AuZtralia – il est temps de traquer les Grands Anciens
Cthulhu est partout, et son omniprésence croissante dans le jeu vidéo comme le jeu de société peut légitimement commencer à lasser. Dans cette seule chronique, on a présenté pas moins de cinq œuvres relatives au Mythe de Lovecraft, Les Montagnes hallucinées, l’escape box Cthulhu, l’escape book La Marque de Cthulhu et Shadows over Normandie, mais il en avait aussi été question en profondeur quand Reanoo avait analysé le R’lyehian. Si le phénomène peut lasser, ce n’est cependant pas vraiment par sa présence, plutôt parce que cette présence est souvent une facilité. Le public aime Cthulhu, on met Cthulhu partout, sans vraiment se soucier du canon lovecraftien et en essayant à peu près de faire illusion pour que le public ne se rende pas compte qu’on aurait pu mettre n’importe quoi à la place sans aucune différence mécanique et a fortiori thématique. Si le phénomène se maintient, c’est pourtant aussi parce qu’il donne vie à des adaptations ou des réappropriations amusantes ou passionnantes, qui sans l’appui lovecraftien n’auraient pas la même puissance et n’existeraient même simplement pas.
AuZtralia en est une, qui a en plus le mérite du postulat fantaisiste : après sept siècles de règne sur les ressources de la Terre, les Grands Anciens sont repoussés en 1888 par une coalition de héros menée par Sherlock Holmes. L’humanité se reconstruit alors très vite pour vaincre l’empoisonnement des sols et réaliser tout ce qui avait été interdit, notamment voyager. Au cours de ces explorations, ont découvrit enfin l’Australie… pour comprendre que c’est là que les Grands Anciens s’étaient réfugiés pour préparer leur revanche. S’ils ne veulent pas à nouveau subir leur domination, les hommes doivent se liguer à nouveau en profitant des nouvelles technologies, des mines et des grands espaces, pour mettre fin une bonne fois pour toutes à la menace. Un scénario si barré qu’il en serait ridicule si le système de jeu n’était pas à la hauteur. Or AuZtralia mêle avec ambition guerre et gestion, et se toque même de légitimité littéraire puisque son histoire se situe dans la lignée de (l’excellente) nouvelle de Neil Gaiman A Study in Emerald (pastiche holmésien à la sauce lovecraftienne)… déjà adaptée en jeu de société par le même auteur, Martin Wallace.
Wallace a en outre déjà porté en jeux de société du Terry Pratchett (Disque-Monde : Sorcières et Ankh-Morpork), Tolkien (Le Hobbit), Doctor Who, et a approfondi sa réputation avec les remarquables et remarqués Brass, Via Nebula et A Few Acres of Snow. Cela inspire donc confiance non pas tant dans les qualités narratives d’AuZtralia (qui n’est après tout scénarisé qu’à grands traits) que dans la capacité de son concepteur à intriquer cet univers curieux avec des mécaniques solides, pour un résultat qui ne peut qu’être passionnant s’il y parvient. Les illustrations, dues à James Colmer, sont également très prometteuses, comme l’est la localisation d’AuZtralia par l’éditeur Nuts ! Publishing (One Deck Dungeon, La Traque de l’Anneau…), après une publication originale par SchilMil Games.
Concepteurs et éditeurs ont bien fait les choses, mais cela a son prix, autour de 55 euros (et il les vaut, comme on le verra). AuZtralia occupera un à quatre joueurs de 14 ans et plus pendant une bonne heure.
Mise en place du continent australien
Une partie se joue ordinairement sur le côté « Australie de l’Est » du plateau. Chaque joueur choisit une couleur et prend sept fermes de moutons, bétail et maïs, vingt pions de rail, vingt cubes, trois disques, un port, un plateau de joueur, deux Charbon, deux Fer, quatre Or et trois pions de santé mentale. La simple répartition du matériel dit ainsi beaucoup du jeu que l’on va pratiquer, entre construction, gestion de ressources, et folies, tandis que le plateau, composé d’hexagones côtiers, de collines et d’outback révèle, aussi bien mécaniquement que thématiquement, la difficulté de s’aventurer dans l’arrière-pays.
