrir que Mindclash profitait d’Essen pour mettre en avant leur futur KickStarter, Perseverance – Castaway Chronicles, conçu par six auteurs dont David Turczi (Rush MD, Trickerion), justement là pour expliquer les règles. Il s’agira d’un jeu évolutif en quatre épisodes, donc lancé en deux campagnes de financement participatif, l’une au printemps 2020 pour les deux premiers épisodes, l’autre sans doute en fin d’année ou au début de l’année 2020 pour les deux autres.
Dans ce jeu de draft et de pose de dés, on incarnera d’abord les rescapés du naufrage d’un paquebot de luxe sur une île où se trouvent des dinosaures. À force de persévérance, on commencera à reconstituer un semblant de société puis, au fil des épisodes, une véritable civilisation justement fondée en partie sur la coexistence avec les monstres normalement disparus. Comme toujours avec Mindclash, le matériel était très joli et le projet singulièrement excitant, hâte d’en voir les détails !
Fowers Games
Mais impossible de traîner puisque j’ai rendez-vous à 10 heures dans la Messe d’Essen avec un éditeur… qui ne vient pas. Au bout de 30 minutes d’attente, je dois partir, et je profite du chemin vers la prochaine rencontre prévue pour m’arrêter quelques minutes au stand de Fowers Games. J’en suis en effet curieux depuis assez longtemps, parce que Tim Fowers conçoit (parfois co-conçoit) et édite ses propres jeux, assez nombreux, populaires et curieux. Burgle Bros. s’est particulièrement fait remarquer par le grand public, tandis que je suis moi-même très curieux de Hardback, un jeu de deckbuilding où l’on incarne une écrivaine du 19ème siècle tentant d’écrire un chef-d’oeuvre !
La grande nouveauté de Fowers à Essen, c’est Sabotage, une espèce de bataille navale assez impressionnante matériellement, comme vous le voyez, et riche de petites idées mécaniques qui le rendent terriblement attirant. Je présenterai déjà prochainement Hardback et on verra si je suis assez ébloui pour m’intéresser au reste de ces productions – ce qui risque fort d’être le cas !
Hush Hush Projects
Si j’ai passé environ une heure avec l’auteur Jacob Jaskov sur son stand d’Essen, je serai très bref ici puisque je nourrirai ma critique de son Fog of Love de notre longue et riche interview. Sachez cependant que ce jeu pour deux où l’on incarne un couple tentant de s’épanouir individuellement et ensemble est l’un de mes coups de cœur absolus de cette année, par sa capacité incroyable à créer des mécaniques narratives très fines et une interaction de jeu de rôle plus immersive que tout ce que l’on peut qualifier ordinairement d’ « immersif ». Jaskov espère une localisation prochaine en français, bien que des négociations soient encore en cours, puisque le jeu repose lourdement sur le texte et représente certaines exigences matérielles qu’il peut être difficile d’accepter pour un système après tout très particulier.
Jaskov n’était cependant pas à Essen que pour négocier des localisations. En plus d’annoncer une extension LGBTQ+ de Fog of Love par Nikki Valens herself, il faisait jouer le prototype de son prochain titre, anciennement intitulé Midlife Crisis, où les deux joueurs incarnent la raison et l’inconscient, dans quelque chose de plus narratif et de moins mécanique que Fog of Love. Son idée de traiter également la fin de vie avec un système similaire est évidemment mise entre parenthèses compte tenu de l’année 2020 très importante qui se profile à l’horizon pour Hush Hush, et de l’importance accordée par Jaskov à peaufiner des œuvres qu’il veut aussi novatrices et puissantes que possible, une ambition qui fait plaisir.
Repos Prod
Après une heure à essayer de faire comprendre mon anglais à l’auteur danois et à noircir cinq pages de notes au milieu d’un relatif brouhaha, le rendez-vous avec Repos Prod était une salutaire bulle d’oxygène. Non seulement l’occasion de boire un thé (Lipton certes, enfin cela faisait du bien) en conversant en français avec Nicolas, débordant d’une agréable bonne humeur, mais en plus en nous isolant de tout bruit sur une passerelle extérieure donnant sur le Grugapark, le charmant parc animalier d’Essen arborant de très jolies couleurs automnales.
