Accueil Lifestyle Culture Geek Les Charlatans de Belcastel, les Sorcières s’en mêlent, et la formidable idée...

Les Charlatans de Belcastel, les Sorcières s’en mêlent, et la formidable idée du bag-building

Les Charlatans de Belcastel, les Sorcières s’en mêlent, et la formidable idée du bag-building

 

J’avais premièrement intitulé cet article « Charlatans de Belcastel et les Sorcières s’emmêlent, le meilleur jeu de 2018 ? », m’autorisant ce titre cheap au possible parce que Die Quacksalber von Quedlinburg (que l’éditeur Schmidt a bien fait de traduire en Charlatans de Belcastel) a obtenu en 2018 le Kennerspiel des Jahres, c’est-à-dire le prix du meilleur jeu expert de 2018. Ou plutôt, parce qu’il faudrait encore traduire, le prix du meilleur jeu « familial + » parmi les jeux de société publiés en Allemagne dans l’année précédant la remise du prix. S’il était si important de traduire encore et encore, c’est qu’il s’avère souvent que le Spiel des Jahres (prix du meilleur jeu) est remis à des jeux d’ambiance, impressionnants d’accessibilité mais pouvant justement décevoir par leur manque d’élaboration, de sorte que les connaisseurs aiment mieux observer le Kennerspiel, y compris pour des jeux accessibles d’ailleurs, du moment qu’ils comprennent une part de tactique (WingspanExitIsle of Skye7 Wonders…).

J’aurais aussi pu intituler cet article « Spiel des Jahres 2018, mais qui est Wolfgang Warsch ? », parce que cet auteur allemand à peu près inconnu avant la liste des nominés était cité pas moins de trois fois, pour trois jeux différents… sur une liste de seulement six finalistes, trois pour le Spiel des Jahres et trois pour le Kennerspiel. S’il n’a pas remporté le Spiel avec The Mind (qui n’en avait pas besoin), remis à Azul, sa victoire des Charlatans de Belcastel réalisait l’exploit d’être remportée contre son Très futé (dont on disait ici le plus grand bien).

Deux titres qui permettaient des introductions propres à susciter la curiosité sur ce titre me semblait-il. Et puis je me suis figuré que je pouvais quand même faire ces introductions à la manière d’une prétérition, avant d’évoquer les raisons pour lesquelles j’ai préféré celui que vous avez sous les yeux. Je ne sais pas d’ailleurs si Les Charlatans de Belcastel a inventé le bag-buildingClank! par exemple proposait un fonctionnement similaire mais pour une action annexe ; il est en tout cas évident qu’il en a fait un mécanisme assez central et stimulant pour susciter (et mériter) l’attention.

Comme le deckbuilding (Clank!La Vallée des marchandsAeon’s EndVikings gone wild…), le dice-building (Dice Forge) ou le card-building (Custom Heroes), le bag-building consiste à donner à tous les joueurs un élément identique (en l’occurrence un sac), en l’invitant à l’améliorer et à le personnaliser au cours de la partie. Et l’idée fonctionne très bien thématiquement avec Les Charlatans de Belcastel puisqu’on y incarne des concocteurs de potions, puisant leurs ingrédients dans leur besace, ce que Dennis Lohausen illustre tout à fait joliment.

Disponible pour seulement 35 eurosLes Charlatans de Belcastel s’adresse à 2 à 4 charlatans de dix ans et plus pour des parties d’environ 45 minutes. Comme vous l’aurez compris au titre, il sera également question ici de son extension Les Sorcières s’en mêlent (joli jeu de mots pour traduire le plus plat Die Kräuterhexen), qui pour 20 euros ajoute un cinquième joueur et bien sûr plusieurs nouveautés.

 

Charlatans de Belcastel

Le joli atelier du charlatan

L’ouverture de la boîte des Charlatans de Belcastel peut laisser croire qu’on a été trompé sur la marchandise, qu’il ne s’agit pas d’un jeu accessible pour les 10 ans et plus mais au moins d’un 12+, tant les éléments sont pléthoriques et variés. La première mise en place pourra ainsi sembler un peu plus longue que ce que l’on aurait attendu dans cette catégorie… mais aussi bien plus plaisante par l’extraordinaire soin matériel apporté au jeu et un effort réellement impressionnant de lisibilité qui vous permettra de réaliser les mises en place suivantes sans même vous référer aux règles et bien plus rapidement !