Treize de ces hexagones portent un triangle de découverte, on y place face visible (mais en les tirant aléatoirement) treize des vingt tuiles découverte. Celles-ci dévoilent des configurations, que l’on respecte pour placer des tuiles Grands Anciens face cachées et des ressources, avec quelques règles, comme l’interdiction de placer des ressources sur les côtes (il faut s’aventurer dans les terres pour les miner) et des Grands Anciens sur les côtes et dans les collines (ils préparent leur offensive depuis les zones les plus intérieures, et donc les mieux cachées, du continent). Le niveau du Grand Ancien dépend du chiffre indiqué sur l’hexagone, sachant que si deux tuiles indiquent un Grand Ancien au même endroit, on n’en place qu’un, mais de niveau supérieur.
On constitue la pile des cartes Révélation, en n’en gardant que quinze (cinq de chaque niveau) sur les trente, après quoi on établit une file de cinq cartes Personnages. Le disque Grand Ancien est placé sur l’espace 22 de la Piste de Temps : les joueurs ont un peu de répit, mais pas question de traîner ! Les disques des joueurs commencent quant à eux sur l’espace correspondant à leur nombre, une manière simple et assez élégante de compenser le grand nombre de joueurs par un temps un peu plus court. Enfin, chaque joueur place son Port dans un hexagone côtier, à une distance d’au moins trois hexagones les uns des autres.
On a épargné dans ce résumé de la mise en place les quelques mélanges de cartes et placement de telles tuiles et telles ressources à disposition des joueurs, à côté du plateau, puisqu’on y reviendra en temps voulu et que cette installation est déjà assez longue. Elle n’est heureusement pas fastidieuse, chaque étape étant assez sommaire, et on s’y soumet d’autant plus agréablement que chaque dévoilement ou placement a une très grande importance, de sorte qu’on y prête la plus grande attention.
Explorer, exploiter
À la manière de Tokaido et Patchwork, c’est le joueur dont le disque est en dernière position sur la piste de Temps qui est le joueur actif, et les actions ont naturellement un coût temporel différent. Un système que j’aime beaucoup, ajoutant une nouvelle aspérité à la tacticité du choix de l’action, qui n’est pas pour rien employé dans d’aussi bons jeux, et que je m’étonnais de ne pas voir dans des productions plus touffues au lieu des éternelles parties dans le sens des aiguilles d’une montre avec dix points d’action à répartir. On n’en réalise donc qu’une à la fois, le seul moyen d’en enchaîner plusieurs étant de rester le dernier joueur, en plaçant l’un de ses vingt cubes sur une case de son QG, sur le plateau personnel. Si une action a déjà été réalisée précédemment dans la partie il faut payer 1 Or pour chaque cube déjà présent sur l’action en question.
AuZtralia propose huit actions, dont sept sont très simples. Pour poser deux rails, évidemment connectés à ses autres rails et à son port, il faut dépenser 1 Charbon et 1 Fer. Cette construction coûte 2 Points de Temps (PT) si on ne connecte que des hexagones côtiers et d’outback, 3 PT si on connecte également des collines (logique).
Miner (1 PT) consiste à prendre toutes les ressources d’un seul type présentes sur un hexagone se trouvant sur son chemin de fer.
Pour recruter de l’aide (1 PT), on prend une carte personnage du tableau, et en dépensant 1 Or, on peut à la place en piocher deux et en garder une. AuZtralia comporte 36 personnages différents, vos parties promettent donc d’être extrêmement variées ! Certains ont un effet permanent, comme Harry Bones (qui octroie une ressource supplémentaire à chaque minage), d’autres un effet unique (le Groupe Longue Portée de l’Outback inflige deux dégâts à un Grand Ancien), d’autres un effet s’appliquant une fois par combat, les dernières un effet rapportant des Points de Victoire (PV) en fin de partie.
Acheter une unité militaire coûte 1 PT et une somme d’or dépendant de l’unité choisie, 1 Or pour de l’infanterie, 4 Or pour un dirigeable…
1 PT permet également d’importer et/ou exporter. On peut réaliser la même action deux fois ou une fois chacune ; importer rapporte 1 Charbon ou 1 Fer, exporter défausse 1 Charbon ou 1 Fer contre 1 Or.