Le stand de Repos Prod était évidemment aux couleurs de Last Bastion, le remake du culte Ghost Stories dix ans après la publication de l’original, dans un thème heroic fantasy. Antoine Bauza, Naïade et l’équipe de Repos Prod en ont naturellement profité de l’occasion pour fluidifier le système de jeu sans le rendre plus facile (Ghost Stories était connu pour sa très grande exigence) et surtout pour en embellir considérablement le matériel, particulièrement coloré et clair. Si l’on peut déplorer la disparition du thème plus original des esprits japonais, il faut admettre que Ghost Stories ne paraissait plus tout à fait en phase avec les standards du jeu de société contemporain, et la proposition d’en livrer le relifting sous un titre neuf paraît très intéressante. Comme je n’avais pas joué à l’original, voici en attendant ma critique de Last Bastion une intéressante vidéo de Zee Garcia pour comparer les deux versions (et, je trouve, donner très envie d’essayer Last Bastion).
Évidemment, si le jeu a le succès escompté, on pourra compter sur le même « nettoyage » des deux extensions de Ghost Stories, Black Secret et White Moon !
Je souhaitais depuis un certain temps me faire confirmer la survie ou la mort de certains titres anciens de Repos Prod, qui a ainsi confirmé à ma grande tristesse (mais conformément à mes attentes), City of Horror avait vécu. Rampage appartient également au passé – il faut dire qu’il aurait été difficile de rivaliser avec le massif MonstroCity : Rampage de Vesuvius pour un éditeur ne cédant pas au modèle financement participatif ! Le Donjon de Naheulbeuk conserve cependant l’intérêt de l’éditeur et continue d’être tiré avec ses extensions.
En termes de projet, plus de Scribble Time chez Repos Prod mais le Cash’n Guns Harry Potter est en bonne voie, bien qu’aucune date ne puisse encore être annoncée puisque cela dépendra beaucoup de l’accord d’AT&T, actuel détenteur de la licence… C’est donc bien plus tôt que devrait paraître Belratti, ou du moins la refonte de Belratti, un petit party game coopératif à base de cartes très populaire… mais vraiment pas beau, ce qui ne peut naturellement convenir à un éditeur aussi passionné de beaux objets que Repos Prod. Ce dernier n’oublie surtout pas Time’s Up, qui connaîtra enfin une nouvelle boîte, puisque certaines références de la dernière commençaient à être désuètes, et il se murmure que Just One pourrait ne plus être si seul, tout l’intérêt étant d’ajouter un petit twist (à la Décrypto par exemple) et pas seulement d’ajouter des centaines de nouveaux mots…
Et si l’on célébrait à peu près les 10 ans de Ghost Stories pour cet Essen, l’année prochaine sera celle… des 10 ans de 7 Wonders ! S’il a accordé tant d’importance à l’anniversaire de l’un, difficile d’imaginer qu’il se contente d’une nouvelle merveille-goodie pour l’autre, bien plus culte encore…
Envoi des jeux depuis Essen
On en parlait dans l’article présentant le festival d’Essen, l’organisation installe depuis quelques années un stand postal afin d’envoyer les jeux achetés… ce qui permet de s’envoyer à soi-même les jeux que l’on n’est pas capable de transporter, soit parce qu’on vient par un moyen de locomotion ne permettant pas de s’encombrer autant, soit parce que nos excès ne nous permettent physiquement pas une charge aussi grosse…
Le service est assez cher, mais très performant. J’en ai ainsi profité pour me faire livrer trois très grosses boîtes, pour un poids total de 8,2 kilos. Ils remplissaient la moitié d’un carton moyen, mais débordaient d’un petit carton, entraînant un coût un peu plus important (parce que l’on paye le carton) et le risque d’un certain flottement, même en calant les jeux avec du carton et du papier. L’un des préposés a cependant eu la très grande serviabilité de bricoler quelque chose afin de tout faire entrer dans le carton le plus petit, quitte à créer une excroissance qu’il a pris la peine de solidifier.