On pose d’abord au centre de la table le modeste plateau de score, qui comporte également un joli compte-tours en lampes à huile. Sur la première lampe, on place logiquement le jeton compte-tour jaune en forme de flammèche. Quatre emplacements sont réservés aux quatre tuiles Sceau, un de la couleur de chaque joueur, avec le 0 face visible (et donc le 50 face cachée). Vous aurez assurément compris qu’on retourne le sceau d’un joueur pour marquer qu’il a dépassé les 50 points. S’il aurait évidemment été bien curieux de ne pas inclure cette pièce, il ne serait pas réellement curieux de ne pas l’utiliser, de ne pas encombrer la mise en place par quelque chose d’aussi anodin, comme si vous ne saviez pas, en arrivant sur la case 10, si vous avez 10 points ou 60.

Les charlatans posent leur marqueur de points sur le sceau 0. On pourra alors trouver un peu dommage que l’une de ces couleurs soit la même que celle de la flamme compte-tours, une solution plus élégante aurait pu être trouvée, enfin la forme, l’épaisseur et même la plus grande clarté de ce marqueur empêchent toute confusion avec les pièces propres au joueur jaune.

À proximité du plateau, on place le dé, la réserve de rubis (rouges, transparents et taillés en forme de pierres brutes), la pile de cartes divinatoires et les 216 jetons Ingrédient. Les règles demandent d’en distinguer les blancs des autres couleurs, puis de faire trois piles selon leur valeur (1, 2 ou 4). J’utilisais personnellement un grand Dice Friend où je mélangeais tout et n’ai pas peiné une seule seconde pendant la partie à trouver le jeton désiré, alors que je gagnais un temps considérable à la mise en place puis lors du rangement final en ne les triant pas. On y ajoute à disposition des joueurs la tuile Livre d’ingrédients noir et la tuile Livre d’ingrédients orange, sur la face correspondant au nombre de joueurs (2 ou 3/4). On y ajoute les livres vert, bleu et rouge, mais on a pour chacun le choix entre deux tuiles, donc quatre faces. Pour une première partie, on n’évoquera que le set 1 (la face indiquée par la présence d’un marque-page).

Les charlatans reçoivent enfin leur chaudron, un grand plateau individuel dont la forme suit heureusement celle d’un étal sur lequel serait effectivement posé un chaudron, chaudron dans lequel baignerait une cuillère. Sur l’étal, un grand dessous-de-verre, où il place la tuile Bouteille de sa couleur. Dans la petite coupelle, son jeton Rat. Sur la bourse de rubis, 1 seul rubis pour l’instant. Et au cœur de la marmite, qui est une piste en spirale, une goutte sur le 0.

Bag-building oblige, il est alors temps pour chaque charlatan de prendre son sac noir, où il place un jeton Ingrédient vert (araignée) de niveau 1, une citrouille (jeton orange) de niveau 1, quatre claque-doigt (blanc) de niveau 1, deux de niveau 2 et un de niveau 3. Ces proportions sont rappelées sur le plateau individuel.

Comme on le voit, chaque élément a sa place, et tous ont des usages, des formes et des couleurs si distinctes qu’il est impossible de se tromper dans leur disposition. Quand on a compris ce qui devait être rangé où et les étapes auxquelles il était moins nécessaire de consacrer un temps inutile, la phase de mise en place devient même une partie de plaisir, tant il est stimulant de préparer sa table de travail pour confectionner la meilleure potion avant le bazar de Belcastel. Le jeu brille déjà par son identité et son intuitivité, deux qualités que l’on va retrouver dans ses mécaniques.

Une bonne potion est une potion qui n’explose pas

Une partie des Charlatans de Belcastel se pratique en neuf manches, comme l’indique la flamme.

Au début de chaque manche, un joueur pioche une carte divinatoire qui s’applique à tous, soit rose pour exiger une décision immédiate (la récupération de points de victoire, la dépense de rubis contre des ingrédients…), soit bleue pour préciser une altération des règles jusqu’à la fin de la manche.

