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Glass – meilleure fiction super-héroïque ou nouveau film-suicide ?

Glass – meilleure fiction super-héroïque ou nouveau film-suicide ?

 

Un film rushé et cheap ?

C’est dire une banalité que de rappeler que Glass était l’un des films les plus attendus de ce début d’année 2019. Unbreakable est encore considéré par beaucoup (et j’en suis, comme je le prouverai dans un prochain article) comme le meilleur film super-héroïque jamais réalisé, et Split avait confirmé le retour d’un réalisateur que l’on croyait définitivement perdu après La Jeune Fille de l’eau après son adulation comme « le nouveau Spielberg » (un titre en fait peu rutilant). Leur suite à tous deux dans une ambitieuse conclusion pouvait signer le chef-d’œuvre dont le super-héroïsme a tant besoin ou la rechute de M. Night Shyamalan, jamais aussi loin de la qualité espérée que quand il se sent pousser des ailes.

Split confirmait dans un inattendu caméo final de deux secondes se situer, dix-sept ans après, dans la même continuité qu’Unbreakable. Or Glass est sorti  moins de deux ans après Split, avec une rapidité qui n’a en soi rien d’inquiétant (surtout si, comme le dit Shyamalan, la rencontre entre les trois protagonistes était dit-il prévue depuis le premier film), mais pourrait témoigner d’un désir impérieux de surfer sur une certaine vague. En fait, en sortant de la projection de Glass, on peut admettre à la rigueur que le scénario ait été patiemment mûri, et on comprend surtout les lacunes financières qui ont permis une diffusion aussi rapide.

Unbreakable avait été produit pour 75 millions de dollars par Touchstone (autrement dit, par Disney), à une époque où la somme était colossale pour une réalisation aussi humble – il avait bien fallu les nets succès du Sixième Sens et de Stuart Little pour délier à ce point les bourses. Après l’échec flagrant d’un After Earth à 130 millions, Shyamalan s’était tourné vers Jason Blum pour obtenir un peu d’argent et tenter une approche différente. Blum est en effet le spécialiste du cinéma horrifique fauché pour une rentabilité maximale – Paranormal Activity, The Purge, Insidious, Get out, et même Whiplash, BlacKkKlansman et le dernier Halloween, c’est lui. Filmé pour 5 millions, The Visit en rapporte presque 100 avec un excellent écho critique, presse et public saluant précisément l’économie du projet, et sa focalisation sur une histoire resserrée, sur l’imperceptible, plutôt que sur les grosses ficelles et les acteurs prestigieux. Toujours chez Blumhouse et pour à peine plus cher, Split fait mieux encore, et j’avais été le premier surpris de mon immersion dans le film d’un homme qui ne m’avait pas ému depuis une éternité.

Or Glass se heurte à un écueil que Blum et Shyamalan ont peu rencontré, la conciliation entre un budget très réduit et des acteurs très chers. Je ne doute pas que ses 20 millions aient principalement été investis pour payer Bruce Willis et Samuel L. Jackson, dans une bien moindre mesure James McAvoy, laissant peu de place pour le reste. Ce qui pose problème, puisque ce « reste » doit être, on l’a dit, l’ambitieuse conclusion d’une trilogie, très attendue par la critique et le grand public, le genre de projet qui exige de l’argent. Argent donc l’absence se fait régulièrement sentir, ne serait-ce que dans le projet de réunir aussi peu que possible les trois acteurs sur une même image – ce qui permet de les filmer de façon séparée, et donc sur un nombre de jours réduit. Certains effets spéciaux font également plus cheap que l’intention artistique ne devrait le permettre, dont deux moments impliquant une citerne d’eau.

