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Isle of Skye – le meilleur comptable du clan régnera sur l’île !

Isle of Skye – le meilleur comptable du clan régnera sur l’île !

 

Vous n’avez assurément pas oublié l’excellent Patchwork, les très agréables Gingerbread House et Bärenpark, et le fin Caverna, tous ces jeux de l’éditeur allemand Lookout Spiele localisés pour notre plus grand plaisir par Funforge (TokaidoMonumental…). Or le plus grand succès critique de cette gamme est indubitablement Isle of Skye d’Andreas Pelikan et Alexander Pfister (Great Western), illustré par… Klemens Franz, comme les quatre jeux cités. Récompensé par le Kennerspiel des Jahres en 2016, probablement la plus grande récompense du monde ludique pour un jeu un peu techniqueil avait d’ailleurs eu droit récemment à un portage numérique.

L’île de Skye, c’est cette grande île du Nord-Ouest de l’Écosse, mais c’est surtout un prétexte d’ailleurs tout à fait agréable pour coller à un jeu de placement et d’accumulation un thème rural avec une couleur locale, à quoi l’Écosse se prête ma foi assez bien. Dans Isle of Skye2 à 5 chefs de clans de huit ans et plus s’affrontent pendant une petite heure, au bout de laquelle le meilleur gestionnaire de l’île pourra en devenir le roi. Faire prospérer son État et s’adapter aux revirements du marché sont en effet les principales qualités d’un dirigeant (dans un jeu à l’allemande), et comme les autres jeux de sa gamme, Isle of Skye cache bien derrière sa très grande simplicité à quel point il peut s’avérer retors. Mériterez-vous votre trône ? Vous n’aurez qu’à débourser 25 euros pour le déterminer en d’innombrables heures de jeu, et 18 euros de plus si vous y ajoutez l’extension Druides, que Funforge vient de sortir et dont il sera également question dans cet article.

 

Isle of Skye

Une mise en place rapide ?

Une fois n’est pas coutume, on a plaisir à mettre en place un jeu Lookout. Certes cela restait amusant dans Patchwork, mais cette phase était le seul point noir de Bärenpark et Gingerbread House, malgré leurs efforts pour rendre ça ludique (ce qui aurait été plus facile avec un thermoformage, je dis ça…) au point que l’on peine à croire à une installation aussi limpide.

On place le plateau de jeu au centre de la table, sur la face 2-4 joueurs ou sur la face 5 joueurs. Puis on mélange les 16 tuiles score pour en disposer aléatoirement quatre sur les emplacements dédiés. Cela fait très Caverna pour le moment, avec cette douce sensation d’une très grande rejouabilité, les 12 tuiles remisées dans la boîte n’étant plus destinées à sortir de la partie. Pour plus d’abordabilité, Isle of Sky montre même les quatre tuiles à utiliser dans la première partie, et une étape de moins, une !

Le jeton compte-tours est disposé sur la première case de la piste de tours, la réserve de pièces d’or à proximité des joueurs (mais pas trop).

Chaque joueur choisit une couleur, et prend l’écran de jeu, la tuile Château et le marqueur score (sur la case zéro, bien sûr) correspondants, plus une tuile défausse. Posé devant vous, votre château entamera votre royaume (on commence fort en Écosse), qu’il s’agira comme dans Kingdomino d’agrandir avec des tuiles, indépendamment des royaumes des autres (curieux quand on convoite le même territoire, bah, disons que chacun s’entraîne de son côté sur une petite île pour mériter la grande !).

Les tuiles terrain sont mélangées dans le sac en tissu.

Enfin, le joueur le plus jeune prend le jeton Premier joueur et commence la partie, et c’est déjà parti !

Des points, des points, mon Royaume pour des points !

Jeu à l’allemande oblige, la fin de toutes choses, votre objectif ultime et unique, tient dans l’accumulation de points. L’or, le whisky, les moutons, les bateaux, le bétail, les brochs (tours rondes), les fermes, les phares, tout n’a de valeur qu’en tant que cela vaut des points. Il faut donc en avoir plus que les autres en 5 ou 6 tours (respectivement pour 5 et 2-4 joueurs). Et un tour comporte six phases rapides. Comme ses congénères, Isle of Skye casse une certaine image du jeu à l’allemande en se montrant très dynamique, là où son thème plaqué et ses illustrations ternes laissaient craindre le pire, comme si l’on triait les vrais joueurs en ne dévoilant la chaleur authentique de ces jeux qu’à ceux qui parviennent à dépasser leur impression de froideur.

