Warehouse 51 – les objets de la zone 51 aux enchères !
Après avoir été naturellement séduit par Peanut Club et sa proposition assez impeccable de ludifier l’expérience d’une salle d’enchères en en reprenant les mécanismes tout en y instillant un humour efficace et des références geek, j’ai découvert que l’éditeur Funforge (dont le Tokaido avait été un coup de cœur, et qui est aussi responsable de Monumental, Professeur Evil et Caverna) avait également proposé il y a quelques années un jeu de société d’enchères geek, Warehouse 51.
Or Warehouse 51 avait tout de même été conçu par Bruno Faidutti, l’auteur du culte Citadelles et de Secrets, avec Sergio Halaban et André Zatz, qui avaient ensemble réalisé Sheriff of Nottingham. Et la promesse d’enchérir sur les objets de la fameuse Zone 51, la fameuse base secrète où l’armée états-unienne cacherait ses secrets extra-terrestres ou magiques, pique davantage encore la curiosité, surtout quand on voit leur représentation soignée par Rafael Zanchetin. Il me fallait donc le tester et tâcher de voir si sa proposition ludique était redondante avec le postérieur Peanut Club ou au contraire complémentaire.
Warehouse 51 est un jeu pour 3 à 5 joueurs de 8 ans et plus, dont les parties durent environ 40 minutes, et disponible pour une quinzaine d’euros. On n’est globalement pas très loin des caractéristiques de Peanut Club, sauf pour la durée, qui pourrait laisser penser que Warehouse 51 ne cherche pas à être identifié comme un jeu d’ambiance…
Collectionnite aigüe pour excentriques
La partie commence logiquement par le choix des personnages, qui est totalement indifférent. Curieusement, les plateaux de personnage sont pourtant très étendus, et le personnage lui-même n’en occupe guère qu’un quart, mais le reste est dévolu à une explication iconographique du système de collections, rappelant le nombre de cartes de chaque couleur et leur valeur, en somme des aides de jeu de luxe. Aucune stratégie n’est donc induite par l’avatar, tous sont simplement des milliardaires avec le même but, constituer la collection la plus impressionnante au monde d’artefacts uniques, profitant en cela de la ruine des États-Unis de 2038, réduits à vendre leurs trésors les plus secrets pour rembourser les dettes contractées envers les autres pays. Mais pour ne pas se ridiculiser ou se ruiner en vain, il faudra se méfier du cauchemar de tout collectionneur riche… les faux !
C’est qu’on ne commence qu’avec 10 lingots d’un milliard de dollars, il ne faudrait pas les dépenser pour de la camelote ! Heureusement, une carte Faux est posée entre chaque paire de joueurs, et connue de cette seule paire de joueurs, de sorte que chaque enchérisseur saura se méfier de deux faux parmi les objets qui apparaîtront au cours de l’enchère. Et s’il venait à tout dépenser, il pourrait toujours faire appel au prêteur sur gages, en lui confiant une relique contre cinq lingots !
D’Amenonuhoko (l’arme sacrée du shintoïsme) à la lampe d’Aladin, du Marteau des Sorcières à l’Arche d’alliance, d’une corne de licorne au Hameçon de Maui, ces trésors prennent toutes les formes, proviennent de toutes les époques et de tous les continents. On pourra naturellement regretter quelques lacunes, mais sur seulement vingt-six cartes, il était difficile de satisfaire les préférences personnelles de chaque joueur, et on peut dire que la sélection est variée et judicieuse. Je ne m’étonne à vrai dire que de trouver le Malleus Maleficarum (qui est un ouvrage parfaitement historique et encore édité de nos jours) au lieu du Necronomicon par exemple, et de ne trouver au contraire aucune carte « extra-terrestre de Roswell » ou évoquant les OVNIs, alors qu’il s’agit assurément de la légende la plus tenace à être raccrochée à la Zone 51, et que cela aurait constitué une agréable ouverture contemporaine.
Globalement, Warehouse 51 manifeste donc un parti-pris geek plus « réaliste » que le plus pop Peanut Club. Mjöllnir, la Pierre philosophale ou l’Arche d’alliance peuvent aussi bien faire référence à Thor, Harry Potter et Indiana Jones qu’ils peuvent simplement être issus de traditions, mythologies et légendes de la culture commune, ce qui est plus probablement le cas. De sorte que Warehouse 51 se parerait pratiquement d’une vocation pédagogique, en suscitant une curiosité invincible pour les quelques objets qu’on ne connaîtrait pas.
Ne rien laisser aux autres… que les faux et les malédictions !
Il existe quatre catégories de reliques réparties en quatre piles : Littérature et légendes occidentales (cartes bleues), Mythologies européennes (vertes), Proche et Moyen-Orient (jaune) et Extrême-Orient (rouge). L’objectif est de réaliser des majorités : pour chaque couleur, seuls les deux joueurs possédant la plus grande valeur cumulée de reliques gagneront des points. Il faut donc tâcher de se spécialiser assez subtilement pour que nos adversaires ne nous prennent pas les reliques intéressantes dans le seul but de nous bloquer, ou ne déduisent pas de nos choix les cartes dont nous connaissons la fausseté.