On peut placer un maximum de trois fermes en un tour, une de chaque type (moutons, bétail, maïs), en payant 1 PT par ferme ainsi posée, à condition que les cases choisies soient entièrement libres (même de ressources), correspondent au type de ferme (côte pour le maïs, colline pour les vaches, outback pour les moutons) et soient connectées au port. Chaque pose de ferme rapporte 1 Or.
Afin que les actions ne s’avèrent pas trop chères, 1 PT permet de reprendre tous ses cubes (ou 2 PT si l’on n’a plus aucun cube dans le QG)
La dernière action consiste à attaquer.
Exterminer
Pour attaquer, il faut naturellement posséder des troupes dans sa caserne, que l’on place sur la partie Force expéditionnaire de son plateau. C’est la mobilisation des troupes qui prend du temps, mobiliser son infanterie ou ses unités blindées coûtant ainsi 1 PT pour l’ensemble des troupes de ce type. Chaque unité possède une portée, comme l’attaque est groupée, il faut que la tuile Grand Ancien (cachée ou visible) attaquée soit à portée de l’unité ayant la plus faible. Un train blindé ne permet ainsi que l’attaque d’hexagones ne trouvant sur le réseau ferré, tandis que les dirigeables peuvent attaquer à quatre cases de distance du rail le plus proche. Notons que si plusieurs tuiles Grands Anciens sont présents sur un hexagone attaqué, tous ces Grands Anciens sont de la bataille.
Après avoir retourné une tuile Grand Ancien face cachée, l’attaquant a le choix de retraiter ses dirigeables, ses unités non-dirigeable, ou les deux, en fonction des forces et faiblesses du Grand Ancien. Puis on retourne l’une des 40 cartes Grand Ancien, chacune montrant pour chaque Grand Ancien les unités pouvant lui infliger des dégâts. Si les résultats sont très variables, il existe heureusement pour l’intérêt tactique d’AuZtralia quelques constantes, comme la force de l’artillerie et des trains blindés contre Cthulhu et les Shoggoths. Une carte indique par exemple qu’aucune unité ne peut blesser Cthulhu, qu’une unité blindée peut blesser le Shoggoth, qu’un dirigeable peut blesser le Mi-Go, qu’une infanterie peut blesser un Zombie, qu’une unité d’artillerie et une unité blindée peuvent blesser un Loyaliste, qu’un dirigeable peut blesser deux fois un Temple. On place alors autant de cubes sur le Grand Ancien que de blessures infligées.
Cette carte indique également quels dégâts le Grand Ancien inflige à la troupe. Un cube violet indique une blessure, que le joueur attribue à l’un de ses types d’unité. Si un deuxième cube violet est placé sur la pile d’infanterie (qui possède deux points de défense), une unité d’infanterie meurt. Un symbole Santé mentale retire l’un des trois pions Santé mentale de son plateau. Si le Grand Ancien est vaincu, les unités sont soignées et retournent à la caserne, et le joueur récupère la tuile Grand Ancien, à moins que les dégâts n’aient été infligés par plusieurs joueurs, auquel cas tous se répartissent équitablement les PV correspondants. S’il n’est pas vaincu, on peut sonner la retraite, ou piocher la prochaine carte Grand Ancien et poursuivre le combat. Quand on ne possède cependant plus d’unités, ou qu’un symbole Santé mentale demande le retrait d’un pion et qu’on n’en possède plus, la bataille est perdue : toutes les unités blessées sont tuées. Un Grand Ancien non-zombie blessé, mais ayant survécu au combat, conserve ses blessures.
Il va de soi que les Grands Anciens n’attendent pas de se faire exterminer par les misérables humains qui ont l’audace de les attaquer sur leur île. Une fois que tous les joueurs ont dépassé le 22ème emplacement de la Piste de Temps, ils disposent enfin de leurs propres tours, et d’actions à réaliser à chaque fois qu’ils seront les derniers. On déplace alors leur disque d’un PT. S’il atteint un espace illuminé, on pioche et résout une carte Révélation. Celle-ci peut imposer de révéler un Grand Ancien, de le mouvoir sur le plateau, de retirer des personnages, d’ajouter des tuiles Grand Ancien.