Première phase, chaque joueur perçoit 5 pièces d’or pour son château et une pièce d’or par tuile whisky reliée au château par une route. Puis à partir du troisième tour, chaque joueur reçoit une somme croissante (d’une pièce d’or au troisième tour à quatre pièces d’or au sixième) pour chaque joueur dont le marqueur score est avant le sien. Autrement dit, on donne un coup de pouce à ceux qui sont en train de perdre, phénomène bien connu des joueurs de Mario Kart ou Party, qui les rend soudain redoutables à ceux qui pourtant triomphaient.

Deuxième phase, chaque joueur pioche trois tuiles terrain dans le sac en tissu et les place face visible devant son écran de jeu. Et derrière l’écran, ils attribuent à une tuile terrain la tuile défausse, et aux deux autres un montant de son choix, une pièce d’or au minimum. Il cache ensuite le reste de son or dans sa main et lève l’écran de jeu.

Troisième phase (déjà !) on défausse la tuile terrain que chaque joueur a condamnée en la replaçant dans le sac.

Quatrième phase, les joueurs peuvent acheter une seule tuile terrain à un seul joueur, dans le sens des aiguilles d’une montre. Le joueur souhaitant d’acheter plutôt que de passer donne au vendeur l’argent qu’il avait assigné lors de la deuxième phase à la tuile terrain choisie, et prend la tuile. Le vendeur récupère à la fois la somme assignée et l’argent de l’acheteur. Quand tous les joueurs ont effectué leur achat ou passé, ils prennent les tuiles qu’ils n’ont pas vendues en défaussant l’argent correspondant. La mécanique est d’une élégance parfaite : si l’on veut gagner de l’argent et se débarrasser d’une tuile qui ne nous intéresse pas, il faut veiller à afficher un prix attractif. Mais afficher un prix élevé pour les tuiles qui nous intéressent trahit l’intérêt qu’on leur porte et peut nourrir le désir pervers des autres chefs de clan de nous enquiquiner. Reste alors la possibilité de bluffer, au risque qu’un adversaire nous prenne une bonne tuile pour trois fois rien, ou qu’on se retrouve à payer une fortune pour conserver des tuiles sur-valorisées. Quelle gymnastique mentale pour une poignée de pièces et trois petites tuiles !

Cinquième phase, on pose les tuiles récupérées lors de la quatrième, en respectant des règles de placement élémentaires : la nouvelle tuile doit être adjacente orthogonalement à une autre tuile, les terrains des côtés adjacents doivent être de même type (un lac ne peut pas tout à coup devenir montagne), sauf la route, qui peut être brutalement interrompue pour laisser place à un paysage ne la poursuivant pas. S’il est impossible de poser une tuile, elle est défaussée sans compensation financière.

Sixième phase enfin, on calcule les scores. Comme le montre le plateau de jeu, on ne tient pas compte de toutes les tuiles score pendant tous les tours. Ainsi, de deux à quatre joueurs, seule la tuile de score dans l’emplacement A compte au premier tour, la B au deuxième, les A et C au troisième, les B et D au quatrième, les A C et D au cinquième et les B C et D au dernier. Chaque tuile compte donc trois fois en tout, et ne rapporte rien en dehors de ces trois fois, empêchant les joueurs de se focaliser sur une seule manière de gagner des points. Une tuile rapporte par exemple 5 points au joueur possédant le plus de bateaux, et deux au deuxième, une autre 3 points pour chaque zone d’eau adjacente à un phare et comportant un bateau, une autre encore 3 points pour chaque ligne verticale d’au moins trois tuiles terrain contigües, une dernière 2 points pour chaque zone de montagne complétée.

La complétion d’une zone est établie quand elle est entourée d’autres types de paysages empêchant son extension : un lac fermé de tous côtés par la plaine, un massif montagneux bordé de mers, sont par exemple dits complets. Comme on le voit, les seize tuiles de score parviennent à être très différentes les unes des autres sans que Isle of Skye requière beaucoup d’éléments. Avec très peu, le jeu fait appel à beaucoup de calculs pour se demander par exemple s’il peut être rentable d’acquérir une tuile qui ne sera plus intéressante que pour un décompte au détriment d’une tuile plus faible mais ouvrant le paysage à plus de variété… De même, la valeur d’une tuile portant un parchemin (1 PV par broch, 1 PV par tranche de deux moutons…) est toujours difficile à évaluer, parce que son intérêt évident peut aller contre la stratégie géographique envisagée par le joueur

À la fin de la phase, le joueur ayant commencé le tour passe le marqueur Premier joueur à son voisin de gauche, et celui-ci déplace le compte-tours d’une case (indiquant donc les nouvelles tuiles de score à prendre en compte).