Il m’en a coûté 27 euros, 4 euros le carton plus 23 euros pour l’envoi depuis Essen vers la France d’un colis pesant entre 5 et 10 kilos. Les jeux valaient environ 180 euros, donc au moins n’ai-je pas eu la douleur de payer autant pour le transport que pour les jeux eux-mêmes. Alors que je suis allé au stand vendredi soir faire le carton, recevant facture et numéro de suivi par mail, il m’a été livré mardi matin en parfait état et contre signature. Autant dire que vue la performance du service, je n’exclus pas d’y recourir à nouveau s’il m’arrange à ce point – je ne sais vraiment pas comment j’aurais pu rentrer avec ces 8 kilos supplémentaires.
Space Cowboys
Bien soulagé, je pouvais enfin me rendre dans l’espace Asmodée de la Messe d’Essen afin de discuter avec Hannah, François et Vincent de Space Cowboys, afin qu’ils me présentent leurs nouveautés. Bien que je sois quelqu’un qui suit de près l’actualité socio-ludique des éditeurs les plus importants (et Space Cowboys est l’un des éditeurs les plus importants), enfin il était agréable de se voir clarifier autant de choses en une vingtaine de minutes.
Il a d’abord été question de Caylus 1303, un remake extrêmement joli du jeu culte de 2005 (et qui se déroulait en 1289), illustré par William Bosley (Descent, Everdell !), respectant entièrement le thème de l’original mais mettant en avant quelques adaptations pour rendre le système de jeu plus « moderne » : disparition de l’argent, compte-tours pour fluidifier le rythme, davantage d’adaptation au plateau et aux choix des autres… N’ayant jamais pratiqué l’original, il fallait bien sûr croire sur parole tout ce que l’on me disait « amélioré » pour livrer un titre fidèle à l’ancien, et seulement « mieux ». Indépendamment de cet héritage, je dois cependant admettre que le jeu en lui-même semblait avoir le charme mécanique promis, et réactualiser un titre séminal dans l’histoire de la pose d’ouvriers, de sorte que j’espère pouvoir vous en parler davantage quand il sortira en décembre !
Si je ne teste pas beaucoup de jeux pour enfants (Attrape Renard, Mr. Wolf et Zombie Kidz Evolution sont peut-être les deux seules exceptions), je suis toujours très curieux de la qualité croissante de ce qu’on leur propose, et après le magnifique Yum Yum Island, il fallait que je voie le nouveau Space Cow (la collection pour enfants de Space Cowboys, au nom vraiment bien trouvé), Attrape-rêves de Laurent Escoffier et David Franck. À 16 heures 20 mon deuxième et dernier jour à Essen, c’était d’ailleurs le premier jeu que j’avais l’occasion d’essayer in extenso !
Il faut y couvrir des cartes de monstre avec des cartes de doudou, vraiment adorables, ce qui permet de puiser des jetons dans le sac-coussin. Pas de Memory ou de hasard des dés ici (ouf !), il s’agit d’évaluer la taille du doudou et celle du monstre afin que le recouvrement soit le plus ténu possible. En gaspillant trop vite ses gros doudous, on n’en aura en effet plus pour les gros monstres. Et recouvrir le monstre avec le doudou adéquat rapporte davantage d’étoiles. En somme, l’exercice n’est même pas si aisé pour des adultes, et devrait d’autant plus ravir les enfants dès 4 ans qu’il se décline en deux modes, coopératif et surtout compétitif ! Franchement, moi qui aime offrir des jeux de société aux enfants de ma famille plutôt que des bonbons ou des jouets, j’ai sans doute trouvé là un parfait cadeau !