Les charlatans piochent ensuite un par un des ingrédients dans leur sac pour les poser dans leur chaudron. S’il s’agit d’un ingrédient de niveau 1, il sera placé juste à côté de la goutte ou du dernier ingrédient posé dans le chaudron ; s’il affiche un niveau 2, il sera placé à deux cases du dernier jeton ; s’il représente un 4, à quatre cases de distance. Après chaque jeton tiré et posé, le charlatan décide s’il souhaite en piocher un autre ou non, sachant que tout jeton tiré doit obligatoirement être posé.

On peut alors procéder de différentes façons, faire piocher les joueurs les uns après les autres, toujours un jeton à la fois, afin que l’on puisse éventuellement se décider en fonction du choix du joueur précédent ; tous piocher un jeton simultanément ; ou piocher anarchiquement. Les trois options ont leurs avantages, même s’il est probable que vous privilégierez vite la pioche anarchique, qui permet de jouer sans temps mort en espérant que personne ne profitera de la confusion pour regarder dans son sac et piocher un ingrédient plus arrangeant ou y replacer un ingrédient dérangeant.

C’est qu’il ne faut en effet pas dépasser strictement un total de 7 claques-doigts (par exemple le jeton blanc de niveau 4, un jeton de niveau 2 et deux jetons de niveau 1) sous peine de faire exploser son chaudron, ce qui empêche bien sûr de poursuivre la décoction. On a donc affaire à un jeu de stop-ou-encore, où l’on sait très bien ce qu’il reste dans son sac et où l’on mesure exactement les risques encourus. Après tout, on n’a guère que neuf jetons au début de la partie, et on en ajoutera par la suite que sciemment.

Si la pioche du claque-doigt de niveau 4 représente un risque majeur, on peut aussi la considérer comme une chance quand elle arrive au tout début, puisqu’on sait mieux à quoi s’en tenir pour les pioches suivantes. Bref la tactique peut réellement évoluer en fonction de ce que l’on a posé, de ce que l’on sait du contenu de son sac, et peut-être de l’avancement de ses adversaires, un charlatan très avancé pouvant aisément motiver ses concurrents à prendre des risques pour le dépasser.

Si l’on a pioché et posé un jeton bleu, on peut aussitôt piocher 1/2/4 ingrédients (selon qu’il soit de niveau 1, 2 ou 4) et le poser également ou le remettre dans le sac.

Si l’on a pioché et posé un jeton rouge, on l’avance aussitôt d’une case s’il y avait déjà dans le chaudron une ou deux citrouilles, et de deux cases s’il y en avait davantage.

À tout moment, à condition de ne pas avoir totalisé 8 claques-doigts, on peut vider sa bouteille dans la potion (et retourner la tuile correspondante sur sa face vide) pour remettre dans le sac le dernier jeton pioché.

Quand tous les joueurs ont renoncé à piocher davantage de pions ou ne peuvent plus le faire parce que leur chaudron aurait explosé, on passe à l’analyse des potions, dont toutes les étapes sont clairement indiquées sur le plateau commun.

Les charlatans les plus avancés sur le chaudron lancent le dé. Selon la face obtenue, ils pourront recevoir immédiatement 1 ou 2 points de victoire (PV), un rubis, une citrouille de niveau 1 à ajouter à leur sac ou la possibilité d’avancer définitivement leur goutte d’une case, ce qui permettra de commencer plus loin lors de la manche suivante.

Puis on regarde si les joueurs ont posé des ingrédients noirs ou verts.

Si l’on a joué plus de Sphinx tête de mort (jetons noirs) que son adversaire, on obtient un rubis et la possibilité d’avancer la goutte d’une case. Si l’on a joué autant de Sphinx tête de mort qu’un adversaire, on avance seulement la goutte d’une case.

Si l’on a joué une araignée en dernière ou avant-dernière position dans le chaudron, on reçoit un rubis.

Puis tous les joueurs ayant posé un ingrédient sur une bulle juste avant une case représentant un rubis en gagnent un.

