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Opération Archéo – le jeu de société pour apprendre l’archéologie !

Opération archéo

Opération Archéo – le jeu de société pour apprendre l’archéologie !

 

Il est de plus en plus fréquent, dans la communauté socioludique, de s’interroger sur le serious game. C’est que, comme dans tout art de divertissement en cours de maturation, le jeu de société affirme de plus en plus et de mieux en mieux sa capacité et sa volonté à parler du monde réel et à exercer une influence sur ceux qui le pratiquent. Dès lors les produits issus de cette réflexion posent les mêmes questions que la littérature à thèse ou le serious game vidéoludique : existe-t-il une limite au-delà dans laquelle on n’est plus dans le jeu ? De même qu’un roman à thèse ou une bande dessinée didactique doivent aussi (et surtout) être un bon roman et une bonne bande dessinée, un serious board game doit s’efforcer d’apporter quelque chose en termes ludiques en plus de ses ambitions réflexives, et mener ces deux combats de front. On avait vu avec quelle finesse Eric R. Reuss parvenait avec Spirit Island à livrer un jeu exceptionnel en même temps que puissamment anti-colonialiste. Dans un genre différent, Opération Archéo se présente comme une véritable initiation aux bases de l’archéologie, conçue par un archéologue, Mathieu Baiget, et éditée par Ludiconcept, la maison qu’il a lui-même fondée. Dans l’idée, le projet est passionnant. Dans les faits, a-t-on bien affaire à une véritable oeuvre ludique, mêlant astucieusement règles rigoureuses, plaisir de jeu et didactisme ?

Opération Archéo est vendu 45 euros, un prix qui pourrait légitimement sembler élevé, s’il ne payait pas son développement et sa fabrication en France exclusivement, le genre de démarches qu’il est évidemment indispensable de soutenir ! Il peut se pratiquer en solitaire ou en coopération jusqu’à six joueurs (idéalement trois ou quatre), « de 9 à 8000 ans » et pour des parties d’une demi-heure ou une heure et demie selon que vous choisissiez de vous lancer dans une partie longue ou une partie flash.

Opération archéo

Le célèbre site de Trifouilly-les-Oies

Serious game oblige, le thème d’Opération Archéo est particulièrement bien trouvé, à la fois modeste, ancré dans le réel et stimulant : un centre commercial va être construit sur les champs de Trifouilly-les-Oies et les joueurs incarnent des archéologues missionnés pour un diagnostic archéologique, c’est-à-dire pour déterminer si le terrain ne recèle pas de sites historiques que cette construction menacerait. On appréciera ainsi grandement cette dimension à la fois terriblement triviale et excitante, qui nous met dans la peau de personnes faisant simplement leur métier, sans aucune certitude de trouver quoi que ce soit, mais devant agir vite face à l’adversité des imprévus météorologiques et humains.

Notons alors que Mathieu Baiget a conçu un excellent manuel d’archéologie de 100 pages disponible en ligne grâce au code disponible dans le livret de règles, qui résume en 20 pages remarquablement synthétiques l’archéologie et ses enjeux en répondant aux questions plus ou moins naïves du quidam, y ajoute une longue chronologie, un descriptif des objets et des sites auxquels on pourrait être confronté dans Opération Archéo, et une dizaine de pages de bibliographie. Une addition passionnante de passionné, qui favorisera à coup sûr l’immersion des joueurs… et pourrait même faire naître des vocations.

Opération Archéo commence par s’adapter aux désirs et contraintes des joueurs en se déclinant dans plusieurs modes. On commence ainsi par déterminer si on souhaite appliquer la règle famille ou la règle experte, qui est celle que nous présenterons ici puisqu’elle est évidemment plus complète et satisfaisante, tout en restant accessible. Puis on détermine la longueur de la partie, 30 minutes (avec la moitié du plateau et un seul site) ou 90 minutes (avec l’intégralité du plateau et trois sites appartenant à deux périodes différentes). Enfin on détermine sa difficulté, le niveau facile, parfait pour les premières parties, le niveau difficile, imposant plus de méthode et de déductions (notamment parce que les sites peuvent se chevaucher, sortir de la zone de fouille, changer de taille, ou que des vestiges peuvent être isolés et tromper les archéologues), et un niveau extrême à réserver au moment où vous aurez compris toutes les finesses du jeu et où vous vous sentirez prêt à vous mettre dans la peau d’un véritable archéologue.