Pour beaucoup, Space Cowboys, c’est avant tout des jeux narratifs et inventifs. Les Unlock! sont particulièrement appréciés… et en effet incontournables, comme on vous le disait là, pour le répéter là, encore là, puis là et enfin là. Dans moins d’un mois, c’est la septième boîte, Epic Adventures, qui constituera le parfait cadeau à faire et à se faire de Noël, d’autant qu’il y sera question de cinéma d’horreur, d’épreuves dans une école chinoise et d’espionnage dans un style très The Americans. Non content d’adorer y jouer, je parle même d’Unlock! dans mes travaux académiques sur l’influence du jeu vidéo sur le jeu de société, c’est donc deux fois par an un plaisir personnel et professionnel qui me fait attendre très impatiemment cette boîte, et naturellement les deux prévues l’an prochain !
Difficile de passer à côté, avec Frères de la Côte puis Madame, Space Cowboys achevait le « cycle blanc » de T.I.M.E. Stories avant un « cycle bleu » que The Hadal Project inaugurera dans trois semaines à peine. La nouveauté la plus visible, c’est l’abandon de l’idée d’une boîte de base, chaque nouveau scénario étant pratiqué tout à fait indépendamment des autres. On renonce également aux dés et au système de runs (où il fallait perdre et recommencer fort des connaissances acquises au cours de ses précédents parcours) pour un titre moins aléatoire et sans doute un peu moins frustrant, et d’autant plus satisfaisant dans sa tacticité.
Celle-ci reposera beaucoup sur la gestion de l’azrak, une ressource cruciale pour l’exploration ou l’amélioration de compétences avant de les mettre à l’épreuve, une idée passionnante pour transformer le hasard en tension. En outre, les joueurs seront d’autant plus impliqués par des objectifs individuels secrets, ajoutant un peu de tension vis-à-vis de ses partenaires de jeu, qui ne seront pour autant pas des traîtres à la Betrayal Legacy, mais pourraient soudain ne pas faire ce que l’on attendrait d’eux, très intéressant.
Trois scénarios sont annoncés pour l’instant, The Hadal Project, sur une cité sous-marine dans le futur, A Midsummer Night et Le Manoir Cavendish (dont un préquel, Damien, sert actuellement de démo). Déjà grand amateur du potentiel du cycle blanc, ma curiosité pour le cycle bleu est vraiment forte, et particulièrement pour le deuxième scénario, puisqu’en plus d’aimer Shakespeare (que c’est original, je sais), je révère particulièrement A Midsummer Night’s Dream, dont le texte m’a toujours frappé par sa poésie particulière, plus que beaucoup de pièces du Grand Wil. Dire que je n’ai pas osé demander à en voir des images alors qu’une boîte de prototype était sous mes yeux…
En outre, il sera possible vers la mi-décembre d’acquérir la boîte Expérience, dont l’objectif est de lier les différentes intrigues, mais de façon facultative. Comme il n’y aura plus de passage initial et final par un hub central, et que l’on entrera directement dans l’intrigue, Space Cowboys tenait à proposer tout de même la possibilité d’accéder de façon ludique à une grande histoire sans l’imposer à ceux qui préféreraient picorer selon leur affinité pour le thème.
Par ailleurs, les Space Cowboys éditeront en avril 2020 (si je m’y retrouve bien dans mes notes) « la meilleure boîte » de Sherlock Holmes, Détective conseil, Les Francs-tireurs de Baker Street, dont j’attends personnellement beaucoup. Appréciant grandement la finesse des scénarios précédents et le système d’enquête très immersif, je suis parfois un peu fatigué par sa rigidité textuelle. Or à une époque où les Space Cowboys incarnent une tête de proue du ludo-narratif, on peut très légitimement espérer la légère mise à jour de Détective conseil qui l’imposera à nouveau dans la modernité.
