Accueil Lifestyle Culture Geek U-Boot : une simulation sous-marine profondément immersive et ludique ?

U-Boot : une simulation sous-marine profondément immersive et ludique ?

U-Boot : une simulation sous-marine profondément immersive et ludique ?

 

Il y a quelques semaines, j’offrais Mr. Wolf et Ma Première Aventure : En quête du dragon à la petite fille d’un oncle, avec lequel la conversation s’est logiquement vite portée sur l’industrie du jeu de société. Comme beaucoup, il ignorait son évolution spectaculaire de ces dix dernières années, et étais très étonné d’apprendre qu’on en produisait autant, y compris de très exigeants, quand il gardait l’image des très familiaux MonopolyCluedo et Scrabble. Or j’avais justement dans mon sac les règles du jeu U-Boot d’Artur Salwarowski et Bartosz Pluta, qui exercèrent sur lui la fascination attendue. Imaginez vous arrêter au Trivial Pursuit et découvrir des décennies plus tard un manuel de 50 pages assez denses prétendant émuler l’expérience du VII-C, l’un des plus redoutables sous-marins de la Kriegsmarine pendant la Seconde Guerre mondiale, celui qui sert d’ailleurs de cadre au film Das Boot de Wolfgang Petersen. On prendra cependant bien garde de ne jamais mentionner le mot « nazi », vous ne faites que combattre pour un camp contre un autre dans un jeu de guerre très loin d’être conventionnel, puisque proposant une expérience de gestion, de navigation et de combat étonnamment riche et réaliste.

Il faut dire que U-Boot est remarquablement localisé par Asyncron (Hannibal & Hamilcar, Mare Nostrum), qui s’est assuré de livrer une traduction très claire du manuel de règles et du guide tactique, ce qui en rendra naturellement l’appréhension plus agréable. Il se joue avec une application compagnon (disponible gratuitement sur Android, iOS ou Steam), évidemment indispensable pour transformer cette expérience coopérative en véritable guerre scénarisée contre le jeu.

Comme on peut s’en douter, il ne sera pas question de détailler ici les règles d’U-Boot, seulement d’en faire comprendre quelques aspects du fonctionnement, afin que vous puissiez vous faire un avis sur cette proposition ludique, et admettre que conquis ou non, elle est unique et fait du bien à l’image du jeu de société.

U-Boot est jouable de un à quatre, mais toujours pour exercer quatre rôles, de sorte qu’on privilégiera naturellement les parties avec le maximum de joueurs. Ce n’est pas seulement une question de connaissance du jeu, l’expérience m’en semble meilleure quand on y ajoute la coopération de quatre joueurs complémentaires et spécialisés. Disponible pour 80 euros (et croyez-moi, c’est étonnamment peu), il vous occupera pendant des missions d’une durée dépendant énormément de la mission choisie, de vos coéquipiers et de votre aisance dans votre fonction, en tout cas jamais moins d’une heure. Mais n’est-ce pas la moindre des choses pour vous lancer dans la découverte d’un jeu inoubliable ?

 

U-Boot Asyncron

Une expérience matériellement complète et écrasante

Sans surprise, U-Boot est issu d’un KickStarter au succès imposant : 686.652 livres sterling, soit presque 800.000 euros, données par 8342 contributeurs, pour un jeu de simulation de sous-marin allemand, on peut dire que c’était loin d’être évident ! C’est que passer par le financement participatif était indispensable pour éditer le matériel pléthorique contenu dans la boîte du jeu. Et on est bien loin des produits livrés avec des centaines de figurines et donc chers et lourds du fait de leur seul attrait esthétique, finalement moins pratique en jeu que des meeples : dans U-Boot, tout sert, et chaque centime est entièrement justifié par la variété et la lisibilité du contenu ! Je confesserais tout de même avoir été ravi que les backers reçoivent gratuitement le tapis de jeu en latex de 95 centimètres par 37, sinon vendu 29 euros si seulement il est disponible, qui facilite légèrement la mise en place et ajoute un petit quelque chose à l’immersion puisque le sous-marin est placé sur un large plateau bleu sombre – qui, une fois plié, rentre parfaitement dans la boîte.