À la fin du dernier tour, les chefs de clan reçoivent des points supplémentaires pour chaque tuile de leur territoire comportant un parchemin, et deux fois plus si ces tuiles se trouvent dans une zone complétée, puis chaque tranche de cinq pièces d’or rapporte 1 point. Le plus riche en points est couronné roi de l’Isle of Skye, et en cas d’égalité, le plus riche en or.

Druides : quand les guides spirituels sont de la partie

L’extension Druides ajoute… des druides à Isle of Skye. Ici nulle cueillette ou magie comme dans Nemeton, mais un soutien essentiellement spirituel à la politique économique du seigneur terrien qui aspire au trône. Druides ajoute naturellement déjà six nouvelles tuiles de score, ainsi que des tuiles 50/100 PV pour rendre plus lisibles les scores auxquels vous pourrez désormais aspirer, mais sa contribution essentielle consiste dans le plateau Dolmen que l’on pose à côte du plateau de jeu. On pioche cinq des nouvelles tuiles Druide pour les placer sur les cinq cases du dolmen.

Après la phase d’achat, on procède à un second tour d’achat autorisant l’acquisition d’une tuile supplémentaire, soit une tuile terrain depuis le sac (on paye cinq pièces, pioche deux tuiles et en défausse une au choix), soit une tuile druide depuis le plateau dolmen. Ces tuiles sont particulièrement chères : chacune porte son prix (entre 0 et 8 pièces) plus un prix correspondant à son emplacement sur le dolmen (entre 0 et 4 or), ce qui ajoute naturellement une jolie part d’aléa et peut suffire à rendre une tuile indispensable une partie et beaucoup moins lors de la suivante. Il est bien entendu possible de ne pas participer à l’une des deux phases d’achat et de cependant participer à l’autre. Chaque tuile achetée provoque le décalage de l’ensemble des tuiles vers la droite et l’addition d’une nouvelle tuile druide. Et à la fin du tour, on ôte la tuile la plus à droite, on les décale toutes à nouveau, et on en remplace une nouvelle sur l’emplacement le plus à gauche.

Si le coût des tuiles druide est si élevé, c’est qu’elles portent presque toutes des parchemins ou des tablettes de pierre. Dans ce cas, on récupère la tablette de pierre correspondante. Les tablettes de pierre octroient un bonus permanent, par exemple la possibilité d’un nouvel achat à un adversaire ou à soi-même (pour empêcher vos adversaires d’acquérir vos tuiles), celle d’acheter une tuile depuis le sac pour trois pièces au lieu de cinq… Et ces tuiles existant en plusieurs exemplaires, leurs effets se cumulent ou offrent d’intéressants (et très économiques) combos.

 

Isle of Skye, un Kennerspiel puissamment familial

Un peu comme les extensions de TokaidoDruides m’apparaît comme une excellente addition intermittente, pour alterner parties sans extensions et parties avec extensions. La boîte de base d’Isle of Skye est d’une telle simplicité qu’il serait dommage d’y renoncer définitivement au profit de la complexification (même parfaitement abordable) de DruidesA contrarioDruides apporte la variété qu’il pourrait manquer à Isle of Skye au bout d’un certain nombre de parties (et nul doute que vous en ferez un certain nombre), avec une plus grande impression de tacticité. Pour l’heure, j’aime encore mieux jouer à Isle of Skye sans Druides parce que j’en suis encore au stade où le jeu de base me paraît plus maîtrisable, quand la salade de points de l’extension me fait jouer sans vraie vue d’ensemble et donc sans vraie stratégie, mais j’ai fini par préférer Queendomino à Kingdomino (tout en jouant toujours aux deux avec un immense plaisir), et ne doute donc pas que le plaisir pris à Druides ira grandissant au fur et à mesure de mes parties.

Isle of Skye est en tout cas un grand jeu, moins séduisant visuellement que Kingdomino bien sûr, mais calculatoire en diable malgré sa simplicité presque enfantine, d’une élégance mécanique qui force l’admiration.

 

 

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