Cette case se trouvant juste après le dernier jeton posé représente toujours deux valeurs, un petit parchemin et un nombre dans la bulle.

Les joueurs gagnent autant de points de victoire que la valeur dans le parchemin.

Puis ils gagnent autant d’argent que la valeur de la bulle, mais cet argent doit être dépensé immédiatement pour acheter un ou deux jetons de couleurs différentes et les mettre dans leur sac, après quoi il sera perdu. Un jeton vert de niveau 1 coûte par exemple 4 points, de niveau 2 8 points, de niveau 4 14 points. L’araignée aura pourtant toujours le même pouvoir, mais le jeton permettra d’avancer bien plus, et donc potentiellement (s’il est pioché) d’obtenir plus d’argent et de PV aux tours suivants. Le crâne de corbeau) coûte 5/10/19 points pour un jeton bleu de niveau 1/2/4, le prix plus élevé s’expliquant par le double-avantage d’avancer plus et d’un pouvoir plus puissant. Les citrouilles n’existent qu’au niveau 1 et ne coûtent que 3 points, afin de toujours laisser la possibilité d’acheter un jeton.

Un charlatan dont le chaudron aurait explosé devrait cependant choisir entre les points de victoire et l’argent servant à acheter de nouveaux jetons.

On le voit, Warsch a imaginé une intéressante dynamique où l’explosion du chaudron est évidemment pénalisante, mais pas bêtement punitive, afin que cela reste un risque acceptable au lieu de n’être qu’une peur paralysante emprisonnant les joueurs dans des actions sûres et peu spectaculaires. De même, le système d’acquisition des ingrédients est très habile puisque l’on améliore définitivement son sac en réalisant des choix difficiles (pour 12, vaut-il mieux un Sphinx, une araignée de niveau 2, deux crânes de niveau 1 ?), personnels (puisque dépendant de son score et de sa tactique) sans être confronté à un choix trop important.

À la fin de la manche, les joueurs peuvent dépenser deux rubis pour avancer leur goutte d’une case, et réitérer l’opération tant qu’ils possèdent des rubis, et dépenser deux rubis pour remplir leur bouteille. On replace alors tous les ingrédients du chaudron dans son sac et on déplace la flamme compte-tours vers la lampe à huile suivante.

À partir de la deuxième manche, on ajoutera un livre jaune (qui permet de remettre le dernier jeton blanc du chaudron dans son sac si l’on pose un jeton jaune – une racine de mandragore – juste après), et on utilisera les rats. Sur la piste de score, on voit en effet que les joueurs peuvent être séparés par des queues de rat. Chacun prend alors son jeton Rat et le place dans son chaudron à une distance égale avec la goutte au nombre de queues séparant son marqueur de score de celui du premier joueur. Encore une fois, c’est très astucieux. Sans cela, il suffisait de faire exploser une fois son chaudron face à un adversaire vraiment plus prudent, ou d’un évident manque de chance lors d’une pioche pour que l’écart ne fasse que se creuser. Grâce aux rats, un joueur au score plus bas bénéficiera d’un avantage évident face aux joueurs avec un score plus bas, puisqu’il posera ses ingrédients à partir du rat au lieu de les poser à partir de la goutte.

À partir de la troisième manche, on ajoutera le livre rose, proposant d’acheter bien cher (9 points) des souffle du fantôme de niveau 1 uniquement. Un souffle du fantôme dans un chaudron octroie cependant 1 PV, deux octroient 1 PV et 1 rubis, trois ou plus octroient 2 PV et la possibilité d’avancer la goutte d’une case.

Et évidemment, l’addition du livre jaune et du livre rose sont précisées sous la lampe à huile de la deuxième et de la troisième manche afin qu’il soit impossible de les oublier, de même qu’un jeton de claque-doigt de niveau 1 est représenté sous la sixième lampe pour rappeler son addition aux sacs à ce moment de la partie. C’est qu’à ce stade les charlatans disposent d’ingrédients si puissants et de tant de manières de contourner les claque-doigts (avec les crânes de corbeau et les racines de mandragore) qu’il est évidemment intéressant d’injecter un peu plus de tension à leur jeu.