 

Le super-héroïsme au temps de la zététique

Shyamalan est heureusement un réalisateur astucieux, et trouve souvent de judicieuses manières de transformer la pauvreté en force. Difficile de nier par exemple que le deuxième acte du film (qui en occupe plus de la moitié) en soit le plus consensuellement fort, alors qu’il consiste essentiellement en dialogues dans de petites pièces fermées. On a tellement perdu l’habitude de voir des gens dialoguer dans un film « hollywoodien » (du moins états-unien avec des acteurs hollywoodiens) qu’on admire sans même penser à ce que cela cache. De même, la plupart des combats des super-humains que sont David Dunn et la Bête sont extrêmement anti-spectaculaires, ce qui est pertinent avec ce qu’on nous dit de leurs capacités (exagérées par les auteurs de comics, donc bien moins impressionnantes) et avec le thème principal de Glass, le doute sur leur exceptionnalité qu’une psychiatre tente de susciter chez David, la Horde et Glass. Il fallait leur faire croire que ce qu’ils font d’incroyable reste en fait humain, et cela ne pouvait fonctionner qu’en suscitant le même doute chez le spectateur, donc en le décevant sur son attente d’un souffle épique.

Quand on reprochait à Watchmen son héroïsation d’êtres humains ordinaires (simplement plus névrosés que l’ordinaire), précisément parce que le réalisateur voulait y faire sentir sa patte et le studio son argent, l’une des forces de la trilogie Unbreakable (dite « de l’Eastrail 177 ») est de rendre ordinaire le super-héroïsme, avec des capacités anti-spectaculaires et une cinématographie anti-spectaculaire des capacités. C’est donc trop pertinent avec son projet pour lui être reproché, ce qui n’empêche pas le reproche d’être valable sur certains points du film, à cause du contraste entre ses aspirations évidentes et le résultat transpirant un certain cheap. Il faut dire que l’image elle-même est d’une regrettable fadeur, assez indigne du travail que Mike Gioulakis avait au préalable réalisé sur Split, It follows, Under the Silver Lake (et bientôt sur le très esthétique Us), soit qu’il était réellement moins inspiré, soit que le tournage se soit effectué dans l’urgence, soit qu’il n’ait pas eu sous la main les moyens de faire mieux. Que des murs roses tiennent pratiquement lieu de toute idée, et qu’aucun plan ne fascine même par son intelligence, est en tout cas très décevant pour la suite de films autrement plus brillants visuellement.

 

 

Misères du comics

C’est surtout sur le traitement des comics que Glass m’a déçu. Indépendamment de sa qualité générale, Unbreakable était fascinant dans l’intelligence de son discours sur la bande dessinée super-héroïque, montrée et analysée avec le respect d’un geek passionné par son sujet et cherchant sincèrement à le faire aimer, et répétant pourtant avec une admirable maturité que les comics ne sont pas le monde réel, que ce dernier est plus dur et complexe, même s’ils en proposent une échappatoire et une grille de lecture bienvenues. Or la seule chose qu’une personne ne connaissant pas les comics peut en penser en sortant de Glass est bien « Qu’est-ce que ça a l’air débile ! ».

Ils sont d’abord dans leur ensemble résumés à une structure dramatique élémentaire, stéréotypée et immuable, dont les étapes portent des noms (l’origin story, le team up des vilains, le showdown) peu à même de faire croire à leur variété. Et c’est précisément Elijah Price qui en transmet cette vision grotesque, celui qui en défendait l’intérêt artistique et existentiel avec fermeté et connaissance dans Incassable. On pourra rétorquer que vingt ans d’asile psychiatrique à jouer le catatonique ont altéré sa lucidité et radicalisé ses obsessions, mais il y avait assurément mille façons plus subtiles d’allier sa monomanie à un propos d’ensemble plus intelligent. Surtout quand ces vingt années d’isolement ne l’ont pas empêché de passer de l’état d’individu brillant à celui de génie universel ! Encore une fois on pourra tenter de résoudre l’anomalie en expliquant que dans Unbreakable, Elijah pouvait n’être qu’un personnage intelligent, et qu’il fallait pour Glass en faire un quasi super-vilain… sauf que tomber dans de tels extrêmes contredit jusqu’à la thèse d’Elijah, ainsi que le parti-pris d’une fiction super-héroïque flirtant avec le réel et ses règles…