Enfin, la gamme pour deux joueurs (jusqu’ici composée exclusivement de Jaipur) vient de s’enrichir d’Ank’hor, avant Tea for Two en mars. Aussi bon que paraisse le projet, je ne m’étendrai pas sur le sujet, faute d’avoir pratiqué un seul de ces titres ou d’avoir reçu la moindre information à son sujet. Il est cependant fort probable que je m’intéresse à Tea for Two à sa sortie puisque le thème me parle particulièrement. Aussi en apprendrez-vous plus dans cette vidéo, bien qu’elle ne soit plus à jour (Jodhpur est au moins entre parenthèses) :
Horrible Guild
Le vendredi matin, j’écrivais dans un SMS : « Si je parviens à mettre la main sur King’s Dilemma à Essen, la journée sera réussie, de quelque manière que se déroule le reste. » Non seulement le reste s’est très bien déroulé, mais la Horrible Guild (ex-Horrible Games) avait prévu une importante quantité de boîtes de son jeu du moment, évitant la pénurie à laquelle d’autres éditeurs ont été confrontés sur d’autres titres très attendus.
Me voici donc avec Alessandro, pour un entretien qui s’annonce d’abord assez court et purement informatif, et qui durera enfin 45 minutes très agréables.
On commence par une présentation assez traditionnelle (et impersonnelle) des nouveautés de l’éditeur de Potion Explosion, Dungeon Fighter et Dragon Castle, Railroad Ink. Dès la mention de King’s Dilemma, je montre ma passion en multipliant les questions. Comme il sera question du jeu de façon très longue bientôt, je ne livre pas toutes les informations ici, mais qu’il vous suffise de savoir qu’il s’agit de la vraie adaptation en jeu de plateau de l’application Reigns (bien plus que le jeu de plateau Reigns en fait) : dans chaque partie, les joueurs incarnent la génération suivante d’une même famille, avec les mêmes objectifs familiaux mais de nouveaux objectifs personnels, tout en gardant un certain équilibre entre les caractéristiques affichées au centre du plateau, influence, richesse, moral, prospérité et connaissance.
On est alors confronté à des situations parfois délicates, parfois éprouvantes moralement, sur lesquelles on vote collectivement pour la décision à prendre (« Aye ! » ou « Nay ! »), celle-ci ayant un impact sur les caractéristiques du Royaume. Or à chaque fois qu’une caractéristique monte, un indice de stabilité monte aussi, et inversement. Or si la stabilité est au plus haut ou au plus bas, la partie s’achève immédiatement, de sorte qu’elle peut durer 10 minutes au lieu des 45 prévues. Il faut donc tenter de maintenir un certain équilibre de stabilité tout en luttant pour ses objectifs personnels et familiaux (pas toujours compatibles), qui influent naturellement sur nos décisions politiques… sachant qu’on reste tenté de prendre les décisions plaisant le mieux à notre personne plutôt qu’à notre personnalité.
Et tout cela dans un jeu legacy, où nos décisions ouvrent et ferment des embranchements (il y a ainsi une douzaine d’enveloppes de situations… que l’on n’ouvrira jamais), imposent de cocher des cases sur notre paravent individuel, de coller des autocollants sur le plateau central. À une époque où l’on essaye de concevoir des jeux évolutifs offrant cependant une rejouabilité (Betrayal Legacy, Dawn of Peacemakers, Arkeis), une dimension kleenex aussi forte dans un jeu à plus de 60 euros est regrettable, même s’il promet une quinzaine d’heures de jeu… Je ne pouvais cependant pas passer à côté tant cette quinzaine d’heures semble captivante, dynamique, accessible et incroyablement immersive, sans recourir à quatre manuels de 50 pages ou 300 figurines à déplacer, juste en prenant des décisions politiques, dans une conciliation astucieuse de Reigns et Fog of Love (qui ressemblait déjà beaucoup à Reigns). Sans aucun doute le jeu qui m’a le plus fait vibrer sur ce salon d’Essen !
L’autre gros jeu de Horrible Guild, c’est Alone, une proposition asymétrique très originale où un joueur incarne un héros échoué dans un lieu inconnu et dangereux, un plateau dont il ne perçoit que les obstacles, monstres ou coffres que fait apparaître sa lampe-torche, tandis que tous les autres sont des esprits démoniaques, connaissant parfaitement les lieux, et complotant contre lui. Comme le héros est puissant, il faut qu’ils coordonnent leurs pièges, s’ils parlent trop clairement, leur proie les entendra et pourra les déjouer… Pour le peu que j’en ai vu, la tension d’être épié par des forces riant dans l’ombre est vraiment là.