À la fin de la neuvième manche, les joueurs peuvent échanger cinq points ou deux rubis contre 1 PV autant de fois qu’ils le souhaitent, ce dont il serait évidemment ridicule de ne pas profiter puisque ces monnaies ne serviront plus à rien.

Le charlatan possédant le plus de PV (le plus loin sur la piste) remporte alors la partie, et si deux joueurs sont à égalité, celui qui a le plus rempli son chaudron lors du dernier tour aura fait la meilleure journée à la foire de Belcastel.

 

 

Plus de 2000 combinaisons possibles ?

C’est en tout cas ce qu’affirme le dos de la boîte… et il semblerait bien que ce soit tout à fait exact ! Comme on s’en doute, on peut altérer plus ou moins profondément les règles, mais chacune de ces 2000 combinaisons redistribue assez bien les enjeux pour être ressentie comme très différente des autres, même avec une modification mineure. De quoi renouveler complètement et facilement les parties, quitter le petit confort de la même stratégie à base des mêmes ingrédients pour se replonger à chaque fois dans une expérience différente où il faudra apprendre à réévaluer l’importance de chaque élément.

Les Charlatans de Belcastel propose d’abord une véritable variante, utilisant le dos des chaudrons individuels. En plus des habituelles dessous-de-plat, coupelle et sac, on y voit en effet une rangée de fioles.

Au début de la partie, on pose une goutte sur la première fiole en plus d’en poser une au centre de son chaudron. À chaque fois qu’une carte Divination, le dé ou l’échange de deux rubis nous permet d’avancer une goutte, on a le choix de la goutte à mouvoir. Sur la rangée de fioles, ce déplacement octroie immédiatement le bonus indiqué sur la fiole d’arrivée, un rubis, des PV, des ingrédients à ajouter gratuitement dans le sac.

La variante est sympathique… mais je ne suis pas certain de la trouver intéressante en ce qu’il me paraîtra toujours beaucoup plus profitable pour les PV comme pour les ingrédients d’avancer la goutte centrale et d’aller toujours plus loin, plutôt que de se contenter d’un bonus qui peut paraître assez dérisoire en comparaison. Ce n’est pas tout à fait vrai, puisque Warsch a évidemment bien pris garde d’équilibrer le jeu, afin que la progression ne soit pas trop spectaculaire et injuste (ainsi trois à quatre cases d’affilée rapportent le même nombre de PV, deux cases d’affilée rapportent toujours le même nombre de points…), pourtant c’est l’impression que l’on peut avoir en constatant qu’on avance sur une piste parallèle pendant que ses adversaires semblent avancer bien plus nettement sur la piste principale du chaudron.

Ce qui rend Les Charlatans de Belcastel aussi prodigieusement modulable, ce sont les livres d’ingrédients. En décrivant leurs effets, on n’a en effet parlé que du premier set, c’est-à-dire de la face de chaque livre portant un marque-page. Or si l’on excepte le livre orange et le livre noir, tous les livres se déclinent en quatre sets, avec quatre distincts, et il est bien sûr tout à fait possible de tous les conserver au premier set sauf un pour lequel on préférerait le troisième, de tirer tout à fait aléatoirement les faces, d’appliquer le même set pour toutes… Le nombre de combinaisons est ainsi vertigineux, plus de 1000, qui font donc 2000 quand on les ajoute à la possibilité de moduler les livres la variante des éprouvettes.

Ces pouvoirs ne sont pas seulement une version améliorée, un peu plus technique, du pouvoir de base, ils sont radicalement différents, au point qu’une couleur sur laquelle on aurait fait l’impasse une partie paraisse absolument indispensable à la suivante. On se souvient que les crânes de corbeau permettaient de piocher des jetons et d’en poser un ou de tous les replacer dans le sac. Dans le deuxième set, ils permettent de gagner des points de victoire et de pouvoir faire des achats si le chaudron explose juste après avoir posé un jeton bleu, ou deux jetons après un jeton bleu, ou quatre jetons avec un jeton bleu, selon son niveau ! Dans le troisième set (où les jetons bleus sont moins coûteux), poser un jeton bleu sur une case avec un rubis en rapporte immédiatement un. Enfin, dans le quatrième set, poser un crâne de corbeau sur une case Rubis rapporte immédiatement 1/2/4 PV selon le niveau du jeton. On voit à quel point les parties peuvent être dissemblables en ne modifiant la face que d’un livre !