Enfin on choisit un scénarioOpération Archéo est en effet un « jeu kleenex », puisqu’un scénario représente une disposition unique des sites, et qu’une fois cette disposition connue, vous n’aurez plus aucun intérêt à refaire le scénario. Il va cependant de soi qu’après quelques parties et quelques semaines vous aurez bien vite oublié les précédentes, de sorte qu’on n’épuise pas Opération Archéo comme on épuise Unlock! ou un jeu legacy ! Avec dix scénarios flash, douze scénarios longs et quatre scénarios spéciaux, tous disponibles sur le site du jeu, vous aurez en outre de quoi faire… avant de vous procurer l’extension avec ses douze nouveaux scénarios ! Et si vous n’en avez toujours pas assez, à ce niveau vous maîtriserez si bien la logique du jeu que vous serez en mesure d’élaborer vos propres scénarios pour les faire jouer aux autres.

C’est qu’il faut bien qu’une instance connaisse l’emplacement exact des sites et des objets pour dire aux archéologues si leurs fouilles aboutissent ou non. On a donc le choix entre un joueur humain, dit Gentil Organisateur, qui imprimera l’un des scénarios en ligne pour guides ses compagnons et ne jouera pas lui-même (et il faut effectivement être vraiment dévoué pour accepter cette tâche), et une application web, donc utilisable depuis n’importe quel téléphone, tablette ou ordinateur sans installation (pratique). Vous l’aurez compris, j’ai préféré la deuxième option, en utilisant un ordinateur dont l’écran était reproduit sur le mur grâce à un projecteur, afin que les résultats en soient lisibles par tous, ce qui participait à mon avis à la sensation d’être une équipe partageant la même mission.

 

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On place enfin le plateau sur la table, et les cartes Événement sur l’emplacement qui leur est dédié. Leur nombre dépend de la durée de la partie et du nombre d’archéologues, qui n’est pas nécessairement le même que le nombre de joueurs : seul, on en contrôle en effet trois, et deux chacun à deux joueurs, tandis qu’à partir de trois enfin chacun n’a/n’est qu’un archéologue. À proximité du plateau, les jetons de fouille, les deux dés, le pion Pelle mécanique (sauf en version famille où ce pion n’est pas utilisé) et les cartes Objet.

Enfin, les joueurs prennent les fiches correspondant à leurs archéologues, fiches qui les représentent, donnent leur nom, leur métier, un attribut, un profil, et servent d’aide de jeu très complète. En version expert, ils les assortissent de cartes Capacité, faisant le lien entre l’attribut de l’archéologue (débrouillard, dure à cuire, vieux de la vieille…) et des capacités. Comme le veut heureusement notre époque, le jeu s’efforce de respecter une certaine représentativité, avec trois hommes et trois femmes et une personne non-blanche, à laquelle on pourrait ajouter deux personnes dont le teint tire plutôt vers le jaune voire le jade, si l’on ne soupçonnait pas plutôt un problème de tablette graphique. Il est peut-être seulement dommage que sur la couverture du jeu, tous aient exactement la même peau rose, de sorte que Youssef en a soit été éliminé, soit s’est retrouvé « blanchi » et présenté de dos quand les cinq autres archéologues prennent la pose et sont bien montrés de face.

Toujours est-il que les joueurs finissent par prendre également une fiche de sites, qui rappelle les formes que peuvent prendre les sites et de quelle époque ils peuvent relever.

Alors qu’on pourrait redouter une mise en place assez fastidieuse sur un thème pareil et en voyant que le livret de règles la découpe en 14 étapes, on se rend compte qu’il ne faut guère que quelques minutes : l’application web se lance toute seule, on ne pose rien d’autre sur le plateau que les cartes Événement, à part la détermination de leur nombre on réalise les mêmes étapes exactement à chaque partie, bref Opération Archéo parvient à donner l’impression d’une certaine richesse mécanique tout en promettant une relative intuitivité !

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La fouille, minutieuse, incertaine et palpitante

Une partie d’Opération Archéo se divise en deux phases, elles-mêmes constituées de plusieurs tours.

Pendant la phase de fouille, au début de chaque tour, un joueur lance un dé pour déterminer la météo du tour, ce qui produit les effets indiqués sur le plateau, affectant les lancers de dé suivants. Nuageux permet par exemple de lancer deux dés et de garder le meilleur quand orage impose de garder le plus mauvais.

Puis on dévoile une carte Événement, plus ou moins favorable, de la Découverte exceptionnelle au Pillage. On appréciera déjà que le dos des cartes rappelle qu’on les tire juste après avoir lancé le dé de météo, il est toujours bienvenu de profiter d’un espace inutile pour renforcer la familiarité avec le jeu et dispenser de la consultation des règles. En outre, la plupart de ces cartes proposent un choix entre deux options, généralement une qui fait perdre un tour à un joueur en échange du retournement sur la face visible de toutes les cartes Capacité, et une qui n’en fait pas perdre mais retourne ces cartes sur leur face inactive, exigeant donc à nouveau de remplir leur condition d’activation pour en profiter.