C’est que le sommet matériel d’U-Boot est naturellement sa maquette tridimensionnelle de sous-marin, reconstitution fidèle à l’échelle 1/72, qui servira réellement de plateau de jeu après avoir été monté. Sans trop de difficultés, il faut le dire, la page du KickStarter et les règles montrant assez bien comment construire la bête. Le sous-marin est divisé en huit sections, la salle des torpilles avant, le quartier des officiers, le poste de commandement, les quartiers de l’épique, la salle des machines, la salle des torpilles arrière & soute des batteries, le pont avant et le kiosque. Chaque section permet des actions spécifiques, précisées sur le playmat ou des cartes section : dans la salle des torpilles arrière on a accès aux actions rechargement des tubes, inondation ou lancement des tubes et machines, dans le kiosque aux actions navigation, observation et canon 20 mm. Selon les sections et les spécialisations des marins, il sera également possible de recourir à l’action périscope, communication à l’équipage, conjugateur de tir, canon 88 mm, préparation des repas, hydrophone, Enigma, premiers soins, réparation, réservoir de ballast et timonerie. De quoi assez bien reproduire la variété des actions à reproduire au cours des missions sous-marines militaires !

Parce que la vie en U-Boot n’est pas un long fleuve tranquille, de nombreuses cartes viennent apporter les péripéties dont, généralement, on se passerait bien : les cartes événement (de la dysenterie à la partie de skat, en passant par la citronnade et l’anniversaire du commandant), influant généralement sur la santé et le moral de l’équipage, les cartes moral justement (du doigt cassé à la mutinerie ou la paranoïa) et les cartes blessure (de l’électrisation légère à l’intoxication grave). Ces cartes s’accompagnent de jetons divers pour représenter les provisions, les blessures, la fatigue, voire la mort, et plus « agréablement » les cigarettes que les marins peuvent monter fumer quand le sous-marin est à la surface.

Le sous-marin va naturellement rencontrer des bâtiments au cours de son périple, rendus visibles grâce à des marqueurs à poser sur la carte tactique (U-Boot, cargo, escorte, petit bâtiment, contact, convoi). En plus des nombreuses pièces cette fois spécifiques aux différents rôles !

 

Le commandant, le second, le navigateur et le chef mécanicien

On commence naturellement une partie en attribuant les différents rôles aux joueurs. Chacun récupère alors sa tuile équipage dans sa couleur, son plateau joueur, son aide de jeu et ses quatre figurines marin, les socles indiquant par leur forme et leur couleur à quel rôle et joueur elles correspondent : blanc pour le commandant, bleu pour le second, vert pour le navigateur, marron pour le chef mécanicien ; et comme on peut le voir sur les tuiles équipage, la figurine au socle rond est le torpilleur quand le socle est blanc, le timonier en bleu, l’observateur en vert et le mécanicien en marron. Naturellement, chacun de ses membres d’équipage a son couple de spécialités. Les règles sont heureusement très bien faites, chaque mention de l’un des quatre rôles étant surlignée dans sa couleur afin de permettre plus facilement le repérage par un joueur cherchant des informations sur sa manière de jouer.

Chaque rôle dispose également d’un matériel spécifique. Le commandant a ainsi à sa disposition des cartes pour aider l’équipage (par une harangue, un blâme, une tournée de bières…), deux pions ordre pour payer le coût des ordres, un sac en tissu plein de jetons équipage (représentant les socles des figurines) où il doit piocher quand quelque chose arrive à un membre au hasard et un carnet de bord pour noter les informations les plus importantes de la mission.

Le second détient les jetons fourniture médicale et premier soin, la table d’identification permettant de reconnaître à leur silhouette les bâtiments rencontrés, la table des codes Enigma servant à chiffrer et déchiffrer les messages radio, et c’est lui qui gère l’application, lisible sur un téléphone portable mais évidemment plus agréable à manipuler depuis une tablette voire un écran d’ordinateur. On pourrait trouver intéressant de recourir à un téléviseur grâce au chromecast ou à un projecteur, mais ce serait oublier que les informations n’ont justement pas à être visibles de tous. C’est en effet au second de les consulter et de les partager, et de céder ponctuellement l’application au navigateur, au commandant ou au chef mécanicien dans des conditions très précises. Des compétences en communication sont nécessaires pour partager au mieux les données de l’application, ainsi qu’une relative habitude des supports numériques, la moindre maladresse pouvant coûter beaucoup à toute l’équipe.

 

 

Le navigateur a la dure tâche de déterminer la position et le cap du sous-marin sur les cartes stratégiques (représentant la Mer du nord et l’Atlantique) grâce à la règle graduée, au rapporteur et au crayon (disponible dans la boîte !) et de déterminer la position des navires ennemis sur la carte tactique grâce au disque d’attaque. Inutile de dire qu’il est bon d’avoir une bonne représentation spatiale, ou d’avoir déjà navigué, pour ce rôle ! Le guide tactique fournit heureusement de nombreuses illustrations de manœuvre pour aider le joueur à comprendre la logique d’un déplacement d’U-Boot…

Le mécanicien enfin gère les fournitures et caisses à outils pour résoudre les problèmes marqués par les jetons problème technique et problème d’environnement. En cas de dégâts structurels, il reconstitue le puzzle technique, et doit donc connaître par cœur l’organisation du sous-marin.