 

 

Les sorcières s’en mêlent… ou s’emmêlent ?

Comme toujours avec un jeu parfaitement rejouable et parvenant si bien à garder l’équilibre entre accessibilité et tacticité, on peut redouter l’arrivée d’une extension. On imagine bien que Les Charlatans de Belcastel puisse devenir encore plus modulable avec encore plus de sets, mais on ne jouera déjà jamais 2000 fois au même jeu, alors assez pour profiter de toute sa variété…  A contrario, on ne s’attendait pas nécessairement à ce que le jeu de base soit si efficace et si varié, de sorte que l’on peut tenter de faire confiance à Wolfgang Warsch pour nous convaincre de l’intérêt d’y ajouter quelques règles avec Les Charlatans de Belcastel – Les Sorcières s’en mêlent !

Cette extension commence par ajouter un cinquième joueur, ce qui représente déjà de nombreux éléments supplémentaires. Après tout, le jeu a le charme de se pratiquer simultanément, de sorte qu’y jouer plus nombreux n’est pas un problème tant que l’on tient autour d’une même table avec une bonne visibilité sur les livres et sur les chaudrons des autres.

Un nouveau livre citrouille remplace l’ancien, sans lui donner le moindre pouvoir, mais avec la possibilité d’acquérir une citrouille de valeur 6 pour 22 points.

Pour chaque livre, Les Sorcières s’en mêlent ajoute deux sets. Par exemple pour les crânes de corbeau, au cinquième se »t, on gagne 1/2/4 PV si l’on pose son jeton bleu de niveau 1/2/4 en ayant déjà au moins 1/2/4 citrouilles dans le chaudron. Au sixième set, on regarde le dernier/les deux derniers/les quatre derniers jetons posés avant le jeton bleu de niveau 1/2/4. Pour chaque jeton blanc de niveau 1 parmi ces jetons, on gagne immédiatement un rubis.

Comme on pouvait l’imaginer, un nouvel ingrédient est ajouté, le chou des fous. Au cinquième set, sa valeur est égale à celle du jeton Rat plus 1, véritable champignon d’or pour aider le dernier joueur à peu de frais (le jeton ne coûte que 8 points) tandis qu’il n’est d’aucune utilité au premier. Au sixième set, il coûte dix points et duplique la couleur et le pouvoir du dernier jeton non-blanc placé. S’il est le premier jeton posé, il s’agit simplement d’un jeton neutre de niveau 1. On regrettera juste que les règles ne précisent pas du tout la mise en place du chou des fous, dont on supposera donc qu’on le met à disposition dès le début de la partie avec les livres noir, orange, bleu, rouge et vert, une omission curieuse.

Au début de la partie, tous les charlatans reçoivent une pièce Sorcière de chaque couleur (doré, cuivré, argenté). On pioche alors trois tuiles Sorcière au hasard, une pour chaque sorcière différente, chacune se déclinant en quatre pouvoirs. Quand cela lui paraît opportun, un joueur peut défausser définitivement une pièce pour faire appel à la sorcière correspondante.

Ne prenons l’exemple que de la sorcière requérant la pièce argentée. Sur l’une de ses faces, elle permet d’utiliser la bouteille après l’explosion du chaudron. Sur une autre, elle permet de piocher six jetons, de poser ceux que l’on veut dans l’ordre de son choix et de remettre les autres dans le sac. Sur une troisième, elle permet de remettre dans le sac le dernier jeton blanc de son chaudron ou les deux derniers jetons blancs, à condition qu’il n’ait pas encore explosé. Sur la dernière, elle annule tous les malus consécutifs à une explosion, permettant de lancer le dé, de gagner des PV et d’acheter des jetons.