Les quelques fun facts énumérés çà et là (l’âge éditorial de Superman, son incapacité première à voler) ne sont pas assez intéressants ni enseignés de façon assez intéressante pour favoriser une vision plus positive du médium. Et si l’on peut excuser la division du comics shop en une partie Vilains et une partie Heroes par l’efficacité visuelle de cette facilité (un peu balourde cependant), rien n’explique la laideur infâme des rares publications dont on voit quelques pages. Unbreakable était un film scénarisé et réalisé par un amoureux de comics, Glass n’en parle que parce qu’il s’agit d’une suite, alors que Shyamalan a manifestement perdu tout intérêt pour les super-héros, n’en a pas lu les aventures depuis vingt ans, a même oublié la qualité de ce qu’il pouvait lire alors, et n’a probablement aucun intérêt pour les films Marvel et DC. Il en a le droit bien sûr, mais ne doit pas s’étonner que ce soit dommageable au film, et que cela lui soit donc reproché in fine.

 

 

Un réalisateur déconnecté [spoilers]

Tant que nous y sommes, autorisons-nous un seul paragraphe de spoilers, celui-ci. Pour continuer une lecture sans spoilers, passez directement au paragraphe suivant ! Si Shyamalan ne semble pas s’être intéressé aux super-héros ces vingt dernières années, il ne semble pas beaucoup s’être intéressé à YouTube non plus. Ceux qui ont vu le film auront été marqués par sa dernière scène où le monde découvre médusé les images lui prouvant l’existence des super-héros… sans aucune remise en cause de leur réalité, à une époque où les fake ou les vidéos à effets spéciaux pullulent,  a fortiori quand ces images ne sont pas si spectaculaires, que les actions représentées sont plus scandaleuses par l’assassinat relaté que par des gestes exigeant une certaine force, mais ne relevant pas d’une surréalité si évidente que cela. Il m’aurait paru bien plus intéressant de couper deux minutes plus tôt, quand les trois « héritiers » attendent encore la réaction du public. Les spectateurs seraient restés dans l’incertitude quant au succès de leur plan et de celui de Glass, et le film se serait achevé sur une ambiguïté bienvenue, soulignant de surcroît des débuts de névrose chez les trois personnage, plutôt que sur une conclusion dont la musique et la mise en scène nous font comprendre qu’il faut la lire comme étrangement « positive ». Alors que de nombreuses analyses reprochent à Glass son caractère volontairement frustrant, et en admirent paradoxalement les audaces narratives, je dois dire que je l’ai trouvé assez frontal et satisfaisant – et au fond je doute que ces analystes auraient exprimé la même thèse si le réalisateur n’avait pas été M. Night Shyamalan. [/fin des spoilers]

 

 

Inattendues et grandes qualités d’une déception

Cela ne justifie pas le violent rejet de Glass par les critiques : 42/100 sur Metacritic, 4,9/10 sur Rotten Tomatoes, c’est-à-dire moins que la moyenne sur les deux agrégateurs les plus reconnus du monde anglophone, un score scandaleusement bas et étonnamment différent des scores publics, habituellement plus sévères avec les films jugés « déboussolants », « volontairement frustrants ». C’est assurément que Glass ne l’est pas tant que cela, qu’au contraire même, son histoire se tient très bien, dans sa structure, sa progression, son rythme (jusqu’à une grosse heure de film se déroulant sans réelles péripéties dans les cellules de l’hôpital, et pourtant très prenante), et même ses quelques twists finaux, qui ont l’élégance d’expliquer une grande partie de ce que l’on pouvait d’abord percevoir comme des « incohérences » ou des facilités.  On croit au film parce qu’il parvient à nous faire réagir, et même à nous troubler : à entendre les explications rationnelles de la psychiatre sur les prétendus pouvoirs de David, Kevin et Elijah, on n’est pas si loin de la croire. Pourtant, on a vu les films précédents, on s’est persuadés qu’ils possédaient une composante fantastique, on le « sait », mais un instant, on pourrait croire que c’est réellement la direction que prendra Glass, et cet instant seul a quelque chose de magique.