Et on oublie encore volontairement quelques menus éléments, certains que l’illustration vous confirmera aussi bien que mille mots la densité de la boîte et donc l’investissement mérité de 80 euros pour un matériel aussi complet ! Mais bien sûr, un jeu, ce n’est pas que du matériel, et même si celui qui est présenté ici traduit déjà l’expérience très complète que propose U-Boot, il ne faudrait pas oublier qu’entre les illustrations et les conseils, tous fournis généreusement, les 50 pages de règles décrivent également… des règles, un système de jeu beaucoup plus carré que ce que l’on pourrait craindre.

 

Les étapes d’une mission

Une fois les deux manuels assimilés par tous les joueurs, une fois le rôle choisi et le matériel mis en place – assez facilement puisque les règles fournissent avec couleurs, astérisques et gras les listes et étapes nécessaires à la préparation, ce qui compense l’absence de thermoformage – il est temps de lancer l’application et de choisir une mission. C’est à ce moment que chaque joueur choisit sa difficulté, une originalité dont on ne saurait dire combien elle est bienvenue pour permettre à chacun de progresser dans un rôle ou d’en essayer d’autres sans pénaliser le reste de l’équipage par son éventuelle inexpérience ! On lit enfin les ultimes instructions, avec les particularités de mise en place propres à chaque scénario, et on peut démarrer.

Pour une première partie, on réalisera évidemment une mission unique, mais avec l’expérience, on se laissera tenter par les missions liées, une succession missions uniques dans un ordre scripté, plus longues et exigeantes, reproduisant donc plus fidèlement l’expérience d’une patrouille de plusieurs semaines. Enfin la campagne consiste dans la succession de toutes les missions du jeu… à condition de ne jamais échouer, et donc d’obtenir à chaque mission un score en Points de Renommée au pire mauvais (au mieux spectaculaire). Dans ces deux modes, l’application sauvegarde la progression entre les missions afin de poursuivre les parties une fois suivante sans tout recommencer.

 

 

L’application comporte huit missions : Entrainement, Première patrouille, Percée, Chasse dans l’Atlantique, Retour à la maison, Dans l’antre du dragon, Soulèvement de la meute et Chasse au gros poisson. Chacune peut évidemment être jouée de multiples fois pour obtenir un meilleur score, découvrir et remplir d’autres objectifs de mission, changer de rôle et de difficulté dans ce rôle, ou simplement survivre. Il ne s’agit pas tant de scénarios kleenex que de modes de jeu avec des spécificités, et il va de soi que la même mission avec la même équipe dans les mêmes rôles et la même difficulté ne donnera elle-même pas plus de sentiment de répétition que lorsqu’on pratique plusieurs fois un jeu de société plus traditionnel !

Une fois la mission démarrée, on ne réalise pas ses actions au tour-par-tour, ou en alternance avec l’IA, mais en temps réel, en fonction des priorités dictées par les événements et l’application, ce qui exige naturellement une excellente coordination pour ne pas se marcher sur les pieds au risque de ne parvenir à rien ! D’où l’importance de choisir un bon commandant, donnant des ordres clairs et tenant compte des tâches de chacun. À vrai dire, on adoptera spontanément une communication « militaire », en élevant la voix, en commençant toute phrase par la fonction du joueur auquel on s’adresse, en parant au plus efficace. « Commandant, permission de réaffecter mon mécanicien à la salle des machines ? » par exemple. On ponctuera par ailleurs ses actions de « Prêt à réparer », « Confirmé », etc., tout simplement parce que se mettre dans la peau des personnages est la meilleure manière de jouer et de gagner.

Un marin exécute des ordres en étant activé, dans une limite de trois activations. Réaliser une action correspondant à sa spécialité requiert une activation, tandis qu’aider un autre joueur dans une spécialité inconnue en requiert deux. Une fois les trois cases activation occupées, il faut attendre le changement de quart (toutes les six heures) pour reposer ses marins et profiter d’un quart frais et dispos.

