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Karuba – course familiale aux reliques ou casse-tête nerveux ?

Karuba – course familiale aux reliques ou casse-tête nerveux ?

 

La semaine dernière, on vous présentait Mountains, nouveau-né des jeux de stratégie familiaux de Haba. C’est que l’éditeur allemand s’est toujours spécialisé dans les jeux pour enfants, au point d’obtenir sept fois le Kinderspiel des Jahres (le plus prestigieux des prix que peut recevoir un jeu de société pour enfants) jusqu’à viser soudain un public plus large… avec Karuba, le jeu du jour. Une initiative d’ailleurs très bien accueillie, puisque Karuba a fait partie des trois jeux en compétition pour le Spiel des Jahres, rien de moins, et n’a perdu que parce que Codenames était une évidence. Il faut dire qu’on doit le jeu à Rüdiger Dorn himself (MontanaMafiozoo-Louis XIV, Istanbul)et qu’en tant qu’éditeur pour enfants, Haba sait quel soin visuel et matériel il faut apporter à ses créations pour conquérir les cœurs… Retour sur l’une des sorties les plus remarquées de 2016, joliment illustrée par Claus Stephan (Kahuna, Lost Cities, Race et Roll for the Galaxy), disponible à 33 euros 95, destinée à 2 à 4 explorateurs de 8 ans et plus, pour des parties de trente à quarante minutes.

 

L’élégante symétrie d’une exploration pas comme les autres

Karuba repose sur un thème classique, l’exploration d’une île homonyme pour y découvrir des trésors avant les autres. Première originalité pourtant, la boîte ne propose que des plateaux individuels, aucun plateau central. On est donc plutôt face à un jeu de rapidité (et même d’efficacité) que de course, l’objectif de chacun étant de trouver le plus de trésors possibles dans « sa jungle », sans entrer en contact avec les aventuriers des autres. Un manque d’interactivité qui pourrait en refroidir plus d’un, surtout dans un jeu familial, mais ce serait oublier qu’on est face à un jeu de Rüdiger Dorn, l’un de ces auteurs allemands qui pour chaque mécanique ont mille idées derrière la tête, comme Feld, Pfister ou Rosenberg. Et en l’occurrence, sa grande idée est d’empêcher que le déroulement de la partie soit perturbé par le hasard de l’interaction.

De fait, Karuba est l’un de ces jeux parfaitement symétriques, comme le récent Scarabya de Bruno Cathala. À tour de rôle, chaque joueur place en effet un aventurier sur l’un des emplacements de plage, puis le temple de la même couleur sur une case de jungle, à au moins trois cases de distance, et les autres joueurs imitent sa configuration. Puis le joueur suivant place un aventurier d’une autre couleur, et ainsi de suite jusqu’à ce que les quatre aventuriers et quatre temples soient disposés de façon identique sur chacun des plateaux personnels.

L’un des joueurs est ensuite nommé chef d’expédition de la partie, une fonction qui ne lui octroie guère le privilège que de mélanger les 36 tuiles jungle de sa couleur et de les empiler face cachée devant son île, tandis que les autres joueurs disposent leurs propres tuiles dans l’ordre croissant (et donc face visible) autour de leur île.

Au début de chaque tour, le chef d’expédition retourne la première tuile de sa pile et en donne le numéro aux autres joueurs, qui cherchent donc une tuile identique parmi celles de leur couleur. Tous réalisent alors simultanément l’une des deux actions possibles.

Soit les joueurs posent leur tuile face visible sur une tuile inoccupée de l’île de leur choix, en plaçant obligatoirement le chiffre dans le sens du joueur (ce qui implique qu’il y a un « bons sens » des tuiles et qu’on ne peut pas les tourner), et avec le droit de créer une impasse, le chemin d’une tuile pouvant déboucher sur la jungle d’une tuile adjacente. Si la tuile comporte de l’or ou des cristaux, on en récupère dans la réserve et on en place autant sur la tuile posée.