Le joueur le plus jeune, puis le vainqueur de la dernière enchère, révèle la première carte de la pile de son choix.
S’il y a un symbole « Poing » sur la carte révélée, l’enchère est secrète. Tous les collectionneurs placent dans leur main un certain nombre de lingots et le révèlent en même temps. Celui qui a proposé le meilleur prix (et en cas d’ex aequo, le premier joueur dans le sens des aiguilles d’une montre après celui qui a révélé la carte) récupère l’arme et donne ses lingots au joueur à sa gauche. L’idée est évidemment très intéressante : remporter une enchère enrichit nos concurrents à notre détriment en faisant circuler l’argent selon une règle arbitraire au lieu de le faire disparaître, et nous pousse donc à être plus pondérés dans nos offres, sans l’être trop pour que l’objet ne nous échappe pas. Cette petite subtilité engendre ainsi une agréable tension quand il s’agit de déterminer le montant que l’on juge raisonnable. Bien sûr ce n’est thématiquement pas logique (comment les États-Unis rembourseront-ils leur dette si l’argent des objets qu’ils vendent ne leur est pas remis), mais cela fonctionne très bien mécaniquement.
S’il n’y a pas de symbole « Poing » sur la carte révélée, l’enchère est ouverte. Dans le sens des aiguilles d’une montre, chaque joueur peut enchérir, puis surenchérir, ou passer. Le dernier joueur à ne pas passer donne le montant promis au joueur à sa gauche. C’est là bien sûr qu’interviendra un bluff très proche de celui du Poker : si vous savez qu’un objet est faux, vous avez tout intérêt à faire croire que vous lui accordez de la valeur, du moins juste assez pour qu’un adversaire se ruine, en prenant bien garde à ne pas en être le malheureux bénéficiaire !
Il peut arriver dans les deux cas qu’aucun joueur ne soit intéressé par la carte, auquel cas elle est simplement retirée du jeu.
…que les malédictions et les faux !
Une particularité bienvenue de Warehouse 51 est la prise en compte de la sacralité des objets en enchères, qui pourront donc disposer de capacités particulières. Le Livre de Thot permet par exemple d’authentifier une relique dont on soupçonne la fausseté, de sorte qu’elle sera comptabilisée comme réelle au moment du calcul des scores. Ou la Harpe de David permet de voir la carte « Faux » d’une autre paire de joueurs.
Certaines cartes sont cependant porteuses de malédictions, comme le Mortier de Baba Yaga qui interdit de mettre ses reliques en gage, ou le Golem, qui impose de défausser une autre relique. Alors que confier un artefact au prêteur sur gages en annule la bénédiction et ne permet plus de la calculer dans le score final (à moins de la racheter pour 10 lingots), la malédiction subsiste dans tous les cas. On peut penser qu’il suffirait alors de ne pas acheter les reliques maudites, mais ce serait sans compter sur le fait qu’elles valent nettement plus de points que les autres, et méritent donc quand même qu’on y réfléchisse.
À l’exception des cartes qui leur sont adjacentes, les joueurs n’apprennent quels sont les faux artefacts qu’à la fin de la partie, après avoir éventuellement posé des certificats d’authenticité si des effets le permettaient. Toutes les cartes s’avérant être fausses sont alors défaussées, leur effet et leur valeur sont annulés. Cela signifie aussi que vous pouvez acheter une relique que vous saviez fausse pour profiter de son effet au cours de la partie, comme le très pratique Yata No Kagami qui permet de remporter toutes les égalités, donc tout en sachant qu’il ne vaudrait plus rien à la fin… voire pour le mettre au clou juste avant !
En plus des scores de majorité, chaque lot de cinq lingots rapporte en effet 1 point. Enfin, chaque ensemble de quatre reliques de catégories différentes (donc d’une relique de chaque catégorie) rapporte 5 points.
Un jeu d’ambiance ésotérique très plaisant
Comme on pouvait s’y attendre, Peanut Club n’a pas copié Warehouse 51 mais a proposé autre chose, malgré la proximité thématique et générique des deux jeux. Warehouse 51 est en effet bien un jeu d’ambiance, puisque la découverte de la fausseté d’une relique peut facilement bousculer le podium, où la satisfaction et l’amusement des joueurs prime sur la stratégie sans l’exclure tout à fait. On appréciera pourtant la finesse de ses quelques originalités, la circulation de l’argent plutôt que sa dilapidation, les pouvoirs des artefacts acquis et leur possible fausseté, qui introduisent dans un jeu d’enchères et de collection classique des frissons particulièrement plaisants. Si l’on ajoute à cela l’agrément procuré par le choix des artefacts représentés, il devient difficile de nier que l’on se plaît quand même très bien à jouer à Warehouse 51, et que comme pour Peanut Club, on rêverait d’une extension qui décuplerait ce plaisir.