Sur une touche bien plus légère, Horrible Guild compte beaucoup sur la campagne de financement participatif de Unicorn Fever, un remake light du jeu de paris hippiques Horse Fever (dont on célèbre aussi les 10 ans), plus fluide… et beaucoup plus fun dans ses sensations comme dans son parti-pris graphique particulièrement irrésistible ! Si la campagne est achevée, il est encore possible de profiter de ses avantages avec le late pledge ici.
J’ai été beaucoup moins convaincu par le Vendetta de Charlie Cleaveland (le développeur du jeu vidéo Subnautica) et Bruno Faidutti (justement l’auteur du jeu de société Reigns !), dans l’univers de Vampire: The Masquerade. Probablement parce que le prototype était à un stade relativement peu avancé et que j’ai trop besoin d’un bon aperçu matériel, ou au moins de réaliser plusieurs parties, pour me rendre compte du potentiel d’un jeu de lutte d’influence à base de cartes…
Heureusement, Alessandro a tenu à me faire essayer Similo, le deuxième et seul autre jeu que j’ai pratiqué à Essen, un petit titre sans prétention et très familial à base de 30 cartes. Décliné pour l’instant en deux thèmes, Fables et History (auxquels Myths s’ajoutera bientôt), il s’agit pour un joueur de faire deviner sa carte parmi 12 placées devant les autres (en fait plutôt l’autre, il n’y a pas grand intérêt à jouer à plus de deux) en posant des cartes de sa main dont il peut seulement dire si elles sont similaires ou différentes de sa carte, sans dire en quoi (époque, sexe apparent, couleur de cheveux, moustache, orientation du visage ou du regard, air méchant, même histoire, arrière-plan…).
Après la première carte ainsi posée, l’autre joueur doit ôter l’une des 12 cartes ; après la deuxième, il doit en enlever deux, et ainsi de suite, jusqu’à trouver la bonne. De façon assez amusante et curieuse, c’est exactement le principe de One Key… dont l’illustrateur est également Naïade ! Alessandro m’assure cependant que l’idée de Simulo est bien antérieure, et qu’aucune influence ne s’est exercée dans un sens ou dans l’autre. À mon départ, il a tenu à m’offrir les deux petits decks, que je présenterai donc très bientôt sur Vonguru !
Ankama, pour bien mettre fin à mon Essen
Il était d’abord prévu qu’à la fin de mon entretien avec Alessandro je me promène un peu dans les allées d’Essen, suite à l’annulation de mon rendez-vous avec Pandasaurus, qui venait de perdre le directeur commercial avec lequel je devais discuter. Souffrant de ne pouvoir parler de Machi Koro Legacy ou Dinosaur Island, je voulais tout de même rencontrer un autre éditeur, mais je me doutais bien que leurs emplois du temps étaient déjà pleins… Juste au cas où, je m’étais permis un petit mail à Éloi d’Ankama le jeudi pour lui proposer mes rares disponibilités du vendredi, et il avait réussi dans un temps aussi limité à me décrocher un entretien avec Geoffrey Wood, qui allait merveilleusement conclure mes deux jours à Essen.
C’est que le stand d’Ankama à Essen arborait une ambitieuse décoration égyptienne pour mettre en valeur la campagne KickStarter d’Arkeis, qui doit débuter… dans trois jours ! J’étais donc curieux d’en apprendre plus à son sujet, d’autant que les titres du studio (notamment Monster Slaughter et Tales of Glory mais aussi les Krosmaster Quest ou Draftosaurus) m’attirent depuis assez longtemps sans que je n’ai jamais trouvé l’occasion d’en présenter un autre que le très sympathique Welkin.