Puis on pioche une carte Grand Ancien, sur laquelle certains sont entourés d’un cercle blanc. Toutes les unités de ces types se déplacent d’un hexagone vers le port ou la ferme intactes la plus proche. Très judicieusement, la carte indique également un ordre de directions prioritaires auquel se référer si plusieurs cibles sont à équidistance. Une fois ce mouvement réalisé, on pioche une nouvelle carte pour en effectuer un autre. Globalement, les Mi-Go se déplacent très vite, les Zombies très lentement. C’est à ce genre de détails que l’on reconnaît la patte d’un auteur chevronné, là où d’autres auraient simplement attribué des valeurs de déplacement complètement aléatoires. AuZtralia laisse en effet une grande place au hasard, selon une certaine logique thématique : en arrivant sur un continent inconnu, les hommes n’ont aucun moyen de savoir qui ils vont rencontrer, où sont les ressources et les Grands Anciens… Il fallait une véritable finesse mécanique pour déterminer ce qu’on pouvait laisser au hasard, et au contraire sur quoi il fallait maintenir un certain contrôle.
Si un Grand Ancien croise la route d’une ferme, celle-ci est ravagée. S’il arrive dans un port, son propriétaire doit le défendre en envoyant toutes les troupes de la caserne sans dépense d’aucun point de temps (puisque la caserne se situe dans le port, encore une fois, tout se tient). Le combat se déroule normalement, sauf qu’il est bien sûr impossible de sonner la retraite, et que la destruction de l’armée (et donc du port) entraîne immédiatement la fin de la partie et le décompte…
Finir… ou recommencer autrement ?
Il y a donc deux manières de mettre fin à la partie : un joueur perd son port, ou tous les disques ont atteint l’emplacement 53 de la Piste de Temps. Notons qu’un joueur ayant déplacé cet emplacement ne pourra plus jouer, et que cela concerne aussi le disque Grand Ancien. Si les joueurs vont trop vite et dépassent tous l’emplacement 53 alors que le disque Grand Ancien est encore loin derrière, Cthulhu et ses sbires auront tout leur temps pour ravager le peu qu’il reste de présence humaine en Australie…
On réalise alors le décompte des points : une ferme non-ravagée vaut 2 PV, un disque de phosphate vaut 3 PV, certains personnages et les tuiles Grand Ancien rapportent un nombre de PV variable, et on y additionne les pions de PV (obtenus en participant à la défaite d’un Grand Ancien). On compte cependant également les points des Grands Anciens, qui cumulent la valeur de toutes les tuiles Grand Ancien révélées sur le plateau, le double de la valeur des tuiles cachées, et 1 PV par ferme ravagée. En cas d’égalité entre les Grands Anciens et un joueur, ce sont les premiers qui remportent la partie.
C’est là qu’il manque peut-être un petit quelque chose à AuZtralia : les joueurs n’ont naturellement aucune envie que les Grands Anciens remportent la partie, mais ils n’ont aucune raison de s’allier pour les exterminer, chacun luttant pour ses seuls points, et éprouvant finalement autant d’amertume à voir les Grands Anciens triompher qu’un de ses rivaux humains. Le dénouement de la partie est irréprochablement classique, mais quand on vient de tester TerriStories, on ne peut s’empêcher de penser que le système du jeu de Bioviva, son intrication subtile de coopération et compétition, se serait merveilleusement prêté à AuZtralia. On a en effet le choix dans TerriStories entre vaincre collectivement ou vaincre seul (ou perdre seul/collectivement, bien sûr), et il aurait été passionnant d‘inciter de la même manière les joueurs d’AuZtralia à un peu de coopération pour vaincre une menace après tout globale, quitte à ce qu’ils dévoilent soudain leur égoïsme en faisant valoir un objectif personnel.