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On décide alors tous ensemble sur quelle case vide on déplace le pion Pelle mécanique.

 

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Et chaque archéologue utilise enfin un outil à tour de rôle.

S’il recourt à la pelle mécanique, il lance un dé. Avec 1, il commet une erreur, qui transforme une case voisine en case marron (on pose alors un jeton marron), sans que l’on sache si cette case recelait quelque chose ou non. Avec 2, 3, 4, 5 ou 6, il peut creuser respectivement 1, 2, 3, 3 ou quatre cases, à condition qu’elles soient reliées orthogonalement ou diagonalement. Il peut également sauter une case sans la creuser en échange d’un déplacement. On entre au fur et à mesure les cases creusées dans l’application (ou on les soumet au Gentil Organisateur), qui indique si on a trouvé un vestige (on place alors un jeton gris sur la case, un tas de cailloux, une petite tache ou une grande tache) ou non (on utilise un jeton marron). Une fois l’action achevée, on pose la pelle mécanique sur une case vide à côté de la dernière case creusée, afin qu’elle ne la recouvre pas.

S’il recourt à la pioche, ça doit être sur une suite de cases grises consécutives (même en diagonale), où la pelle mécanique a donc déjà mis à jour des vestiges. Avec 1, il fait une erreur. Avec 2, 3, 4, 5, il peut fouiller deux cases, avec 6, trois cases. L’application précise à chaque fois si on remplace un jeton gris par un jeton jaune, c’est-à-dire par un mur, un fossé, un trou de poteau, une jonction de mur, un angle de mur, un seul, un sol, un angle de fossé, une fosse, un gros trou de poteau ou une sépulture. Cela donnera déjà un bon indice sur la proximité d’un site, mais ne permettra pas de trouver des objets, la pioche n’étant pas un outil assez minutieux.

S’il recourt à la truelle, ce sera également sur case grise. Avec 1, il fait une erreur. Avec 2, 3, 4, 5 et 6, il trouve les objets indiqués par l’application, leur nombre dépendant à la fois du résultat du dé et du vestige fouillé, puisqu’une grande tâche peut en comporter bien plus qu’un tas de cailloux. Avec ces objets, il pourra dater le vestige. En outre, le jeton gris est remplacé par un jeton jaune.

S’il recourt à la spatule, ce sera toujours sur une case grise. Avec 1, il fait une erreur. Avec 2, 3, 4, 5 ou 6, l’application indique quelle est la période du vestige, et permet donc de prendre un ou deux (en cas de 6) objets de cette période au choix. Au risque bien sûr qu’en fouillant un vestige avec une truelle on tombe plus tard sur le même objet, un doublon n’apportant aucun avantage. Le jeton gris n’est pas remplacé par un jeton jaune, puisque la fouille partielle permise par la spatule n’a pas permis d’en exhumer tous les trésors possibles.

On pourrait protester contre l’omniprésence du dé, un instrument ludique généralement rejeté parce que son arbitraire ne serait plus conciliable avec les exigences du jeu de société moderne. Outre qu’il reflète ici la difficulté et l’incertitude des fouilles, il permet de ressentir l’influence des intempéries, et s’avère régulable par les capacités des différents archéologues. Mélanie est par exemple imperméable en permanence au gel, aux averses et à l’orage, quand Anaïs peut bénéficier au choix d’un bonus de 2 au dé ou d’un outil supplémentaire avant de retourner sa carte sur sa face cachée. Une jolie manière de faire sentir que chaque archéologue apporte sa propre personnalité à son travail, tout en ajoutant une forte dose de rejouabilité et une couche tactique bienvenue. Pour tourner une carte sur sa face visible, il faut d’ailleurs réaliser un 1 ou un 2 au cours d’une fouille, c’est-à-dire que l’inconvénient lié au mauvais lancer du dé est compensé par le bonus ainsi octroyé.

Quand un joueur a utilisé un outil, c’est au joueur suivant d’utiliser le sien. On comprend pourquoi je recommande plutôt le jeu à trois ou quatre : d’une part chacun a son archéologue, ce qui est tout de même plus immersif, d’autre part on peut aisément se sentir impliqué dans les découvertes des autres, quand à cinq ou six on risque de laisser flotter son attention le temps que son tour revienne.