Comme on pouvait s’y attendre après avoir admiré Les Charlatans de Belcastel, Wolfgang Warsch parvient à concevoir chaque face de sorte qu’elle ait un effet radicalement différent, parfois beaucoup plus puissant sur une face que sur une autre d’ailleurs, ce qui n’est pas gênant puisque tous les joueurs peuvent en bénéficier. Alors qu’un auteur plus paresseux aurait fait de chaque face ou de chaque sorcière une légère variation des autres (le même pouvoir dans une autre couleur), le tirage volontaire ou aléatoire des faces remodèle complètement sa manière de percevoir les ingrédients, l’importance des cases du chaudron et même les explosions !

Enfin, si un joueur pose un jeton sur la dernière bulle du chaudron, il n’est pas obligé de s’arrêter mais pourra poser ses jetons suivants sur la coupelle que l’on pose contre le chaudron. Notons que cette apposition est le seul défaut matériel du jeu, les contours étant manifestement découpés de façon à ce que ces éléments s’emboîtent, alors que le résultat manque évidemment d’élégance. Difficile de le reprocher cependant, quand on songe qu’un autre jeu n’aurait proposé que des plateaux et des tuiles rectangulaires afin que la question ne se pose même pas, quand Schmidt a du moins essayé quelque chose qui aurait pu s’avérer du meilleur effet. Les jetons posés dans la coupelle n’ont plus aucun effet, à l’exception des blancs qui peuvent toujours faire exploser le chaudron. Lors du décompte des points, on additionne la valeur de tous les jetons de la coupelle, on divise le résultat par deux et on gagne autant de PV.

S’il va de soi que le chou des fous et les sets 5 et 6 des livres peuvent être joués avec les règles du jeu de base Les Charlatans de Belcastel, la coupelle paraît surtout intéressante si l’on applique les sorcières et le nouveau livre de citrouilles, qui permettent bien entendu d’aller plus loin plus aisément, au point que plusieurs joueurs pourraient arriver à la fin du chaudron et être frustrés de s’arrêter là alors qu’ils auraient pu continuer et tenter de devancer leurs concurrents, un cas de figure bien plus rare sans l’extension.

 

Les Charlatans de Belcastel, bonne affaire ou arnaque ?

Les Charlatans de Belcastel est-il le meilleur jeu de 2018 ? C’est bien sûr impossible à affirmer en toute objectivité, parce que la concurrence était exceptionnellement rude (il suffit de voir mes articles de l’année passée pour le constater) et parce que les goûts divergent naturellement et heureusement d’un ludiste à l’autre. Cependant, je comprends qu’un jury ait pu lui attribuer ce titre de « Meilleur jeu expert de l’année » (même s’il est tout à fait accessible et familial), et que par-delà les préférences personnelles, il n’ait pas suscité les habituelles polémiques.

Il excelle en effet dans tout ce qu’il essaye, le matériel innombrable mais intuitif et très bien thématisé, le plaisir de la manipulation physique lié au système de bag-building, un traitement adroit de la chance, limitée par la personnalisation de son sac et la connaissance qu’on en a, l’appel à la mémoire et à l’évaluation des risques, la très amusante tension qui naît de la crainte de l’explosion, l’encouragement à s’améliorer et à aller toujours un peu plus loin, la tentative de toujours laisser leur chance aux joueurs à la traîne, la fluidité des parties dont les tours se pratiquent simultanément, les 2000 combinaisons possibles du seul jeu de base qui ne sont pas aussi gadget qu’on pourrait naturellement le croire en lisant ce chiffre…

Un titre aussi équilibré et nerveux, accessible et pourtant technique, extrêmement varié, n’appelait pas d’extension. Les Sorcières s’en mêlent n’est de fait pas nécessaire, mais s’avère beaucoup plus plaisant et fidèle à l’esprit du jeu de base qu’on pouvait le redouter. Les additions en sont modestes et profondes, apportant exactement ce que l’on aimait tant dans la modularité des Charlatans de Belcastel, des données initiales modifiant profondément notre rapport au jeu, rendant complètement caduques les stratégies mises au point lors des parties précédentes, nous redonnant constamment le plaisir de redécouvrir comment le pratiquer alors même que les principes en sont les mêmes.

 

 

 

 

AUCUN COMMENTAIRE

Quitter la version mobile