Et je ne soupçonnais pas à quel point Arkeis allait correspondre à ce que j’aime, en termes d’univers (comme beaucoup d’enfants j’ai été captivé par l’Égypte antique), de mécaniques (du legacy !) et même de difficulté, plutôt du familial +, en tout cas si joliment thématisé que les actions en semblent assez naturelles. Il s’agit plus exactement d’un dungeon-crawler coopératif legacy, où l’on incarne des explorateurs dans l’Égypte des années 1920-1930. Grâce à un ingénieux système de dévoilement et de construction, on dévoile généralement les lieux au fur et à mesure que l’on progresse en utilisant (à la IceCool) des boîtes comme espaces tridimensionnels où évoluer.
La dimension legacy tient notamment dans le sac à dos personnel où l’on place son équipement et ses blessures d’une partie sur l’autre (quelle idée si simple et si bonne !), à l’arbre de compétences que l’on développe et à divers autocollants. On appréciera grandement le fait que les éléments réellement altérables soient volontairement concentrés dans un court manuel, qu’il est donc très aisé de photocopier si l’on ne souhaite rien faire d’irréversible ! Au pire, un kit de reset sera proposé à 8 euros. C’est qu’on est même assez encouragé à rejouer pour tenter d’autres parcours. Si l’on peut incarner jusqu’à six personnages (pour 1 à 4/5 joueurs), il sera d’ailleurs possible d’en changer entre deux scénarios, et donc même d’arriver dans une équipe en pleine campagne sans avoir fait les missions précédentes. Une possibilité intéressante, dont il faudra voir ce qu’elle coûte en terme d’immersion, et dont on retiendra pour l’instant surtout la permission pour un joueur constant de changer d’avatar et donc d’arbre de compétence, éventuellement pour mieux s’adapter à l’histoire à venir.
Et bien sûr, l’histoire, ses rencontres, ses objets, sont rapportés sur plusieurs centaines de cartes, dans une quarantaine de figurines, pour une vingtaine d’heures de jeu. Autant d’éléments encore un peu flous parce qu’Arkeis proposera évidemment de nombreux stretch goals, qui pourront largement grossir les premiers chiffres annoncés pour chacun de ces éléments. Vous noterez qu’une quarantaine de figurines, c’est juste assez pour en faire admirer la finesse et la capacité immersive sans virer au kiloplastique – je possède par exemple le premier acte de Middara, qui est vraiment effrayant du point de vue matériel.
On est ainsi plus proche d’un Dawn of Peacemakers ou d’un Time of Legends: Destinies dans la volonté de privilégier la narration, et donc les mécaniques propres à faire vivre des histoires individuellement courtes, plutôt qu’une surabondance ridicule de pièces propre à gonfler artificiellement le tarif. On me parle d’une boîte de base à 90 euros, avec un all-in à un peu plus de 120, mais je crois bien que je vais consacrer une brève très bientôt à la campagne quand elle aura été lancée (et que j’aurai donc plus d’informations et de confirmations à ce que j’ai cru comprendre) tant le projet me semble vraiment excitant !
Il faut dire que l’équipe derrière le projet est très prometteuse, puisqu’il s’agit de la Team Kaedama (Théo Rivière, Antoine Bauza, Corentin Lebrat, Ludovic Maublanc, d’ailleurs présents à Essen), dont aucun des célèbres membres n’a jamais fait de legacy. Cela pourrait effrayer… ou au contraire inspirer confiance, l’attitude que j’aurais personnellement tendance à adopter, me disant qu’ils donneront leur meilleur pour s’attaquer à un projet auquel Ankama tient énormément.
Ces derniers mois, l’éditeur a été très prolifique en titres très différents de ses univers habituels, entre Welkin, Les Trésors de Cibola, Les Ombres de Macao, Poisons… Sa petite équipe de cinq personnes fera moins de retail l’an prochain, se consacrant notamment aux 2 KS annuels… et peut-être à davantage de projets ludo-narratifs, exploitant enfin (comme les Lucky Duck Games) leur compétence dans le développement des jeux vidéo pour améliorer leurs expériences socio-ludiques ? L’avenir s’annonce radieux pour celui que l’on pourra de moins en moins considérer comme le simple producteur de produits dérivés de l’Ankamaverse !
Pour achever de vous convaincre sur l’intérêt d’Arkeis, une interview de l’adorable Théo Rivière :