 

Opération archéo

 

Une fois tous les événements piochés, on passe à la phase d’étude, qui est une phase stimulante de discussion et de déduction. On notera qu’elle arrive très vite : à quatre archéologues en partie longue, on ne joue ainsi que huit tours. Naturellement, il est alors impossible d’avoir découvert l’ensemble des sites, mais ce n’est pas important, le tout est de comprendre ce qu’on a trouvé. En partie longue, on remporte la partie si on accomplit trois des cinq objectifs de toute fouille archéologique, avec la possibilité d’une victoire totale avec la complétion (difficile) des cinq.

Premier objectif, identifier les trois sites : s’agit-il d’un château-fort, d’une église paroissiale avec son cimetière, d’un nemeton gaulois, d’un fanum gallo-romain, d’un aqueduc, d’une maison en pierres, d’une maison en bois, d’un verger, d’une maison collective, d’une route ou d’un cimetière ? Deuxième objectif, il faut définir la période de ces trois sites grâce aux objets qui y ont été trouvés, Moyen Âge central, Antiquité, Âge du fer ou Néolithique ancien. Troisième objectif, déduire l’emplacement des quatre angles de chacun des trois sites (en se souvenant que selon la difficulté choisie ils peuvent se chevaucher, sortir du plateau…). Quatrième objectif, compléter quatre familles de trois objets (même époque, même type), par exemple trois pièces de vaisselle antiques (l’assiette sigillée, le bol en terra nigra, l’estampille). Cinquième objectif, compléter six familles d’objets, sachant qu’il y en a trois par époque.

En partie flash, il faut remplir les quatre objectifs : identifier le site, définir sa période, le délimiter, compléter deux familles d’objets.

On note ses réponses sur une feuille, et on soumet le résultat au Gentil Organisateur ou on le compare avec celui de l’application pour vérifier si l’on a bien gagné.

 

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Opération Archéo : immersion réussie ?

Opération Archéo me rappelle beaucoup Minuit, Meurtre en Mer : ils sont en effet tous deux dus à un auteur/éditeur fabricant en France un jeu de société mêlant fouille méthodique de lieux, influence d’événements concernant tous les joueurs, scénarios uniques, déduction et hasard des dés, hasard d’ailleurs utilisé intelligemment comme facteur thématique d’incertitude, avec des manières de le réguler pour ne pas en ressentir trop durement le désuet arbitraire. S’il était utile de le préciser, la comparaison se fait à leur avantage à tous deux, tant il y a dans leurs propositions ludiques un classicisme qui en permet l’appréhension rapide par un public très large, expert ou au contraire étranger au monde merveilleux du jeu de société, en même temps qu’une fraîcheur, une maturité mécanique qui ne peut manquer de remporter l’adhésion.

Dans le cas d’Opération archéo, cette fraîcheur vient bien sûr également d’un thème original, parfaitement bien renseigné puisque l’auteur est lui-même archéologue, et parfaitement bien transformé en jeu. C’est en effet en jouant que l’on saisit petit à petit certains enjeux de ce métier, aussi bien par les actions que l’on réalise avec différents objets, par les différents types de trouvailles, que par des détails aussi anodins que le parcours professionnel de nos personnages, possédant par exemple des diplômes différents alors qu’ils sont tous aujourd’hui techniciens de fouille. Mathieu Baiget a eu en outre l’excellente idée d’adjoindre au jeu un complément didactique limpide et synthétique sous la forme d’un manuel que ses possesseurs peuvent télécharger gratuitement, et qui appartient pleinement à l’expérience proposée.

Par ailleurs, Ludiconcept propose un certain nombre de prestations autour d’Opération archéo, comme la possibilité pour un musée de faire concevoir des cartes autour des objets de sa collection, ou pour une collectivité de faire réaliser un scénario (voire une campagne), un nouveau plateau, pour mettre en valeur des sites locaux, une initiative qu’il est difficile de ne pas trouver passionnante, et qui a déjà donné lieu à quelques scénarios spéciaux disponibles en ligne !

 

Cuistot Fury

Enfin, l’éditeur ne s’est pas arrêté à Opération archéo, d’abord parce qu’il en a prolongé l’expérience avec une extension, ensuite parce qu’il fera paraître en septembre son nouveau jeu, Cuistot Fury, après la réussite de sa campagne Ulule. Dans l’idée cela évoque évidemment Kitchen Rush (d’ailleurs en test bientôt sur VonGuru avec son extension), mais je ne doute pas que l’on puisse faire confiance à Mathieu Baiget et à son équipe pour fournir quelque chose d’intéressant et d’original !

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