Soit les joueurs déplacent l’un de leurs quatre aventuriers.vers le temple de la même couleur de deux, trois ou quatre cases, selon le nombre d’extrémités de chemin apparaissant sur la tuile non utilisée (et il est possible de faire un mouvement moins important). Naturellement, ces cases doivent être occupées par des tuiles vides, la forêt vierge ne pouvant pas être traversée, et les aventuriers ne pouvant se croiser les uns les autres. L’aventurier ne récupère or et cristaux qu’en arrêtant sa phase de déplacement sur une case qui en comporte. Enfin, s’il arrive à un temple, son propriétaire prend le trésor le plus précieux de la couleur de ce temple (par exemple, les temples violets contiennent des trésors valant 2, 3, 4 et 5 points). Comme la partie est simultanée, plusieurs aventuriers peuvent arriver au même temple le même tour, auquel cas ils remportent tous deux la même relique.

Le choix est évidemment douloureux. Un plateau compte 30 cases, ce qui signifie qu‘après la sixième tuile défaussée, il faut déjà accepter l’idée que sa jungle sera trouée. Et c’est alors qu’on doute, qu’on observe le choix de ses rivaux, qu’on voudrait revenir en arrière. C’est ce sentiment qui rend Karuba si agréablement rejouable : on est presque sûr à chaque partie que toutes les tuiles seront utilisées, de sorte que l’on peut rêver assez tôt de celle qui débloquera tout, de la voie royale qui nous mènera tout de suite au trésor, mais même sachant cela, la disposition initiale des aventuriers et temples (décidée collectivement), l’ordre de tirage des tuiles et l’importance d’être le premier à atteindre chaque temple changeront radicalement chaque partie, et inspireront le désir d’une revanche immédiate.

Quand la dernière plaquette de jungle est placée (donc après 36 tours), ou quand les quatre aventuriers d’un joueur ont atteint leur temple, la partie s’achève, et chacun additionne les points de ses trésors, et y ajoute deux points par pépite d’or et un point par cristal – des pièces d’ailleurs très joliment réalisées. Et en cas d’égalité, le nombre de tuiles jungle sur l’île distingue les vainqueurs, celui qui en a exploré la plus grande partie méritant davantage que les autres.

Karuba, entre placement, déplacement, puzzle et course

Tout l’intérêt de ce jeu, auquel décidément Scarabya doit beaucoup, est ainsi de faire mieux que les autres en même temps qu’eux et avec les mêmes pièces et la même configuration de départ, un concept original tout à l’honneur de Dorn, d’autant qu’il s’explique en quelques minutes et que les parties en sont très dynamiques, avec tout le délice des jeux « fatidiques » dont les tours proposent de moins en moins de possibilités. Dans Karuba, pas d’attente ou d’injustice, seulement des joueurs plus adroits que d’autres, ou ayant eu de meilleures intuitions plus tôt dans la partie. Il s’agit assez paradoxalement d’un jeu d’ambiance sans interactivité, où l’on ne peut s’empêcher de glisser un regard sur l’avancement des autres, pas tant pour l’imiter (cela devient assez vite impossible) que pour y comparer jalousement le sien, pour tenter de le prendre soudain de vitesse dans le temple qu’il convoite. Si Karuba était édité aujourd’hui, il serait probablement doté d’un mode solo, mais je trouve intéressant qu’il ne le soit pas, tant il y a de plaisir à dévoiler la pièce que tout le monde va chercher puis à réaliser le casse-tête simultanément, en mobilisant toute son astuce, et en fin de partie à scruter le choix des autres et à les féliciter pour leurs meilleures dispositions. Il n’est pas étonnant qu’une mécanique aussi huilée, égalitaire et efficace, ait immédiatement fait de Karuba un classique familial, parfait emblème de la nouvelle gamme de Haba désireuse de satisfaire non-joueurs, enfants et experts.

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