Si cela fonctionne, c’est bien sûr aussi grâce aux acteurs. Même si Samuel L. Jackson se laisse beaucoup aller, il possède naturellement tant de charisme qu’il conquiert sans grands efforts et sans réel travail d’interprétation. Bruce Willis, pourtant peu connu pour sa profondeur de jeu, est assez fin dans sa retenue (plus que dans l’explicite), où les modestes indices trahissant l’émotion sont les preuves d’un investissement agréable de l’acteur. Sans porter un film reposant bien sur six épaules, James McAvoy en livre la performance la plus prenante, parfois un peu lourde, et soudain extrêmement intense quand il incarne les personnalités les plus mûres de la Horde – je pense surtout à Dennis (que l’on veut juste voir encore et encore) ou Ms. Patricia (forcément sous-exploitée). Même l’identité première de Kevin resplendit de simplicité après le délire des 23 autres.

 

 

Pour un film portant principalement sur Glass, on pourra regretter qu’il en soit la personnalité la moins approfondie, la plus finalement présente certes, pas la plus réfléchie, mais on sait que cette focalisation tient du gimmick : Split était évidemment un film sur la Horde, Unbreakable pouvait être interprété comme un film sur David, au moins pour son titre, restait à intituler le troisième film en hommage au troisième homme – avec la possibilité d’expliquer par mille interprétations que, finalement, le verre est une métaphore dépassant largement le seul personnage de Glass, bref. Il faut ajouter que si Sarah Paulson est de bout en bout très faible en psychiatre, le casting comporte également les trois « seconds rôles » des deux précédents films, un sidekick pour chaque héros, Charlayne Woodard en mère d’Elijah, Spencer Treat Clark en fin de David Dunn, Anya Taylor-Joy en ancienne captive de la Horde. Dans les trois cas, Shyamalan est parvenu à retrouver l’interprète original, conférant au tout une authenticité assez remarquable (on dirait du Linklater), aidé par l’insertion de rushes et d’images d’Unbreakable ! On ne serait pas loin de se demander si, finalement, Glass ne serait pas leur origin story à tous trois plutôt que le showdown des personnages principaux. D’autant que, comme dans toute l’œuvre de Shyamalan pratiquement, la notion de transmission est importante dans Glass, un peu artificielle pour y être réellement centrale, mais importante, et l’interaction entre les membres des trois duos fonctionne étonnamment bien.

Et ce qui élève Glass au-dessus du divertissement très regardable, parfois un peu malicieux, son ultime qualité, c’est la bande-son miraculeuse de West Dylan Thordson. Globalement inférieure à celle de Split par le même compositeur, elle en reprend les accents voire les airs et remanie parfois la musique d’Unbreakable par James Newton Howard. J’étais étonné que Split ne soit nominé à aucun Oscar, et scandalisé que ses compositions n’aient pas été remarquées et sacrées comme il se devait. Pour une fois, cela ne ressemble pas à un pastiche sans saveur de Zimmer ou de Horner, chaque piste a sa personnalité et sublime la scène accompagnée, qu’elle transmette une tension à la limite de l’horrifique ou crée à elle seule un bouleversement émotionnel. On remarque particulièrement cela dans une scène finale où le brutal basculement des tonalités devrait empêcher toute implication, et où en une seconde, le temps de quelques notes, on est malgré tout happé, brisé, j’ai envie de dire embelli tant cette musique fait vibrer profondément.

 

Must-see bourré de défauts ou déception riche de qualités ?

Après la déception Miraï, Glass n’est pas davantage le coup de cœur et le chef-d’œuvre attendu pour démarrer triomphalement l’année 2019. Manquant régulièrement d’adresse, de pertinence et de sincérité, rushé et visuellement cheap, objectivement et nettement inférieur à Unbreakable en tous points, il part cependant de trop haut pour être résumé injustement à l’accident ou l’échec artistique qu’il n’est pas. Malgré tout ce que j’ai à lui reprocher, je ne peux que le recommander et sortais déjà de la séance déçu et paradoxalement certain que je le reverrais avec grand plaisir. Peut-être pour mieux l’apprécier d’ailleurs, comme chaque visionnage d’Unbreakable force plus mon admiration que le précédent ?

 

Excellente réflexion de Georg Rockall-Schmidt sur les intentions de Shyamalan.

 

Et vous, qu’avez-vous pensé de Glass ? En attendiez-vous beaucoup ? Ou pourquoi avez-vous choisi de ne pas aller le voir ? N’hésitez pas à engager le dialogue en commentaire !

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