Il est pourtant d’autant plus impossible d’en faire le reproche à Martin Wallace que l’auteur propose bien une variante coopérative, bien moins complète que dans TerriStories (ne serait-ce que parce qu’il ne s’agit que d’une variante), mais satisfaisante. Les joueurs y disposent de moins de temps sur la Piste, mais peuvent utiliser les rails des autres joueurs (en payant un PT) à condition que la pose de rails reste soumise à l’impératif d’un réseau personnel connecté à son port. En outre, dans le cas d’un import/export ou d’un recrutement, le joueur actif choisit qui obtient la ressource, l’or ou le personnage. Il faudra en fin de partie que chaque joueur possède plus de points que les Grands Anciens pour que tous gagnent.
Comme nous le disions en introduction, AuZtralia peut également se jouer seul. Dans ce cas, on peut dépenser 1 Or au moment d’un recrutement pour renouveler complètement le tableau des personnages (puisque ce renouvellement ne se fait plus par leur acquisition par les autres joueurs), et on choisit un niveau de difficulté qui correspond à une quantité initiale de ressources et de Points de Victoire, voire à une quatorzième tuile Découverte en mode « dément ». Il est possible (et je le recommanderais) d’ajouter l’un des dix objectifs solo, choisi ou subi, pour gagner davantage de PV (par exemple 15 PV si on n’achète aucune infanterie, ou 15 en commençant avec trois personnages… mais sans laisser aucun Grand Ancien atteindre son Port).
À deux joueurs, on peut piocher une carte Variantes en choisir l’une des deux variantes qui y est proposée, voire en piocher deux et donc choisir deux variantes parmi les quatre proposées, par exemple placer les ports très proches l’un de l’autre, faire en fin de partie la moyenne des scores des deux joueurs (ce qui impose donc une vraie coopération), pouvoir utiliser les rails l’un de l’autre…
Une autre variante consiste à utiliser le plateau Australie de l’Ouest, où l’on ne place initialement n charbon ni phosphate, mais où l’on peut ajouter des ressources dans les hexagones de fermes et des pions 3/5 PV. Les ports peuvent cette fois être adjacents, n’importe quelle ferme être placée dans un hexagone vert, mais aucune dans un désert.
La dernière permet de complexifier les parties à trois et quatre joueurs, avec trois degrés de difficulté. En difficulté moyenne (comme si les règles normales d’AuZtralia étaient faciles !), les Temples d’apparition invoquent des Grands Anciens et les font se déplacer dans des directions différentes, ce qui les rend absolument redoutables. Pour corser davantage le jeu, on peut ôter les tuiles vides de la partie avant la mise en place, et remplacer les tuiles Grand Ancien épuisées par les tuiles du niveau supérieur. Enfin, en mode « dément », on retire avant la mise en place les tuiles Découverte avec une pince rouge, celles qui annoncent une partie avec peu de Grands Anciens…
AuZtralia, le meilleur du pseudo-lovecraftien ?
Thématiquement, AuZtralia est un jeu assez décontenançant. Il est évident que ses Grands Anciens auraient pu être remplacés par n’importe quels monstres, leur nom seul évoquant quelque chose de lovecraftien. Mais précisément, le jeu est si différent de tout ce que l’on pourrait attendre d’une oeuvre lovecraftienne qu’il en paraît immanquablement plus bizarrement sincère dans son refus de se conformer aux codes artificiels de ce à quoi ce genre de jeu devrait ressembler : pas de folies, une lutte armée et frontale plutôt que des personnages démunis face à une menace qui se profile sournoisement, un jeu parfaitement diurne sur le continent australien plutôt que dans les marais poisseux ou dans la baie d’Arkham… C’est probablement pour cela que le charme opère, le Mythe participe à un contexte inattendu, celui d’Une Étude en émeraude, avec sa propre logique (ses propres délires), qui n’est pas un calque appauvri de celle du reclus de Providence. Dans ce nouveau contexte peut s’épanouir un jeu nouveau, un jeu de gestion et de guerre étonnant, plus rigoureux que malicieux, laissant une grande place à la variété et à la re-jouabilité, et au matériel superbe. Un belle réappropriation du Mythe.