 

 

Si tout va bien et que rien n’arrive, on peut accélérer l’application pour arriver à la mise à jour suivante, problème dans les machines, pioche d’une carte événement, message du QG… On n’en abusera pas, parce que le temps peut toujours être consacré à des observations, à la vérification de la course, à la préparation au combat, mais il est évidemment très agréable d’arriver immédiatement à la suite quand on sent qu’on est paré, d’autant que l’application revient automatiquement en temps réel dès qu’il arrive quelque chose. Si au contraire tout se bouscule, même en vitesse réelle, il est toujours possible (bien que cela soit moins immersif) de la mettre en pause, une option très bienvenue pour des débutants, ou simplement pour se ménager une vraie pause après un pic d’intensité !

L’application est ainsi riche et vraiment très bien faite, ce qui impressionnera particulièrement dès lors qu’il s’agira d’observer les environs avec les veilleurs, le périscope, le conjugateur, le canon de 88 mm ou le canon de 20 mm. C’est que cette observation, qui dépend naturellement des instruments utilisés et donc de la profondeur du sous-marin, tient compte de l’heure du jour et des éventuelles conditions climatiques. Quand on acquiert des cibles, il faut tenter d’en identifier discrètement les contours afin de juger s’il s’agit de navires inoffensifs ou de bâtiments protégés, voire militaire, et ainsi définir une stratégie d’attaque tout en mettant à jouer la carte tactique. Le second guidera alors le navigateur, tandis que le commandant affectera les marins aux armes qu’il souhaite utiliser (les canons ou les torpilles), après s’être assuré auprès des autres joueurs que tous les éléments avaient été pris en compte pour ne pas risquer une erreur fatidique, le cap, le gisement du contact (sa direction par rapport à la proue), sa route, les munitions, l’état du sous-marin…

 

U-Boot, un argument de plus pour aimer le jeu de société

Je ne suis pas particulièrement sensible au cinéma de sous-marins, jouant souvent sur les mêmes clichés auxquels il est difficile de s’identifier, parce qu’on les a déjà vu mille fois et que la situation dépeinte est radicalement différente de tout ce que nous pouvons connaître. Pourtant, les parties d’U-Boot sont follement immersives, bien entendu parce qu’elles nous placent dans la peau de quatre rôles-clefs d’un sous-marin allemand, mais il fallait une impressionnante connaissance technique et historique du sujet en plus d’une capacité admirable à transformer cette documentation en mécaniques pour que cela fonctionne si bien, aux antipodes du prétexte thématique que l’on aurait pu redouter. Cela exige donc un effort initial important de la part des joueurs, U-Boot ne pouvant s’apprendre au fur et à mesure de la partie. Quatre personnes motivées, choisissant d’emblée leur rôle, et ayant déjà mis en place ce qu’il fallait, pourront cependant apprécier pleinement l’apprentissage des règles s’ils le font ensemble, chacun se concentrant sur ce qu’il doit faire et discutant avec les autres des interactions possibles. Il faut dire que le manuel est remarquablement bien traduit en plus d’être parfaitement organisé, clair et lisible, de même que l’application nécessite naturellement une bonne idée du jeu, mais fait son possible pour que ses nombreuses propositions soient immédiatement compréhensibles et communicables par le second.

C’est que cette répartition des rôles est un véritable point fort d’U-Boot, celui qui fait basculer la simulation du côté du jeu de société. Elle augmente considérablement la rejouabilité, et surtout le plaisir de rejouer, par sa variété mécanique et donc la puissance de coordination, de dialogue et d’organisation qu’elle implique intuitivement. On a constamment besoin les uns des autres, aucun ne peut se détacher du lot et prendre toutes les décisions, comme dans tant de jeux coopératifs, puisqu’il ne sait pas réaliser les tâches de ses coéquipiers et ne dispose pas de leur matériel. Ce sentiment de chacun d’être indispensable à la mécanique générale est naturellement une grande source de motivation, qui peut largement compenser les événements défavorables ou même les défaites, secondaires en comparaison de l’importance de se sentir à sa place et utile, en synergie (même parfois conflictuelle) avec une réelle équipe.

U-Boot fait partie de ces jeux qui me rappellent pourquoi j’aime le jeu de société en réanimant en moi la conscience qu’on n’a jamais tout vu. Comme Unlock!Spirit Island ou Betrayal Legacy, l’expérience qu’il propose est une source d’émerveillement sur le potentiel artistique du medium… même sur un sujet aussi aride et affreux que la tension qui peut habiter des hommes dans un cercueil de fer plongé dans les profondeurs marines, où chaque accident peut les condamner à la pire des mort et à l’oubli !

 

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